![]() Sybil 1999 |
Le texte évangélique
Luc 14, 25-33 25 De grandes foules cheminaient avec Jésus, alors il se retourna pour leur dire: 26 « Si quelqu'un se joint à moi sans relativiser les liens avec son père ou sa mère ou sa femme ou ses enfants ou ses frères ou ses soeurs, ou même avec sa propre vie, il sera incapable de rester mon disciple. 27 Celui qui n'accepte pas de porter la croix qui est la sienne et de me suivre, sera incapable de rester mon disciple. 28 Par exemple, qui parmi vous, lorsqu'il veut construire une tour, ne prend pas d'abord le temps de s'asseoir pour en calculer les coûts, afin de vérifier s'il a ce qu'il faut pour aller jusqu'au bout, 29 et d'éviter qu'après avoir posé les fondations et se retrouvant incapable de la compléter, ceux qui verront se mettent à se moquer de lui, 30 en disant: "Cet homme-là s'est mis à construire, mais il a été incapable d'aller jusqu'au bout." 31 Ou encore, quel roi, parti en guerre contre un autre roi, ne prend pas d'abord le temps de s'asseoir pour déterminer s'il est capable avec ses dix mille hommes d'affronter quelqu'un qui lancera sur lui vingt mille hommes. 32 Si ce n'est pas le cas, même s'il est encore loin, il s'enquerra des conditions pour faire la paix par l'envoi d'une ambassade. 33 De la même façon, quiconque parmi vous ne sait pas prendre ses distances par rapport à toutes ses possessions, sera incapable de rester mon disciple. » |
Des études |
![]() L'homme et la femme quitteront leur famille et s'attacheront l'un à l'autre. |
Commentaire d'évangile" - Homélie Voici un passage des évangiles qui n'est pas facile à comprendre au premier abord, qui semble dur, et même repoussant, surtout dans la traduction officielle: "Qui ne me préfère pas à sa famille, à son conjoint et même à sa propre vie, ne peut être mon disciple. Qui ne porte pas sa croix et qui ne renonce pas à tous ses biens, ne peut être mon disciple." Notre réaction première pourrait être de dire: "À moins de devenir moine, comment peut-on vivre cela?" Mais notre instinct nous laisse pressentir qu'il y a peut-être quelque chose d'autre à découvrir. Quelle est donc la clé de ce passage? Après avoir cherché longtemps à comprendre ce passage, c'est dans la vie de couple que j'ai trouvé les images qui pouvaient m'éclairer le plus. Quand deux êtres décident d'unir leur destinée, ne doivent-ils pas prendre leur distance par rapport aux liens familiaux? Dorénavant, les liens qui les uniront primeront sur tout. Ils devront aussi s'arracher à leurs vieilles habitudes de célibataires pour penser en termes de deux personnes: on ne peut plus prendre de décision seul. Il en est de même des possessions: ce qui était à moi deviendra ce qui est à nous. L'argent est un terrible révélateur, et beaucoup de vie de couples s'échoue sur cet écueil. Mais est-ce si pénible de prendre ses distances par rapport aux liens familiaux, de renoncer à une forme de liberté individuelle et de partager tous ses biens? En tout cas, chez moi, cela s'est fait dans la passion amoureuse, et beaucoup de gens pourraient témoigner également qu'ils y ont trouvé une liberté et une richesse nouvelle. Je trouve que ce visage de la vie de couple permet d'éclairer cette parole radicale de Jésus. De même que, sans la passion amoureuse qui va jusqu'à tout partager, un couple n'arrivera pas à franchir l'épreuve du temps, ainsi en sera-t-il de celui qui se dit chrétien s'il ne vit pas un attachement semblable à Jésus, au point de marquer tous les aspects de sa vie. Comme chrétien, je n'ai aucun souvenir d'avoir coupé une relation au nom de ma foi. Il est vrai que mon rayon d'action est à cent lieues des 'Hell's Angels' ou de quelque groupe criminalisé. Même si dans certaines régions du monde, on travaille au service de l'évangile au risque de sa vie, ici, en Amérique du Nord, il est rare qu'on soit amené à ces situations limites. Cependant, dans la société qui est la mienne, je suis entouré de modèles de ce qu'est "la vie réussie", de ce qu'est "le bonheur", de ce que doivent être "mes préoccupations", et qui mettent l'Évangile en porte à faux. Aussi, sans la réécoute quotidienne de l'enseignement de Jésus, j'aurais le sentiment que ma vie est une forme d'échec, et du moins, qu'elle est très ennuyante. Mettre la personne humaine et son développement au centre de ses préoccupations, c'est prendre ses distances par rapport au monde ambiant. Mais est-ce si difficile quand on est habité par l'amour? Autant les possessions sont un puissant révélateur sur la santé du couple, autant ils le sont pour la santé de la vie chrétienne. Par possessions, j'entends tout : argent, talent, temps. Dans notre société, l'argent non seulement permet de laisser libre cours à tous nos désirs, réels ou imaginaires, mais il permet d'accéder à un statut social. Le talent est devenu une denrée monnayable : on n'a qu'à penser soit au sport professionnel, soit aux génies de l'informatique dans la nouvelle économie. Et il y a le temps, qu'on gère tant que bien que mal, et qui révèle où se trouve notre coeur. De la même façon que l'amour conjugal touche à toutes ces dimensions, ainsi en est-il de l'attachement à Jésus? L'image de la "croix qu'on porte" ramasse bien tout ce qui vient d'être dit. Notons qu'il ne s'agit pas de crucifixion, mais d'une marche en avant, où on assume tout ce qui constitue notre être et on le porte vers un lieu nouveau. Quand une mère choisit d'aimer jusqu'au bout ses enfants adolescents et rebelles, et de chercher toutes les voies possibles d'accompagnement, n'est-elle pas sur la voie de la passion, i.e. l'amour passionné? Quand une femme intervient énergiquement dans l'alcoolisme de son conjoint, ou son assujettissement à la pornographie par Internet, n'est-elle pas sur la voie de la passion? Quand un employeur cherche comment amener un employé à donner le meilleur de lui-même, sans mensonge ni tricherie, n'est-il pas sur la voie de la passion? L'évangéliste Luc s'adressait à tous ces chrétiens qui demandaient le baptême et leur disait: "Si l'amour allumé par Jésus n'est pas une véritable passion, vous ne pourrez tenir jusqu'au bout". C'est la même parole qu'il nous adresse aujourd'hui.
-André Gilbert, Gatineau, avril 2001 |
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