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Sommaire
Le texte de Luc sépare clairement la question du messie de la question de la filiation divine. Ce nest probablement pas une création de Luc car on retrouve un texte semblable chez Jean. Laccent est sur le refus de Jésus de collaborer et se termine par une forme dattaque de sa part.
À la question posée sur sa messianité et sa filiation divine, Marc répond clairement : oui, en ayant en tête ses lecteurs qui savent maintenant que cela impliquera la souffrance et la mort. Matthieu répond : « Tu las dit », et donc Jésus invite le grand prêtre à prendre la responsabilité de ce quil vient de dire et du sens quil lui donne. Luc répond : « Vous dites que je suis », si bien quon assiste à une véritable confession de foi qui reprend ce que lange Gabriel avait annoncé au début de son évangile.
La réponse de Jésus est suivie dun développement sur le Fils de lhomme qui combine une référence au Psaume 110 sur lintronisation royale et à Daniel 7 sur la venue du Fils de lhomme pour juger ses adversaires. Nous avons probablement ici une allusion à la résurrection dune part, et à la parousie dautre part. Le Sanhédrin pourra voir tout cela avec le voile du temple qui se déchire, symbole de sa destruction, et de la confession du centurion, début du jugement de la parousie. Matthieu a accentué les éléments visuels avec le tremblement de terre, les morts qui sortent du tombeau et les gardes qui voient lange venir du ciel. Luc a éliminé lidée même de voir quelque chose, car seul le croyant peut saisir lexaltation de Jésus à la droite de Dieu, ce qui lui permet par la suite denvoyer son Esprit.
Dans lanalyse de la notion de Fils de lhomme, il ny a pas dunanimité chez les biblistes. Pour certains, les milieux apocalyptiques juifs, dont témoignent 1 Hénoch et lapocalypse dEsdras, auraient donné naissance à une figure messianique et humaine, préexistante à la création, que Dieu glorifie en létablissant juge ; le langage de Jésus aurait été influencé par cette figure. Pour le plus grand nombre, cest Jésus lui-même qui est à la source de cette notion, issue de sa réflexion sur Daniel 7 et le Psaume 110, dans le contexte où son sort ressemble à ceux des prophètes rejetés et mis à mort ; la communauté chrétienne naurait fait que poursuivre cette réflexion en lappliquant aux différents moments de sa vie.
- Traduction
- Commentaire
- Réponse à la question séparée du messie chez Luc 22, 67-68
- Les diverses formes de la réponse affirmative de Jésus à la question sur le Fils de Dieu
- Marc
- Matthieu
- Luc
- La déclaration de Jésus sur le Fils de lhomme
- Marc
- Matthieu
- Luc
- Analyse
- Sil y avait un concept juif du Fils de lhomme
- Sil ny avait pas de concept juif du Fils de lhomme
- Traduction (à partir de la 28e édition du texte de Nestle-Aland)
Les passages chez Matthieu, Luc ou Jean qui sont parallèles à Marc sont soulignés. Les mots en bleu indiquent ce qui est commun à Jean et Luc, en rouge ce qui est commun à Jean et Matthieu. Les parenthèses carrées [] indiquent des parallèles trouvés dans une autre séquence dans les évangiles.
