Sybil 1999

Le texte évangélique

Jean 1, 29-34

29 Le lendemain, Jean-Baptiste aperçoit Jésus qui vient vers lui, et il dit donc à voix haute : « Voici l’agneau de Dieu qui emporte avec lui le péché du monde. 30 C’est à son sujet que j’ai déjà dit : ‘Après moi vient quelqu’un qui est devenu plus important que moi, car avant moi il existait’. 31 Et moi, je n’avais aucune idée de son existence, mais c’est pour qu’il soit connu du tout Israël que je venu avec mon baptême d’eau ». 32 Voici quel fut le témoignage de Jean : « J’ai eu la vision de l’esprit descendre du monde de Dieu telle une colombe et se poser sur lui. 33 Personnellement, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : ‘Si jamais tu vois l’esprit descendre et demeurer sur quelqu’un, c’est lui la personne qui baptise dans l’esprit saint’. 34 Voilà ce que j’ai vu et ce dont je témoigne : celui-là est le fils de Dieu ».

Des études

Assumer la vie quotidienne ouvre des possibilités insoupçonnées


Commentaire d'évangile" - Homélie

Assumer son destin pour permettre à la vie de fleurir

Quand une maman attend un enfant, elle le souhaite en parfaite santé. C’était le cas de Vânia1, un mannequin à l’échelle internationale. Après une fille, c’était maintenant un garçon. Il s’appellerait Henri-Louis. Mais les mois et les années qui suivirent, révélèrent ce que personne ne souhait : Henri-Louis avait une déficience intellectuelle sévère. Il avait besoin d’aide pour se laver. Pour aller à la toilette. Pour s’habiller. En plein hiver, il pouvait sortir en sandales dans la neige, sans manteau, pour montrer son chandail de l’équipe de hockey du Canadien de Montréal. Un jour, après une visite à l’école primaire de son enfant dans un milieu défavorisé, une école publique qui manque de tout, malgré le personnel dévoué et bienveillant, elle en sort tout en pleurs. La maman d’Henri-Louis prend l’initiative de visiter chacune des familles dont l’enfant fréquente l’école pour cerner leurs besoins. Plusieurs sont monoparentales. De là prend forme l’idée d’une fondation qui verra le jour des années plus tard, la fondation des petits Rois.

Entre-temps, Henri-Louis grandit et fait son entrée à l’école secondaire ou lycée. Vânia, encore une fois, visite l’établissement pour découvrir qu’il est mal adapté aux besoins des ados handicapés : il y a ces escaliers difficiles à gravir pour des élèves qui voient mal ou qui ont de grands enjeux de motricité (il n’y a pas d’ascenseur), les classes sont minuscules, et ces cadres de porte trop petits qui deviennent gênants lorsque le personnel doit maîtriser un ado de 2 m et 100 kg. La voilà encore en pleurs. Elle décide de porter un projet ambitieux : convaincre les autorités de la nécessité d’une école flambant neuve, aménagée pour cette clientèle à besoins particuliers.

Henri-Louis a enfin obtenu son diplôme d’études obligatoires. Mais à 21 ans, les jeunes comme lui avec un handicap intellectuel sévère tombent dans un « trou noir ». Ils sont trop vieux pour fréquenter une école spécialisée. Et leur cas est jugé trop lourd pour qu’ils puissent intégrer un centre de jour ou un plateau de travail pour handicapés. Vâni décide de s’en mêler. Sa fondation a convaincu un certain nombre de grandes entreprises d’ouvrir des plateaux de travail. À la naissance du projet, 16 jeunes, dont Henri-Louis, ont participé à un stage de cinq ans dans l’un de ces établissements. Une éducatrice spécialisée du réseau de la santé les a encadrés sur place. Les cas les plus « lourds » ont aussi eu droit à un accompagnateur – fourni, lui, par le centre de services scolaire. Le « trou noir » est devenu un puits de lumière. Et aujourd’hui, Henri-Louis est un employé régulier de l’un de ces établissements.

