Sybil 1998

Le texte évangélique

Luc 3, 15-22

* Le texte en italique ne fait pas partie de la liturgie catholique du baptême de Jésus

15 Tout le peuple vivait dans l’attente du messie et débattait dans son cœur si Jean n’était pas celui qu’on attendait. 16 Mais Jean clarifia les choses : « Moi, je vous baptise simplement dans l’eau. Mais il s’en vient celui qui est bien plus puissant que moi, tellement que je n’arrive même pas à sa cheville. C’est lui qui vous baptisera pour communiquer un esprit saint et vous purifier.

17 En effet, son intervention permettra d’identifier et de consolider ce qui est bien chez les êtres humains et ce qui doit être rejeté, comme un fermier qui sépare le blé de la paille, engrangeant le premier, brûlant le deuxième. » 18 C’est ainsi que de diverses manières il soutenait le peuple en annonçant la bonne nouvelle. 19 Mais il arriva qu’Hérode, le tétrarque de Galilée, subissant les réprimandes de Jean à propos de sa relation avec Hérodiade, l’épouse de son frère, ainsi que pour diverses actions répréhensibles, 20 décida de poursuivre dans la même direction et fit jeter Jean en prison.

21 Or, il arriva un jour, après que tout le peuple fut baptisé et ainsi que Jésus lui-même, alors que ce dernier était en prière, 22 l’Esprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe, et une voix du ciel se fit entendre : « Toi, tu es mon fils, le bien-aimé, en toi je me suis complu. »

Des études

Sais-tu combien tu es unique et que je t'aime?


Commentaire d'évangile - Homélie

Comment entrer en contact avec le mystère de l’invisible?

Il y a une trentaine d’années le monde apprenait la tragédie de l’Ordre du Temple solaire, où 74 personnes en Suisse, en France et au Canada allaient mourir sur une période de 3 ans, les uns ayant été assassinés, les autres s’étant suicidés. Au grand étonnement de tous, les membres qui composaient cet Ordre n’étaient pas des personnes naïves, manipulables, vulnérables, ou peu éduquées, mais des gens accomplis à plusieurs égards (professionnel, social, familial, etc.). Bien sûr, comme c’est souvent le cas, les responsables de la tragédie étaient de grands manipulateurs devenus des escrocs. Mais la majorité des membres démontraient une véritable quête mystique, cherchant à entrer en relation avec l’invisible tout en aspirant à un monde meilleur, plus écologique. Mais le moyen pour y arriver passait par l'ésotérisme et l'occultisme, et donc par la formation d’une élite spirituelle. On a voulu ainsi créer un peu partout dans le monde des Centres de Vie. Mais en 1994, dans une atmosphère apocalyptique, on expliqua que la mission du Temple arrivait à sa fin et que les dirigeants de l'OTS disparaîtraient sur l'étoile Sirius, et que les autres devaient reprendre le flambeau. De fait, le projet de transition vers Sirius était une façon d’éliminer les traitres qui quittaient l’Ordre, tout en créant le cadre pour que les gens fassent le transit vers Sirius, soit en provoquant leur mort physique, soit en les incitant au suicide.

Comment une telle folie a-t-elle été possible? Tout cela nous force à reconnaître qu’il y a chez plusieurs une quête spirituelle très forte, un désir tellement grand d’entrer en relation avec l’invisible qu’on est prêt à suivre presque n’importe qui. Comment se retrouver dans tous ces chemins qui se proposent de nous ouvrir sur le mystère de l’invisible? J’aimerais prendre l’évangile de ce jour pour éclairer cette question.