Marc 14 | Matthieu 26 | Luc 22 | [Jean 10] |
| | 67 [disant : Si tu es le messie, dis-nous. »] Mais il leur dit : « Si je vous dis, vous ne croirez pas, 68 et si je vous interroge, vous ne répondrez pas. | [24 Aussi les Juifs... lui disaient : « Si tu es le messie, dis-nous ouvertement. » 25 Jésus leur répondit : « Je vous ai dit, et vous ne croyez pas. »] |
62 Mais Jésus dit (passé simple) : « Je suis, et vous verrez le Fils de lhomme siégeant à la droite de la Puissance et venant avec les nuées du ciel. » | 64 Jésus lui dit (présent) : « Tu las dit. Cependant je vous dis, désormais vous verrez le Fils de lhomme siégeant à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel. » | 69 Mais à partir de maintenant le Fils de lhomme sera siégeant à la droite de la Puissance de Dieu. » 70 [Mais ils dirent tous : « Tu es donc le Fils de Dieu? » Il leur déclara : « Vous dites (vous-mêmes) que je suis. » | 36 [...Jai dit : « Je suis Fils de Dieu. »][1, 51 Et il lui dit (Nathanaël) : « Amen, Amen, je vous dis : « Vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu montant et descendant au-dessus du Fils de lhomme »] |
- Commentaire
- Réponse à la question séparée du messie chez Luc 22, 67-68
- Luc sépare la question sur le messie de celle sur le Fils de Dieu. On peut alors se demander : sagit-il simplement chez lui dune réorganisation du matériel quil emprunte à Marc, où puise-t-il également à une tradition spéciale sur la réponse de Jésus à ses adversaires? Une analyse serrée de la langue du v. 67 montre quelle nest pas celle de Luc et la comparaison avec Jn 10, 24-25 témoigne de lexistence dune tradition quils partagent.
- Les v. 67-68 présentent deux phrases conditionnelles : « Si je vous dis... et si je vous interroge... ». Ces deux phrases appellent une réponse négative, car les autorités ne croiront jamais et ne répondront jamais. Cest exactement le type de situation que nous avons chez Jérémie 38, 14-15 : « Si je te la proclame, tu me feras mourir, nest ce pas? Et si je te conseille, tu ne mécouteras pas! » Cette tradition que partage Luc et Jean exprime sans doute lexpérience chrétienne face à leur compréhension du messie et de lopposition rencontrée, ce qui colore la façon de raconter le procès de Jésus. Chose sûre, elle ne porte les traits légaux dun procès. De toute façon, les mesures contre Jésus chez Luc napparaissent pas clairement comme un procès, et chez Jean cette tradition se trouve dans un autre contexte.
- Luc a construit la 2e condition sur le modèle de la première. Laddition de cette 2e condition (si je vous interroge) a pour effet de changer le ton qui était défensif avec la première qui devient maintenant celui dun juge qui pose des questions. Cela est typique du Jésus de Luc qui refuse de coopérer et lassocie aux procès chrétiens : voir par exemple le procès dÉtienne (Actes 7, 51-53) qui se termine avec une attaque de ce dernier.
- Notons enfin la séquence typique de Luc : comme Jésus ne répond pas directement à la question posée, des précisions seront apportées au v. 69, ce qui entraînera une autre question de son auditoire, à laquelle Jésus répondra affirmativement.
- Les diverses formes de la réponse affirmative de Jésus à la question sur le Fils de Dieu
Marc 14, 62 | Matthieu 26, 64 | Luc 22, 70b |
Jésus dit : | Jésus lui dit : | Il leur dit : |
« Je suis » (egō eimi) | « Tu las dit. Cependant » (sy eipas. Plēn) | « Vous dites que je suis. » (hymeis legete hoti egō eimi) |
- Marc
- La réponse de Jésus chez Marc est clairement affirmative. Mais on aura noté que le Jésus de Marc ne sadresse pas au grand prêtre (on na pas « lui dit » comme chez Matthieu) mais au lecteur de lévangile. Cest une déclaration solennelle qui confirme la voix du ciel (1, 11) et la confession de Pierre (8, 29). Mais pourquoi a-t-on ici une affirmation si claire, alors que Jésus a constamment demandé de garder silence sur son identité en Marc ? La demande de silence était requise pour éviter une mauvaise conception du messie, alors que maintenant, dans un contexte où la souffrance et la mort apparaissent évidentes, la confusion nest plus possible.
- Matthieu
- Comment interpréter : « Tu las dit » ? Il y a plusieurs possibilités :
- Une affirmation forte : Toi-même, tu las dit
- Une mise au défi sarcastique : Tu las dit, et pourtant tu ne le crois pas
- Une forme de nuance : Cest toi, et non moi, qui lai dit.
Les biblistes ont beaucoup débattu ce sujet sans arriver à un consensus. Les discussions ont parfois confondu la période du procès de Jésus (lan 30/33) avec celle de lévangéliste. Certains ont évoqué des parallèles avec des textes juifs postérieurs au 2e siècle de notre ère, ce qui est un anachronisme.
