Sybil 2004

Le texte évangélique

Marc 13, 33-37

33 Gardez les yeux ouverts, veillez. Car vous ne savez rien sur le moment où surviendra le nouvel Adam. 34 C'est comme un homme qui, parti pour l'étranger et ayant quitté son domaine, après avoir donné l'autorité nécessaire à ses serviteurs, à chacun sa tâche, enjoignit au portier de rester en état d'alerte. 35 Soyez donc en état alerte. Car vous ne savez pas quand le maître du domaine reviendra, que ce soit tard le soir, au milieu de la nuit, au moment où le coq se fait entendre ou très tôt le matin, 36 et alors cela pourrait être une venue surprise qui vous trouverait en train de dormir. 37 Aussi je vous le dis, et ici j'inclus tout le monde: « Soyez en état d'alerte ».

Des études

Voir venir l'être noveau, car il est en nous


Commentaire d'évangile - Homélie

Parole pour une époque hantée par la peur

Ma fille me racontait tout récemment cet événement. Elle était à un arrêt d'autobus. Un père, avec un bébé dans le carrosse, parlait à son petit garçon, debout près de lui. La langue évoquait un pays de l'est européen. Alors que plusieurs autobus se présentent, le père demande à son fils d'aller interroger l'un des chauffeurs. Au moment où il se dirige vers le bus, celui-ci s'éloigne. Aussitôt l'enfant revient sur ses pas, mais ô drame, le père n'est plus là. Dans son énervement, ce dernier était entré dans un des autres bus. Ne voyant plus son père, pris de panique, l'enfant se met à pleurer et à crier. Ayant tout vu ce qui se passait, ma fille se dirige vers l'enfant, le prend par le bras et le monte dans l'autobus où se trouvait le père. À part ma fille, personne de la vingtaine de passants se pressant près de l'arrêt du bus ne s'était rendu compte de quoi que ce soit. Pourquoi seule ma fille a-t-elle eu les yeux ouverts et a su être alerte?

Voilà de quoi il s'agit dans l'évangile de ce jour: ouvrir les yeux, être alerte. Mais avoir les yeux ouverts sur quoi? Dans l'imaginaire de beaucoup de chrétiens, il s'agit d'être prêt pour la fin du monde, pour le retour du Christ, d'être trouvé en "état de grâce", i.e. en bons termes avec Dieu, et ainsi d'hériter de son Royaume. Cette vision des choses est très malheureuse et, à mon avis, nous détourne de ce que l'évangile nous dit de très important. Premièrement, nous risquons de mourir tous avant un tel événement, mais surtout, comment peut-on appliquer cette parole à ceux et celles qui nous ont précédés et, en particulier, à Jésus lui-même.

Vous m'accorderez que Jésus a vécu lui-même cette vigilance dont parle le récit évangélique. Comment cet esprit ouvert et alerte s'est-il manifesté? À mon avis, s'il a pu donner un écho à la prédication de Jean-Baptiste et accepter de se faire baptiser, et par là se découvrir une nouvelle vocation, c'est qu'il était prêt à accueillir cet appel de la vie où Dieu parle; il n'était pas endormi. Comment aurait-il pu accueillir tous ces gens sur sa route, s'il n'avait pas été alerte à prêter l'oreille et à entendre?

Dans mon entourage, il y a des gens qui ne voient rien, qui ne se rendent comptent de rien, alors que d'autres sont comme des écrans radar, capables de lire le drame dans le coeur d'une personne avant même qu'elle n'ouvre la bouche. Il y a des gens avec qui on discute en long et en large pour les aider à cheminer et à faire le meilleur choix, mais demeurent "endormis", alors qu'il y en a d'autres à qui on lance à peine quelques allusions et font un bond en avant incroyable. L'enjeu ici n'est pas trivial, mais se situe au coeur de l'évangile. Car le "moment" pour lequel il faut être vigilant et alerte, c'est la venue du "Fils de l'homme", que je préfère traduire par "le Nouvel Adam", l'homme nouveau, personnifié bien sûr d'abord par Jésus, mais également par chacun de nous. Cette venue est déjà commencée, à moins que nous soyons endormis.

Je me suis posé la question: quel est le plus grand obstacle à la vigilance et à l'esprit alerte? Plus je me pose cette question, plus la même réponse revient: la foi. Oui, la foi. Pas la foi au sens où l'entendent beaucoup de chrétiens, i.e. la foi en l'existence de Dieu et en la vie après la mort, par opposition aux athées. Mais la foi qui me permet de dire: je suis aimé inconditionnellement, ce jour avec ses événements et ses êtres est une parole pour moi, ma vie réussira et n'est qu'une longue préparation à la rencontre avec la source de tout amour. Sans cette foi, l'inconnu me fait peur, les autres deviennent une menace, et alors ma propre angoisse m'empêche d'écouter ceux et celles qui me parlent, de m'ouvrir aux événements de la vie et je suis incapable d'être alerte.

L'évangile utilise l'image d'un maître parti à l'étranger. C'est notre situation où ne pouvons plus toucher Jésus de nos mains, mais où nous est confié la responsabilité de son domaine. Son retour s'effectue dans la mesure où nous devenons un peu plus chaque jour l'homme nouveau, la femme nouvelle. Chaque jour nous en donne l'opportunité, dans la mesure où nous savons "voir" et "être alerte". Tout cela exige une confiance incommensurable en la vie. "Que ce soit tard le soir, au milieu de la nuit, au moment où le coq chante ou avant la levée du jour" , dit le récit de l'évangile. En d'autres mots, c'est l'oeuvre d'une vie. Voilà ce que veut évoquer ce début du temps de l'Avent, alors qu'on regarde le chemin à parcourir.

 

-André Gilbert, Gatineau, août 2005

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