Analyse biblique de Matthieu 26, 14 - 27, 66

Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation.


  1. Traduction du texte grec
  2. Analyse verset par verset en exprimant toutes mes questions ou observations
    Ch. 26 Ch. 27
  3. Analyse de la structure du texte
  4. Analyse du contexte
  5. Analyse des parallèles
  6. Intention de l'auteur en écrivant ce passage
  7. Situations ou événements actuels dans lesquels on pourrait lire ce texte

 


  1. Traduction du texte grec (28e édition de Kurt Aland)

    Texte grecTexte grec translittéréTraduction littéraleTraduction en français courant
    26, 14 Τότε πορευθεὶς εἷς τῶν δώδεκα, ὁ λεγόμενος Ἰούδας Ἰσκαριώτης, πρὸς τοὺς ἀρχιερεῖς 15 εἶπεν• τί θέλετέ μοι δοῦναι, κἀγὼ ὑμῖν παραδώσω αὐτόν; οἱ δὲ ἔστησαν αὐτῷ τριάκοντα ἀργύρια 16 καὶ ἀπὸ τότε ἐζήτει εὐκαιρίαν ἵνα αὐτὸν παραδῷ 26, 14 Tote poreutheis heis tōn dōdeka, ho legomenos Ioudas Iskariōtēs, pros tous archiereis 15 eipen• ti thelete moi dounai, kagō hymin paradōsō auton? hoi de estēsan autō triakonta argyria. 16 kai apo tote ezētei eukairian hina auton paradō. 26, 14 Alors s’étant rendu l’un des douze, celui appelé Judas Iscariote, vers les grands prêtres 15 il dit : « qu’est-ce vous voulez me donner, et moi je vous le livrerai? » Eux mirent debout à lui trente pièces d’argent. 16 et à partir d’alors il cherchait le bon moment afin qu’il le livre. 26, 14 Alors l’un des Douze, celui qu’on appelle Judas Iscariote, se rendit chez les grands prêtres 15 pour leur dire : « Combien voulez-vous me donner, si je vous le remets? » Ceux-ci rassemblèrent l’équivalent de cinq cent dollars. 16 Dès lors, il cherchait le bon moment pour leur remettre.
    17 Τῇ δὲ πρώτῃ τῶν ἀζύμων προσῆλθον οἱ μαθηταὶ τῷ Ἰησοῦ λέγοντες• ποῦ θέλεις ἑτοιμάσωμέν σοι φαγεῖν τὸ πάσχα; 18 ὁ δὲ εἶπεν• ὑπάγετε εἰς τὴν πόλιν πρὸς τὸν δεῖνα καὶ εἴπατε αὐτῷ• ὁ διδάσκαλος λέγει• ὁ καιρός μου ἐγγύς ἐστιν, πρὸς σὲ ποιῶ τὸ πάσχα μετὰ τῶν μαθητῶν μου 19 καὶ ἐποίησαν οἱ μαθηταὶ ὡς συνέταξεν αὐτοῖς ὁ Ἰησοῦς καὶ ἡτοίμασαν τὸ πάσχα 17 Tē de prōtē tōn azymōn prosēlthon hoi mathētai tō Iēsou legontes• pou theleis hetoimasōmen soi phagein to pascha? 18 ho de eipen• hypagete eis tēn polin pros ton deina kai eipate autō• ho didaskalos legei• ho kairos mou engys estin, pros se poiō to pascha meta tōn mathētōn mou. 19 kai epoiēsan hoi mathētai hōs synetaxen autois ho Iēsous kai hētoimasan to pascha. 17 Au premier des Azymes les disciples allèrent vers Jésus disant : « Où veux-tu que nous te préparions à manger la pâque? » 18 Lui, répondit : « allez dans la ville chez quelqu’un et dites-lui : "L’enseignant dit : mon temps est proche, chez toi je fais la pâque avec mes disciples". » 19 Et firent les disciples comme leur avait commandé Jésus et préparèrent la pâque. 17 Le premier jour des pains sans levain, les disciples allèrent trouver Jésus pour lui demander : « Où veux-tu que nous te préparions à manger pour la Pâque? » 18 Ce dernier répondit : « Allez en ville chez un tel, et dites-lui : "Le maître te fait dire : mon temps est proche, c’est chez toi que veux célébrer la Pâque avec mes disciples." » 19 Les disciples firent comme Jésus leur avait commandé et préparèrent la Pâque.
    20 Ὀψίας δὲ γενομένης ἀνέκειτο μετὰ τῶν δώδεκα. 21 καὶ ἐσθιόντων αὐτῶν εἶπεν• ἀμὴν λέγω ὑμῖν ὅτι εἷς ἐξ ὑμῶν παραδώσει με. 22 καὶ λυπούμενοι σφόδρα ἤρξαντο λέγειν αὐτῷ εἷς ἕκαστος• μήτι ἐγώ εἰμι, κύριε; 23 ὁ δὲ ἀποκριθεὶς εἶπεν• ὁ ἐμβάψας μετʼ ἐμοῦ τὴν χεῖρα ἐν τῷ τρυβλίῳ οὗτός με παραδώσει. 24 ὁ μὲν υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου ὑπάγει καθὼς γέγραπται περὶ αὐτοῦ, οὐαὶ δὲ τῷ ἀνθρώπῳ ἐκείνῳ διʼ οὗ ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου παραδίδοται• καλὸν ἦν αὐτῷ εἰ οὐκ ἐγεννήθη ὁ ἄνθρωπος ἐκεῖνος. 25 ἀποκριθεὶς δὲ Ἰούδας ὁ παραδιδοὺς αὐτὸν εἶπεν• μήτι ἐγώ εἰμι, ῥαββί; λέγει αὐτῷ• σὺ εἶπας. 20 Opsias de genomenēs anekeito meta tōn dōdeka. 21 kai esthiontōn autōn eipen• amēn legō hymin hoti heis ex hymōn paradōsei me. 22 kai lypoumenoi sphodra ērxanto legein autō heis hekastos• mēti egō eimi, kyrie? 23 ho de apokritheis eipen• ho embapsas met’ emou tēn cheira en tō trybliō houtos me paradōsei. 24 ho men huios tou anthrōpou hypagei kathōs gegraptai peri autou, ouai de tō anthrōpō ekeinō di’ hou ho huios tou anthrōpou paradidotai• kalon ēn autō ei ouk egennēthē ho anthrōpos ekeinos. 25 apokritheis de Ioudas ho paradidous auton eipen• mēti egō eimi, rhabbi? legei autō• sy eipas. 20 Le soir venu il était allongé avec les douze. 21 Et étant mangeant il dit : « Amen je vous dis que l’un de vous me livrera. » 22 Et chagrinés fortement ils commencèrent à lui dire chacun : « Est-ce moi je suis, Seigneur? » 23 Lui, répondant, dit : « L’ayant plongé avec moi la main dans le plat, celui-là me livrera. 24 Vraiment, le fils de l’homme s’en va comme il a été écrit à son sujet, mais malheur à cet homme là par qui le fils de l’homme a été livré: bon est à lui s’il ne fut pas enfanté cet homme là » 25 Répondant Judas le livrant, il dit: « Est-ce moi je suis, maître? » Il lui dit : « Tu l’as dit. » 20 Le soir venu, alors qu’il était allongé avec les Douze 21 et mangeait, il dit : « Vraiment, je vous l’assure, l’un de vous me trahira. » 22 Fortement peinés, les disciples commencèrent chacun à lui demander : « Serait-ce moi, maître? » 23 En réponse, Jésus dit : « Celui qui me trahira, c’est celui qui aura plongé la main avec moi dans le plat. 24 Certes, selon les Écritures, le nouvel Adam est appelé à mourir, mais je plains cet homme qui a trahi ce nouvel Adam : il aurait mieux valu pour cet homme de ne pas naître. » 25 À son tour, Judas demanda : « Est-ce moi, rabbi? » Jésus lui répondit : « Tu l’as dit. »
    26 Ἐσθιόντων δὲ αὐτῶν λαβὼν ὁ Ἰησοῦς ἄρτον καὶ εὐλογήσας ἔκλασεν καὶ δοὺς τοῖς μαθηταῖς εἶπεν• λάβετε φάγετε, τοῦτό ἐστιν τὸ σῶμά μου. 27 καὶ λαβὼν ποτήριον καὶ εὐχαριστήσας ἔδωκεν αὐτοῖς λέγων• πίετε ἐξ αὐτοῦ πάντες, 28 τοῦτο γάρ ἐστιν τὸ αἷμά μου τῆς διαθήκης τὸ περὶ πολλῶν ἐκχυννόμενον εἰς ἄφεσιν ἁμαρτιῶν. 29 λέγω δὲ ὑμῖν, οὐ μὴ πίω ἀπʼ ἄρτι ἐκ τούτου τοῦ γενήματος τῆς ἀμπέλου ἕως τῆς ἡμέρας ἐκείνης ὅταν αὐτὸ πίνω μεθʼ ὑμῶν καινὸν ἐν τῇ βασιλείᾳ τοῦ πατρός μου. 30 Καὶ ὑμνήσαντες ἐξῆλθον εἰς τὸ ὄρος τῶν ἐλαιῶν. 26 Esthiontōn de autōn labōn ho Iēsous arton kai eulogēsas eklasen kai dous tois mathētais eipen• labete phagete, touto estin to sōma mou. 27 kai labōn potērion kai eucharistēsas edōken autois legōn• piete ex autou pantes, 28 touto gar estin to haima mou tēs diathēkēs to peri pollōn ekchynnomenon eis aphesin hamartiōn. 29 legō de hymin, ou mē piō apʼ arti ek toutou tou genēmatos tēs ampelou heōs tēs hēmeras ekeinēs hotan auto pinō methʼ hymōn kainon en tē basileia tou patros mou. 30 Kai hymnēsantes exēlthon eis to oros tōn elaiōn. 26 Et eux mangeant, Jésus prenant du pain et bénissant, il rompit et donnant aux disciples, il dit: « prenez, mangez, ceci est mon corps; » 27 et prenant un vase et ayant rendu grâce, il leur donna disant : « buvez de lui tous, 28 car cela est mon sang de l’alliance au sujet d’un grand nombre versé pour le pardon des péchés; » 29 il leur dit : « je ne boirai plus dès maintenant de ce fruit de la vigne jusqu’à ce jour, quand je le boirai avec vous nouveau dans le royaume de mon père. » 30 Et ayant chanté des hymnes, ils sortirent vers le jardin des oliviers. 26 Alors qu’ils mangeaient, après avoir pris du pain et avoir prononcé la bénédiction, Jésus le rompit et le partagea avec les disciples avec ces mots : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. » 27 Après avoir pris la coupe et avoir rendu grâce, il la leur donna en disant : « Buvez en tous, 28 ceci est mon sang d’alliance, versé afin qu’une grande partie de l’humanité revienne de ses égarements. » 29 Il ajouta : « Dorénavant, je ne boirai plus avec vous le produit de la vigne, jusqu’au jour où j’en boirai du nouveau dans le monde de mon père. » 30 Après avoir chanté des hymnes, ils partirent pour le Jardin des oliviers.
    31 Τότε λέγει αὐτοῖς ὁ Ἰησοῦς • πάντες ὑμεῖς σκανδαλισθήσεσθε ἐν ἐμοὶ ἐν τῇ νυκτὶ ταύτῃ, γέγραπται γάρ• πατάξω τὸν ποιμένα, καὶ διασκορπισθήσονται τὰ πρόβατα τῆς ποίμνης. 32 μετὰ δὲ τὸ ἐγερθῆναί με προάξω ὑμᾶς εἰς τὴν Γαλιλαίαν. 33 ἀποκριθεὶς δὲ ὁ Πέτρος εἶπεν αὐτῷ• εἰ πάντες σκανδαλισθήσονται ἐν σοί, ἐγὼ οὐδέποτε σκανδαλισθήσομαι. 34 ἔφη αὐτῷ ὁ Ἰησοῦς• ἀμὴν λέγω σοι ὅτι ἐν ταύτῃ τῇ νυκτὶ πρὶν ἀλέκτορα φωνῆσαι τρὶς ἀπαρνήσῃ με. 35 λέγει αὐτῷ ὁ Πέτρος• κἂν δέῃ με σὺν σοὶ ἀποθανεῖν, οὐ μή σε ἀπαρνήσομαι. ὁμοίως καὶ πάντες οἱ μαθηταὶ εἶπαν. 31 Tote legei autois ho Iēsous• pantes hymeis skandalisthēsesthe en emoi en tē nykti tautē, gegraptai gar• pataxō ton poimena, kai diaskorpisthēsontai ta probata tēs poimnēs. 32 meta de to egerthēnai me proaxō hymas eis tēn Galilaian. 33 apokritheis de ho Petros eipen autō• ei pantes skandalisthēsontai en soi, egō oudepote skandalisthēsomai. 34 ephē autō ho Iēsous• amēn legō soi hoti en tautē tē nykti prin alektora phōnēsai tris aparnēsē me. 35 legei autō ho Petros• kan deē me syn soi apothanein, ou mē se aparnēsomai. homoiōs kai pantes hoi mathētai eipan. 31 À ce moment-là leur dit Jésus: « Vous tous, vous serez scandalisés par moi en cette nuit, car il été écrit : je frapperai le berger et seront dispersées les brebis du troupeau. 32 Et après avoir été réveillé moi, je vous précéderai en Galilée. » 33 Mais répondant Pierre, il dit : « Si tous seront scandalisés par toi, moi jamais je ne serai scandalisé ». 34 Lui déclare Jésus: « Amen, je te le dis qu’en cette nuit avant que le coq n’aille fait entendre sa voix, trois fois tu m’auras renié. » 35 Lui dit Pierre : « Et s’il est nécessaire qu’avec toi je meure, je ne te renierai pas. » Et pareillement tous les disciples dirent. 31 À ce moment, Jésus leur dit : « Tous, vous allez trébucher cette nuit à cause de moi, car il est écrit : je frapperai le berger et les brebis du troupeau se disperseront. 32 Et après être revenu des morts, je vous précéderai en Galilée. » 33 Mais Pierre rétorqua : « Même si tous trébuchent à cause de toi, moi, jamais je ne trébucherai. » 34 Jésus reprend : « Vraiment, je te l’assure, cette nuit même, avant que le coq ne chante, tu auras nié me connaître par trois fois. » 35 Pierre objecta : « Même si je dois mourir avec toi, jamais je nierai te connaître. » Tous en choeur, les disciples dirent la même chose.
    36 Τότε ἔρχεται μετʼ αὐτῶν ὁ Ἰησοῦς εἰς χωρίον λεγόμενον Γεθσημανὶ καὶ λέγει τοῖς μαθηταῖς• καθίσατε αὐτοῦ ἕως [οὗ] ἀπελθὼν ἐκεῖ προσεύξωμαι. 37 καὶ παραλαβὼν τὸν Πέτρον καὶ τοὺς δύο υἱοὺς Ζεβεδαίου ἤρξατο λυπεῖσθαι καὶ ἀδημονεῖν. 38 τότε λέγει αὐτοῖς• περίλυπός ἐστιν ἡ ψυχή μου ἕως θανάτου• μείνατε ὧδε καὶ γρηγορεῖτε μετʼ ἐμοῦ. 39 καὶ προελθὼν μικρὸν ἔπεσεν ἐπὶ πρόσωπον αὐτοῦ προσευχόμενος καὶ λέγων• πάτερ μου, εἰ δυνατόν ἐστιν, παρελθάτω ἀπʼ ἐμοῦ τὸ ποτήριον τοῦτο• πλὴν οὐχ ὡς ἐγὼ θέλω ἀλλʼ ὡς σύ. 40 καὶ ἔρχεται πρὸς τοὺς μαθητὰς καὶ εὑρίσκει αὐτοὺς καθεύδοντας, καὶ λέγει τῷ Πέτρῳ• οὕτως οὐκ ἰσχύσατε μίαν ὥραν γρηγορῆσαι μετʼ ἐμοῦ; 41 γρηγορεῖτε καὶ προσεύχεσθε, ἵνα μὴ εἰσέλθητε εἰς πειρασμόν• τὸ μὲν πνεῦμα πρόθυμον ἡ δὲ σὰρξ ἀσθενής. 42 πάλιν ἐκ δευτέρου ἀπελθὼν προσηύξατο λέγων• πάτερ μου, εἰ οὐ δύναται τοῦτο παρελθεῖν ἐὰν μὴ αὐτὸ πίω, γενηθήτω τὸ θέλημά σου. 43 καὶ ἐλθὼν πάλιν εὗρεν αὐτοὺς καθεύδοντας, ἦσαν γὰρ αὐτῶν οἱ ὀφθαλμοὶ βεβαρημένοι. 44 καὶ ἀφεὶς αὐτοὺς πάλιν ἀπελθὼν προσηύξατο ἐκ τρίτου τὸν αὐτὸν λόγον εἰπὼν πάλιν. 45 τότε ἔρχεται πρὸς τοὺς μαθητὰς καὶ λέγει αὐτοῖς• καθεύδετε [τὸ] λοιπὸν καὶ ἀναπαύεσθε• ἰδοὺ ἤγγικεν ἡ ὥρα καὶ ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου παραδίδοται εἰς χεῖρας ἁμαρτωλῶν. 46 ἐγείρεσθε ἄγωμεν• ἰδοὺ ἤγγικεν ὁ παραδιδούς με. 36 Tote erchetai metʼ autōn ho Iēsous eis chōrion legomenon Gethsēmani kai legei tois mathētais• kathisate autou heōs [hou] apelthōn ekei proseuxōmai. 37 kai paralabōn ton Petron kai tous dyo huious Zebedaiou ērxato lypeisthai kai adēmonein. 38 tote legei autois• perilypos estin hē psychē mou heōs thanatou• meinate hōde kai grēgoreite metʼ emou. 39 kai proelthōn mikron epesen epi prosōpon autou proseuchomenos kai legōn• pater mou, ei dynaton estin, parelthatō apʼ emou to potērion touto• plēn ouch hōs egō thelō allʼ hōs sy. 40 kai erchetai pros tous mathētas kai heuriskei autous katheudontas, kai legei tō Petrō• houtōs ouk ischysate mian hōran grēgorēsai metʼ emou? 41 grēgoreite kai proseuchesthe, hina mē eiselthēte eis peirasmon• to men pneuma prothymon hē de sarx asthenēs. 42 palin ek deuterou apelthōn prosēuxato legōn• pater mou, ei ou dynatai touto parelthein ean mē auto piō, genēthētō to thelēma sou. 43 kai elthōn palin heuren autous katheudontas, ēsan gar autōn hoi ophthalmoi bebarēmenoi. 44 kai apheis autous palin apelthōn prosēuxato ek tritou ton auton logon eipōn palin. 45 tote erchetai pros tous mathētas kai legei autois• katheudete [to] loipon kai anapauesthe• idou ēngiken hē hōra kai ho huios tou anthrōpou paradidotai eis cheiras hamartōlōn. 46 egeiresthe agōmen• idou ēngiken ho paradidous me. 36 À ce moment-là vient avec eux Jésus vers un lieu appelé Gethsémani et il dit aux disciples: « Asseyez-vous jusqu’à ce que, étant éloigné là pour que j’aille prier. » 37 Et ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée il commença à être attristé et tourmenté. 38 À ce moment-là il leur dit : « Très triste est mon psychique jusqu’à la mort. Restez ici et veillez avec moi. » 39 Étant avancé un peu, il tomba sur sa face priant et disant: « Mon père, si c’est possible, que passe à côté de moi ce vase. Toutefois, non pas comme je veux, mais comme toi. » 40 Et il va vers les disciples et les trouve dormant, et il dit à Pierre: « Ainsi vous n’avez pas été capables une seule heure à veiller avec moi? 41 Veillez et priez, afin que vous n’entriez pas en épreuve. D’une part, l’esprit est bien disposé, mais d’autre part la chair est faible. » 42 De nouveau, pour une deuxième fois, étant éloigné, il demanda en priant, disant: « Mon père, s’il n’est pas possible cela de passer à côté afin que je ne boive pas cela, que survienne ta volonté. » 43 Et venant de nouveau il les trouva dormant, car ils étaient eux les yeux ayant été chargés d’un fardeau. 44 Et les ayant quittés de nouveau s’étant éloigné, il demanda en priant pour la troisième fois cette parole disant de nouveau. 45 À ce moment-là il vient vers les disciples et leur dit : « Dormez désormais et reposez-vous. Voici que s’est approché l’heure et le fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs. 46 Réveillez-vous, allons. Voici que s’est approché celui est me livrant. » 36 Puis, Jésus parvient avec eux dans un lieu, appelé Gethsémani, et dit aux disciples : « Asseyez-vous, pendant que je m’éloignerai là-bas pour aller prier. » 37 Ayant emmené avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, Jésus se mit à devenir triste et à être tourmenté. 38 Alors il leur dit : « Mon être est triste à mourir. Restez ici et demeurez éveillés avec moi. » 39 Il s’avança et tomba la face contre terre, priant : « Mon père, si c’est possible, évite-moi cette coupe. Toutefois, que vienne non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. » 40 Jésus retourna vers ses disciples et les trouva endormis. Il dit : « Ainsi, vous n’avez pas été capables de demeurer éveillés une seule heure avec moi? 41 Restez éveillés et priez, afin que vous n’entriez pas dans l’épreuve. Car bien que l’esprit soit bien disposé, la chair est par contre faible. » 42 Pour une deuxième fois, Jésus s’éloigna de nouveau pour prier et demander : « Mon père, s’il n’est pas possible d’éviter de boire tout cela, alors que se réalise ce que tu veux. » 43 En revenant, il les trouve de nouveau endormis, les yeux lourds. 44 Encore une fois, Jésus les quitta et s’éloigna pour prier et demander pour la troisième fois la même chose. 45 Enfin, il revient vers les disciples pour leur dire : « Vous pouvez maintenant dormir et vous reposer. L’heure est tout proche où le nouvel Adam est remis aux mains des gens méchants. 46 Allez, réveillez-vous. Voici qu’arrive celui qui me remet aux autorités. »