- Il vaut mieux commencer avec des textes de Matthieu lui-même, et dabord 26, 25 quand Jésus répond à Judas demandant si cest lui qui allait le livrer : « Tu las dit ». La phrase est clairement affirmative, mais en même temps comporte une nuance : Jésus se dégage de toute responsabilité face au geste que Judas sapprête à poser. Et ici, au verset 64, la parole de Jésus contient ladverbe « Cependant » (plēn), qui introduit une nuance. Ce qui nous amène à cette conclusion.
- « Tu las dit » ne peut pas avoir un sens négatif, au sens de : « Cest toi qui le dit, pas moi ». Et cest une interprétation positive qui amènera plus tard le Sanhédrin à lui demander de prophétiser.
- Mais ce nest pas une affirmation absolue, sans nuance, sans quoi il aurait simplement repris laffirmation simple de Marc.
- La nuance, introduite par « cependant », présuppose que Jésus invite le grand prêtre à prendre la responsabilité de ce quil vient de dire et du sens quil lui donne. De plus, le contexte montre clairement quil sagit dun piège, que le grand prêtre aimerait que Jésus sincrimine lui-même. Enfin, le lecteur saisira lironie de lensemble exprimé par « cependant », car celui qui est questionné deviendra par la suite le Fils de lhomme, celui qui reviendra pour porter un jugement.
- Luc
- « Vous dites que je suis. » Ici, pour répondre au Sanhédrin qui lui demande sil est Fils de Dieu, Luc combine deux textes de Marc, celui de la réponse au grand prêtre (Je suis) et celui de la réponse à Pilate (tu le dis). Il ne faut se surprendre dune telle proclamation, quand lange Gabriel a déjà dit : « il sera appelé Fils de Dieu. » (1, 35). De plus, on a tendance à oublier que Luc distingue les deux titres, celui de messie et celui de Fils de Dieu. Il ny a pas dambiguïté concernant ce dernier qui arrive ici comme une conclusion. Il sagit dune véritable confession de foi, qui a lieu à Jérusalem, là où a commencé lévangile avec les paroles de lange Gabriel, et qui a lieu maintenant plutôt quà la mort de Jésus dans la bouche du centurion comme chez Marc et Matthieu (chez Luc, le centurion reventiquera linnocence de Jésus).
- La déclaration de Jésus sur le Fils de lhomme
- Marc
- La déclaration sur le Fils de lhomme vient confirmer le « Je suis ». Mais en quel sens ? Lexpression « Fils de lhomme » apparaît plusieurs fois, en particulier pour mettre accent sur les souffrances que doit endurer Jésus (par exemple, lors de la confession de Pierre en 8, 31). Ici, laccent est différent, il est sur son exaltation, à linstar dautres passages (transfiguration : 9, 7 ; discours eschatologique : 13, 21-22).
- « Vous verrez ». Que désigne ce « vous »? De manière obvie, il désigne le Sanhédrin. Que verront-ils ? En fait, deux situations sont présentées.
- « le Fils de lhomme siégeant à la droite de la Puissance ». Marc présente ici une adaptation du Psaume 110, 1 : Le Seigneur a dit à mon Seigneur: "Siège à ma droite, tant que jaie fait de tes ennemis lescabeau de tes pieds." Il avait déjà utilisé ce psaume pour clarifier linterprétation du messie comme fils de Dieu (voir 12, 35-37), et maintenant il lutilise pour exprimer le caractère céleste et glorieux du messie. Mais pourquoi parle-t-il de « droite de la Puissance » au lieu de « droite du Seigneur » ? Cest unique, et on ne trouve pas de parallèle contemporain. Peut-être a-t-il en tête le Psaume 80, 18 (Ta main soit sur lhomme de ta droite, le fils dAdam que tu as confirmé! ), et donc veut mettre laccent sur le rôle de Dieu qui soutient son protégé et lui assure autorité sur ses ennemis.
