Sybil 1997

Le texte évangélique

Marc 6, 7-13

7 Jésus convoque les douze et commença à les envoyer en mission deux par deux, leur donnant ce qu'il faut pour maîtriser les esprits dérangés. 8 Il leur donna l'ordre strict de ne rien emporter avec eux pour la route, sinon un seul bâton, mais pas de pain, pas de sac de voyage, pas de petite monnaie à la ceinture. 9 Il leur dit: « Si vous pouvez porter des sandales, ne vous revêtez pas par contre de deux tuniques ». 10 Il leur dit encore: « Si vous entrez dans une maison, restez-y aussi longtemps qu'il le faut. 11 Et s'il arrive qu'un milieu ne vous accueille pas et ne vous écoute pas, alors, après vous être éloignés de là, secouez la poussière qui est sous vos pieds pour ne rien garder de cet endroit: ces gens pourront y voir un témoignage contre eux ». 12 Après s'être mis en route, ils commencèrent à proclamer qu'il fallait réorienter sa vie. 13 Ils libéraient beaucoup de gens de leurs pulsions mauvaises, faisaient des onctions d'huile sur de nombreux malades et les guérissaient.

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Commentaire d'évangile - Homélie

Découvrir sa mission pour vivre

Je me souviens encore du lancement de l'année de pastorale dans ma paroisse, il y a quelques années. Le comité de pastorale avait préparé une grande bannière sur laquelle on pouvait lire: "Notre mission est de proclamer Jésus-Christ au monde d'aujourd'hui". Vaste mission! Mais une telle définition se situe tellement à un niveau stratosphérique, qu'elle s'applique à tout et à rien en même temps. Personnellement, je me sentirais un peu gêné d'y situer ma propre vie.

Pourtant je suis habitué aux missions. Dans le milieu gouvernemental où je travaille, chaque ministère, chaque département, chaque section a sa mission, qui tourne plus ou moins autour du service aux citoyens et de l'application équitable de la loi. Les maisons d'enseignement ont leur mission. Les différents médias comme la radio, la télévision, les journaux, les magazines s'enorgueillissent aussi d'une mission. La tradition chrétienne n'a plus le monopole du langage sur la mission. Mais alors comment situer sa mission par rapport aux autres?

Aussi je veux prendre le temps de me replonger dans le récit de Marc où Jésus envoie ses disciples en mission. Quelle est cette mission? À première vue, on n'en sait rien. Car Jésus leur donne simplement la capacité de maîtriser les "esprits dérangés" (ce qui traduit le sens hébreu d'impur, i.e. qui échappe à la normalité et à un certain ordre), sans rien ajouter. Quand on connaît l'évangéliste Marc, on devine bien qu'il s'agit de poursuivre l'oeuvre de Jésus, d'autant plus que sa mort se profile à l'horizon avec le récit de la mort de Jean-Baptiste qui suit. Et le visage de Jésus laissé par Marc est celui d'un homme d'action, qui a invité les gens à changer de vie parce que le monde de Dieu était plus présent qu'avant, et qui n'a cessé d'agir pour transformer ses proches sur le plan physique, psychologique, spirituel. D'ailleurs que font les Douze pour répondre à l'envoi de Jésus? Ils demandent aux gens de changer de vie, libérant les gens de leurs pulsions mauvaises (maladies psychologiques et mentales) et guérissant les infirmes (maladies physiques) avec des onctions d'huile.

À la suite de ce récit, comment définir la mission chrétienne, et plus particulièrement ma propre mission? Il me semble qu'on ne peut pas "s'inventer" une mission, aussi noble qu'elle puisse paraître, comme "proclamer Jésus-Christ". On ne peut que "découvrir" sa mission. D'ailleurs le récit évangélique dit: Jésus convoque les douze et commença à les envoyer .... Ce n'est pas une initiative des disciples. Voilà la source de mes interrogations et parfois d'une certaine tension: "À quoi suis-je appelé.... Qu'est-ce que Dieu attend de moi?"

Le récit me donne un indice sur ma mission propre: Jésus leur donne ce qu'il faut pour maîtriser les esprits dérangés, i.e. la capacité de maîtriser tout ce qui pervertit l'être humain. Je ne suis appelé que là où j'ai la capacité d'agir: ma mission est fonction de ce que je suis et de ce que peux donner. Et cela repose la question: "Qui suis-je et que puis-je donner?"

Quand on me dit: "C'est incroyable! Tu sembles tellement passionné dans ce que tu fais, tu rayonnes!" Je sais que je suis là où je suis appelé. Ce que je fais naturellement est aussi ma propre mission, à moi de découvrir son sens spirituel. Ça me rappelle des images de Paul de Tarse: quelle force, quelle ardeur, quel amour, quelle passion dans tout ce qu'il entreprend! Bien sûr, il y a ces heures sombres, ces moments pénibles. Quand ma mère s'inquiétait de l'un de mes frères malade, quand elle ne dormait pas de la nuit, cela l'empêchait-elle de sentir combien sa vie avait un sens, combien elle ne voudrait l'échanger pour rien d'autre? À certaines heures mon travail me pèse et je me sens écrasé par l'ensemble des attentes et des responsabilités. Et pourtant, savoir que ma présence et mon agir font cheminer des gens comme Mario, John, Gino, Kassem, Paul, me font oublier ma fatigue et m'apporte une paix profonde.

Comme bien des gens ayant déjà franchi la cinquantaine, je sais que le jour viendra où les engagements sociaux divers et le travail rémunéré seront choses du passé. Et pourtant, c'est ma conviction que la mission n'est pas liée à ma liste d'activités. Quand je ne pourrai plus aider par mes connaissances ou mes compétences, et serai au contraire quelqu'un qui a besoin d'aide, alors je rappellerai à mes frères et soeurs que la vie est avant tout pure gratuité, comme cet enfant qui ne fait qu'agiter les bras et les pieds.

Mission du chrétien? Mission du musulman? Mission de l'agnostique? Ma réponse est oui à toutes ces questions. Mais moi je sais que je poursuis l'oeuvre amorcée par Jésus quand, à mon tour, je nourris et essaie de guérir, et cela donne tout son sens à ma vie. Moi je sais qu'à travers mes humbles actes se profile un mystère plus grand que moi. Et ça me fait vivre!

Est-ce que la mission vise seulement le monde dit profane? Hier soir un curé de paroisse me téléphonait pour me partager son angoisse avant d'affronter un groupe de prêtres qui ne veut rien savoir du projet de réaménagement pour la mission. De même, quand on souffre du vide de la parole dans beaucoup de nos célébrations, n'y a-t-il pas un appel missionnaire lancé aux chrétiens pour qu'ils prennent la parole?

 

-André Gilbert, Gatineau, avril 2000

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