    47 Καὶ ἔτι αὐτοῦ λαλοῦντος ἰδοὺ Ἰούδας εἷς τῶν δώδεκα ἦλθεν καὶ μετʼ αὐτοῦ ὄχλος πολὺς μετὰ μαχαιρῶν καὶ ξύλων ἀπὸ τῶν ἀρχιερέων καὶ πρεσβυτέρων τοῦ λαοῦ. 48 ὁ δὲ παραδιδοὺς αὐτὸν ἔδωκεν αὐτοῖς σημεῖον λέγων• ὃν ἂν φιλήσω αὐτός ἐστιν, κρατήσατε αὐτόν. 49 καὶ εὐθέως προσελθὼν τῷ Ἰησοῦ εἶπεν• χαῖρε, ῥαββί, καὶ κατεφίλησεν αὐτόν. 50 ὁ δὲ Ἰησοῦς εἶπεν αὐτῷ• ἑταῖρε, ἐφʼ ὃ πάρει. τότε προσελθόντες ἐπέβαλον τὰς χεῖρας ἐπὶ τὸν Ἰησοῦν καὶ ἐκράτησαν αὐτόν. 51 Καὶ ἰδοὺ εἷς τῶν μετὰ Ἰησοῦ ἐκτείνας τὴν χεῖρα ἀπέσπασεν τὴν μάχαιραν αὐτοῦ καὶ πατάξας τὸν δοῦλον τοῦ ἀρχιερέως ἀφεῖλεν αὐτοῦ τὸ ὠτίον. 52 τότε λέγει αὐτῷ ὁ Ἰησοῦς• ἀπόστρεψον τὴν μάχαιράν σου εἰς τὸν τόπον αὐτῆς• πάντες γὰρ οἱ λαβόντες μάχαιραν ἐν μαχαίρῃ ἀπολοῦνται. 53 ἢ δοκεῖς ὅτι οὐ δύναμαι παρακαλέσαι τὸν πατέρα μου, καὶ παραστήσει μοι ἄρτι πλείω δώδεκα λεγιῶνας ἀγγέλων; 54 πῶς οὖν πληρωθῶσιν αἱ γραφαὶ ὅτι οὕτως δεῖ γενέσθαι; 55 Ἐν ἐκείνῃ τῇ ὥρᾳ εἶπεν ὁ Ἰησοῦς τοῖς ὄχλοις• ὡς ἐπὶ λῃστὴν ἐξήλθατε μετὰ μαχαιρῶν καὶ ξύλων συλλαβεῖν με; καθʼ ἡμέραν ἐν τῷ ἱερῷ ἐκαθεζόμην διδάσκων καὶ οὐκ ἐκρατήσατέ με. 56 τοῦτο δὲ ὅλον γέγονεν ἵνα πληρωθῶσιν αἱ γραφαὶ τῶν προφητῶν. Τότε οἱ μαθηταὶ πάντες ἀφέντες αὐτὸν ἔφυγον. 47 Kai eti autou lalountos idou Ioudas heis tōn dōdeka ēlthen kai metʼ autou ochlos polys meta machairōn kai xylōn apo tōn archiereōn kai presbyterōn tou laou. 48 ho de paradidous auton edōken autois sēmeion legōn• hon an philēsō autos estin, kratēsate auton. 49 kai eutheōs proselthōn tō Iēsou eipen• chaire, rhabbi, kai katephilēsen auton. 50 ho de Iēsous eipen autō• hetaire, ephʼ ho parei. tote proselthontes epebalon tas cheiras epi ton Iēsoun kai ekratēsan auton. 51 Kai idou heis tōn meta Iēsou ekteinas tēn cheira apespasen tēn machairan autou kai pataxas ton doulon tou archiereōs apheilen autou to ōtion. 52 tote legei autō ho Iēsous• apostrepson tēn machairan sou eis ton topon autēs• pantes gar hoi labontes machairan en machairē apolountai. 53 ē dokeis hoti ou dynamai parakalesai ton patera mou, kai parastēsei moi arti pleiō dōdeka legiōnas angelōn? 54 pōs oun plērōthōsin hai graphai hoti houtōs dei genesthai? 55 En ekeinē tē hōra eipen ho Iēsous tois ochlois• hōs epi lēstēn exēlthate meta machairōn kai xylōn syllabein me? kathʼ hēmeran en tō hierō ekathezomēn didaskōn kai ouk ekratēsate me. 56 touto de holon gegonen hina plērōthōsin hai graphai tōn prophētōn. Tote hoi mathētai pantes aphentes auton ephygon. 47 Et encore lui parlant, voici que Judas, un des douze, vint et avec lui une foule nombreuse avec des épées et des bâtons de chez les grands prêtres et les anciens du peuple. 48 Et celui qui est le livrant leur donna un signe disant: « Celui que j’embrasserai, c’est lui, saisissez-le. » 49 Et aussitôt s’approchant de Jésus, il dit: « Réjouis-toi, maître! », et il l’embrassa. 50 Et Jésus lui dit : « Ami! Passe à tout cela! » À ce moment-là, s’approchant, ils mirent les mains sur Jésus et le saisirent. 51 Et voici qu’un de ceux avec Jésus, ayant étendu la main tira dehors son épée et, ayant frappé le serviteur du grand prêtre, lui enleva l’oreille. 52 À ce moment-là lui dit Jésus : « Remets ton épée à sa place. Car tous ceux prenant une épée par l’épée périront. 53 Ou bien penses-tu que je ne suis pas capable d’appeler mon père, et il m’entourerait à l’instant de plus de douze légions d’anges? 54 Comment donc puissent s’accomplir les Écritures que de cette façon il est nécessaire qu’il arrive à l’existence. » 55 À cette heure-là dit Jésus à la foule : « Comme vers un voleur vous êtes sortis avec des épées et des bâtons pour m’attraper? Chaque jour dans le temple j’étais assis enseignant et vous ne vous êtes pas saisi de moi. 56 Tout cela était arrivé afin que s’accomplissent les Écritures des prophètes. » À ce moment-là tous les disciples, l’ayant laissé, s’enfuirent. 47 Il parlait encore quand Judas, un des Douze, arriva de chez les grands prêtres et les anciens du peuple avec une foule nombreuse portant épées et bâtons. 48 Celui qui allait leur remettre avait convenu d’un signe : « Celui que j’embrasserai, c’est lui, saisissez-le. » 49 Il s’approcha aussitôt de Jésus pour lui dire : « Salut, rabbi! » Puis, il l’embrassa. 50 Jésus lui répond : « Mon ami, passe à ce que tu as à faire. » Alors, ils s’approchèrent pour s’emparer de Jésus. 51 À ce moment, dégainant alors son épée, un des compagnons de Jésus frappa le serviteur du grand prêtre et lui enleva l’oreille. 52 Mais Jésus lui dit : « Remets l’épée dans son fourreau. Car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée. 53 Ne sais-tu pas que je pourrais faire appel à mon père afin qu’il m’envoie à l’instant même plus de douze légions d’anges? 54 Mais alors comment les Écritures, qui expliquent la nécessité des choses, deviendront-elles pleinement intelligibles? » 55 À ce moment, Jésus s’adressa à la foule : « Pourquoi êtes-vous sortis avec des épées et des bâtons pour m’attraper, comme si j’était un voleur? Pourtant j’étais assis chaque jour au temple à enseigner, et vous ne vous êtes pas saisi de moi. 56 Tous ces événements permettent de comprendre pleinement les Écritures des prophètes. » À ce moment-là, tous les disciples le laissèrent et s’enfuirent.
    57 Οἱ δὲ κρατήσαντες τὸν Ἰησοῦν ἀπήγαγον πρὸς Καϊάφαν τὸν ἀρχιερέα, ὅπου οἱ γραμματεῖς καὶ οἱ πρεσβύτεροι συνήχθησαν 58 ὁ δὲ Πέτρος ἠκολούθει αὐτῷ ἀπὸ μακρόθεν ἕως τῆς αὐλῆς τοῦ ἀρχιερέως καὶ εἰσελθὼν ἔσω ἐκάθητο μετὰ τῶν ὑπηρετῶν ἰδεῖν τὸ τέλος. 57 Hoi de kratēsantes ton Iēsoun apēgagon pros Kaiaphan ton archierea, hopou hoi grammateis kai hoi presbyteroi synēchthēsan. 58 ho de Petros ēkolouthei autō apo makrothen heōs tēs aulēs tou archiereōs kai eiselthōn esō ekathēto meta tōn hypēretōn idein to telos. 57 Eux, s’étant emparé de Jésus, l’amenèrent chez Caïphe le grand prêtre, là où les scribes et les anciens étaient réunis. 58 Pierre le suivait à distance jusqu’à la cour intérieure du grand prêtre, et étant entré à l’intérieur il était assis avec les serviteurs pour voir la fin. 57 Après s’en être emparé, ils l’emmenèrent chez le grand prêtre Caïphe où se trouvaient réunis scribes et anciens. 58 Pierre le suivait à distance jusqu’à la cour intérieure du grand prêtre. Une fois à l’intérieur, il était assis avec les serviteurs afin de voir le dénouement.
    59 Οἱ δὲ ἀρχιερεῖς καὶ τὸ συνέδριον ὅλον ἐζήτουν ψευδομαρτυρίαν κατὰ τοῦ Ἰησοῦ ὅπως αὐτὸν θανατώσωσιν, 60 καὶ οὐχ εὗρον πολλῶν προσελθόντων ψευδομαρτύρων. ὕστερον δὲ προσελθόντες δύο 61 εἶπαν• οὗτος ἔφη• δύναμαι καταλῦσαι τὸν ναὸν τοῦ θεοῦ καὶ διὰ τριῶν ἡμερῶν οἰκοδομῆσαι. 62 καὶ ἀναστὰς ὁ ἀρχιερεὺς εἶπεν αὐτῷ• οὐδὲν ἀποκρίνῃ τί οὗτοί σου καταμαρτυροῦσιν; 63 ὁ δὲ Ἰησοῦς ἐσιώπα. καὶ ὁ ἀρχιερεὺς εἶπεν αὐτῷ• ἐξορκίζω σε κατὰ τοῦ θεοῦ τοῦ ζῶντος ἵνα ἡμῖν εἴπῃς εἰ σὺ εἶ ὁ χριστὸς ὁ υἱὸς τοῦ θεοῦ. 64 λέγει αὐτῷ ὁ Ἰησοῦς• σὺ εἶπας. πλὴν λέγω ὑμῖν•
    ἀπʼ ἄρτι ὄψεσθε τὸν υἱὸν τοῦ ἀνθρώπου καθήμενον ἐκ δεξιῶν τῆς δυνάμεως καὶ ἐρχόμενον ἐπὶ τῶν νεφελῶν τοῦ οὐρανοῦ.
    65 τότε ὁ ἀρχιερεὺς διέρρηξεν τὰ ἱμάτια αὐτοῦ λέγων• ἐβλασφήμησεν• τί ἔτι χρείαν ἔχομεν μαρτύρων; ἴδε νῦν ἠκούσατε τὴν βλασφημίαν• 66 τί ὑμῖν δοκεῖ; οἱ δὲ ἀποκριθέντες εἶπαν• ἔνοχος θανάτου ἐστίν.
    59 Hoi de archiereis kai to synedrion holon ezētoun pseudomartyrian kata tou Iēsou hopōs auton thanatōsōsin, 60 kai ouch heuron pollōn proselthontōn pseudomartyrōn. hysteron de proselthontes dyo 61 eipan• houtos ephē• dynamai katalysai ton naon tou theou kai dia triōn hēmerōn oikodomēsai. 62 kai anastas ho archiereus eipen autō• ouden apokrinē ti houtoi sou katamartyrousin? 63 ho de Iēsous esiōpa. kai ho archiereus eipen autō• exorkizō se kata tou theou tou zōntos hina hēmin eipēs ei sy ei ho christos ho huios tou theou. 64 legei autō ho Iēsous• sy eipas. plēn legō hymin•
    apʼ arti opsesthe ton huion tou anthrōpou kathēmenon ek dexiōn tēs dynameōs kai erchomenon epi tōn nephelōn tou ouranou.
    65 tote ho archiereus dierrēxen ta himatia autou legōn• eblasphēmēsen• ti eti chreian echomen martyrōn? ide nyn ēkousate tēn blasphēmian• 66 ti hymin dokei? hoi de apokrithentes eipan• enochos thanatou estin.
    59 Les grands prêtres et tout le sanhédrin cherchaient un faux témoin contre Jésus sur la façon qu’ils puissent le mettre à mort, 60 et ils ne trouvèrent pas, beaucoup s’étant approché de faux témoins. Pour finir, s’étant approchés deux, 61 ils dirent: « Celui-là déclarait : je suis capable de détruire le temple de Dieu et en trois jours construire. » 62 S’étant levé le grand prêtre lui dit : « Rien tu ne réponds à ceux qui témoignent contre toi? » 63 Jésus gardait silence. Et le grand prêtre lui dit : « Je t’adjure par le Dieu le vivant afin que tu nous dises si tu es le messie le fils de Dieu. » 64 Lui dit Jésus: « Tu as dit. Toutefois je vous dis:
    désormais vous verrez le fils de l’homme assis à droite de la puissance et venant sur les nuages du ciel. »
    65 À ce moment-là le grand prêtre déchira ses vêtements disant : « Il a blasphémé. Quoi encore avons-nous besoin de témoins? Eh bien! Maintenant vous avez entendu le blasphème. 66 Quoi à vous il semble? » Eux ayant répondu dirent: il est passible de mort. »
    59 Les grands prêtres et tout le sanhédrin cherchaient un faux témoin contre Jésus afin de pouvoir le mettre à mort, 60 mais ils n’en trouvèrent pas, même si plusieurs se présentèrent pour témoigner faussement contre lui. À la fin, il s’en présenta deux 61 qui dirent : « Cette homme proclamait: je suis capable de détruire le temple, et en trois jours le reconstruire. » 62 Le grand prêtre se leva en disant : « Tu ne réponds rien à ceux qui témoignent contre toi? » 63 Jésus gardait le silence. Alors le grand prêtre lui dit : « Je t’adjure par le Dieu vivant, dis-nous si tu es le messie, le fils de Dieu. » 64 Jésus lui répond : « Tu l’as dit. Toutefois, je le déclare :
    Désormais vous verrez le nouvel Adam, assis à la droite de Dieu, et venant sur les nuées du ciel. »
    65 À ce moment, le grand prêtre déchira ses vêtements en disant : « Il a injurié Dieu. Pourquoi chercher encore des témoins? Vous voyez! Maintenant vous avez entendu l’injure. 66 Qu’est-ce que vous en pensez? Alors ils répondirent : « Il est passible de mort. »
    67 Τότε ἐνέπτυσαν εἰς τὸ πρόσωπον αὐτοῦ καὶ ἐκολάφισαν αὐτόν, οἱ δὲ ἐράπισαν 68 λέγοντες• προφήτευσον ἡμῖν, χριστέ, τίς ἐστιν ὁ παίσας σε; 67 Tote eneptysan eis to prosōpon autou kai ekolaphisan auton, hoi de erapisan 68 legontes• prophēteuson hēmin, christe, tis estin ho paisas se? 67 À ce moment-là ils crachèrent à son visage et lui donnèrent des coups de poing, eux ils giflèrent 68 disant : « Prophétise-nous, messie, qui est-ce qui est t’ayant frappe? » 67 Alors ils lui crachèrent au visage et lui assénèrent des coups de poing, et d’autres le giflèrent 68 en disant : « Fais le prophète pour nous, messie, qui est-ce qui t’a frappé? »
    69 Ὁ δὲ Πέτρος ἐκάθητο ἔξω ἐν τῇ αὐλῇ• καὶ προσῆλθεν αὐτῷ μία παιδίσκη λέγουσα• καὶ σὺ ἦσθα μετὰ Ἰησοῦ τοῦ Γαλιλαίου. 70 ὁ δὲ ἠρνήσατο ἔμπροσθεν πάντων λέγων• οὐκ οἶδα τί λέγεις. 71 ἐξελθόντα δὲ εἰς τὸν πυλῶνα εἶδεν αὐτὸν ἄλλη καὶ λέγει τοῖς ἐκεῖ• οὗτος ἦν μετὰ Ἰησοῦ τοῦ Ναζωραίου. 72 καὶ πάλιν ἠρνήσατο μετὰ ὅρκου ὅτι οὐκ οἶδα τὸν ἄνθρωπον. 73 μετὰ μικρὸν δὲ προσελθόντες οἱ ἑστῶτες εἶπον τῷ Πέτρῳ• ἀληθῶς καὶ σὺ ἐξ αὐτῶν εἶ, καὶ γὰρ ἡ λαλιά σου δῆλόν σε ποιεῖ. 74 τότε ἤρξατο καταθεματίζειν καὶ ὀμνύειν ὅτι οὐκ οἶδα τὸν ἄνθρωπον. καὶ εὐθέως ἀλέκτωρ ἐφώνησεν. 69 Ho de Petros ekathēto exō en tē aulē• kai prosēlthen autō mia paidiskē legousa• kai sy ēstha meta Iēsou tou Galilaiou. 70 ho de ērnēsato emprosthen pantōn legōn• ouk oida ti legeis. 71 exelthonta de eis ton pylōna eiden auton allē kai legei tois ekei• houtos ēn meta Iēsou tou Nazōraiou. 72 kai palin ērnēsato meta horkou hoti ouk oida ton anthrōpon. 73 meta mikron de proselthontes hoi hestōtes eipon tō Petrō• alēthōs kai sy ex autōn ei, kai gar hē lalia sou dēlon se poiei. 74 tote ērxato katathematizein kai omnyein hoti ouk oida ton anthrōpon. kai eutheōs alektōr ephōnēsen. 69 Pierre était assis dehors dans la cour du palais. Et s’approcha de lui une servante disant : « Et toi, tu étais avec Jésus le Galiléen. » 70 Lui, il nia devant tous disant: « Je ne sais pas ce que tu dis. » 71 Étant sorti vers la grande porte, le vit une autre, et dit à ceux qui étaient là : « Celui-là était avec Jésus le Nazôréen. » 72 Et de nouveau il nia avec serment : « Je ne connais pas l’homme. » 73 Après un peu de temps s’étant approchés ceux qui se tenaient debout dirent à Pierre : « Vraiment toi aussi l’un d’eux tu es, et car ton accent visible te fait. » 74 À ce moment-là il commença à fulminer et à jurer qu’il ne connaissait pas l’homme. Et aussitôt un coq fit entendre sa voix. 69 Pierre était assis dehors dans la cour du palais. Une servante s’approcha de lui pour lui dire : « Toi, tu étais avec Jésus le Galiléen. » 70 Devant tous Pierre nia : « Je ne sais pas ce que tu veux dire. » 71 Comme il sortait par la grande porte, une autre servante le vit et s’adressa à ceux qui étaient là : « Celui-là était avec Jésus le Nazôréen. » 72 De nouveau, Pierre nia avec serment : « Je ne connais pas cet homme. » 73 Après un peu de temps, les gens qui se tenaient là dirent à Pierre : « Oui, toi aussi, tu es l’un d’eux. D’ailleurs, ton accent te trahit. » 74 À ce moment, Pierre commença à fulminer et à jurer qu’il ne connaissait pas l’homme. Et aussitôt, le coq chanta.