- « et venant avec les nuées du ciel ». Cest une situation différente de la précédente, car on ne peut en même temps sasseoir et être en train de venir ; il y a une séquence dans les deux situations, lune précédant lautre. Bien sûr, cette symbolique du fils de lhomme dans les nuées provient du chap. 7 du livre de Daniel où les royaumes sous lemprise des bêtes seront détruits et la domination remise à un fils dhomme venant sur les nuées. Mais alors que le fils de lhomme y désigne les saints du Très-Haut, il en vient à désigner Jésus à lépoque où se forme la tradition évangélique.
- On peut se poser la question du moment de ces deux situations chez Marc. Il est logique dassumer laprès résurrection pour la première situation, et la parousie pour la deuxième. Dune part, les trois annonces de la passion avec lexpression fils de lhomme se terminent avec la mention de la résurrection, et donc son exaltation auprès de Dieu. Dautre part, la venue sur les nuées renvoie aux événements de la fin des temps, où Jésus reviendra pour porter un jugement (8, 38), un langage quon retrouve dans lApocalypse (1, 7). Mais peut-on être plus précis sur ce que le Sanhédrin verra ? Faisons trois remarques.
- Les premiers chrétiens ont eu des difficultés à démêler toutes les paroles de Jésus sur le sujet. Certaines semblent impliquer un retour de Jésus pour bientôt (Mc 9, 1 ; 14, 25 ; Mt 10, 23 ; Lc 23, 43 ; Jn 14, 3 ; 21-22-23). Dautres assument une période intérimaire indéfinie (Mc 13, 35 ; Mt 13, 31-33 ; 24, 50 ; 25, 13 ; Ac 1, 7). Enfin, il y a cette parole où Jésus dit que le Fils ne sait pas (Mc 13, 32). Tout cela nest pas incompatible avec lidée que Jésus règne déjà et règnera de manière plus visible dans le futur.
- Notons que Jésus ne dit pas : vous me verrez, ce qui impliquerait lidée quil sexalte lui-même. La référence au Psaume 110 dit plutôt que cest Dieu qui glorifiera le fils de lhomme et lui rendra justice face au Sanhédrin.
- Chez Marc, quand Jésus meurt, non seulement le voile du temple se déchire en deux, mais le centurion le « voit » expirer et sécrie : « Vraiment, cet homme était fils de Dieu ». Cest ainsi que se réalise la prophétie sur la destruction du temple, mais également sur celle où on verra le Fils de Dieu, et donc lexaltation et le jugement de la parousie, presquen même temps où Jésus prononce ces paroles.
- Matthieu
- Matthieu clarifie lélément futur de la proclamation du Jésus de Marc avec son apʼ arti (désormais), comme Luc dailleurs (apo tou nyn : à partir de maintenant). Mais comment ces deux évangélistes, de manière indépendante, ont-ils pu en même temps faire la même chose ? Notons que ce nest pas la première fois que les deux évangélistes clarifient leur source marcienne lors daffirmations concernant lavenir. Cela sest produit lors de son dernier repas quand Jésus dit quil ne boira plus le produit de la vigne (Mc 14, 25) : chez Matthieu (26, 29) Jésus dit quil ne boira plus désormais (apʼ arti), chez Luc (22, 18) il dit quil ne boira plus à partir de maintenant (apo tou nyn). Ainsi, chacun, selon le style qui lui est propre, insiste pour dire que le triomphe de Jésus a déjà commencé.
- Notons dautres différences dans la comparaison Matthieu-Marc : le fils de lhomme vient sur (epi) les nuées, plutôt que : avec (meta) les nuées. Matthieu suit ici la version de la Septante sur Daniel 7, 13, et Marc celui de Theodotion. Il y a surtout « je vous dis dit » (legō hymin), une formule solennelle chez Matthieu qui accompagne une action révélatrice, comme on le voit en 11, 22.24 : Jésus annonce aux villes de Bethsaïde et de Chorazeïn que leur sort sera pire que celle de Tyr et Sidon au jour du jugement ; comme ici, cest un jugement solennel. Ainsi, Matthieu entend accentuer le début dune nouvelle ère, celle de lintronisation du messie, celle de la remise du pouvoir au fils de lhomme, salut pour les uns, jugement pour les autres.