J’ai tenu à vous raconter cette histoire parce qu’elle nous permet d’entrer dans le mystère de ce passage de l’évangile de Jean où Jean-Baptiste proclame que Jésus est l’agneau de Dieu qui porte le péché du monde, que c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint, et qu’auparavant il ne le connaissait pas en baptisant dans l’eau. Qu’est-ce tout cela veut dire? Arrêtons-nous sur l’agneau de Dieu. Bien sûr, l’agneau évoque l’animal sans croc, sans griffe, sans corne, et donc vulnérable. Mais l’évangéliste pense avant tout à ce mystérieux personnage d’Isaïe 52, 13 – 53, 12 dont on dit qu’il fut méprisé et frappé sans ouvrir la bouche, et pourtant c'étaient nos souffrances qu'il portait, nos douleurs dont il était chargé. En prenant chair, Jésus a assumé notre condition humaine marquée par des blessures, la violence, l’étroitesse d’esprit, l’égoïsme, la faiblesse, des moments d’égarement, mais aussi par la bonne volonté, la soif d’aimer, le goût de la vérité. Ce que j’ai traduit par « qui porte le péché du monde » est traduit par la plupart de nos bibles par « qui enlève le péché du monde », ce qui n’est pas faux, mais risque de nous induire en erreur : toute l’insistance d’Isaïe qu’a certainement en tête l’évangéliste est sur le fait que le serviteur porte et assume l’humanité souffrante, c’est ce que signifie le mot hébreu et c’est aussi le sens premier du mot grec de l’évangéliste. C’est une étape essentielle avant de parler de « enlever ». C’est après avoir pleuré et visité des familles pour « porter » leurs besoins que Vânia a pris l’initiative d’une fondation. C’est après avoir porté la croix de notre noirceur que Jésus a ouvert la porte de la lumière.

Pourquoi parler de baptême dans l’Esprit Saint? Le mot grec à la source du mot « baptiser » signifie sombrer, au sens où un navire sombre au fond de l’eau. Jean-Baptiste parlait d’un baptême de repentir où on faisait sombrer sa vie ancienne, ce qui implique d’abord qu’on la reconnaisse ainsi. Vânia a sombré dans les pleurs en regardant la misère humaine. Sombrer est une étape importante, car c’est au milieu de l’obscurité que la force et le dynamisme du mystère à la source de ce monde peut intervenir et agir, une force qu’on appelle l’Esprit Saint. C’est au creux de la souffrance et de la mort que cette force a ressuscité Jésus.

On peut être surpris que l’évangéliste insiste pour mettre sur les lèvres du baptiste qu’il ne connaissait pas Jésus. De fait, sur le plan historique, il ne semble pas que Jean-Baptiste ait reconnu en Jésus le messie, si bien qu’au temps des première communautés chrétiennes les disciples de Jean-Baptiste poursuivaient toujours leur mission, comme en témoigne les Actes des Apôtres. Mais les évangélistes ont vu dans le travail de Jean-Baptiste le plan de Dieu alors que l’appel de Jean-Baptiste a été entendu par Jésus, ce qui l’a éveillé à sa mission, et donc on l’a considéré comme un précurseur. Mais l’insistance sur le fait qu’il ne le connaissait pas, l’évangéliste affirme un point : sans savoir qu’il était un précurseur, en poursuivant simplement sa propre mission, en assumant totalement son destin avec son baptême dans l’eau, Jean-Baptiste a ouvert la voix au baptême dans l’Esprit Saint, i.e. à la force transformatrice de notre humanité. C’est ce qui nous permet de nous identifier à Jean-Baptiste, nous qui n’avons aucune idée de l’impact de notre vie, dans la mesure où nous assumons ce qui est notre lot, avec ses joies et ses peines.

L’idéal dans ce monde, c’est la force, la puissance, le pouvoir. C’est vraiment contre-intuitif de promouvoir l’agneau de Dieu, l’être sans pouvoir qui porte l’humanité avec sa faiblesse, sa souffrance, ses pleurs. Mais la véritable vie ne peut fleurir que sur ce chemin. C’est en acceptant son enfant handicapé que Vânia a été amené sur des nouveaux chemins de vie. Personne ne contrôle ce que sera son lot dans la vie. Mais en l’assumant pleinement, en y « sombrant » comme dans un baptême d’eau, on donne la possibilité au baptême de l’Esprit, i.e. à la force transformatrice du mystère à la source de ce monde. Ce fut le chemin de Jésus, c’est le chemin qui s’offre devant nous.

 

-André Gilbert, Gatineau, janvier 2023


1 Cette histoire a été publiée dans La Presse (Montréal, Canada) par Caroline Touzin, le 27 décembre 2022. Pour le texte complet : L’ex-mannequin qui se bat pour ses petits rois

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