    75 καὶ ἐμνήσθη ὁ Πέτρος τοῦ ῥήματος Ἰησοῦ εἰρηκότος ὅτι πρὶν ἀλέκτορα φωνῆσαι τρὶς ἀπαρνήσῃ με• καὶ ἐξελθὼν ἔξω ἔκλαυσεν πικρῶς. 75 kai emnēsthē ho Petros tou rhēmatos Iēsou eirēkotos hoti prin alektora phōnēsai tris aparnēsē me• kai exelthōn exō eklausen pikrōs. 75 Et se rappela Pierre de la parole de Jésus qui lui avait été dite : avant qu’un coq fasse entendre sa voix trois fois tu m’auras renié. Et étant sorti dehors il pleura amèrement. 75 C’est alors que Pierre se rappela de la parole de Jésus : avant qu’un coq chante, trois fois tu auras nié me connaître. Après être sorti dehors, il pleura amèrement.
    27, 1 Πρωΐας δὲ γενομένης συμβούλιον ἔλαβον πάντες οἱ ἀρχιερεῖς καὶ οἱ πρεσβύτεροι τοῦ λαοῦ κατὰ τοῦ Ἰησοῦ ὥστε θανατῶσαι αὐτόν• 2 καὶ δήσαντες αὐτὸν ἀπήγαγον καὶ παρέδωκαν Πιλάτῳ τῷ ἡγεμόνι. 27, 1 Prōias de genomenēs symboulion elabon pantes hoi archiereis kai hoi presbyteroi tou laou kata tou Iēsou hōste thanatōsai auton• 2 kai dēsantes auton apēgagon kai paredōkan Pilatō tō hēgemoni. 27, 1 L’aube étant arrivé, tinrent conseil tous les grands prêtres et les anciens du peuple contre Jésus de la façon le faire mourir. 2 Et l’ayant attaché, ils emmenèrent et livrèrent à Pilate le gouverneur 27, 1 À l’aube, tous les grands prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus sur la façon de le faire mourir. 2 Après l’avoir attaché, ils l’emmenèrent et le livrèrent au gouverneur Pilate.
    3 Τότε ἰδὼν Ἰούδας ὁ παραδιδοὺς αὐτὸν ὅτι κατεκρίθη, μεταμεληθεὶς ἔστρεψεν τὰ τριάκοντα ἀργύρια τοῖς ἀρχιερεῦσιν καὶ πρεσβυτέροις 4 λέγων• ἥμαρτον παραδοὺς αἷμα ἀθῷον. οἱ δὲ εἶπαν• τί πρὸς ἡμᾶς; σὺ ὄψῃ. 5 καὶ ῥίψας τὰ ἀργύρια εἰς τὸν ναὸν ἀνεχώρησεν, καὶ ἀπελθὼν ἀπήγξατο. 6 Οἱ δὲ ἀρχιερεῖς λαβόντες τὰ ἀργύρια εἶπαν• οὐκ ἔξεστιν βαλεῖν αὐτὰ εἰς τὸν κορβανᾶν, ἐπεὶ τιμὴ αἵματός ἐστιν. 7 συμβούλιον δὲ λαβόντες ἠγόρασαν ἐξ αὐτῶν τὸν ἀγρὸν τοῦ κεραμέως εἰς ταφὴν τοῖς ξένοις. 8 διὸ ἐκλήθη ὁ ἀγρὸς ἐκεῖνος ἀγρὸς αἵματος ἕως τῆς σήμερον. 9 τότε ἐπληρώθη τὸ ῥηθὲν διὰ Ἰερεμίου τοῦ προφήτου λέγοντος•
    καὶ ἔλαβον τὰ τριάκοντα ἀργύρια, τὴν τιμὴν τοῦ τετιμημένου ὃν ἐτιμήσαντο ἀπὸ υἱῶν Ἰσραήλ, 10 καὶ ἔδωκαν αὐτὰ εἰς τὸν ἀγρὸν τοῦ κεραμέως, καθὰ συνέταξέν μοι κύριος.
    3 Tote idōn Ioudas ho paradidous auton hoti katekrithē, metamelētheis estrepsen ta triakonta argyria tois archiereusin kai presbyterois 4 legōn• hēmarton paradous haima athōon. hoi de eipan• ti pros hēmas? sy opsē. 5 kai rhipsas ta argyria eis ton naon anechōrēsen, kai apelthōn apēnxato. 6 Hoi de archiereis labontes ta argyria eipan• ouk exestin balein auta eis ton korbanan, epei timē haimatos estin. 7 symboulion de labontes ēgorasan ex autōn ton agron tou kerameōs eis taphēn tois xenois. 8 dio eklēthē ho agros ekeinos agros haimatos heōs tēs sēmeron. 9 tote eplērōthē to rhēthen dia Ieremiou tou prophētou legontos•
    kai elabon ta triakonta argyria, tēn timēn tou tetimēmenou hon etimēsanto apo huiōn Israēl, 10 kai edōkan auta eis ton agron tou kerameōs, katha synetaxen moi kyrios.
    3 À ce moment-là Judas, ayant vu que celui qu’il avait livré avait été condamné, s’étant repenti, retourna les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens 4 disant : « j’ai péché livrant un sang innocent. » Eux dirent : « quoi pour nous? Toi tu verras. » 5 Et ayant rejeté les pièces d’argent dans le temple se retira, et étant parti se pendit. 6 Les grands prêtres, ayant pris les pièces d’argent, dirent : « il n’est pas permis de déposer cela dans le trésor du temple, puisque c’est le salaire du sang. » 7 Ayant tenu conseil, ils achetèrent avec cela le champ du potier pour sépulture des étrangers. 8 C’est pourquoi ce champ a été appelé champ du sang jusqu’à ce jour. 9 À ce moment-là, s’accomplit la parole de Jérémie le prophète disant :
    Ils prirent les trente pièces d’argent, le salaire de ce qui a été estimé qu’ont estimé les fils d’Israël. 10 Et ils donnèrent cela pour le champ du potier, selon ce qu’a prescrit le Seigneur.
    3 Pendant ce temps, Judas, après avoir vu, que celui qu’il avait remis aux autorités, avait été condamné, se repentit et alla retourner les cinq cent dollars aux grands prêtres et aux anciens 4 avec ces mots : « J’ai erré en remettant un être innocent. » On lui rétorqua : « Que veux-tu que ça nous fasse? C’est ton problème. » 5 Après avoir jeté l’argent dans le temple, il se retira et alla se pendre. 6 Ramassant l’argent, les grands prêtres se dirent : « Il n’est pas permis de déposer ça dans le trésor du temple, car c’est le salaire du sang. 7 Après avoir tenu conseil, ils achetèrent avec l’argent le champ du potier pour la sépulture des étrangers. 8 C’est pourquoi ce champ a été appelé « champ du sang » jusqu’à ce jour. 9 Alors on comprit la parole de Jérémie le prophète qui disait :
    Ils prirent les trente pièces d’argent, le salaire estimé par les fils d’Israël. 10 Ils utilisèrent cela pour le champ du potier, comme l’avait prescrit le Seigneur.
    11 Ὁ δὲ Ἰησοῦς ἐστάθη ἔμπροσθεν τοῦ ἡγεμόνος• καὶ ἐπηρώτησεν αὐτὸν ὁ ἡγεμὼν λέγων• σὺ εἶ ὁ βασιλεὺς τῶν Ἰουδαίων; ὁ δὲ Ἰησοῦς ἔφη• σὺ λέγεις. 12 καὶ ἐν τῷ κατηγορεῖσθαι αὐτὸν ὑπὸ τῶν ἀρχιερέων καὶ πρεσβυτέρων οὐδὲν ἀπεκρίνατο. 13 τότε λέγει αὐτῷ ὁ Πιλᾶτος• οὐκ ἀκούεις πόσα σου καταμαρτυροῦσιν; 14 καὶ οὐκ ἀπεκρίθη αὐτῷ πρὸς οὐδὲ ἓν ῥῆμα, ὥστε θαυμάζειν τὸν ἡγεμόνα λίαν. 11 HO de Iēsous estathē emprosthen tou hēgemonos• kai epērōtēsen auton ho hēgemōn legōn• sy ei ho basileus tōn Ioudaiōn? ho de Iēsous ephē• sy legeis. 12 kai en tō katēgoreisthai auton hypo tōn archiereōn kai presbyterōn ouden apekrinato. 13 tote legei autō ho Pilatos• ouk akoueis posa sou katamartyrousin? 14 kai ouk apekrithē autō pros oude hen rhēma, hōste thaumazein ton hēgemona lian. 11 Jésus se tint devant le gouverneur. Et l’interrogea le gouverneur disant : « Tu es le roi des Juifs? » Jésus déclarait: « Tu le dis. » 12 Et dans le fait d’être accusé par les grands prêtres et les anciens, il ne répondit rien. 13 À ce moment-là Pilate lui dit : « Tu n’entends pas tous ceux qui témoignent contre toi? » 14 Et il ne lui répondit pour rien en parole, au point d’étonner grandement le gouverneur. 11 Jésus se tint devant le gouverneur. Ce dernier l’interrogea : « Es-tu le roi des Juifs? » Jésus répondit : « C’est toi qui le dit. » 12 Face aux accusations des grands prêtres et des anciens, il ne répondit rien. 13 Alors Pilate lui dit : « Tu n’entends pas tous ceux qui témoignent contre toi? » 14 Mais Jésus ne répondit sur rien, si bien que le gouverneur en était grandement étonné.
    15 Κατὰ δὲ ἑορτὴν εἰώθει ὁ ἡγεμὼν ἀπολύειν ἕνα τῷ ὄχλῳ δέσμιον ὃν ἤθελον. 16 εἶχον δὲ τότε δέσμιον ἐπίσημον λεγόμενον [Ἰησοῦν] Βαραββᾶν. 17 συνηγμένων οὖν αὐτῶν εἶπεν αὐτοῖς ὁ Πιλᾶτος• τίνα θέλετε ἀπολύσω ὑμῖν, [Ἰησοῦν τὸν] Βαραββᾶν ἢ Ἰησοῦν τὸν λεγόμενον χριστόν; 18 ᾔδει γὰρ ὅτι διὰ φθόνον παρέδωκαν αὐτόν. 15 Kata de heortēn eiōthei ho hēgemōn apolyein hena tō ochlō desmion hon ēthelon. 16 eichon de tote desmion episēmon legomenon [Iēsoun] Barabban. 17 synēgmenōn oun autōn eipen autois ho Pilatos• tina thelete apolysō hymin, [Iēsoun ton] Barabban ē Iēsoun ton legomenon christon? 18 ēdei gar hoti dia phthonon paredōkan auton. 15 Au temps de la fête, le gouverneur avait l’habitude de libérer un prisonnier que la foule voulait. 16 À ce moment-là ils avaient un prisonnier fameux appelé [Jésus] Barabbas. 17 Eux étant donc rassemblés, Pilate leur dit : « Lequel voulez-vous que je vous libère, [Jésus] Barabbas ou Jésus appelé messie? » 18 Car il savait que c’était par jalousie qu’ils l’avaient livré. 15 À la fête de la Pâque, le gouverneur avait l’habitude de libérer un prisonnier que la foule choisissait. 16 Or, il y avait un prisonnier fameux, appelé [Jésus] Barabbas. 17 Alors que les gens était rassemblés, Pilate leur demanda : « Lequel voulez-vous que je vous libère, [Jésus] Barabbas ou Jésus appelé messie? » 18 Car il savait que c’était par jalousie qu’on l’avait livré.
    19 Καθημένου δὲ αὐτοῦ ἐπὶ τοῦ βήματος ἀπέστειλεν πρὸς αὐτὸν ἡ γυνὴ αὐτοῦ λέγουσα• μηδὲν σοὶ καὶ τῷ δικαίῳ ἐκείνῳ• πολλὰ γὰρ ἔπαθον σήμερον κατʼ ὄναρ διʼ αὐτόν. 20 Οἱ δὲ ἀρχιερεῖς καὶ οἱ πρεσβύτεροι ἔπεισαν τοὺς ὄχλους ἵνα αἰτήσωνται τὸν Βαραββᾶν, τὸν δὲ Ἰησοῦν ἀπολέσωσιν. 21 ἀποκριθεὶς δὲ ὁ ἡγεμὼν εἶπεν αὐτοῖς• τίνα θέλετε ἀπὸ τῶν δύο ἀπολύσω ὑμῖν; οἱ δὲ εἶπαν• τὸν Βαραββᾶν. 22 λέγει αὐτοῖς ὁ Πιλᾶτος• τί οὖν ποιήσω Ἰησοῦν τὸν λεγόμενον χριστόν; λέγουσιν πάντες• σταυρωθήτω. 23 ὁ δὲ ἔφη• τί γὰρ κακὸν ἐποίησεν; οἱ δὲ περισσῶς ἔκραζον λέγοντες• σταυρωθήτω. 24 Ἰδὼν δὲ ὁ Πιλᾶτος ὅτι οὐδὲν ὠφελεῖ ἀλλὰ μᾶλλον θόρυβος γίνεται, λαβὼν ὕδωρ ἀπενίψατο τὰς χεῖρας ἀπέναντι τοῦ ὄχλου λέγων• ἀθῷός εἰμι ἀπὸ τοῦ αἵματος τούτου• ὑμεῖς ὄψεσθε. 25 καὶ ἀποκριθεὶς πᾶς ὁ λαὸς εἶπεν• τὸ αἷμα αὐτοῦ ἐφʼ ἡμᾶς καὶ ἐπὶ τὰ τέκνα ἡμῶν. 26 τότε ἀπέλυσεν αὐτοῖς τὸν Βαραββᾶν, τὸν δὲ Ἰησοῦν φραγελλώσας παρέδωκεν ἵνα σταυρωθῇ. 19 Kathēmenou de autou epi tou bēmatos apesteilen pros auton hē gynē autou legousa• mēden soi kai tō dikaiō ekeinō• polla gar epathon sēmeron katʼ onar diʼ auton. 20 Hoi de archiereis kai hoi presbyteroi epeisan tous ochlous hina aitēsōntai ton Barabban, ton de Iēsoun apolesōsin. 21 apokritheis de ho hēgemōn eipen autois• tina thelete apo tōn dyo apolysō hymin? hoi de eipan• ton Barabban. 22 legei autois ho Pilatos• ti oun poiēsō Iēsoun ton legomenon christon? legousin pantes• staurōthētō. 23 ho de ephē• ti gar kakon epoiēsen? hoi de perissōs ekrazon legontes• staurōthētō. 24 Idōn de ho Pilatos hoti ouden ōphelei alla mallon thorybos ginetai, labōn hydōr apenipsato tas cheiras apenanti tou ochlou legōn• athōos eimi apo tou haimatos 1toutou• hymeis opsesthe. 25 kai apokritheis pas ho laos eipen• to haima autou ephʼ hēmas kai epi ta tekna hēmōn. 26 tote apelysen autois ton Barabban, ton de Iēsoun phragellōsas paredōken hina staurōthē. 19 Lui, étant assis au tribunal, sa femme envoya vers lui disant: « Rien à toi et ce juste-là. Car beaucoup j’ai souffert aujourd’hui selon un rêve à son sujet. » 20 Les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules afin qu’ils réclament Barabbas, et qu’ils fassent périr Jésus. 21 Le gouverneur ayant répondu, il leur dit : « Lequel voulez-vous des deux que je vous libère? » Eux dirent : « Barabbas ». 22 Pilate leur dit : « Quoi donc je ferai Jésus appelé messie? » Tous dirent : « Qu’il soit crucifié. » 23 Lui, il déclarait: « Car quoi mauvais il a fait? » Eux plus violemment criaient disant : « Qu’il soit crucifié. » 24 Pilate, ayant vu qu’il ne servait à rien mais que le tumulte est plus grand, ayant pris de l’eau se lava les mains devant la foule disant: « Innocent je suis de ce sang. Vous-mêmes voyez. » 25 Et ayant répondu, tout le peuple dit : « Que son sang sur nous et nos enfants. » 26 À ce moment-là il leur libéra Barabbas, et ayant fait flageller Jésus il livra afin qu’il soit crucifié. 19 Alors qu’il siégeait au tribunal, sa femme lui envoya un message qui disait : « N’aie rien à voir avec ce juste. Car j’ai été aujourd’hui très bouleversé par un rêve à son sujet. » 20 Mais les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules de réclamer Barabbas et faire périr Jésus. 21 Le gouverneur leur demanda : « Lequel des deux voulez-vous que je vous libère? » Les gens dirent : « Barabbas ». 22 Pilate leur dit : « Que ferai-je donc de Jésus, appelé messie? » Tous répondirent : « Qu’il soit crucifié. » 23 Pilate reprit : « Mais qu’a-t-il fait de mal? » Ils criaient plus violemment : « Qu’il soit crucifié. » 24 S’apercevant qu’il ne servait à rien de continuer, mais que les choses s’envenimaient davantage, Pilate prît de l’eau et se lava les mains devant la foule avec ces mots : « Je suis innocent de ce sang. À vous d’y voir. » 25 Tout le peuple répondit : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants. » 26 Alors il leur libéra Barabbas, et après avoir fait flageller Jésus, il leur livra pour qu’il soit crucifié.
    27 Τότε οἱ στρατιῶται τοῦ ἡγεμόνος παραλαβόντες τὸν Ἰησοῦν εἰς τὸ πραιτώριον συνήγαγον ἐπʼ αὐτὸν ὅλην τὴν σπεῖραν. 28 καὶ ἐκδύσαντες αὐτὸν χλαμύδα κοκκίνην περιέθηκαν αὐτῷ, 29 καὶ πλέξαντες στέφανον ἐξ ἀκανθῶν ἐπέθηκαν ἐπὶ τῆς κεφαλῆς αὐτοῦ καὶ κάλαμον ἐν τῇ δεξιᾷ αὐτοῦ, καὶ γονυπετήσαντες ἔμπροσθεν αὐτοῦ ἐνέπαιξαν αὐτῷ λέγοντες• χαῖρε, βασιλεῦ τῶν Ἰουδαίων, 30 καὶ ἐμπτύσαντες εἰς αὐτὸν ἔλαβον τὸν κάλαμον καὶ ἔτυπτον εἰς τὴν κεφαλὴν αὐτοῦ. 31 καὶ ὅτε ἐνέπαιξαν αὐτῷ, ἐξέδυσαν αὐτὸν τὴν χλαμύδα καὶ ἐνέδυσαν αὐτὸν τὰ ἱμάτια αὐτοῦ καὶ ἀπήγαγον αὐτὸν εἰς τὸ σταυρῶσαι. 32 Ἐξερχόμενοι δὲ εὗρον ἄνθρωπον Κυρηναῖον ὀνόματι Σίμωνα, τοῦτον ἠγγάρευσαν ἵνα ἄρῃ τὸν σταυρὸν αὐτοῦ. 27 Tote hoi stratiōtai tou hēgemonos paralabontes ton Iēsoun eis to praitōrion synēgagon epʼ auton holēn tēn speiran. 28 kai ekdysantes auton chlamyda kokkinēn periethēkan autō, 29 kai plexantes stephanon ex akanthōn epethēkan epi tēs kephalēs autou kai kalamon en tē dexia autou, kai gonypetēsantes emprosthen autou enepaixan autō legontes• chaire, basileu tōn Ioudaiōn, 30 kai emptysantes eis auton elabon ton kalamon kai etypton eis tēn kephalēn autou. 31 kai hote enepaixan autō, exedysan auton tēn chlamyda kai enedysan auton ta himatia autou kai apēgagon auton eis to staurōsai. 32 Exerchomenoi de heuron anthrōpon Kyrēnaion onomati Simōna, touton ēngareusan hina arē ton stauron autou. 27 À ce moment-là les soldats du gouverneur ayant pris avec eux Jésus vers le prétoire assemblèrent sur lui toute la cohorte. 28 Et l’ayant dévêtu, ils lui mirent tout autour une chlamyde écarlate, 29 et ayant tressé une couronne à partir de ronces, ils mirent sur sa tête et un roseau dans sa droite, et s’étant agenouillé devant lui, ils se moquèrent de lui en disant: « Réjouis-toi, roi des Juifs. » 30 Et ayant craché vers lui, ils prirent le roseau et frappèrent à sa tête. 31 Et quand ils se moquèrent de lui, ils le dévêtir de sa chlamyde et le vêtirent de sa tunique et l’emmenèrent pour crucifier. 32 Sortant, ils trouvèrent un homme de Cyrène du nom de Simon. Ils réquisitionnèrent celui-ci afin qu’il porte sa croix. 27 Les soldats du gouverneur emmenèrent alors Jésus au prétoire et rassemblèrent toute la cohorte. 28 Après l’avoir dévêtu, ils lui mirent un manteau écarlate, 29 puis, après avoir tressé une couronne à partir de ronces, ils la lui mirent sur la tête ainsi qu’un roseau dans sa main droite. S’étant agenouillé devant lui, ils se moquèrent : « Salut, roi des Juifs. » 30 Ils crachèrent sur lui et le frappèrent à la tête avec le roseau. 31 Quand ils se furent moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau pourpre et lui remirent son propre manteau, et l’emmenèrent pour le crucifier. 32 En sortant, ils trouvèrent un homme de Cyrène du nom de Simon. Ils le réquisitionnèrent pour porter sa croix.
