Sybil 1997

Le texte évangélique

Marc 4, 26-34

26 Jésus leur disait : « Le monde de Dieu est comme une personne qui met sa semence en terre. 27 Qu’elle dorme ou qu’elle soit réveillée, nuit et jour, la semence germe et pousse sans qu’elle sache comment. 28 Par son propre dynamisme, le semence porte fruit, d’abord une simple herbe qui devient par la suite un épi et enfin affiche plein de blé dans l’épi. 29 Quand la semence a livré son fruit, c’est le temps de la moisson et d’utiliser la faucille. »

30 Jésus leur disait aussi : « Quelle comparaison utiliser pour parler du monde de Dieu? Quelle image emprunter? 31 C’est comme un grain de moutarde qui, au moment où on le met en terre, apparaît comme la plus petite semence au monde. 32 Mais, quand il a atteint sa pleine croissance, il apparaît comme la plus grande des plantes potagères, si bien que ses grands rameaux permettent aux oiseaux du ciel de s’abriter sous son ombre. »

33 C’est à travers toutes ces images que Jésus transmettait aux gens son message, dans la mesure où ils pouvaient comprendre. 34 Ainsi, il ne leur parlait jamais sans image, mais c’est seulement à ses disciples qu’il pouvait tout expliquer en privé.

Des études

Qui peut déterminer l'impact qu'aura un tel geste?


Commentaire d'évangile - Homélie

Le monde de Dieu, un monde de conquête ou de guérison?

La guerre en Ukraine, la tragédie de Gaza ou les aléas de la politique américaine font plus de bruit que les milliers d’initiatives issues de cœurs compatissants au point d’amener plusieurs à croire au triomphe du mal en notre monde. J’aimerais vous parler de quelques-unes de ces initiatives dont j’ai entendu parler récemment dans la région de Montréal, au Québec.

Commençons avec la Maison bleue, un organisme à but non lucratif (OBNL) qui vient en aide aux mères enceintes vulnérables, où les bébés sont suivis du ventre de leur mère jusqu’à leurs 5 ans et où interviennent médecin, travailleuse sociale, psychoéducatrice. Quelqu’un comme Cendy, née en Haïti, arrivée à Montréal à l’âge de 5 ans, devenue une enfant de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) après avoir été violée, battue, puis jetée à la rue à ses 18 ans, et maintenant enceinte de son deuxième enfant, seule et désespérée, elle a trouvé à la Maison bleue un cœur chaleureux qui écoute, soutient, prend soin, et cela a transformé sa vie. Non seulement a-telle pu donner naissance à une magnifique fille, mais elle a récemment obtenu un diplôme d’études professionnelles en soins d’assistance à la personne en établissement et à domicile; elle donne maintenant ce qu’elle a reçu à la Maison bleue.

Passons à l’organisme Petites-Mains qui vient en aide aux personnes immigrantes. Co-fondé par une immigrante du Liban choquée par cette attitude où on ne considère pas les immigrants comme des êtres capables d’apporter quelque chose à la société, l’organisme propose des ateliers de formation en couture industrielle. En 25 ans, il a contribué à l’insertion sociale de plus de 30 000 personnes. Notons que le taux de placement des participantes est exceptionnel. Même s’il vise une formation professionnelle, l’organisme est avant tout une expérience humaine. Les femmes sont accueillies avec écoute, générosité et savoir-faire. Au besoin, elles peuvent compter sur l’aide d’intervenantes sociales. Petites-Mains a aussi aménagé un centre de garde pour enfants dans ses locaux, offert en priorité aux enfants des mères qui suivent une formation.

Terminons avec le PRAIDA, le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile. Pour comprendre son rôle, pensons à l’histoire de Justine, une demandeuse d’asile, hébergée par une lointaine connaissance, qui la met à la porte après 15 jours. Les poches et le ventre vides, sans ressources ni repères, Justine, qui à l’époque ne parlait pas la langue de sa terre d’accueil, ne voyait aucune issue sauf le suicide. Alors qu’elle élabore un plan pour en finir, une passante remarque le comportement erratique de la jeune femme qui venait d’éviter de justesse de se faire happer par une voiture. Courant vers elle et constatant la détresse de la jeune femme, elle lui a dit en anglais connaître un endroit où on pourrait l’aider. Même si Justine refuse de se faire aider, la passante insiste pour lui donner un billet d’autobus et l’adresse du PRAIDA, et lui sert un mensonge : « Là-bas, on t’aidera à mourir ». Parvenue sur les lieux, mais tout à fait égaré, elle tombe par hasard sur une travailleuse sociale du PRAIDA, qui sortait pour son heure de lunch et qui avait remarqué la jeune femme en larmes. Alors une aventure assez extraordinaire commence, d’abord en lui donnant ce dont elle avait le plus de besoin, une nuit de repos et un repas chaud, puis en l’aidant à rapiécer la confiance perdue, en l’accompagnant à reprendre pouvoir sur sa vie et à gravir la montagne. On lui montre les ressources disponibles, mais c’est à Justine de construire son avenir. Après seulement trois semaines en hébergement d’urgence, Justine, très débrouillarde, a trouvé un appartement en colocation. Aujourd’hui, elle travaille dans un Centre gouvernemental de santé.