Dans la liturgie catholique, cet évangile est utilisé pour la célébration du baptême de Jésus. Vouloir célébrer le baptême de Jésus est un peu paradoxal : les premières générations chrétiennes ont cherché plutôt à éliminer la mention que Jésus a été baptisé par Jean-Baptiste. En effet, seul Marc, le premier évangéliste, mentionne clairement mais brièvement que Jésus fut baptisé par Jean au Jourdain. Une douzaine d’années plus tard, Matthieu, trouvant sans doute incongru que Jésus reçoive un baptême pour la conversion de ses péchés par quelqu’un qui lui est inférieur, nous offre une petite introduction où Jean refuse de le baptiser, avant d’accepter de faire la volonté de Dieu; de plus, il présente le baptême comme une chose du passé (Jésus ayant été baptisé). Luc va encore plus loin, non seulement en le présentant comme un fait du passé, mais en l’assimilant au baptême de tout le peuple. Enfin, l’évangéliste de Jean, le plus tardif de nos évangiles, ne dit jamais que Jésus a été baptisé. On sent bien le malaise chez les premiers chrétiens devant un baptême dont on ne comprenait pas la signification.

Pourtant, sur le plan historique, il est probable que Jésus fut baptisé, surtout qu’au moins deux sources le confirment (Marc et la source dite Q). Et quand on inclut également l’évangile selon Jean, on arrive au portrait qui suit sur la vocation et le début du ministère de Jésus. Éveillé par la prédication du Baptiste, Jésus quitte Nazareth pour se rendre avec plusieurs de ses compatriotes dans la vallée du Jourdain et recevoir le baptême, entrant ainsi dans ce mouvement de renouveau. C’est probablement à cette occasion que Jésus fait une expérience religieuse marquante où il découvre sa vocation et qui change le cours de sa vie. Et si on se fie à l’évangile selon Jean, c’est à cette occasion qu’il fait la connaissance de Simon, André, Philippe qui deviendront ses disciples. Quelle fut exactement l’expérience religieuse de Jésus, son contact avec l’invisible? Lui seul le sait. Mais la tradition chrétienne a créé un récit pour nous en donner la signification profonde.

La version lucanienne de ce récit commence par la mention de l’attente intense chez le peuple d’un « oint », i.e. messie en Hébreu, christ en Grec. Si chez les Juifs cette attente était avant tout la restauration de la royauté de David, surtout dans le cadre de la domination romaine, on peut l’élargir pour inclure toutes les attentes de l’humanité, incluant sa quête de relation avec le monde invisible. Et Luc ajoute que les gens se demandent si Jean-Baptiste ne serait pas ce messie. Puis, immédiatement, le Baptiste clarifie les choses : il y a un plus fort que lui qui vient, et c’est un baptême d’Esprit Saint et de feu qu’il confèrera. Qu’est-ce à dire? Le mot « fort » désigne avant tout dans l’Ancien Testament le « Fort », i.e. Dieu; donc le Baptiste annonce quelqu’un qui est plus près de Dieu, qui le reflète mieux. Le baptême d’Esprit Saint ne fait pas référence à la 3e personne de la Trinité qui ne sera clairement précisée qu’au concile de Nicée, mais au souffle divin qui transforme la personne et la conduit. La mention du feu introduit une note eschatologique : l’intervention de Jésus permettra le discernement final entre ce qui correspond au monde que Dieu veut, et ce qui doit être rejeté.

Ce récit où Jean-Baptiste clarifie les choses n’est évidemment pas historique, car il suffit de penser au fait que les disciples du Baptiste ont continué à exister en parallèle avec les disciples de Jésus pendant son ministère (les disciples de Jean demandent à Jésus pourquoi ses disciples ne jeûnent pas comme ils le font), que le Baptiste en prison envoie des disciples s’enquérir auprès de Jésus s’il n’est pas le messie, et que selon les Actes des Apôtres, non seulement Apollos n’a connu que le baptême de Jean, mais également à Éphèse Paul trouva un certain nombre de disciples qui n’avaient reçu que le baptême de Jean-Baptiste. Que conclure? Cette scène résulte de plusieurs années de réflexion des premiers chrétiens qui ont cherché à clarifier le rôle de Jean-Baptiste dans le plan de Dieu. Pour résumer : même s’il n’en était pas totalement conscient, Jean-Baptiste a préparé les cœurs pour accueillir celui qui allait être la révélation du visage même de Dieu et une force transformatrice inouïe. La scène qui suit va encore plus loin.