    33 Καὶ ἐλθόντες εἰς τόπον λεγόμενον Γολγοθᾶ, ὅ ἐστιν Κρανίου Τόπος λεγόμενος, 34 ἔδωκαν αὐτῷ πιεῖν οἶνον μετὰ χολῆς μεμιγμένον• καὶ γευσάμενος οὐκ ἠθέλησεν πιεῖν. 35 Σταυρώσαντες δὲ αὐτὸν διεμερίσαντο τὰ ἱμάτια αὐτοῦ βάλλοντες κλῆρον, 36 καὶ καθήμενοι ἐτήρουν αὐτὸν ἐκεῖ. 37 Καὶ ἐπέθηκαν ἐπάνω τῆς κεφαλῆς αὐτοῦ τὴν αἰτίαν αὐτοῦ γεγραμμένην• οὗτός ἐστιν Ἰησοῦς ὁ βασιλεὺς τῶν Ἰουδαίων. 33 Kai elthontes eis topon legomenon Golgotha, ho estin Kraniou Topos legomenos, 34 edōkan autō piein oinon meta cholēs memigmenon• kai geusamenos ouk ēthelēsen piein. 35 Staurōsantes de auton diemerisanto ta himatia autou ballontes klēron, 36 kai kathēmenoi etēroun auton ekei. 37 Kai epethēkan epanō tēs kephalēs autou tēn aitian autou gegrammenēn• houtos estin Iēsous ho basileus tōn Ioudaiōn. 33 Et étant allé en un lieu appelé Golgotha, celui qui est appelé lieu du crâne, 34 ils lui donnèrent à boire du vin mélangé avec du fiel. Et ayant goûté, il ne voulut pas boire. 35 L’ayant crucifié ils se séparèrent ses vêtements, jetant un sort. 36 Et assis, ils veillaient sur lui là. 37 Et ils posèrent au-dessus de sa tête son accusation qui avait été écrit : Celui-ci est Jésus le roi des Juifs. 33 Parvenu à un lieu, appelé Golgotha, c’est-à-dire lieu du crâne, 34 ils lui donnèrent à boire du vin mélangé avec du fiel. Après avoir goûté, il n’en voulu pas. 35 Après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en les tirant au sort. 36 Et assis, ils assuraient la garde. 37 On posa au-dessus de la tête de Jésus son acte d’accusation rédigé ainsi : Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs.
    38 Τότε σταυροῦνται σὺν αὐτῷ δύο λῃσταί, εἷς ἐκ δεξιῶν καὶ εἷς ἐξ εὐωνύμων. 39 Οἱ δὲ παραπορευόμενοι ἐβλασφήμουν αὐτὸν κινοῦντες τὰς κεφαλὰς αὐτῶν 40 καὶ λέγοντες• ὁ καταλύων τὸν ναὸν καὶ ἐν τρισὶν ἡμέραις οἰκοδομῶν, σῶσον σεαυτόν, εἰ υἱὸς εἶ τοῦ θεοῦ, [καὶ] κατάβηθι ἀπὸ τοῦ σταυροῦ. 41 ὁμοίως καὶ οἱ ἀρχιερεῖς ἐμπαίζοντες μετὰ τῶν γραμματέων καὶ πρεσβυτέρων ἔλεγον• 42 ἄλλους ἔσωσεν, ἑαυτὸν οὐ δύναται σῶσαι• βασιλεὺς Ἰσραήλ ἐστιν, καταβάτω νῦν ἀπὸ τοῦ σταυροῦ καὶ πιστεύσομεν ἐπʼ αὐτόν. 43 πέποιθεν ἐπὶ τὸν θεόν, ῥυσάσθω νῦν εἰ θέλει αὐτόν• εἶπεν γὰρ ὅτι θεοῦ εἰμι υἱός. 44 Τὸ δʼ αὐτὸ καὶ οἱ λῃσταὶ οἱ συσταυρωθέντες σὺν αὐτῷ ὠνείδιζον αὐτόν. 38 Tote staurountai syn autō dyo lēstai, heis ek dexiōn kai heis ex euōnymōn. 39 Hoi de paraporeuomenoi eblasphēmoun auton kinountes tas kephalas autōn 40 kai legontes• ho katalyōn ton naon kai en trisin hēmerais oikodomōn, sōson seauton, ei huios ei tou theou, [kai] katabēthi apo tou staurou. 41 homoiōs kai hoi archiereis empaizontes meta tōn grammateōn kai presbyterōn elegon• 42 allous esōsen, heauton ou dynatai sōsai• basileus Israēl estin, katabatō nyn apo tou staurou kai pisteusomen epʼ auton. 43 pepoithen epi ton theon, rhysasthō nyn ei thelei auton• eipen gar hoti theou eimi huios. 44 To dʼ auto kai hoi lēstai hoi systaurōthentes syn autō ōneidizon auton. 38 À ce moment-là sont crucifiés avec lui deux brigands, un à la droite et un à gauche. 39 Eux, passant, l’injuriaient agitant leur tête 40 et disant: « Celui qui détruit le temple et en trois jours construisant, libère-toi toi-même, si tu es fils de Dieu, [et] descends de la croix. » 41 Et pareillement les grands prêtres se moquant avec les scribes et les anciens disaient: 42 « D’autres il a sauvé, il n’est pas capable de se sauver lui-même. Il est roi d’Israël, descends maintenant de la croix et nous croirons en lui. 43 Il a convaincu Dieu, qu’il le libère maintenant s’il le désire. Car il a dit que je suis fils de Dieu. » 44 Les brigands aussi avec lui, ceux qui avaient été crucifiés avec lui l’injuriaient. 38 On crucifie alors avec lui deux bandits, un à droite, l’autre à gauche. 39 Les passants l’injuriaient en agitant la tête 40 et disaient : « Toi qui détruis le temple et le reconstruis en trois jours, libère-toi toi-même, si tu es fils de Dieu, et descends de la croix. » 41 De la même façon, les grands prêtres avec les scribes et les anciens se moquaient avec ces mots : 42 « Il en a libéré d’autres, il n’est même pas capable de se libérer lui-même. Il est roi d’Israël, qu’il descende de la croix, et alors nous croirons en lui. 43 Il s’est fié à Dieu, qu’Il le libère maintenant s’Il tient à lui. Car n’a-t-il pas dit : je suis fils de Dieu? » 44 Les bandits qui avaient été crucifiés avec lui l’injuriaient tout autant.
    45 Ἀπὸ δὲ ἕκτης ὥρας σκότος ἐγένετο ἐπὶ πᾶσαν τὴν γῆν ἕως ὥρας ἐνάτης. 46 περὶ δὲ τὴν ἐνάτην ὥραν ἀνεβόησεν ὁ Ἰησοῦς φωνῇ μεγάλῃ λέγων•
    ηλι ηλι λεμα σαβαχθανι;
    τοῦτʼ ἔστιν•
    θεέ μου θεέ μου, ἱνατί με ἐγκατέλιπες;
    47 τινὲς δὲ τῶν ἐκεῖ ἑστηκότων ἀκούσαντες ἔλεγον ὅτι Ἠλίαν φωνεῖ οὗτος. 48 καὶ εὐθέως δραμὼν εἷς ἐξ αὐτῶν καὶ λαβὼν σπόγγον πλήσας τε ὄξους καὶ περιθεὶς καλάμῳ ἐπότιζεν αὐτόν. 49 οἱ δὲ λοιποὶ ἔλεγον• ἄφες ἴδωμεν εἰ ἔρχεται Ἠλίας σώσων αὐτόν. 50 ὁ δὲ Ἰησοῦς πάλιν κράξας φωνῇ μεγάλῃ ἀφῆκεν τὸ πνεῦμα.
    45 Apo de hektēs hōras skotos egeneto epi pasan tēn gēn heōs hōras enatēs. 46 peri de tēn enatēn hōran aneboēsen ho Iēsous phōnē megalē legōn•
    ēli ēli lema sabachthani?
    toutʼ estin•
    thee mou thee mou, hinati me enkatelipes?
    47 tines de tōn ekei hestēkotōn akousantes elegon hoti Ēlian phōnei houtos. 48 kai eutheōs dramōn heis ex autōn kai labōn spongon plēsas te oxous kai peritheis kalamō epotizen auton. 49 hoi de loipoi elegon• aphes idōmen ei erchetai Ēlias sōsōn auton. 50 ho de Iēsous palin kraxas phōnē megalē aphēken to pneuma.
    45 À partir de la sixième heure, l’obscurité vint sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure. 46 Vers la neuvième heure Jésus s’écria d’une voix forte, disant :
    « Eli, Eli, lema sabachthani? »
    cela est :
    « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? »
    47 Certains de ceux qui s’étaient tenus là, entendant, dirent : « Celui-là appelle Élie. » 48 Et aussitôt, ayant couru un d’eux et ayant pris une éponge remplie de vinaigre et entourant un roseau il lui donnait à boire. 49 Les autres dirent : « Laisse, voyons si Élie vient le sauvant. » 50 Jésus de nouveau, criant d’une voix forte, rendit l’esprit.
    45 À partir de midi, l’obscurité s’étendit sur toute la terre jusqu’à trois heures. 46 Vers trois heures, Jésus s’écria d’une voix forte :
    « Eli, Eli, lema sabachthani? »
    c’est-à-dire :
    « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? »
    47 Des gens qui s’étaient tenus là l’entendirent et dirent : « Il appelle Élie, celui-là. » 48 L’un d’eux accourut aussitôt et, après avoir mis une éponge remplie de vinaigre autour d’un roseau, lui donnait à boire. 49 Les autres dirent: « Laisse faire, voyons si Élie viendra le libérer. » 50 De nouveau, Jésus cria d’une voix forte et rendit l’esprit.
    51 Καὶ ἰδοὺ τὸ καταπέτασμα τοῦ ναοῦ ἐσχίσθη ἀπʼ ἄνωθεν ἕως κάτω εἰς δύο καὶ ἡ γῆ ἐσείσθη καὶ αἱ πέτραι ἐσχίσθησαν, 52 καὶ τὰ μνημεῖα ἀνεῴχθησαν καὶ πολλὰ σώματα τῶν κεκοιμημένων ἁγίων ἠγέρθησαν, 53 καὶ ἐξελθόντες ἐκ τῶν μνημείων μετὰ τὴν ἔγερσιν αὐτοῦ εἰσῆλθον εἰς τὴν ἁγίαν πόλιν καὶ ἐνεφανίσθησαν πολλοῖς. 51 Kai idou to katapetasma tou naou eschisthē apʼ anōthen heōs katō eis dyo kai hē gē eseisthē kai hai petrai eschisthēsan, 52 kai ta mnēmeia aneōchthēsan kai polla sōmata tōn kekoimēmenōn hagiōn ēgerthēsan, 53 kai exelthontes ek tōn mnēmeiōn meta tēn egersin autou eisēlthon eis tēn hagian polin kai enephanisthēsan pollois. 51 Et voici que le voile du temple se déchira d’en haut jusqu’en bas en deux et la terre fut secoué et les pierres se fendirent, 52 et les tombeaux s’ouvrirent et plusieurs corps des saints qui s’étaient endormis se réveillèrent, 53 et étant sortis des tombeaux avec leur réveil, entrèrent dans la ville sainte et se firent voir à plusieurs. 51 Et voici que le voile du temple se déchira en deux du haut en bas, la terre se mit à trembler et les pierres à se fendre, 52 les tombeaux s’ouvrirent et plusieurs corps des saints, qui s’étaient endormis, se réveillèrent, 53 sortirent des tombeaux après leur réveil et entrèrent dans la ville sainte pour se faire voir à beaucoup de gens.
    54 Ὁ δὲ ἑκατόνταρχος καὶ οἱ μετʼ αὐτοῦ τηροῦντες τὸν Ἰησοῦν ἰδόντες τὸν σεισμὸν καὶ τὰ γενόμενα ἐφοβήθησαν σφόδρα, λέγοντες• ἀληθῶς θεοῦ υἱὸς ἦν οὗτος. 54 HO de hekatontarchos kai hoi metʼ autou tērountes ton Iēsoun idontes ton seismon kai ta genomena ephobēthēsan sphodra, legontes• alēthōs theou huios ēn houtos. 54 Le centurion et ceux avec lui gardant Jésus, ayant vu le tremblement de terre et les événements, furent fortement effrayés, disant: « Vraiment fils de Dieu était celui-là. » 54 Le centurion ainsi que ceux qui gardaient Jésus avec lui furent fortement effrayés en voyant le tremblement de terre et tout ces événements, et se dirent : « En toute vérité, celui-là était fils de Dieu. »
    55 ῏Ησαν δὲ ἐκεῖ γυναῖκες πολλαὶ ἀπὸ μακρόθεν θεωροῦσαι, αἵτινες ἠκολούθησαν τῷ Ἰησοῦ ἀπὸ τῆς Γαλιλαίας διακονοῦσαι αὐτῷ• 56 ἐν αἷς ἦν Μαρία ἡ Μαγδαληνὴ καὶ Μαρία ἡ τοῦ Ἰακώβου καὶ Ἰωσὴφ μήτηρ καὶ ἡ μήτηρ τῶν υἱῶν Ζεβεδαίου. 55 Ēsan de ekei gynaikes pollai apo makrothen theōrousai, haitines ēkolouthēsan tō Iēsou apo tēs Galilaias diakonousai autō• 56 en hais ēn Maria hē Magdalēnē kai Maria hē tou Iakōbou kai Iōsēph mētēr kai hē mētēr tōn huiōn Zebedaiou. 55 Étaient là plusieurs femmes à distance pour observer, certaines avaient suivi Jésus depuis la Galilée le servant, 56 parmi lesquelles étaient Marie originaire de Magdala et Marie, mère de Jacques et Joseph, et la mère des fils de Zébédée. 55 Il y avait là plusieurs femmes qui observaient à distance, dont certaines avaient suivi Jésus depuis la Galilée pour le soutenir, 56 parmi lesquelles on trouvait Marie de Magdala et Marie, mère de Jacques et Joseph, ainsi que la mère des fils de Zébédée.
    57 Ὀψίας δὲ γενομένης ἦλθεν ἄνθρωπος πλούσιος ἀπὸ Ἁριμαθαίας, τοὔνομα Ἰωσήφ, ὃς καὶ αὐτὸς ἐμαθητεύθη τῷ Ἰησοῦ• 58 οὗτος προσελθὼν τῷ Πιλάτῳ ᾐτήσατο τὸ σῶμα τοῦ Ἰησοῦ. τότε ὁ Πιλᾶτος ἐκέλευσεν ἀποδοθῆναι. 59 καὶ λαβὼν τὸ σῶμα ὁ Ἰωσὴφ ἐνετύλιξεν αὐτὸ [ἐν] σινδόνι καθαρᾷ 60 καὶ ἔθηκεν αὐτὸ ἐν τῷ καινῷ αὐτοῦ μνημείῳ ὃ ἐλατόμησεν ἐν τῇ πέτρᾳ καὶ προσκυλίσας λίθον μέγαν τῇ θύρᾳ τοῦ μνημείου ἀπῆλθεν. 61 ῏Ην δὲ ἐκεῖ Μαριὰμ ἡ Μαγδαληνὴ καὶ ἡ ἄλλη Μαρία καθήμεναι ἀπέναντι τοῦ τάφου. 62 Τῇ δὲ ἐπαύριον, ἥτις ἐστὶν μετὰ τὴν παρασκευήν, συνήχθησαν οἱ ἀρχιερεῖς καὶ οἱ Φαρισαῖοι πρὸς Πιλᾶτον 63 λέγοντες• κύριε, ἐμνήσθημεν ὅτι ἐκεῖνος ὁ πλάνος εἶπεν ἔτι ζῶν• μετὰ τρεῖς ἡμέρας ἐγείρομαι. 64 κέλευσον οὖν ἀσφαλισθῆναι τὸν τάφον ἕως τῆς τρίτης ἡμέρας, μήποτε ἐλθόντες οἱ μαθηταὶ αὐτοῦ κλέψωσιν αὐτὸν καὶ εἴπωσιν τῷ λαῷ• ἠγέρθη ἀπὸ τῶν νεκρῶν, καὶ ἔσται ἡ ἐσχάτη πλάνη χείρων τῆς πρώτης. 65 ἔφη αὐτοῖς ὁ Πιλᾶτος• ἔχετε κουστωδίαν• ὑπάγετε ἀσφαλίσασθε ὡς οἴδατε. 66 οἱ δὲ πορευθέντες ἠσφαλίσαντο τὸν τάφον σφραγίσαντες τὸν λίθον μετὰ τῆς κουστωδίας. 57 Opsias de genomenēs ēlthen anthrōpos plousios apo Harimathaias, tounoma Iōsēph, hos kai autos emathēteuthē tō Iēsou• 58 houtos proselthōn tō Pilatō ētēsato to sōma tou Iēsou. tote ho Pilatos ekeleusen apodothēnai. 59 kai labōn to sōma ho Iōsēph enetylixen auto [en] sindoni kathara 60 kai ethēken auto en tō kainō autou mnēmeiō ho elatomēsen en tē petra kai proskylisas lithon megan tē thyra tou mnēmeiou apēlthen. 61 Ēn de ekei Mariam hē Magdalēnē kai hē allē Maria kathēmenai apenanti tou taphou. 62 Tē de epaurion, hētis estin meta tēn paraskeuēn, synēchthēsan hoi archiereis kai hoi Pharisaioi pros Pilaton 63 legontes• kyrie, emnēsthēmen hoti ekeinos ho planos eipen eti zōn• meta treis hēmeras egeiromai. 64 keleuson oun asphalisthēnai ton taphon heōs tēs tritēs hēmeras, mēpote elthontes hoi mathētai autou klepsōsin auton kai eipōsin tō laō• ēgerthē apo tōn nekrōn, kai estai hē eschatē planē cheirōn tēs prōtēs. 65 ephē autois ho Pilatos• echete koustōdian• hypagete asphalisasthe hōs oidate. 66 hoi de poreuthentes ēsphalisanto ton taphon sphragisantes ton lithon meta tēs koustōdias. 57 Le soir étant arrivé, vint un homme riche d’Arimathie, du nom de Joseph, qui aussi était devenu disciple de Jésus. 58 Celui-là étant venu à Pilate, réclama le corps de Jésus. À ce moment là Pilate ordonna de rendre, 59 et ayant pris le corps Joseph l’enroula d’une fine étoffe pure 60 et le déposa dans son nouveau tombeau qu’il a fait tailler dans la pierre et ayant roulé une grande pierre à la porte du tombeau, il partit. 61 Était là Marie de Magdala et une autre Marie assises devant le sépulcre. 62 Le lendemain, celle qui est après la préparation, se rassemblèrent les grands prêtres et les Pharisiens chez Pilate, 63 disant : « Seigneur, souvenons-nous que cet imposteur-là a dit encore vivant : "Après trois jours je suis réveillé". 64 Ordonne donc de surveiller le sépulcre jusqu’à trois jours, de peur que venant, ses disciples le volent et disent à la foule : "Il est ressuscité des morts", et sera le dernier égarement pire que le premier. » 65 Leur déclara Pilate : « Ayez un garde. Allez, surveillez comme vous savez. » 66 Eux, ayant fait route, firent surveiller le sépulcre, ayant fait sceller la pierre avec un garde. 57 Le soir venu, un homme riche d’Arimathie, appelé Joseph, qui était aussi devenu disciple de Jésus, se présenta 58 à Pilate pour réclamer le corps de Jésus. Pilate ordonna alors de le lui rendre 59 et, après avoir pris le corps, Joseph l’enroula d’une fine étoffe sans tache 60 et le déposa dans le tombeau neuf qu’il s’était fait tailler dans la pierre, puis après avoir roulé une grosse pierre à la porte du tombeau, il partit. 61 Marie de Magdala et une autre Marie se trouvaient là, assises devant le sépulcre. 62 Le lendemain, le jour qui est après la Préparation, les grands prêtres et les Pharisiens se rassemblèrent chez Pilate 63 pour lui dire : « Seigneur, souvenons-nous de ce qu’a dit cet imposteur-là alors qu’il était encore vivant : "Je retournerai à la vie après trois jours". 64 Ordonne donc de faire surveiller le sépulcre pendant trois jours afin d’éviter que ses disciples viennent le dérober pour dire ensuite à la foule : "Il est ressuscité des morts", et cette dernière imposture serait pire que la première. » 65 Pilate leur répondit : « Prenez un garde. Allez, surveillez le sépulcre comme vous l’entendez. » 66 Après être retournés au sépulcre, ils firent sceller la pierre et y postèrent un garde.

