Sybil 2001

Le texte évangélique

Jean 6, 1-15

1 Après ces événements, Jésus se rendit sur l'autre rive de la mer de Galilée, connue aussi sous le nom de Tibériade. 2 Une grande foule le suivait, parce qu'elle voyait bien tous les actions révélatrices de la présence de Dieu qu'il faisait sur les malades. 3 Jésus gravit alors la montagne, et là il était assis en compagnie de ses disciples. 4 La Pâque, qui est la fête des Juifs, était toute proche. 5 Ayant levé les yeux et s'étant aperçu qu'une grande foule venait vers lui, Jésus dit à Philippe: «À quel endroit pourrions-nous acheter du pain afin de faire manger tous ces gens? » 6 Il disait tout cela pour vérifier le niveau de sa foi, car lui savait bien ce qu'il allait faire. 7 Philippe lui répondit: « Même si on achetait en pain l'équivalent de deux cents jours de salaire, ça ne serait pas suffisant pour que chacun ait un morceau. » 8 André, un de ses disciples et le frère de Simon Pierre, lui dit: 9 « Il y a ici un petit enfant qui a cinq pains d'orge et deux poissons. Mais qu'est-ce que c'est à côté de tout ce monde? » 10 Jésus dit: « Faites asseoir les gens. » Il y avait beaucoup d'herbe à cet endroit, et ils purent donc s'assoir au nombre d'environ cinq mille hommes. 11 Jésus prit alors le pain, fit l'action de grâce et le partagea avec les convives, et il fit la même chose avec les poissons. Les gens en eurent autant qu'ils en voulaient. 12 Quand ils furent rassasiés, il dit aux disciples: ramassez les morceux qui restent, afin qu'aucun morceau ne soit perdu. » 13 Ils les ramassèrent donc et remplirent douze corbeilles avec les morceaux provenant des cinq pains d'orge et qui restaient de ceux qui avaient mangé. 14 Après s'être rendu compte de l'action révélatrice de la présence de Dieu qui avait été posée, les gens disaient: « Il est vraiment le prophète attendu par notre monde ». 15 Mais Jésus, ayant bien perçu qu'on allait venir l'enlever pour le faire roi, s'éloigna dans la montagne, tout seul.

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Commentaire d'évangile - Homélie

Maturité et immaturité dans la foi

Il y a quelques années des chrétiens, se disant fervents catholiques, se rassemblaient dans la région de New York, à Bayside, pour prier autour de la figure de Marie, et pour attendre des signes du ciel. Ces signes pouvaient prendre diverses formes, une odeur de rose qui apparaissait soudain, ou le soleil qui prenait subitement une forme bizarre. Tout cela me fait réfléchir sur la foi et m'amène à poser la question: Comment distinguer la véritable foi de la foi magique? Comment la foi authentique se détache-t-elle de cette foi naïve dont on a eu un écho dans le conflit récent au Proche-Orient où chaque belligérant se réclamait de Dieu? C'est dans ce contexte que je veux relire le récit évangélique de ce dimanche.

Nous connaissons bien cette scène où Jésus nourrit 5 000 personnes avec seulement 5 pains d'orge et deux poissons. Si nous sommes très familiers avec l'Ancien Testament, nous savons que cette scène est inspirée du récit du prophète Élisée, dans le livre des Rois, où celui-ci nourrit 100 personnes avec 20 pains d'orge. Mais l'évangéliste termine son récit en parlant de "signe". Signe de quoi?

Un signe est comme ce doigt qui pointe vers la lune, c'est la lune qu'il faut regarder, pas le doigt. Vers où pointe notre récit? Regardons les symboles. Jésus s'assoit sur une montagne, exactement à la manière d'un maître sur le point d'enseigner à ses disciples. Quand il prend le pain, rend grâce et le distribue aux gens, cette scène, qui évoque clairement pour nous l'eucharistie et le pain béni partagé, nous renvoie à son enseignement, pas seulement ses paroles, mais l'ensemble de sa vie. C'est ce qu'ont bien compris les gens qui ont mangé, car ils prennent Jésus pour un prophète, plus précisément le nouveau Moïse promis par Dieu pour une nouvelle révélation.

Tout pointe vers une scène tout à fait chrétienne: après être passé par l'eau du baptême (le passage sur l'autre rive de la mer de Galilée), le croyant que je suis, guéri de son infirmité, est nourri par la parole de Jésus ressuscité, qui est en fait toute sa personne, et il peut manger autant qu'il veut, dans la mesure où il peut la recevoir. Voilà l'eucharistie. Pourtant, ce récit dit encore beaucoup plus.

Rappelons-nous comment Yahvé a nourri son peuple quittant l'Égypte. Les gens ont dû manger debout, en hâte. Au désert, la nourriture est tombée du ciel, sous forme de manne. Dans le récit de Jean, c'est tout le contraire, la nourriture ne vient pas du ciel, comme pour dire que Dieu ne parle plus par des soi-disant voyants. Dieu parle par les choses simples de la vie, comme par cet enfant qui avait les pains. On ne reste pas debout, on s'assoit confortablement sur l'herbe, et on prend le temps de manger tant qu'on veut, comme à une fête, comme à un bon pique-nique, c'est ce que veut Dieu.

Que signifie tout cela? Ce n'est pas dans le ciel ou dans les phénomènes extraordinaires qu'on trouvera un signe du Christ Jésus. Les pains et le poisson qu'on trouve dans les mains d'un enfant, i.e. ma vie, simple et ordinaire, tout cela est suffisant pour nourrir la foule. Voyons! Comment ma vie peut-elle être nourriture pour les autres? C'est la question de Philippe dans l'évangile. Notre question pourrait être: maintenant que je suis vieillard ou infirme, ou isolé dans un coin perdu, ou sans éducation ou sans diplôme, comment puis-je apporter quelque chose aux autres? Chacun a sa façon de poser la même question. Et l'évangéliste répond: regarde le monde avec les yeux de la foi, car la foi est une manière de voir l'invisible et de dire: "Je te rends grâce, Seigneur, pour ma vie en ce jour, car même si je suis âgé ou faible, je sais que par elle tu réalises des choses merveilleuses bien au-delà de ce que je peux voir".

Une dernière question. Comment distinguer entre une foi immature et un autre qui ne l'est pas? La maturité est cette capacité d'évoluer sans cesse, d'être toujours en train d'apprendre. Regardez Jésus. Il a un jour des infirmes devant lui, une autre jour des affamés. Et les gens ont peine à dire qui il est, un guérisseur, un prophète, un roi? On ne peut pas l'enfermer dans une seule définition. Voilà pourquoi prétendre savoir qui est Dieu et ce qu'il veut une fois pour toutes relève de l'immaturité, car à ce moment je reste fixé sur le passé et je refuse de continuer à grandir. Croire c'est dire: "Seigneur, j'accepte ma vie telle qu'elle est aujourd'hui, sans nostalgie du passé, je donne sans attendre en retour, à toi de tracer mon chemin, car j'accepte d'évoluer jusqu'à mon dernier souffle."

 

-André Gilbert, Gatineau, avril 2003

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