Luc nous présente sa version de l’expérience religieuse de Jésus. Elle se passe dans un moment de prière, comme c’est souvent le cas chez Luc. Diverses images se succèdent : le ciel qui s’ouvre, l’esprit de Dieu qui descend sur Jésus. Ces images se renforcent pour dirent la même chose : le ciel ouvert c’est la communication et la relation avec Dieu qui sont rétablies; l’esprit qui descend sur Jésus désigne l’incarnation en Jésus du monde de Dieu. Que vient faire l’image de la colombe? On ne sait trop, mais comme elle est universellement associée à l’amour et la paix, tout comme dans le récit de l’arche de Noé après le déluge, elle permet d’appuyer l’image de la réconciliation entre ciel et terre et d’introduire la parole qui suivra. Notons que Luc, qui s’adresse à un public grec pour qui seul est réel ce qu’on peut toucher, précise que la colombe a une forme corporelle pour affirmer que l’esprit saint existe vraiment.

Que dit la voix qui accompagne l’arrivée de l’esprit? « Toi, tu es mon fils, le bien-aimé, en toi je me suis complu. » Nous avons traduit par « je me suis complu » le verbe grec : eudokeō, qui signifie : trouver bon, juger bon, approuver, prendre son plaisir en, agréer, se complaire en. Qu’affirme ce récit qui entend traduire l’expérience religieuse de Jésus? Pour traduire cette expérience, les premiers chrétiens ont choisi quelques paroles de l’Ancien Testament comme celles d’Isaïe 42, 1-4 où Dieu désigne soit le peuple, soit quelqu’un en particulier comme « fils » sur lequel il fait reposer son esprit avant de l’envoyer en mission, ou encore l’expression « bien-aimé » utilisée pour désigner Isaac (voir Gn 22), fils unique, qu’Abraham est appelé à sacrifier. Mais en réunissant toutes ces expressions et en ajoutant « complaire » on insiste sur le fait que Jésus fait l’expérience d’être inconditionnellement aimé par Dieu, une expérience qui l’accompagnera toute sa vie, qui lui fera proclamer que le monde de Dieu est proche, qui marquera sa prière au point d’appeler Dieu « papa », qui l’amènera à demander aux gens de faire confiance à la vie et de ne pas se laisser submerger par les soucis. Cette expérience, d’après les évangiles, a été le début de sa mission unique. En même temps, cette expérience affirme aussi que Dieu est un mystère d’amour sans mesure, un amour qui guérit. Quand Jésus envoie ses disciples en mission, il leur dit simplement ceci : « Guérissez, et dites que le monde de Dieu est à vos portes ».

Ainsi, ce récit m’apparaît fondamental pour quiconque cherche à entrer en relation avec le mystère de l’invisible. Car il n’y pas d’autre chemin que celui où on fait l’expérience de l’amour, et plus particulièrement l’expérience d’être profondément aimé. Chercher à obtenir des connaissances spéciales et uniques à travers l’ésotérisme est un faux chemin. Le secret de la vie n’est pas réservé à une élite.

Pour les premiers chrétiens, Jean-Baptiste a été un homme admirable, et il a aidé les gens à marcher dans la bonne direction, ce qui est beaucoup par rapport à tous les charlatans. Sous le nom de Jean-Baptiste, on peut inclure tous les sages, les philosophies, les religions qui nous guident dans la bonne direction. Mais pour les premiers chrétiens, le reflet le plus parfait du mystère de Dieu est venu en Jésus, lui qui a révélé combien nous aussi étions aimés. C’est cet amour qui a été à la source de sa foi inébranlable, cette foi dont il a sans cesse souligné l’importance vitale pour chacun de nous, c’est cette foi qui lui a permis d’affronter une mort injuste.

Oui, seul l’expérience de l’amour nous permet de voir l’invisible et d’entrer en relation avec lui.

 

-André Gilbert, Gatineau, octobre 2024

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