  1. Analyse verset par verset

    v. 14 Alors l’un des Douze, celui qu’on appelle Judas Iscariote, se rendit chez les grands prêtres

    Littéralement: Alors s’étant rendu l’un des douze, celui appelé Judas Iscariote, vers les grands prêtres

l’un des douze, celui appelé Judas Iscariote
Ce qui étonne ici, c’est que le rédacteur assume que son lecteur ne connaît pas Judas Iscariote, et doit donc l’introduire : il est l’un des Douze. Matthieu l’avait déjà brièvement mentionné en 10, 4 (Simon le Zélé et Judas l’Iscariote, celui-là même qui l’a livré ) quand il a donné la liste des douze Apôtres. Mais c’est ici qu’il l’introduit formellement à un auditoire qui ne semble pas si familier avec ce personnage. Sa façon de l’introduire accentue le côté tragique de la situation : il est l’un des Douze, un des intimes que Jésus a spécialement choisi; cela révèle l’horreur de son geste.

v. 15 pour leur dire : « Combien voulez-vous me donner, si je vous le remets? » Ceux-ci rassemblèrent l’équivalent de cinq cent dollars.

Littéralement : il dit : « qu’est-ce vous voulez me donner, et moi je vous le livrerai? » Eux mirent debout à lui trente pièces d’argent.

qu’est-ce vous voulez me donner
Le côté vil du geste de Judas est encore accentué en nous parlant du motif de son geste : l’argent. On peut facilement penser que, historiquement, les raisons qui ont amené Judas à poser son geste sont multiples, incluant la perte de confiance dans la valeur du projet de son maître, et donc laissant place à la poussée de certains travers chez lui. Mais ce que Matthieu veut que nous retenions : Judas a vendu son maître par appât du gain. Il modifie le texte de Marc (qui dit simplement en 14, 10-11: Judas Iscarioth, l’un des Douze, s’en alla auprès des grands prêtres pour le leur livrer. A cette nouvelle ils se réjouirent et ils promirent de lui donner de l’argent.) pour affirmer explicitement que c’est Judas qui a réclamé de l’argent. Cette position n’est pas sans valeur, car on la retrouve ailleurs dans le Nouveau Testament dans le jugement dur de Jean dans la scène de Marie oignant les pieds de Jésus avec un parfum cher : Mais Judas l’Iscariote, l’un de ses disciples, celui qui allait le livrer, dit: "Pourquoi ce parfum n’a-t-il pas été vendu 300 deniers qu’on aurait donnés à des pauvres?" Mais il dit cela non par souci des pauvres, mais parce qu’il était voleur et que, tenant la bourse, il dérobait ce qu’on y mettait (Jean 12, 4-6).

Eux mirent debout à lui trente pièces d’argent
Le texte grec parle trente pièces d'argent. Nous avons estimé ce montant à environ 500 dollars. Il est difficile de savoir à quoi équivalent aujourd'hui ces trente pièces d'argent. Nous avons deux références dans l'Ancien Testament.
  • Ex 21, 32 : Si c’est un esclave ou une servante que le boeuf encorne, son propriétaire versera le prix – 30 sicles -- à leur maître, et le boeuf sera lapidé.
  • Za 11, 12 : (Zacharie ne veut plus exercer le rôle de berger) Je leur dis alors: "Si cela vous semble bon, donnez-moi mon salaire, sinon n’en faites rien." Ils pesèrent mon salaire: 30 sicles d’argent.
Nous pouvons imaginer qu’il s’agit d’une très petite somme, i.e. la somme d’un esclave qui ne valait rien ou le salaire d’un berger qui était dérisoire. La TOB (Traduction OEcuménique de la Bible) parle de l’équivalent de 120 francs-or, ce qui serait environ cinq cent dollars.

v. 16 Dès lors, il cherchait le bon moment pour leur remettre.

Littéralement : et à partir d’alors il cherchait le bon moment afin qu’il le livre.

il cherchait le bon moment afin qu’il le livre.
On peut se poser la question : pourquoi est-ce si difficle de l’arrêter, puisque Jésus prêchait dans l’enceinte du temple, que des gens allaient l’entendre, si l’on se fie aux textes du Nouveau Testament. Deux indices peuvent aider notre compréhension. D’une part, nous avons un certain nombre de textes montrant que Jésus, se sachant coincé, évitait les lieux publics; dans le Nouveau Testament on utilise alors le terme « se retirer » : Étant sortis, les Pharisiens tinrent conseil contre lui, en vue de le perdre. L’ayant su, Jésus se retira de là (Mt 12, 14-15); Les disciples de Jean vinrent prendre le cadavre (Jean vient d’être tué par Hérode) et l’enterrèrent; puis ils allèrent informer Jésus. L’ayant appris, Jésus se retira en barque dans un lieu désert (14, 12-13); Dès ce jour-là donc, ils résolurent de le tuer. Aussi Jésus cessa de circuler en public parmi les Juifs; il se retira dans la région voisine du désert, dans une ville appelée Ephraïm, et il y séjournait avec ses disciples (Jn 11, 53-54). Enfin, en 18, 2 le même Jean écrit : « Or Judas, qui le livrait, connaissait aussi ce lieu, parce que bien des fois Jésus et ses disciples s’y étaient réunis. » D’autre part, il semble que les autorités religieuses craignaient la réaction de la foule et donc ne voulait procéder à l’arrestation de Jésus au grand jour : Mais, tout en cherchant à l’arrêter, ils (grands prêtres et les Pharisiens) eurent peur des foules, car elles le tenaient pour un prophète (Mt 21, 46); ils (les grands prêtres et les anciens) se concertèrent en vue d’arrêter Jésus par ruse et de le tuer (Mt 26, 4).

v. 17 Le premier jour des pains sans levain, les disciples allèrent trouver Jésus pour lui demander : « Où veux-tu que nous te préparions à manger pour la Pâque? »

Littéralement : Au premier des Azymes les disciples allèrent vers Jésus disant : « Où veux-tu que nous te préparions à manger la pâque? »

Au premier des Azymes
À l’origine, la fête des Azymes ou « pains sans levain » est différente de celle de la pâque. Il s’agit d’une fête agricole où, au printemps, on faisait offrande des premières gerbes. De même, la fête de pâque était à l’origine une fête nomade où on offrait à la divinité un agneau au début de la transhumance du printemps. Comme les deux fêtes avaient lieu en même temps, elles ont fini pas être fusionnées et, par la suite, recevoir un sens religieux, relié à la libération d’Égypte. C’est ainsi que l’absence de levain fut expliquée par la hâte de quitter l’Égypte. La fête des pains sans levain durait une semaine.
  • Exode 12, 18-19 : Le premier mois, le soir du quatorzième jour, vous mangerez des azymes jusqu’au soir du vingt et unième jour. Pendant sept jours il ne se trouvera pas de levain dans vos maisons
  • Exode 12, 33-34 : Les Egyptiens pressèrent le peuple en se hâtant de le faire partir du pays car, disaient-ils: "Nous allons tous mourir." Le peuple emporta sa pâte avant qu’elle n’eût levé, ses huches serrées dans les manteaux, sur les épaules.
  • Exode 23, 15 : Tu observeras la fête des Azymes. Pendant sept jours tu mangeras des azymes, comme je te l’ai ordonné, au temps fixé du mois d’Abib, car c’est en ce mois que tu es sorti d’Egypte. On ne se présentera pas devant moi les mains vides.

nous te préparions à manger pour la Pâque
Marc, Luc et Matthieu, bref les synoptiques, nous présentent ce dernier repas de Jésus avec ses disciples comme un repas pascal. Jean, par contre, présente ce dernier repas, non pas comme un repas pascal, mais comme un repas d’adieu; pour lui, la pâque avait lieu vingt-quatre heures plus tard, et exceptionnellement la pâque et le sabbat tombait le même jour cette année-là (Jn 18, 28). Il semblerait que c’est Jean qui a raison, et ce sont les premiers chrétiens qui ont voulu associer le repas de Jésus avec le repas pascal : n’était-il pas notre nouvelle pâque, l’agneau immolée pour nos péchés? (1 Corinthiens 5, 7). Les synoptiques refléteront cette catéchèse. Voir sur le sujet Meier.

