Sybil 1997

Le texte évangélique

Luc 15, 1-3.11-32

1 Or tous les douaniers et les dévoyés s'étaient mis à fréquenter Jésus pour l'écouter. 2 Mais les Pharisiens aussi bien que les spécialistes de la Bible grommelaient, se plaignant qu'il ouvrait les bras aux dévoyés et mangeait avec eux.

3 Alors Jésus leur raconta cette histoire tirée de la vie :

11 « Il y avait un homme avec deux fils. 12 Le cadet dit à son père : "Papa, donne-moi la portion d'héritage qui me revient de ce que tu possèdes." Alors le père fait le partage de ses biens. 13 Et sans attendre bien longtemps, le cadet fait ses valises et part en voyage pour un pays lointain. Et c'est là qu'il gaspilla ce qu'il possédait en menant une vie dissolue. 14 Après avoir tout gaspillé, il arriva qu'une grande pénurie sévit dans le pays où il se trouvait, si bien qu'il commença à connaître la privation. 15 Réagissant, il alla offrir ses services à un fermier de la région, qui l'envoya dans les champs s'occuper des cochons. 16 Oh! Comme il aurait voulu manger les caroubes que dévoraient les cochons, mais personne n'en lui donnait. 17 Faisant une réflexion personnelle, il se disait : "Combien d'employés de mon père ont tout le pain qu'ils veulent, alors que moi je crève ici de faim. 18 Je me lèverai donc pour aller vers mon père, et je lui dirai : j'ai commis une faute à l'égard de Dieu et à l'égard de toi, 19 et je n'ai plus le droit d'être ton fils. Mais engage-moi comme un de tes employés." 20 Alors il se lève pour aller vers son père. Mais comme il est encore loin, son père l'aperçoit à distance et est bouleversé jusqu'aux entrailles. Il court aussitôt vers lui et se jette à son cou pour l'embrasser. 21 Le fils lui dit donc : "Papa, j'ai commis une faute à l'égard de Dieu et à l'égard de toi, je n'ai plus le droit d'être appelé ton fils." 22 Aussitôt le père s'adresse à ses serviteurs pour leur demander : "Vite, apportez le plus beau vêtement pour le revêtir, mettez-lui une bague au doigt et des sandales au pied. 23 Apportez aussi le veau en train d'être engraissé et faisons la fête par un banquet. 24 Car mon fils que voici était mort, il a maintenant repris vie, il s'était égaré, on l'a retrouvé." Et on commença à fêter.

25 Mais le fils ainé se trouvait encore aux champs. Alors qu'il s'était approché de la maison, il entendit la musique et les pas de danse. 26 Il appelle donc un des serviteurs pour s'enquérir de ce qui se passait. 27 On lui dit donc que son frère était revenu à la maison, et que le père avait fait égorger le veau qu'on engraissait, car il l'avait retrouvé en bonne santé. 28 À ce moment il piqua une grande colère et ne voulait même pas entrer. Alors le père sortit pour l'en prier. 29 L'aîné fit cette réponse à son père : "Ça fait si longtemps que je suis à ton service et jamais je n'ai désobéi à tes règles, et pourtant jamais tu as pris la peine de me donner même une chose sans valeur comme le mâle d'une chèvre pour fêter avec mes amis. 30 Par contre, quand ton fils que voilà, qui revient d'avoir dévoré tous tes biens avec les putains, tu t'es donné le mal d'égorger le veau qu'on engraissait." 31 Le père lui répondit : "Mon enfant, tu sais depuis toujours que ce qui est à moi est aussi à toi. 32 Mais il fallait fêter et se réjouir que ton frère, qui était mort, qu'il soit revenu à la vie, qui s'était égaré, qu'il ait été retrouvé." »

Des études

Attendre à l'infini


Commentaire d'évangile - Homélie

Attendre, et attendre encore...

La parabole de ce dimanche, appelée par plusieurs "Parabole de l'enfant prodigue", est archi connue. Je serais tenté de dire: que puis-je ajouter à un récit si percutant, si émouvant, au terme duquel un père retrouve son fils perdu? Il est utilisé lors de toutes les liturgies sur le pardon. Ne parle-t-il pas par lui-même? Non. Car le risque existe de se laisser bercer par ces images fortes, sans voir la dimension qu'elles peuvent prendre dans ma vie.