Je tenais à mentionner ces trois initiatives avant d’aborder l’évangile de ce jour, car elle permet de donner un visage au thème du règne de Dieu, que j’aime appeler de manière plus contemporaine : le monde de Dieu, le thème central de la prédication de Jésus. Car il s’agit bien d’un thème central présenté dès le début de l’évangile : « Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 15) (Sur le sujet, voir J.P. Meier). Qu’est-ce donc que ce règne de Dieu?

La première image associée à ce règne chez Marc est celle d’une semence qui grandit d’elle-même sans intervention humaine pendant le processus de croissance. Qu’est-ce à dire? Ce qui est sous-entendu, c’est Dieu qui est cette force dans le monde, et la seule place où peut loger cette force est dans le cœur humain. Il faut en conclure que l’être humain subit intérieurement la pression d’un amour qui veut constamment grandir. Si Dieu est source de ce règne, ce règne a pourtant besoin de nous : il faut des moissonneurs pour récolter le blé. Voilà pourquoi dans sa prédication initiale Jésus dit : convertissez-vous, croyez à l’Évangile, i.e. changez de manière de voir les choses, croyez vraiment à cette force à l’œuvre dans le monde et mettez tout en œuvre pour y collaborer. Mais notre grande difficulté est d’accepter que ce processus soit très lent à l’image de la nature qui passe progressivement par différentes phases.

La deuxième image associée à ce règne est celle de la graine de moutarde. Dans le monde juif, elle était perçue comme la plus petite semence du jardin. Cela contraste avec sa situation arrivée à maturité où elle est considérée comme la plus grande plante potagère. Il est clair que l’image exprime le contraste entre les débuts humbles du ministère de Jésus et l’impact qu’il aura par la suite. L’image finale des oiseaux sous l’ombre de son feuillage est tirée du prophète Ézéchiel (17, 22-24) qui fait référence à la restauration du peuple de Dieu et au fait qu’un jour les peuples de la terre viendront trouver protection à son ombre. Ainsi, l’image met en garde contre le fait que ce n’est pas parce qu’on ne voit rien ou que ce qu’on voit est très petit qu’il ne se passe rien. Elle exprime l’espoir que ce monde de Dieu finira par rejoindre l’univers entier.

Qu’est-ce tout cela signifie? Il y a quelque chose de faux et d’erroné quand quelqu'un dit: "Implantons le règne de Dieu". C’est faux et erroné, parce ce vouloir est d’abord l’expression chez l’être humain d’un désir de contrôle et de puissance. Le christianisme est né par la force de l’empereur Constantin et le désir de le maintenir n’a rien à voir avec le règne de Dieu. Il est désolant d’entendre les fondamentalistes chrétiens des États-Unis exprimer leur désir de prendre le contrôle de ce qu’ils appellent les sept montagnes dans nos sociétés : la politique, l’économie, la famille, la religion, les arts et spectacles ainsi que les médias. Le règne de Dieu est d’abord et avant tout une initiative amoureuse de Dieu, et non pas un projet humain, comme l’affirme la première parabole; notre rôle est simplement de récolter ce que Dieu a bien voulu semer.

Vouloir implanter le règne de Dieu, comme s’il fallait créer une société à part, est également faux et erroné, parce que le règne de Dieu est avant tout une œuvre de guérison dans une société existante. Dans la théologie traditionnelle, on parlait d’une religion de salut. Tout cela est bien exprimé par Luc 10, 9 : « Guérissez les malades et dites-leur : le règne de Dieu s’est approché ».

Revenons aux trois initiatives mentionnées au début de ce commentaire. Elles sont pour moi des exemples de cette semence en terre qui pousse et transforme. C’est une force d’amour et de compassion qui s’émeut devant la misère humaine. Notre rôle est de consentir à cette force, de la cultiver, d’accepter que ce soit une priorité. On pourrait penser que toutes ces initiatives locales sont une goutte d’eau dans la mer du monde. Mais la deuxième parabole nous rappelle que ce n’est pas parce qu’une réalité est petite qu’elle n’aura pas un grand impact. On oublie que Jésus a été en quelque sorte un simple prédicateur de village, et pour une période de seulement deux ans et demi.

L’évangile de ce jour est pour moi une grande source d’espérance. Quand je me sens écrasé par toutes les horreurs dans le monde, je me rappelle qu’il y a dans ce même monde une formidable force d’amour, un amour dont a témoigné Jésus, et dont il assure qu’il fait son chemin dans le cœur humain, malgré le fait qu’il semble si petit. L’évangile me rappelle aussi que ce n’est pas à moi de porter sur mes épaules le monde entier. Ça, c’est la tâche de Dieu. Mon rôle, c’est de contribuer à ce qu’il sème dans le cœur humain. Mais pour cela, il faut que crois qu’il a semé quelque chose, il faut que je sache voir ce qui est très petit, il faut que je croie que son impact sera immense.

 

-André Gilbert, Gatineau, avril 2024

 

 

 

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