- Chez Matthieu, les choses sont plus vives et nettes en ce qui concerne ce quon « verra » avec la mort de Jésus. En effet, non seulement le voile du temple se déchire, mais la terre tremble, les rochers se fendent, les tombeaux souvrent, les morts ressuscitent et se font « voir » à bien des gens (27, 51-54). Le centurion « voit » la terre trembler et ces événements se produire. Et même les gardes du tombeau « voient » lange descendre du ciel et rouler la pierre. Bref, pour le lecteur de Matthieu, la prédiction de Jésus au Sanhédrin quils verront le fils de lhomme exalté sest vraiment réalisée.
- Luc
- Luc a éliminé les éléments les plus difficiles de Marc : il ne parle pas de voir quoi que ce soit, il ny a plus de référence à la parousie, il ne désigne plus Dieu comme puissance. Bien sûr, tout au long de son évangile, il a parlé de la venue imminente du règne de Dieu, et a même évoqué le rôle du fils de lhomme à la parousie (9, 2 ; 12, 8) ainsi que sa promesse de venir sur les nuées (21, 27), mais il insiste plutôt sur lignorance du moment de ces événements (voir Actes 1, 6-11). Aussi, dans cette scène au Sanhédrin, laccent est sur lexaltation, non le jugement.
- Après avoir refusé de répondre (22, 67-78), Jésus donne finalement une réponse positive (22, 69) ; son « mais » nest pas une opposition, mais une poursuive dans la même direction. Car, pour Luc, le messie et le fils de lhomme sont identiques (voir par exemple Actes 2, 32-35). Et lexpression « à partir de maintenant » signifie que son exaltation commence avec la session du Sanhédrin, progresse avec sa mise en croix, et sera complétée au moment de lascension et de son départ.
- Pour Luc, le fait pour Jésus de sasseoir à la droite de Dieu nest pas simplement une intronisation, mais une exaltation, i.e. le partage par Jésus des pouvoirs divins. Cest ce qui lui permettra en retour denvoyer cette force den haut (24, 49 ; Actes 1, 8). Aussi, le Sanhédrin ne peut voir ces choses, car seul le croyant peut y parvenir, comme Étienne (Actes 7, 55-56). Mais il comprend très bien limplication dassocier le messie exalté au fils de lhomme, car il réagit en disant : « Tu es donc le Fils de Dieu? ».
- Analyse
Il ny a aucune façon de déterminer si Jésus a vraiment dit ces paroles que lui prête Marc en 14, 62. Par contre, on peut poser la question de la plausibilité que Jésus ait pu sattribuer le titre de fils de lhomme.
Faisons quelques considérations. Ce titre apparaît 80 fois dans les évangiles, et toujours dans la bouche de Jésus pour se désigner lui-même, à deux exceptions près (Mc 2, 10 ; Jn 12, 34). Dans le Nouveau Testament, en dehors des évangiles, on ne le rencontre que 4 fois (Héb 2, 6 ; Ap 1, 13 ; 14, 14 ; Ac 7, 56).
Cest un titre curieux, et personne noserait aborder Jésus avec un tel titre. Il est absent du monde grec courant. Cest dans un contexte sémitique quil apparaît avec le livre dÉzéchiel où la voix divine sadresse 90 fois au prophète en lappelant : fils dhomme, au sens quil est simplement humain, en contraste avec le message divin. Dans un passage araméen du livre de Daniel (7, 13), on parle de « quelquun comme un fils dhomme » pour dire : quelquun comme un être humain. Tout cela a entraîné de nombreuses recherches chez les biblistes pour retracer cette figure, soit dans les religions du Proche-Orient, soit dans les écrits apocryphes juifs. Il ny a rien de concluant, si bien que plusieurs biblistes nient lexistence de lattente quelconque dune telle figure dans le monde juif. Lanalyse qui suit en tient compte.
