Sybil 1997

Le texte évangélique

Marc 1, 7-11

7 Jean-Baptiste disait à voix haute : « Après moi vient quelqu'un de plus fort que moi, dont je ne suis même pas digne, après m'être penché, de détacher les courroies de ses sandales. 8 Moi, c'est avec de l'eau que je vous ai baptisé, lui c'est avec l'Esprit Saint qu'il vous baptisera. »

9 Vers la même période où Jean-Baptiste invitait les gens à un baptême de réorientation de sa vie, Jésus arriva de Nazareth de Galilée pour se faire baptiser par Jean dans le Jourdain. 10 Au moment de sortir de l'eau, il fit l'expérience du ciel qui s'entrouvre et de l'Esprit qui descend sur lui à la manière d'une colombe. 11 Il entendit également une voix provenant du ciel qui disait: "Tu es mon Fils que j'aime, tu es mon bonheur!"

Des études

Des chemins différents


Commentaire d'évangile - Homélie

Les moments décisifs d'une vie

J'aurais aimé entendre Jésus de Nazareth être interviewé dans un "Talk Show". J'aurais aimé connaître les moments déterminants de sa vie, les personnes qui l'ont influencé, les événements qui l'ont marqué. J'aurais aimé savoir ce qui l'a emmené un jour à quitter la maison, à laisser son travail, à prendre ses distances par rapport à la famille, tout cela pour devenir prédicateur itinérant. Mon intérêt pour le sujet ne vient pas d'une simple curiosité journalistique, mais du désir de répondre à la question : comment devient-on un être authentique, comment devient-on pleinement soi-même?

À défaut d'interview, l'évangile de ce dimanche me propose à travers la plume de Marc la vision des premiers chrétiens sur ce qu'a été la vocation de Jésus. On souligne en particulier le rôle de Jean le Baptiste (son cousin, d'après Luc) qui a déclenché à l'époque un mouvement de renouveau et de conversion . J'imagine que ce mouvement a dû rejoindre quelque chose qui était chère au coeur de Jésus, au point qu'il se met en marche, avec d'autres, pour rejoindre Jean. Mais en même temps, on insiste pour dire que la vocation de Jésus est plus grande que celle de Jean : « Celui qui est plus fort que moi... Moi, je vous ai baptisés d'eau, mais lui vous baptisera d'Esprit Saint ». Vers les années 60 ou 70, il était clair aux yeux des chrétiens qu'il y avait aucune commune mesure entre les transformations apportées par Jean et celles apportées par Jésus.

La façon dont on résume le moment décisif de la vocation de Jésus comporte quelque chose d'à la fois simple et déroutant. Jésus fit l'expérience intérieure d'être habité par une force spirituelle (le ciel s'entrouvre et l'Esprit descend sur lui) et de se sentir choisi et follement aimé par Dieu (Tu es mon Fils que j'aime, tu es mon bonheur). J'ai souvent remarqué que les véritables expériences spirituelles sont simples : une parole qui s'impose à l'esprit à tel endroit, une conviction qui devient soudainement évidente à tel moment. Ce qui déroute, c'est la façon de raconter : le ciel qui s'entrouve, un Esprit qui descend, une voix qui se fait entendre. Mais je peux comprendre qu'il est presque impossible de parler d'expériences intérieures sans se sentir trahi par les mots. Alors j'accepte qu'on veuille traduire le sentiment qu'enfin Dieu fasse sentir sa présence après un si long silence en utilisant l'image des cieux qui s'entrouvent, comme la porte d'une maison; j'accepte qu'on veuille représenter la force spirituelle qui se déplace rapidement à la manière d'un oiseau voyageur, en particulier la colombe, image de l'amour de Dieu pour son peuple (Psaume 74,19) et de la tendresse humaine (Cantique des Cantiques 2,14); j'accepte qu'on utilise le Psaume 2, qu'on récitait en Israël lors des cérémonies d'intronisation des rois dans leurs nouvelles fonctions, et qui a servi par la suite à décrire ce que sera le messie, pour exprimer la conviction de Jésus de se sentir profondément aimé par Dieu et appelé à une mission.

Quand je prends du recul par rapport à ce que me livre l'évangile de Marc et essaie de retracer l'itinéraire de Jésus, je me livre à quelques réflexions. La rencontre décisive de Jésus avec Jean a été déterminante dans sa vie, mais cette rencontre aurait-elle eu lieu sans un coeur avide d'absolu, sans un esprit en recherche pendant ces longues années en Galilée? On présente Jésus comme plus grand que Jean. Mais ces mots traduisent partiellement la réalité, puisque la mission de Jésus, lancée avec Jean-Baptiste, confirmée avec sa conviction d'être aimé et choisi par le Dieu d'Israël, conduira finalement à une situation si nouvelle qu'elle entrainera pour les chrétiens une rupture avec le judaïsme. Dans la liturgie, le récit se termine ici. Mais je trouve très instructif que Marc, si intéressé par l'homme d'action en Jésus, présente par la suite un Jésus dans la solitude du désert, comme pour faire le point après l'expérience du baptême, mais confronté à diverses forces obscures (tenté par Satan) qui le déchirent et ne réussissant à faire l'intégration (harmonie avec les bêtes sauvages et le service des anges) qu'en acceptant ce combat.

La liturgie nous propose ce récit pour souligner le baptême de Jésus, peu de temps après avoir célébré sa naissance à Noël. Mais en fait, l'accent du récit de Marc n'est pas le baptême de Jésus, mais l'appel ressenti à une mission. Et j'y vois symboliquement ma propre situation. J'ai été baptisé 2 jours après ma naissance, à cause d'un grand-père qui devait partir pour les chantiers. Mais ce n'est pas ce baptême qui a été déterminant dans ma vie, mais toutes ces personnes qui m'ont aidé à me sentir profondément et tendrement aimé, et m'ont donné le goût d'aider des gens sur mon chemin à naître à eux-mêmes, même si j'ai dû vivre par la suite des ruptures douloureuses. Oui, je peux parler d'une force qui m'habite, d'un appel à la suite de Jésus. Ne serait-ce pas seulement maintenant que je vis mon baptême? Comme j'aimerais vivre cette célébration à l'écoute de ce je suis profondément, me rappelant les moments décisifs de la vie, à la manière de Jésus. 

 

-André Gilbert, Gatineau, septembre 1999

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