Admettons la probabilité qu’il s’agisse simplement d’un repas d’adieu. La question demeure : pourquoi Jésus tenait-il à un tel repas? Sans doute ce repas revêtait pour lui la plus haute signification. Partager un repas est un geste de grande intimité, surtout quand on plongeait la main dans les mêmes plats. Jésus désirait probablement ce moment d’initimité avant de vivre ces heures difficiles qu’il pouvait deviner, comme tout être humain intelligent; bref, c’était un moment de réconfort. Le repas est un lieu d’échange, et pour Jésus c’était sans doute l’occasion de faire ses adieux avec un message que ses disciples retiendraient pour toujours.

v. 18 Ce dernier répondit : « Allez en ville chez un tel, et dites-lui : "Le maître te fait dire : mon temps est proche, c’est chez toi que veux célébrer la Pâque avec mes disciples." »

Littéralement : Lui, répondit : « allez dans la ville chez quelqu’un et dites-lui : "L’enseignant dit : mon temps (ho kairos mou) est proche, chez toi je fais la pâque avec mes disciples". »

allez dans la ville chez quelqu’un et dites-lui (alors)
D’après les synoptiques, Jésus aurait restreint son ministère en Galilée, et ce n’est qu’au terme de sa mission qu’il se serait rendu à Jérusalem pour y mourir. Selon le récit de Marc, que reprennent Luc et Matthieu, le séjour à Jérusalem a duré à peine une semaine. S’il fallait accepter telle quelle cette affirmation, nous aurions ici un problème : comment Jésus peut-il envoyer ses disciple demander à quelqu’un un service qui suppose une longue familiarité, utiliser sa maison pour un groupe de treize personnes? De plus, cet homme semble être un disciple, puisque Jésus lui demande ce service en tant que maître; comment a-t-il pu devenir disciple en une semaine? Il est donc probable que Jésus a fait plusieurs séjours à Jérusalem, comme nous le confirme Jean, et donc qu’il a eu le temps d’établir cette relation que présuppose aujourd’hui cette demande de service.

ho kairos mou (mon temps)
Ce passage comporte un certain nombre de caractéristiques matthéennes. D’abord, le récit est beaucoup plus concis que celui offert Marc, ce qui est très fréquent : Matthieu aime les récits bien ficellés, sans anecdotes inutiles. Ensuite, on note l’expression: « mon temps (ho kairos mou) est proche » que Matthieu a ajouté à sa source tout comme il l’a fait plus tôt en 8, 29 : « Es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps (pro kairou)? » Ce temps, c’est son passage de la mort à la vie.
v. 19 Les disciples firent comme Jésus leur avait commandé et préparèrent la Pâque.

Littéralement : Et firent les disciples comme leur avait commandé (synetaxen) Jésus et préparèrent la pâque.

synetaxen (il avait commandé)
Voici une autre caractéristique de Matthieu: il aime souligner la dignité et la transcendance de Jésus. Ce passage ne fait pas exception, car les disciples font ce que Jésus leur avait commandé (synetaxen) : Jésus est celui qui a autorité, qui commande ou ordonne; il est le seul à utiliser ainsi trois fois synetaxen (ordonner, prescrire, commander) en référence à ce que Jésus demande.

v. 20 Le soir venu, alors qu’il était allongé avec les Douze

Littéralement : Le soir venu il était allongé avec les douze.

il était allongé avec les douze
Nous avons un écho de la façon dont on mangeait à l’époque, c’est-à-dire couché ou allongé sur des tapis. De plus, on fait ici allusion à un plat commun au centre dans lequel tous plongeaient la main. Il y a quelque chose d’anachronique de représenter les disciples assis sur des chaises, comme dans certaines peintures. Mais l’art ne vise pas à représenter littéralement la réalité, mais à nous faire entrer par la symbolique dans le monde psychique et celui de l’intériorité.

v. 21 et mangeait, il dit : « Vraiment, je vous l’assure, l’un de vous me trahira. »

Littéralement : Et étant mangeant il dit : « Amen je vous dis que l’un de vous me livrera. »

v. 22 Fortement peinés, les disciples commencèrent chacun à lui demander : « Serait-ce moi, maître? »

Littéralement : Et chagrinés fortement ils commencèrent à lui dire chacun : « Est-ce moi je suis, Seigneur? »

v. 23 En réponse, Jésus dit : « Celui qui me trahira, c’est celui qui aura plongé la main avec moi dans le plat.

Littéralement : Lui, répondant, dit : « L’ayant plongé avec moi la main dans le plat, celui-là me livrera.

Amen je vous dis que l’un de vous me livrera
À travers cette scène où Jésus annonce la trahison de Judas, il est clair que que les évangiles veulent transmettre le message que Jésus n’a pas été dépassé par les événements, y compris celui de la trahison de l’un du cercle des intimes. Selon son habitude, Matthieu évite toute ambiguïté et veut être très clair; il ajoute « Tu l’as dit », pour bien identifier le coupable. Mais je trouve important de faire une mise au point. Pour certains croyants, Jésus a pu annoncer la trahison de Judas parce que, comme fils de Dieu, il savait tout, y compris les événements qui allaient survenir et ce que chacun allait faire. Une telle perception est non seulement fausse, mais elle est dangereuse. Elle est fausse, car elle ne s’appuie pas sur les indices historiques que nous pouvons recueillir; n’oublions que les récits évangéliques ont été écrits 40 à 50 ans après les faits, alors qu’on savait tout ce qui s’était passé et qu’on cherchait à faire une catéchèse pour les nouveaux baptisés. Elle est dangereuse, car elle se trouve à nier la foi même en l’Incarnation où on affirme que Jésus a pris la condition humaine en tous points, à l’exception du péché (voir le bel hymne de l’épître aux Philippiens (2, 6-11). Si Jésus a vraiment pris la condition humaine avec toutes ses contraintes, il ne pouvait connaître l’avenir comme tout être humain ne sait pas l’avenir. Mais il était intelligent comme nous pouvons être intelligents, et il a certainement perçu l’évolution de ce disciple qu’il a choisi à l’origine, alors qu’il rencontrait ses critères, mais qui semblait maintenant prendre ses distances face à ce maître bizarre. Dans ce contexte, on peut accepter le message des évangélistes que Jésus n’a pas été surpris de la trahison de Judas. Mais ce détail où Judas demande « est-ce moi, rabbi? » et où Jésus répond « tu l’as dit » est fort probablement une création de Matthieu; d’ailleurs il est le seul évangéliste à mentionner « tu l’as dit ».

On peut se poser la question si, sur le plan historique, Jésus a pu pressentir qu’on le trahirait et y faire allusion aux disciples. La réponse est probablement : oui, car Marc et Jean, deux sources indépendantes en parlent. Mais cela a pu se passer non pas veille de la trahison, ce qui laissait peu de temps pour organiser son arrestation, mais plus tôt, peut-être au repas de Béthanie que Marc place deux jours avant la Pâques (Mc 14, 1), et Jean six jours avant (Jn 12, 1). Cf. P. Benoit et M.-E. Boismard, Synopse des quatre évangiles II, Paris : Cerf, 1972, p. 380.

v. 24 Certes, selon les Écritures, le nouvel Adam est appelé à mourir, mais je plains cet homme qui a trahi ce nouvel Adam : il aurait mieux valu pour cet homme de ne pas naître. »

Littéralement : Vraiment, le fils de l’homme s’en va comme il a été écrit à son sujet, mais malheur à cet homme là par qui le fils de l’homme a été livré: bon est à lui s’il ne fut pas enfanté cet homme là »

v. 25 À son tour, Judas demanda : « Est-ce moi, rabbi? » Jésus lui répondit : « Tu l’as dit. »

Littéralement : Répondant Judas le livrant, il dit: « Est-ce moi je suis, maître? » Il lui dit : « Tu l’as dit. »

comme il a été écrit à son sujet
L’évangile semble faire une affirmation surprenante : la mort de Jésus aurait été non seulement prévue, mais correspondrait à un scénario déjà établi. Ici, il faut faire attention aux formules utilisées par l’évangéliste qui, au premier abord, son déroutante. Encore une fois, rappelons-nous que les récits évangéliques ont été écrits 40 à 50 ans après les faits. Après la mort de Jésus et lors de la foi naissance en sa résurrection des morts, les premiers chrétiens se sont mis à parcourir les Écritures juives pour trouver un sens à tout cela. C’est ainsi qu’ils ont trouvé des passages des prophètes ou des psaumes qui les aidaient à comprendre tous ces événements. Les auteurs des Écritures auraient été surpris de voir l’utilisation qu’on faisait de leur texte, mais pour les premiers chrétiens, ils apportaient la lumière qu’ils cherchaient.

le fils de l’homme
Je traduis l’expression « fils de l’homme » par « nouvel Adam ». Voir l’explication que j’en donne sur ma page des choix de traduction.

malheur à cet homme... bon est à lui s’il ne fut pas enfanté
Ce verset pourrait soulever la question de la prédestination qui a tourmenté des gens comme Jean Calvin qui affirmait que Dieu veut de toute éternité la damnation des certains, et le salut d’autres. Tout d’abord, ce verset affirme seulement ceci : pauvre Judas, comme il va souffrir à cause de son geste! Cette affirmation est du même niveau que nos réactions quotidiennes devant un enfant qui fait un mauvais choix et doit en subir les conséquences. L’évangéliste ne parle pas du tout de prédestination. Mais si nous voulons néanmoins aborder la question de la prédestination en lisant l’épisode de Judas, il faut savoir que tout tient à notre vision de Dieu, en particulier sa toute-puissance en regard de la liberté humaine. Pour qui rien n’échappe au contrôle de Dieu, alors tout devient prédéterminé, incluant les choix humains. Personnellement, je crois à la liberté humaine, je crois qu’elle est voulue et respectée par Dieu, je crois à son amour infini et sans restriction pour tous les êtres humains sans exception, et dire que Dieu puisse vouloir que des êtres soient malheureux est une aberration totale. Si Jésus est le reflet le plus fidèle de Dieu, lui qui a accepté de se faire bafouer, attacher et de mourir, alors il faut croire que Dieu accepte de s’humilier pour donner toute la place à la liberté humaine. Si la mort de Jésus s’est transformée en force de résurrection, alors il faut croire que la force de Dieu n’est pas celle de tout contrôler, mais de savoir transformer la mort et le péché en source de vie.

v. 26 Alors qu’ils mangeaient, après avoir pris du pain et avoir prononcé la bénédiction, Jésus le rompit et le partagea avec les disciples avec ces mots : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. »

Littéralement : Et eux mangeant, Jésus prenant du pain et bénissant, il rompit et donnant aux disciples, il dit: « prenez, mangez, ceci est mon corps; » 27 et prenant un vase et ayant rendu grâce, il leur donna disant : « buvez de lui tous,

v. 27 Après avoir pris la coupe et avoir rendu grâce, il la leur donna en disant : « Buvez en tous,

Littéralement : et prenant un vase et ayant rendu grâce, il leur donna disant : « buvez de lui tous,

v. 28 ceci est mon sang d’alliance, versé afin qu’une grande partie de l’humanité revienne de ses égarements. »

Littéralement : car cela est mon sang de l’alliance au sujet d’un grand nombre versé pour le pardon des péchés; »

v. 29 Il ajouta : « Dorénavant, je ne boirai plus avec vous le produit de la vigne, jusqu’au jour où j’en boirai du nouveau dans le monde de mon père. »

Littéralement : il leur dit : « je ne boirai plus dès maintenant de ce fruit de la vigne jusqu’à ce jour, quand je le boirai avec vous nouveau dans le royaume de mon père. »

v. 30 Après avoir chanté des hymnes, ils partirent pour le Jardin des oliviers.

Littéralement : Et ayant chanté des hymnes, ils sortirent vers le jardin des oliviers.

prenant du pain et bénissant, il rompit... prenant un vase et ayant rendu grâce
Sur le plan historique, il est probable que Jésus a pris un pris un repas d’adieu avec ses disciples. Il est possible que nous soyons le jeudi soir, 6 avril de l’an 30 (voir Meier). Mais la façon dont les synoptiques racontent cette scène cherche moins à raconter ce qui s’est passé qu’à en faire un repas pascal qui devait avoir lieu le jour suivant, le vendredi soir, 7 avril. Et le rituel de la pâque juive comprenait les étapes suivantes (voir Glossaire):
  • Le président prononce la bénédiction sur la coupe de vin qu’il fait ensuite circuler
  • On passe de main en main une bassine d’eau pour permettre à chacun de se purifier avant de manger l’agneau
  • Une seconde coupe de vin circule pendant que le président explique au plus le sens des rites
  • Après le chant du début du Hallel (Ps 113-114), le président prend les pains, les rompt et les distribue aux convives
  • On mange l’agneau rôti avec des herbes amères et des morceaux de pain azyme trempés dans du harosèt (compote de figues et de raisins cuits dans du vin)
  • On boit alors la coupe de bénédiction, puis on entonne la fin du Hallel (Ps 115-118)
  • Une dernière coupe de vin clôture le repas

La façon dont on raconte ce dernier repas de Jésus est également marqué la façon dont les premiers chrétiens célébraient l’eucharistie. Comparons ce que dit Paul lorsqu’il rappelle aux Corinthiens la tradition eucharistique avec les divers récits sur le dernier repas de Jésus.

Dans ce qui suit, nous proposons une traduction la plus littérale possible du texte grec des traditions eucharistiques qu'on retrouve dans les évangiles synoptiques et chez Paul. Nous avons souligné les mots de Marc qui se retrouvent également chez les autres évangélistes ou chez Paul; quand un mot est partiellement souligné, cela signifie qu'il s'agit du même mot, mais avec un temps ou forme différente. Nous avons mis en vert les mots que partagent Luc et Paul. Nous avons noté en bleu un mot que partagent Matthieu et Luc. Enfin, en italique sont les mots spécifiques à un évangéliste ou à Paul.

Marc 14Matthieu 26Luc 221 Corinthiens
17 Et ayant reçu une coupe, ayant rendu grâce, il dit : Prenez ceci et partagez entre vous;
18 car, je vous dit, je ne boirai pas à partir de maintenant à partir du produit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu.
22a Et eux mangeant, ayant pris du pain26a Puis, eux mangeant, Jésus ayant pris du pain19a et ayant pris du pain23b Le Seigneur Jésus, la nuit où il fut livré, prit du pain
22b ayant prononcé la bénédiction, rompit et leur donna et il dit : Prenez, ceci est mon corps.26b Et ayant prononcé la bénédiction, rompit et ayant donné aux disciples il dit : prenez, mangez, ceci est mon corps19b ayant rendu grâce, il rompit et leur donna, disant : Ceci est mon corps donné en faveur de vous. Faites ceci en mémoire de moi.24 Et ayant rendu grâces, il rompit et il dit : Ceci est mon corps, en faveur de vous. Faites ceci en mémoire de moi.
23 Et ayant pris une coupe, ayant rendu grâces, il leur donna, et ils en burent tous.27 Et ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il leur donna, disant : Buvez-en tous20a Et la coupe de même après le repas,25a Et de même la coupe après le repas,
24 Et il leur dit : Ceci est mon sang de l’alliance, qui est répandu en faveur de beaucoup.28 car ceci est mon sang de l’alliance qui est répandu pour beaucoup en rémission de péchés20b disant : Cette coupe [est] la nouvelle alliance dans mon sang, qui est répandu en faveur de vous.25b disant: Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang : Ceci, faites-le, chaque fois que vous boirez, en mémoire de moi.
25 En vérité, je vous dis que je ne boirai plus du produit de la vigne jusqu’à ce jour-là où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu.29 Puis, je vous dit, je ne boirai pas à partir de cet instant de ce produit de la vigne jusqu’à ce jour-là où je le boirai nouveau, dans le royaume de mon Père.

Faisons un certain nombre d’observations.
  • On aura remarqué l’absence de Jean dans cette comparaison. Ce dernier a bien sûr un récit sur le dernier repas de Jésus (Jn 13 - 17) qui commence par le lavement des pieds de ses disciples, mentionne la trahison de Judas et le reniement de Pierre, mais ne contient aucune référence au pain rompu et à la coupe partagée et à son symbolisme lié à la vie offerte de Jésus. La seule référence à une action de partage du pain de la part de Jésus se trouve dans son récit d’une foule de cinq mille personnes qu’il nourrira après avoir rendu rendu grâce (voir Jean 6). Il faut sans doute croire que la communauté johannique avait une tradition quelque peu différente lorsqu’elle se rassemblait.

  • En vert, nous avons souligné les similudes entre Paul lorsqu’il écrit aux Corinthiens et l’évangile de Luc. Il ne faut pas s’en surprendre, car tous les deux s’adressent à une communauté grecque (voir mon hypothèse sur l’évangile de Luc qui aurait été écrit à Corinthe dans Où fut écrit l’évangile de Luc? ).

    1. On note d’abord qu’on ne parle plus de bénédiction sur le pain, typique des milieux juifs, mais d’action de grâce sur le pain, vocabulaire typiquement grec.

    2. Il a ensuite un appel explicite à répéter ce geste pour se remémorer de ce qu’a fait Jésus (faites cela en mémoire de moi). On suit ici le modèle du repas pascal juif où on invite à répéter le rituel de génération en génération (Exode 12, 14 : Ce jour-là, vous en ferez mémoire et vous le fêterez comme une fête pour Yahvé, dans vos générations vous la fêterez, c’est un décret perpétuel.)

    3. De plus, le geste avec la coupe a lieu après le repas, à la manière du repas pascal juif où une dernière coupe clôturait le repas.

    4. Enfin, la coupe est associée au sang de l’alliance, une référence à Exode 24, 8 (Moïse, ayant pris le sang, le répandit sur le peuple et dit: "Ceci est le sang de l’Alliance que Yahvé a conclue avec vous moyennant toutes ces clauses."), alors que Moïse vient de présenter au peuple les tables de la Loi. Mais il s’agit cette fois d’une alliance radicalement nouvelle où la Loi est remplacée par la personne même de Jésus.

    5. On aura remarqué que Luc est le seul à introduire le dernier repas de Jésus avec une première coupe de vin. En cela, il suit le rituel de la fête pascale juive qui commençait par une première coupe de vin partagée.

