Sybil 1997

Le texte évangélique

Jean 13, 31-35

31 Quand il fut sorti, Jésus dit: « Maintenant a été révélé la qualité d'être extraordinaire du nouvel Adam et par lui celle de Dieu également. 32 Si la qualité d'être extraordinaire de Dieu a été révélé en lui, Dieu continuera à le révéler à travers sa personne, et il le fera bientôt. 33 Mes petits enfants, je suis encore pour peu de temps avec vous; vous me chercherez, et comme je l'ai dit aux Juifs, à savoir que "Là où je vais, vous-même vous ne pouvez pas aller", je vous le dis à vous aussi maintenant. 34 Je vous laisse une règle nouvelle, celle de vous aimer les uns les autres; comme je vous ai aimé, aimez-vous vous aussi les uns les autres. 35 C'est ainsi que tout le monde saura que vous êtes mes disciples, à condition que vous ayiez de l'amour les uns pour les autres. »

Des Études

Ce que les pharaons nous ont laissé


Commentaire d'évangile - Homélie

Quel monument laisser à l'histoire?

Les événements concernant l'Irak, et plus particulièrement ceux associés à la figure de Saddam Hussein, ont retenu l'attention des médias depuis maintenant plusieurs mois. On a assisté au déboulonnage et à la destruction de dizaines de monuments érigés à la gloire du "sauveur de la nation". Et cette ville mythique de Babylone qu'il a voulu restaurer et associer à son nom, symbolisant une histoire immémoriale où il figurerait parmi les plus grands. Sans vouloir réduire le personnage à cette dimension, il a tout de même là une direction donnée à sa vie.

C'est curieusement ce contexte qui est monté en moi à la lecture de l'évangile de ce dimanche. Non pas qu'il y ait une association possible entre Jésus et Saddam. Mais bien au contraire, c'est plutôt l'opposition radicale de deux chemins. Au moment d'affronter son arrestation et de se retrouver complètement démuni avec les bandits, quelques heures avant sa mort, Jésus décrit ce moment d'après l'évangéliste comme celui de la manifestation de la qualité exceptionnelle de son être ("glorification", selon la traduction habituelle), tout comme celui de l'être de Dieu. Bien sûr, pour les yeux de la foi, il y a la résurrection au terme. Mais ce qui est visible pour l'instant, c'est un être qui sera bafoué, diminué et qui connaîtra une mort atroce.

J'ai parlé de Saddam et Jésus. Cette tension entre deux chemins, nous la portons au fond de nous. On dit de Saddam qu'il a été élevé dans la violence, à coup de pied, par un oncle qui lui répétait qu'il n'était rien. Et sans doute tous ces monuments qu'il a voulu ériger sont un cri pour dire: "Oui, je suis quelqu'un". De notre côté, sans doute très loin d'une telle violence, nous voulons tout de même laisser un nom, nous voulons être considérés par les autres, nous voulons réussir aux yeux de la société. Quel scientifique est totalement indifférent à recevoir un jour le prix Nobel?

La clé pour passer du chemin emprunté par Saddam à celui emprunté par Jésus, vous le savez bien, est celle de l'amour. C'est d'ailleurs ce que Jésus dit lui-même sous forme d'un testament qui résume sa vie et donne le sens de ce qu'il est en train de vivre: "Je vous laisse un commandement nouveau: aimez-vous les uns les autres." Toutefois, malgré les apparences, l'amour est bien souvent une réalité qui nous échappe, presque insondable. Qu'est-ce qu'aimer vraiment?

Je lisais récemment le témoignage d'un malade en phase terminale aux soins palliatifs évoquant le travail extraordinaire de bénévoles qui l'aident à mourir dans la dignité. Ce témoignage rejoignait d'autres concernant le travail de certains intervenants admirables dans les hôpitaux, malgré tous les récits d'horreur que nous avons pu entendre. Qu'est-ce alors que d'aimer? Probablement se laisser conduire par un mouvement plein de tendresse au fond de soi, par lequel on peut voir à travers un visage déformé un coeur semblable au sien qui bat.

Dans son testament, Jésus ajoute: "Comme je vous ai aimé, aimez-vous les uns les autres". Cette parole peut se comprendre de deux manières: "Prenez-moi comme modèle dans votre manière d'aimer les autres", mais aussi "Comme je vous ai d'abord aimé, à votre tour aimez les autres." Mais ces deux sens ne peuvent être séparés. Car comment puis-je emprunter le chemin d'ombre suivi par Jésus si mon besoin d'être quelqu'un n'est pas comblé par le sentiment intense d'être aimé par quelqu'un et de valoir à ses yeux? Par contre, et c'est ma conviction, en apprenant à aimer les autres, j'apprends aussi à m'aimer.

Si je me réfère à ma propre expérience, je dois dire que ce qui m'aide à certaines heures sur le difficile chemin de l'amour, c'est la figure de Jésus: je la retrouve parfois chez ceux qui ne se laissent pas facilement aimer, un peu comme un fiancé recherche les traits de sa fiancée dans son enfant; je la retrouve parfois en moi aux heures où il m'est difficile de me réconcilier avec moi-même, en pensant que Quelqu'un aime ce visage. Que ce soit avec les autres ou avec soi, je suis entraîné sur ce chemin mystérieux où je suis un simple apprenti, mais où je crois que je finirai par voir Jésus en tout.

Quel monument peut-on laisser vraiment derrière soi? Saddam s'est trompé, parce qu'il l'a cherché en dehors des voies de l'amour. Car le seul monument qui demeure vraiment, c'est celui de nos vies en chair et en os, dans la mesure où elles sont habitées par le même amour que celui du Vivant de Pâques. C'est alors une éternelle construction qui a les dimensions de Dieu.

 

-André Gilbert, Gatineau, janvier 2004

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