Il existe depuis quelques années un mouvement appelé "Justice réparatrice". Son approche est de privilégier des solutions de rechange à celle dite traditionnelle qui consiste à punir les contrevenants. Sa motivation? D'après un rapport du ministère de la Justice du Canada, les risques de récidive sont beaucoup moins grands avec cette nouvelle approche. Un esprit pragmatique pourrait ajouter: "Ça coûte plus cher à court terme, mais moins cher à long terme." De même, il existe également chez les psychologues américains un mouvement de croissance personnelle dont le pardon est la sixième et dernière étape, après être passé par la reconnaissance de sa souffrance et la colère. Dans cette perspective, le pardon est une forme finale de la libération. Où se situe donc la parabole de Jésus dans tout cela?

Au centre de la parabole il y a un père dont le coeur est en sang parce que son fils n'est plus là et que les liens sont coupés. Sans désespérer, il attend le retour de son fils, il veille sans cesse au point de l'apercevoir de loin. Auparavant, combien de fois a-t-il regardé au loin inutilement? De manière surprenante, il ne formule aucun reproche. Au contraire, il fait la fête, une fête immense, démesurée. Il y a quelque chose d'un peu fou dans l'attitude du père. La joie immense qui l'habite, cette "folie" qui le guide veut traduire son amour débordant, incommensurable et immortel. Quand Jésus raconte cette parole, il me dit: "Voilà ton Dieu, voilà ton Père, voilà ce que j'essaie de dire par toute ma vie". Voilà ce que dit la foi chrétienne dans tout ce débat sur la justice et le pardon. Mais cette perception est loin d'être évidente pour qui n'en a jamais fait concrètement l'expérience. Je me souviens de ce tout jeune itinérant avec lequel ma fille avait causé dans une rue d'Ottawa: il avait été mis à la porte du domicile par son père, sous prétexte que celui-ci avait des principes et ne tolérait pas la drogue.

Mais il y a plus. Alors que le cadet se dit indigne d'être un fils et se prépare à assumer les tâches de serviteur, le père, qui le voit autrement, lui remet le bracelet ou anneau, signe de sa dignité de fils. Le défi du fils: se voir aussi grand que le père le voit grand. De même, l'ainé ne se connaît pas: il se voit comme un serviteur obéissant à la lettre à un maître, ne pouvant pas prendre un chevreau pour fêter avec ses amis, alors que le père lui dit au contraire: mais voyons, tout ce qui est moi est à toi, tu as les mêmes privilèges que moi. Il y a un certain temps, je lisais le témoignage émouvant d'un père qui, après avoir fait faillite avec son commerce, a dû se résigner à retirer sa fille d'une maison d'enseignement privée. Mais ses malheurs ne s'arrêtèrent pas là. Sa fille s'est soudainement orientée vers le métier de danseuse dans les bars. Après quelques années où l'argent a coulé à flot, la femme a vieilli, les rides sont apparues et elle a été reléguée aux bars de l'arrière-pays. Un jour, son père se présente dans la bicoque où elle demeurait, dans l'espoir de rétablir les ponts: invectives, reproches, sarcasmes, c'est tout ce qui est sorti de la bouche de sa fille. Et le père de conclure: "Comme elle se déteste encore!"

Dans le débat face aux contrevenants et au mal, une petite portion de notre société perçoit la force libératrice du pardon. C'est dans ce contexte que la foi chrétienne apporte une contribution fondamentale en révélant ce visage de Père à la source de nos vies et en révélant ce qu'est un être humain devant Lui. Pourquoi ne pourrions pas être comme ce Père qui attend, regarde au loin chaque jour, qui jamais ne dit: "C'est fini, il n'y a plus rien à attendre, il n'y a plus rien à faire". Si j'aime, je suis condamné à une attente infinie, espérant toujours voir apparaître mon fils au loin.

Le temps du carême symbolise cette longue marche vers la terre promise. Avec ceux et celles qui attendent la réconciliation en ce monde, continuons à marcher. Sachons qu'une marche n'est jamais trop longue pour qui sait aimer. Ce fut l'attitude de Jésus, pourquoi pas la nôtre?

 

-André Gilbert, Gatineau, décembre 2003

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