    6. Si on s’attarde aux similitudes de cette tradition grecque (notons que l’épitre aux Corinthiens aurait été écrite vers l’an 54), nous nous retrouvons avec ce texte :
      Il prit du pain,
      rendit grâce,
      le rompit
      et dit
      "Ceci est mon corps, qui est pour vous;
      faites ceci en mémoire de moi."
      De même, après le repas,
      il prit la coupe, en disant:
      "Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang;
      faites-le en mémoire de moi.
      "

  • Le récit de Matthieu ne suit pas cette tradition grecque, mais réutilise celle que lui livre Marc. Une comparaison des deux versions nous révèle ceci :

    1. Matthieu suit assez fidèlement le texte de Marc. Leurs similitudes nous donnent ceci :
      Tandis qu’ils mangeaient,
      il prit du pain,
      le bénit,
      le rompit
      et le leur donna en disant:
      "Prenez, ceci est mon corps."
      Puis, prenant une coupe,
      il rendit grâces et la leur donna,
      Il dit :
      "Ceci est mon sang, le sang de l’alliance,
      qui va être répandu pour une multitude.
      je vous le dis, je ne boirai plus du produit de la vigne
      jusqu’au jour où je boirai le vin nouveau dans le Royaume de Dieu

    2. Une comparaison entre la tradition grecque et celle de Marc nous permet de remarquer celle-ci contient des actions de Jésus en lien avec les disciples : le (le pain) leur donna, prenez, la (la coupe) leur donna. Ainsi, la tradition grecque est beaucoup ritualisée que celle de Marc qui contient une relation dynamique avec les disciples. Par contre, on note un début d’interprétation théologique de cette mort avec l’idée d’un sang répandu pour une multitude, i.e. pour le bénéfice de beaucoup de gens.

    3. En reprenant le texte de Marc, Matthieu accentue à la fois la relation dynamique avec les disciples (et par là avec son auditoire), et la signification théologique de la mort de Jésus. D’une part, il ajoute « mangez » au « prenez (le pain)» de Marc, ainsi que « Buvez-en tous » au « leur donna (la coupe) », et également « avec vous » au « boire le vin nouveau »; ainsi il engage vraiment son auditoire. D’autre part, il ajoute « en rémission des péchés » à l’expression « sang répandu pour une multitude » de Marc, spécifiant clairement la valeur salvifique de la mort de Jésus. Ainsi, entre la période de Marc (vers l’an 70), et celle de Matthieu (vers l’an 80 ou 85), la réflexion sur le sens de la mort de Jésus s’est poursuivie sur le plan théologique.

Que conclure de tout cela? Sur le plan historique, il semble indéniable que Jésus ait voulu prendre un dernier repas avec ses disciples alors que l’étau se resserrait sur lui. Ce repas avait un caractère spécial, car on y trouve du pain et du vin. Ce fut pour Jésus l’occasion de dire adieu à ses disciples, de leur laisser ses dernières paroles. C’est ainsi qu’après avoir prononcé la bénédiction sur le pain selon la tradition juive et l’avoir partagé, il a associé ce pain à son propre corps, donné pour nourrir les autres jusqu’à dans la mort; à travers son corps, c’est l’ensemble de sa vie qui était donnée. Il a partagé la coupe de vin de la même façon, l’associant à son sang sur le point d’être versé, signe non seulement du don de sa vie, mais également d’une nouvelle union par delà la mort. Après ces mots, il a ajouté que c’était son dernier repas avec eux, mais terminait sur une note d’espérance en proclamant sa foi à la venue du Règne de Dieu où ils se retrouveraient tous ensemble. Par la suite, les chrétiens se remémoreront ce repas d’adieu pour non seulement garder vive la mémoire de leur maître, mais également pour en approfondir le sens. C’est ainsi qu’on le réinterprétera à la lumière de la pâque juive, comme on le voit chez Luc et la tradition grecque, car tout comme la sortie d’Égypte a été un moment libérateur, ainsi la mort-résurrection de Jésus a ouvert une source libératrice. C’est ainsi aussi, comme on le voit chez Matthieu, on le réinterprétera à la lumière des sacrifices pour les péchés du temple en parlant sur sang de Jésus répandu pour une multitude en rémission des péchés; comme les Juifs chrétiens auquel s’adressait Matthieu connaissaient ces sacrifices offerts pour le pardon des péchés, ils pouvaient alors par cette analogie comprendre le sens de cette mort tragique de Jésus.

v. 31 À ce moment, Jésus leur dit : « Tous, vous allez trébucher cette nuit à cause de moi, car il est écrit : je frapperai le berger et les brebis du troupeau se disperseront.

Littéralement : À ce moment-là leur dit Jésus: « Vous tous, vous serez scandalisés (skandalisthēsesthe) par moi en cette nuit, car il été écrit : je frapperai le berger et seront dispersées les brebis du troupeau.

skandalisthēsesthe (vous serez scandalisés)
Il est important de bien comprendre le sens du mot grec skandalisthēsesthe, qui a donné notre mot : scandaliser, et que nous avons traduit par: trébucher. Il ne s’agit pas d’un mauvais exemple qui choque ou d’un événement révoltant, mais d’une pierre d’achoppement qui fait trébucher comme le montre l’Ancien Testament :
  • Ecclésiastique 27, 23 : En ta présence il est tout miel, il s’extasie devant tes propos; mais par derrière il change de langage et de tes paroles fait une pierre d’achoppement (LXX : skandalon)
  • Isaïe 8, 14-15 : Il sera un sanctuaire, un rocher qui fait tomber, une pierre d’achoppement pour les deux maisons d’Israël, un filet et un piège pour les habitants de Jérusalem. Beaucoup y achopperont, tomberont et se briseront, ils seront pris au piège et capturés.

Trébucher signifie perdre ses convictions, perdre la foi, errer loin de ses choix originaux et fondamentaux, devenir étranger à soi-même. Dans le cas de Pierre, il reniera sa condition de disciple, alors qu’il s’était attaché à Jésus depuis plus de deux ans. Pour comprendre cette utilisation, on on se réfère à ce passage du prophète Zacharie où Dieu soumet son peuple à l’épreuve : Épée, éveille-toi contre mon pasteur et contre l’homme qui m’est proche, oracle de Yahvé Sabaot. Frappe le pasteur, que soient dispersées les brebis, et je tournerai la main contre les petits (13, 7). C’en était donc fini du groupe des Douze; après la trahison de Judas, c’était maintenant la désertion de l’ensemble des disciples.

je frapperai le berger et les brebis du troupeau se disperseront
Pour comprendre le fait que les disciples abandonneront leur maître, la source marcienne de Matthieu fait une référence explicite à Zacharie 13, 7, un passage où Yahvé annonce le jugement pour son peuple et son désir de le nettoyer de son impureté, en particulier face aux idoles : (Version hébraïque) Epée, éveille-toi contre mon pasteur et contre l’homme qui m’est proche, oracle de Yahvé Sabaot. Frappe le pasteur, que soient dispersées les brebis, et je tournerai la main contre les petits.

On peut noter que pour éclairer leur situation, les premiers chrétiens modifient un peu l’Écriture : tout d’abord le pasteur du texte de Zacharie est un mauvais pasteur qui subit le jugement de Dieu, ce qui rend étrange une comparaison avec Jésus. Ensuite, le temps du verbe est modifié de l’impératif au futur, afin d’en faire une prophétie pour l’avenir. Peu importe, ce texte les aidait à expliquer l’événement très triste d’un Jésus condamné à mort et de la communauté des disciples qui s’écroule.

v. 32 Et après être revenu des morts, je vous précéderai en Galilée. »

Littéralement : Et après avoir été réveillé moi, je vous précéderai en Galilée. »

 
Matthieu se contente ici de reprendre textuellement Marc. Il y a peu de choses à dire sinon que ce passage de Marc est certainement rédactionnel, car il cadre avec sa théologie d’une rencontre de Jésus ressuscité en Galilée (Marc 16, 7).

v. 33 Mais Pierre rétorqua : « Même si tous trébuchent à cause de toi, moi, jamais je ne trébucherai. »

Littéralement : Mais répondant Pierre, il dit : « Si tous seront scandalisés par toi, moi jamais je ne serai scandalisé ».

v. 34 Jésus reprend : « Vraiment, je te l’assure, cette nuit même, avant que le coq ne chante, tu auras nié me connaître par trois fois. »

Littéralement : Lui déclare Jésus: « Amen, je te le dis qu’en cette nuit avant que le coq n’aille fait entendre sa voix, trois fois tu m’auras renié. »

v. 35 Pierre objecta : « Même si je dois mourir avec toi, jamais je nierai te connaître. » Tous en choeur, les disciples dirent la même chose.

Littéralement : Lui dit Pierre : « Et s’il est nécessaire qu’avec toi je meure, je ne te renierai pas. » Et pareillement tous les disciples dirent.

 
Avant d’aborder la question du reniement de Pierre, faisons remarquer que le récit de l’annonce de l’abandon des disciples et celui du reniement de Pierre constituaient sans doute deux récits indépendants qui ont été réunis ensemble, car ils abordaient un thème commun, celui de l’attitude des disciples lors de l’arrestation de Jésus. Le pont entre les deux récits aurait été fait avec la protestation de Pierre qui se disait différent des autres. Cf. P. Benoit et M.-E. Boismard, Synopse des quatre évangiles II, Paris : Cerf, 1972, p. 390.

Sur le plan historique, il est probable que Jésus ait anticipé la défection de Pierre. À la fois Marc et Jean, deux auteurs indépendants, nous transmettent une tradition ancienne. Voici en parallèle les quatre évangiles sur le sujet. Nous avons souligné, non pas les mots exacts, mais les idées communes.

Marc 14, 27-31 Matthieu 26, 31-35 Luc 22, 31-34 Jean 13, 37-38
      36 Simon-Pierre lui dit: "Seigneur, où vas-tu?"
27 Et Jésus leur dit: "Tous vous allez succomber, car il est écrit: Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées.... 31 Alors Jésus leur dit: "Vous tous, vous allez succomber à cause de moi, cette nuit même. Il est écrit en effet: Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées.... 31 "Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme froment; 32 mais moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères." Jésus lui répondit: "Où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant; mais tu me suivras plus tard."
29 Pierre lui dit: "Même si tous succombent, du moins pas moi!" 33 Prenant la parole, Pierre lui dit: "Si tous succombent à cause de toi, moi je ne succomberai jamais." 33 Celui-ci lui dit: "Seigneur, je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort." 37 Pierre lui dit: "Pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent? Je donnerai ma vie pour toi."
30 Jésus lui dit: "En vérité, je te le dis: toi, aujourd’hui, cette nuit même, avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois." 34 Jésus lui répliqua: "En vérité je te le dis: cette nuit même, avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois." 34 Mais il dit : "Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd’hui que tu n’aies, par trois fois, nié me connaître." 38 Jésus répond: "Tu donneras ta vie pour moi? En vérité, en vérité, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois.
31 Mais lui reprenait de plus belle: "Dussé-je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas." Et tous disaient de même. 35 Pierre lui dit: "Dussé-je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas." Et tous les disciples en dirent autant.

Comme nous pouvons le constater, la tradition issue de Marc et celle de Jean disent trois choses communes :
  1. Devant la situation pénible qui s’annonce, Jésus annonce qu’on ne sera pas capable de le suivre;
  2. Pierre réplique qu’il est différent des autres et qu’il est prêt à mourir pour Jésus;
  3. Jésus prédit que la nuit ne s’achèvera pas avant que Pierre ait nié le connaître.

v. 36 Puis, Jésus parvient avec eux dans un lieu, appelé Gethsémani, et dit aux disciples : « Asseyez-vous, pendant que je m’éloignerai là-bas pour aller prier. »

Littéralement : À ce moment-là vient avec eux Jésus vers un lieu appelé Gethsémani et il dit aux disciples: « Asseyez-vous jusqu’à ce que, étant éloigné là pour que j’aille prier. »

Gethsémani
Le nom Gethsémani est composé de deux racines hébraïques : gat (pressoir) et ch‛mani (olive), et donc signifie : pressoir d’huile. Ce lieu était situé au pied du mont des Oliviers, à l’est du Kédron, ce ruisseau desséché.

étant éloigné là pour que j’aille prier
L’image que nous laisse Matthieu d’un Jésus face à l’épreuve est celui de quelqu’un qui sent le besoin de prier. Et pour prier, il s’isole quelque peu de ses disciples. La prière apparaît comme une façon unique de s’abstraire de l’immédiat pour s’ouvrir à une autre perspective.

v. 37 Ayant emmené avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, Jésus se mit à devenir triste et à être tourmenté.

Littéralement : Et ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée il commença à être attristé (lypeisthai) et tourmenté (adēmonein).

v. 38 Alors il leur dit : « Mon être est triste à mourir. Restez ici et demeurez éveillés avec moi. »

Littéralement : À ce moment-là il leur dit : « Très triste (perilypos) est mon psychique jusqu’à la mort. Restez ici et veillez avec moi. »

lypeisthai (triste), adēmonein (tourmenté), perilypos (très triste)
L’évangile utilise différents mots pour décrire l’état d’âme de Jésus : il est triste (lypeisthai), il est tourmenté / perturbé / angoissé / troublé / inquiet / anxieux selon la façon de traduire adēmonein. Et il met dans la bouche de Jésus des paroles qui font référence au psaume 42, 6 : Qu’as-tu, mon être, à défaillir et à gémir sur moi? (C’est la version hébraïque. La version grecque de la Septante dit : Pourquoi es-tu triste (perilypos), mon être, pourquoi me perturbes-tu? Ce qu’il faut retenir, c’est qu’on présente Jésus comme quelqu’un qui se comporte comme tout être humain devant la perspective de souffrir et de mourir : il est triste, il est perturbé, il est angoissé. Nous sommes loin de la paix intérieure. Matthieu essaie un peu d’atténuer les sentiments qu’il trouve chez Marc qui parle de frayeur ou d’effroi (ekthambeisthai), et préfère donc utiliser le mot tristesse (lypeisthai); c’est son habitude de vouloir conserver le visage digne et transcendant de Jésus, car il le regarde avec les yeux de la foi.

veillez avec moi
Jésus a besoin du soutien de ses disciples les plus proches, il veut leur présence. C’est Pierre et Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée. Il leur demande de veiller avec lui. N’avons-nous pas un comportement parfaitement humain? L’aspect est accentué chez Matthieu. Alors que Marc parle de rester éveillés, le Jésus de Matthieu demande de demeurez éveillés « avec moi ».

v. 39 Il s’avança et tomba la face contre terre, priant : « Mon père, si c’est possible, évite-moi cette coupe. Toutefois, que vienne non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. »

Littéralement : Étant avancé un peu, il tomba sur sa face (epi prosōpon autou proseuchomenos) priant et disant: « Mon père, si c’est possible, que passe à côté de moi ce vase. Toutefois, non pas comme je veux, mais comme toi. »

epi prosōpon autou proseuchomenos (il tomba sur sa face)
Dans cette scène où Jésus prie son Père, Matthieu atténue un peu le caractère dramatique qu’on trouve chez Marc. Jésus ne tombe plus à terre comme écrasé par l’effroi, mais il « tombe la face contre terre » dans un geste de soumission. C’est le même geste typique qu’on trouve chez Abraham lorsque Dieu lui parle d’instituer une alliance : Et Abram tomba la face contre terre (LXX : epesen Abram epi prosōpon autou). Dieu lui parla ainsi (Genèse 17, 3). De plus, Matthieu élimine l’expression « Abba » (papa) utilisée par Marc pour ne garder que « Mon père », expression plus formelle et moins chargée émotivement.

que passe à côté de moi ce vase. Toutefois, non pas comme je veux, mais comme toi
L’attitude de Jésus reflète deux composantes essentielles sur la façon de bien vivre l’épreuve. Tout d’abord, il est normal de vouloir l’éviter et il est sain de souhaiter qu’elle n’arrive pas : si c’est possible, évite-moi cette coupe. Courir après l’épreuve releverait d’une maladie mentale. Mais par contre, si elle survient et qu’on ne peut l’éviter, il est vital de l’accepter, de l’assumer et de la vivre pleinement. Que serait-il arrivé si Jésus avait continué de la refuser jusqu’à son dernier souffle? L’épreuve l’aurait aigri, aurait engendré chez lui un sentiment d’injustice, bref l’aurait tué moralement avant de le tuer physiquement. Au contraire, l’épreuve l’a fait grandir au point de devenir pour nous tous une source de vie. Notons que la partie la plus difficile de l’épreuve est de ne pas comprendre. L’expression « non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » est la reconnaissance d’un mystère qui nous dépasse, et un geste de foi qui proclame que la source de ce mystère est malgré tout un être d’amour, et qui réalise, à travers mon ouverture, un monde à son image.

v. 40 Jésus retourna vers ses disciples et les trouva endormis. Il dit : « Ainsi, vous n’avez pas été capables de demeurer éveillés une seule heure avec moi?

Littéralement : Et il va vers les disciples et les trouve dormant, et il dit à Pierre: « Ainsi vous n’avez pas été capables une seule heure à veiller avec moi?

v. 41 Restez éveillés et priez, afin que vous n’entriez pas dans l’épreuve. Car bien que l’esprit soit bien disposé, la chair est par contre faible. »

Littéralement : Restez éveillés et priez, afin que vous n’entriez pas dans l’épreuve. Car bien que l’esprit (pneuma) soit bien disposé, la chair (sarx) est par contre faible. »

pneuma (esprit), sarx (chair)
Dans les évangiles, les deux mots revêtent plusieurs sens. L’esprit ici désigne l’être humain dans sa capacité de comprendre, d’entrer en relation et de choisir le bien. La chair désigne l’être humain dans sa fragilité et dans ses tensions avec des forces contraires. La phrase souligne donc la dichotomie humaine avec les mots esprit et chair, et résume ainsi le grand défi de la vie humaine. Pour relever ce défi, il y a d’abord la nécessité de la prière que Matthieu reprend au récit de Marc. C’est ce que fait Jésus. C’est ce que ne font pas les disciples. On voit la différence. Mais chez Matthieu, il y a encore plus : il y a la communauté. Car lorsqu’on veille et prie dans l’épreuve, c’est avec d’autres. Au récit de Marc, il ajoute encore une fois « avec moi » : Ainsi, vous n’avez pas été capables de demeurer éveillés une seule heure avec moi? (v. 40)

v. 42 Pour une deuxième fois, Jésus s’éloigna de nouveau pour prier et demander : « Mon père, s’il n’est pas possible d’éviter de boire tout cela, alors que ce réalise ce que tu veux. »

Littéralement : De nouveau, pour une deuxième fois, étant éloigné, il demanda en priant, disant: « Mon père, s’il n’est pas possible cela de passer à côté afin que je ne boive pas cela, que survienne ta volonté. »

v. 43 En revenant, il les trouve de nouveau endormis, les yeux lourds.