- Sil y avait un concept juif du Fils de lhomme
- Les cercles apocalyptiques juives, dont on trouve un écho dans la littérature non canonique qui sétend du 2e siècle avant notre ère au 1ier siècle de notre ère, a pu sinspirer de Daniel 7 pour développer une image forte du Fils de lhomme. Et Jésus, ainsi que les premiers chrétiens qui baignaient dans une atmosphère apocalyptique, ont pu être marqués par cette image.
- Le principal contributeur est cette section de 1 Hénoch (37-71), dont la composition se situe à environ lan 50 de notre ère. Le ch. 46, sans doute inspiré de Dn 7, 9-10, parle de quelquun qui a lapparence dun être humain et prétend être le Fils de lhomme de justice ; il possèderait un rang plus élevé que les anges, ayant reçu son nom en présence du Seigneur des esprits bien avant la création du monde. Il est lÉlu, le Messie du Seigneur, assis sur un trône de gloire. Ainsi, dans les milieux apocalyptiques, on aurait déjà associé Daniel 7 avec le Psaume 110 sur lintronisation du roi. De même, tout comme en Daniel 7 et Isaïe 11 (1-4) cette personne exerce le jugement pour éliminer les méchants et sauver les justes. Lauteur de 1 Hénoch aurait peut-être suivi la tendance amorcé par Ézéchiel le Tragique (vers lan 150 avant notre ère qui raconte comment Dieu a intronisé Moïse pour quil gère les cieux.
- Lapocalypse dEsdras (appelé aussi le 4e livre dEsdras), quon date de la fin du premier siècle de notre ère, parle au ch. 13 de quelquun ayant la forme dun homme qui vient de la mer et vole sur les nuages du ciel pour détruire les force du mal avec la flamme sortant de sa bouche, et pour rassembler une multitude de gens dans la paix et la joie. Il sagirait de la figure du messie venu libérer la création et la guider, une figure inspirée de Daniel 7.
- Bref, les courants apocalyptiques juifs auraient donné naissance à une figure messianique et humaine, préexistante à la création, que Dieu glorifie en létablissant juge. Jésus a pu être au courant de cette figure. On comprendrait alors pourquoi Marc (14, 62) introduit cette référence au Fils de lhomme dans sa réponse au grand prêtre qui linterroge sur sa messianité.
- Sil ny avait pas de concept juif du Fils de lhomme
- La majorité des biblistes croient que cest Jésus et ses disciples qui ont précisé la notion de Fils de Dieu, car il ny en avait aucune image précise dans le Judaïsme. Lexpression se disait en Araméen : bar (ʼě)nāš(āʼ) (fils de lhomme). Même si, en soi, lexpression pourrait simplement signifier : un homme comme moi, il en va tout autrement quand on considère Marc 8, 31.38 : cest vraiment un titre.
- On a tendance à attribuer aux premiers chrétiens toute cette réflexion christologique à partir de lAncien Testament, en oubliant que Jésus a pu lui-même beaucoup réfléchir sur son rôle à partir de certains passages bibliques. Ainsi, Jésus aurait pu acquérir la ferme conviction que, sil était rejeté et mis à mort à linstar des prophètes de lAncien Testament, Dieu introduirait son royaume en linnocentant devant tous ses adversaires. Il aurait pu aussi mettre ensemble Daniel 7 et le Psaume 110 et donner de lexpansion à la notion de quelquun comme un Fils de lhomme par qui Dieu manifeste sa victoire. Par la suite, la communauté chrétienne, à partir de ces quelques notions provenant des paroles mêmes de Jésus, aurait développé davantage cette idée et laurait appliqué à différents aspects de sa vie et à la compréhension de Jésus de son identité. Et si elle apparaît de manière plus fréquente que lexpression « messie », cest quelle proviendrait de Jésus lui-même.
- Bref, « Fils de lhomme » exprimerait la compréhension de Jésus de son rôle dans le plan divin, alors quil était confronté à lhostilité croissante des autorités religieuses. La communauté chrétienne naurait quélaboré davantage ce qui provenant de Jésus lui-même.
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Chapitre suivant: Le procès devant le Sanhédrin, quatrième partie : réaction des autorités juives à la réponse de Jésus
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