Littéralement : Et venant de nouveau il les trouva dormant, car ils étaient eux les yeux ayant été chargés d’un fardeau.

v. 44 Encore une fois, Jésus les quitta et s’éloigna pour prier et demander pour la troisième fois la même chose.

Littéralement : Et les ayant quittés de nouveau s’étant éloigné, il demanda en priant pour la troisième fois cette parole disant de nouveau.

v. 45 Enfin, il revient vers les disciples pour leur dire : « Vous pouvez maintenant dormir et vous reposer. L’heure est tout proche où le nouvel Adam est remis aux mains des gens méchants.

Littéralement : À ce moment-là il vient vers les disciples et leur dit : « Dormez désormais et reposez-vous. Voici que s’est approché l’heure et le fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs.

v. 46 Allez, réveillez-vous. Voici qu’arrive celui qui me remet aux autorités. »

Littéralement : Réveillez-vous, allons. Voici que s’est approché celui est me livrant. »

 
Comme on le note dans beaucoup de récits, des gestes ou des paroles sont répétés trois fois, afin de créer une intensité dramatique et insister sur un certain nombre de points. Dans notre cas, on insiste d’une part sur la décision de Jésus d’assumer le sort qui l’attend malgré son extrême difficulté afin de s’abandonner totalement à ce qu’il croit être la volonté de Dieu, et d’autre part sur l’incapacité des disciples à affronter la même situation. Matthieu se contente de reprendre le récit de Marc, mais le structure mieux : les trois allers-retours sont bien identifiés. Il répète la prière de Jésus pour en souligner l’intensité et la ferme décision de faire la volonté de son Père. Il élimine les détails inutiles, comme cette mention de Marc que les disciples ne savent que dire quand Jésus leur reproche de ne pas veiller. Enfin, il modifie certains mots (leurs yeux étaient alourdis : katabarynō) pour les remplacer par ses mots préférés (leur yeux étaient apesentis: bareomai, voir également Mt 13, 15; 20, 12; 23, 4.23).

Il y a quelque chose d’ironique entre la parole de Jésus qui dit à ses disciples qu’ils peuvent maintenant dormir et se reposer (v. 45), et celle qu’il dit immédiatement après où il leur demande de se réveiller (v. 46). En fait, dans le premier cas, c’est la reconnaissance que le temps de la préparation au combat est terminé, et donc que les disciples ne livreront pas de combat et peuvent donc se reposer; ils dorment moralement parlant. Dans le deuxième cas, il s’agit du réveil physique alors que les assaillants approchent.

v. 47 Il parlait encore quand Judas, un des Douze, arriva de chez les grands prêtres et les anciens du peuple avec une foule nombreuse portant épées et bâtons.

Littéralement : Et encore lui parlant, voici que Judas, un des douze, vint et avec lui une foule nombreuse avec des épées et des bâtons de chez les grands prêtres et les anciens du peuple.

v. 48 Celui qui allait leur remettre avait convenu d’un signe : « Celui que j’embrasserai, c’est lui, saisissez-le. »

Littéralement : Et celui qui est le livrant leur donna un signe disant: « Celui que j’embrasserai, c’est lui, saisissez-le. »

v. 49 Il s’approcha aussitôt de Jésus pour lui dire : « Salut, rabbi! » Puis, il l’embrassa.

Littéralement : Et aussitôt s’approchant de Jésus, il dit: « Réjouis-toi (chaire), maître! », et il l’embrassa.

v. 50 Jésus lui répond : « Mon ami, passe à ce que tu as à faire. » Alors, ils s’approchèrent pour s’emparer de Jésus.

Littéralement : Et Jésus lui dit : « Ami! Passe à tout cela! » À ce moment-là, s’approchant, ils mirent les mains sur Jésus et le saisirent.

v. 51 À ce moment, dégainant alors son épée, un des compagnons de Jésus frappa le serviteur du grand prêtre et lui enleva l’oreille.

Littéralement : Et voici qu’un de ceux avec Jésus, ayant étendu la main tira dehors son épée et, ayant frappé le serviteur du grand prêtre, lui enleva l’oreille.

v. 52 Mais Jésus lui dit : « Remets l’épée dans son fourreau. Car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée.

Littéralement : À ce moment-là lui dit Jésus : « Remets ton épée à sa place. Car tous ceux prenant une épée par l’épée périront.

v. 53 Ne sais-tu pas que je pourrais faire appel à mon père afin qu’il m’envoie à l’instant même plus de douze légions d’anges?

Littéralement : Ou bien penses-tu que je ne suis pas capable d’appeler mon père, et il m’entourerait à l’instant de plus de douze légions d’anges?

v. 54 Mais alors comment les Écritures, qui expliquent la nécessité des choses, deviendront-elles pleinement intelligibles? »

Littéralement : Comment donc puissent s’accomplir les Écritures que de cette façon il est nécessaire qu’il arrive à l’existence. »

 
La scène décrit l’arrestation de Jésus au milieu de la nuit par les autorités religieuses à l’aide d’un collaborateur, Judas, un du groupe des intimes. L’arrestation ne se fait pas sans violence puisque l’un des disciples dégaine son épée et blesse un des assaillants. C’est la structure de base que nous livre la tradition. Et cette tradition a toutes les chances de remonter au Jésus historique, car on la retrouve à la fois chez Marc et chez Jean, deux traditions indépendantes. Dans les deux traditions, il faut un plan pour prendre Jésus par surprise de nuit pour l’arrêter, et cette arrestation est menée par les grands prêtres, l’autorité religieuse de l’époque, à l’aide de l’un des intimes de Jésus qui le trahi. Dans les deux traditions, quelqu'un réagira en frappant avec son glaive un serviteur du grand prêtre pour lui couper l’oreille. Ces quelques indices historiques nous permettent de déduire certaines choses que confirment d’autres sources historiques de l’époque :
  1. Les autorités religieuses exerçaient également une autorité politique, et donc bénéficiaient d’une garde et d’une cour administrative;

  2. Le fait que l’arrestation de Jésus ait lieu de nuit, avec la collaboration d’un membre du groupe des intimes de Jésus, montre la difficulté de l’action; il est possible qu’une action de jour aurait été difficile en raison d’une foule sympathique, ou encore d’une plus grande capacité pour les disciples et Jésus de voir venir le coup et d’échapper à l’arrestation;

  3. Le fait qu’au moins un des disciples portait une arme laisse entendre qu’un certain nombre de personnes se promenaient avec une arme, probablement un glaive. D’ailleurs, un groupe terroriste, appelés Sicaires (leur nom vient de sica : épée courte et recourbée, ou dague, dissimulée sous le manteau), qui cherchait à expulser les Romains, et donc procédait à des assassinats politiques, a sévi à l’époque, jusqu’à la destruction de Jérusalem en l’an 70.

Matthieu apporte des modifications à la tradition qu’il reçoit de Marc. La plus importante concerne le geste violent de l’un des disciples qui frappe un serviteur du grand prêtre avec son glaive. Alors que Marc se contente de raconter le geste, Matthieu fait intervenir Jésus pour reprocher ce geste. Tout ce qui suit est sa création : 52 Mais Jésus lui dit : « Remets l’épée dans son fourreau. Car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée. 53 Ne sais-tu pas que je pourrais faire appel à mon père afin qu’il m’envoie à l’instant même plus de douze légions d’anges? 54 Mais alors comment les Écritures, qui expliquent la nécessité des choses, deviendront-elles pleinement intelligibles? »

Encore ici, on note la tendance de Matthieu à atténuer le côté cru du récit de Marc. Le geste violent de l’un des disciples a sans doute paru choquant aux yeux des premiers chrétiens. C’est ainsi que le Jésus de Matthieu, non seulement reproche au disciple d’avoir agi ainsi, mais également affirme que sa non résistance à son arrestation est un geste totalement volontaire, avec la conscience que c’est là la volonté de Dieu. Matthieu accentue encore une fois ce qui a été le centre de la prière de Jésus à Gethsémani. Mais l’attitude de Jésus face au geste violent d’un de ses disciples a peut-être un fondement historique, puisqu’on la retrouve également chez Jean, une tradition indépendante (Jésus dit à Pierre : « Jette le glaive au fourreau. »), et chez Luc (Jésus dit : « Laissez; cela suffit. ») Et comme Matthieu le fait si souvent, il se tourne vers les Écritures pour y trouver la lumière pour comprendre les événements. Encore une fois, rappelons que l’expression « tout cela arriva pour que s’accomplissent les Écritures », ne signifient pas que les événements suivent le scénario établi d’avance par Dieu et les Écritures, mais que les premiers chrétiens ont fini par trouver un sens aux événements entourant Jésus en relisant les Écritures. Voilà pourquoi je préfère traduire « pour que les Écritures deviennent pleinement intelligibles » plutôt que « pour que s’accomplissent les Écritures ».

D’autres modifications apportées par Matthieu au récit de Marc sont moins importantes. La foule qui vient l’arrêter est « nombreuse », reflet de la tendance de Matthieu à accentuer l’opposition des Juifs à Jésus, un écho de la situation de sa communauté. La rencontre de Judas et de Jésus est plus fignolée, reflet de sa tendance à améliorer le style un peu rude de Marc : il ajoute une salutation habituelle «Salut (chaire), rabbi! ». Enfin, sa vision christologique d’un Jésus qui domine la situation, et accomplit sans broncher la volonté de son Père, paraît lorsqu’il ajoute au récit de Marc après le baiser de Judas : Jésus lui répond : « Mon ami, passe à ce que tu as à faire. »

v. 55 À ce moment, Jésus s’adressa à la foule : « Pourquoi êtes-vous sortis avec des épées et des bâtons pour m’attraper, comme si j’était un voleur? Pourtant j’étais assis chaque jour au temple à enseigner, et vous ne vous êtes pas saisi de moi.

Littéralement : À cette heure-là dit Jésus à la foule : « Comme vers un voleur vous êtes sortis avec des épées et des bâtons pour m’attraper? Chaque jour dans le temple j’étais assis enseignant et vous ne vous êtes pas saisi de moi.

v. 56 Tous ces événements permettent de comprendre pleinement les Écritures des prophètes. » À ce moment-là, tous les disciples le laissèrent et s’enfuirent.

Littéralement : Tout cela était arrivé afin que s’accomplissent les Écritures des prophètes. » À ce moment-là tous les disciples, l’ayant laissé, s’enfuirent.

 
Matthieu se contente de reprendre presque textuellement Marc, avec des modifications stylistiques mineures. Ce passage semble faire l’écho du malaise et des questions posées par les premiers chrétiens. Jésus, leur maître, image de Dieu, a été traité comme un voleur, comme un brigand par les autorités religieuses. Ce n’était pas facile à accepter. Comme pour nous, l’arrestation de Jésus au milieu de la nuit, alors qu’il a tant enseigné en public, posait question. Nous sommes loin d’une histoire édifiante, à l’eau de rose. Cela peut nous réconcilier avec l’ambigüité des situations d’aujourd’hui. La scène se termine avec l’abandon et la fuite des disciples. Ce fait devait également paraître choquant chez les premiers chrétiens alors que des disciples comme Pierre ou Jean étaient alors des figures importantes. D’ailleurs, l’évangile de Jean nous présente une scène un peu différente : les disciples ne s’enfuie pas, car c’est Jésus qui demande explicitement de les laisser partir: Jésus répondit: "Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez ceux-là s’en aller" (Jean 18, 8).

v. 57 Après s’en être emparé, ils l’emmenèrent chez le grand prêtre Caïphe où se trouvaient réunis scribes et anciens.

Littéralement : Eux, s’étant emparé de Jésus, l’amenèrent chez Caïphe le grand prêtre, là où les scribes et les anciens étaient réunis.

v. 58 Pierre le suivait à distance jusqu’à la cour intérieure du grand prêtre. Une fois à l’intérieur, il était assis avec les serviteurs afin de voir le dénouement.

Littéralement : Pierre le suivait à distance jusqu’à la cour intérieure du grand prêtre, et étant entré à l’intérieur il était assis avec les serviteurs pour voir la fin.

 
Le récit de Marc, que suit Matthieu, est schématique et avare de détail. Nous savons que Caïphe, prénommé Joseph, fut grand prêtre de l’an 18 à 36 (le procès de Jésus a eu lieu vers l’an 30). Il était probablement Sadducéen. Son beau-père, le Sadducéen Anne, aussi connu sous le nom d’Ananus I, fut également grand prêtre de l’an 6 jusqu’en l’an 15, et c’est lui le grand manipulateur politique qui place en poste d’autorité ceux de son entourage. Il fait partie du sanhédrin. Jésus fut probablement emmené d’abord chez Anne, pour son enquête préliminaire, comme le mentionne Jean (voir 18, 13), avant d’être conduit devant Caïphe et le sanhédrin. Mais Marc semble sauter par-dessus tous ces détails. De même, Pierre, ce pêcheur de Galilée, se retrouve dans la cour intérieure du grand prêtre, sans qu’on sache comment il a pu réussir ce tour de passe-passe. À ce sujet, l’évangile de Jean nous donne des détails beaucoup précis : c’est l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et qui était connu du grand prêtre, qui a réussi à faire entrer Pierre dans la cour en parlant à la portière. Bref, Matthieu suit ce récit schématique, en apportant des précisions de détail, comme la raison pour laquelle Pierre est allé dans la cour du grand prêtre : voir le dénouement de l’arrestation de Jésus; il s’est dégonflé comme tous les autres, mais le sort de Jésus lui tient à coeur.

v. 59 Les grands prêtres et tout le sanhédrin cherchaient un faux témoin contre Jésus afin de pouvoir le mettre à mort,

Littéralement : Les grands prêtres et tout le sanhédrin cherchaient un faux témoin contre Jésus sur la façon qu’ils puissent le mettre à mort,

v. 60 mais ils n’en trouvèrent pas, même si plusieurs se présentèrent pour témoigner faussement contre lui. À la fin, il s’en présenta deux

Littéralement : et ils ne trouvèrent pas, beaucoup s’étant approché de faux témoins. Pour finir, s’étant approchés deux,

v. 61 qui dirent : « Cette homme proclamait: je suis capable de détruire le temple, et en trois jours le reconstruire. »

Littéralement : ils dirent: « Celui-là déclarait : je suis capable de détruire le temple de Dieu et en trois jours construire. »

v. 62 Le grand prêtre se leva en disant : « Tu ne réponds rien à ceux qui témoignent contre toi? »

Littéralement : S’étant levé le grand prêtre lui dit : « Rien tu ne réponds à ceux qui témoignent contre toi? »

v. 63 Jésus gardait le silence. Alors le grand prêtre lui dit : « Je t’adjure par le Dieu vivant, dis-nous si tu es le messie, le fils de Dieu. »

Littéralement : Jésus gardait silence. Et le grand prêtre lui dit : « Je t’adjure par le Dieu le vivant afin que tu nous dises si tu es le messie le fils de Dieu. »

v. 64 Jésus lui répond : « Tu l’as dit. Toutefois, je le déclare : Désormais vous verrez le nouvel Adam, assis à la droite de Dieu, et venant sur les nuées du ciel. »

Littéralement : Lui dit Jésus: « Tu as dit. Toutefois je vous dis: désormais vous verrez le fils de l’homme assis à droite de la puissance et venant sur les nuages du ciel. »

 
Au v. 59 commence le simulacre de procès. Car sa mort est déjà décidée, il s’agit de trouver le bon témoignage incriminant. Encore une fois, Matthieu suit Marc avec son récit des témoins dont le témoignage de concordent pas, que Matthieu appelle faux témoignages. Le sommet de ces témoignages semble atteint lorsqu’on évoque une parole de Jésus sur la destruction du temple et sa reconstruction en trois jours. Parler de destruction du symbole de la présence de Dieu sur terre est une attaque directe de la religion, et donc un geste grave dans un monde religieux (On pourrait rappeler ce passage d’Esdras 6, 12 où Cyrus, roi de Perse, qui a mis en marche la reconstruction du 2e temple, aurait dit : Que le Dieu qui fait résider là son Nom renverse tout roi ou peuple qui entreprendraient de passer outre en détruisant ce Temple de Dieu à Jérusalem! ). Il est intéressant de noter que Matthieu modifie le texte assez cru de Marc qui dit : « "Nous l’avons entendu qui disait: Je détruirai ce Sanctuaire fait de main d’homme et en trois jours j’en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d’homme." » (Marc 14, 58) Tout d’abord, sous la plume de Matthieu, le « je détruirai » devient « je suis capable de détruire ». N’oublions pas que Matthieu appartient au monde juif, écrit probablement pour une communauté judéo-chrétienne, et il est alors impensable que Jésus ait eu l’intention de détruire ce grand symbole juif. Et en utilisant l’expression « être capable », il souligne la qualité de Jésus, conforme à sa christologie. Ensuite, comme Juif, il est incapable d’accepter la dichotomie de Marc entre le temple « fait de main d’homme » et cet autre « non fait de main d’homme », ce qui détruirait toute la valeur du temple de Jérusalem, quelque peu insultant pour un Juif. Alors, Matthieu ne recopie pas cette partie du texte de Marc. Notons que pour respecter la règle juive du témoignage en un procès, Matthieu mentionne que ce témoignage incriminant provient de deux témoins (voir Deutéronome 19, 15).

Sachant la gravité de l’accusation contre le temple, on peut comprendre le geste du grand prêtre qui se lève en disant : « Tu ne réponds rien à ceux qui témoignent contre toi? » Il est probable que dans l’écriture du récit de la passion, on ait eu en tête cette figure mystérieuse d’Isaïe qui apparaît dans les quatre poèmes du serviteur souffrant, dont ce passage où l’être souffrant n’ouvre pas la bouche : Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche, comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir, comme devant les tondeurs une brebis muette, il n’ouvrait pas la bouche. (Isaïe 53, 7). C’est ainsi que Jésus garde silence.

Et ce qui suit semble viser à amener le procès juif à un sommet. Alors que chez Marc, on assiste à la simple énonciation d’une question sur l’identité de Jésus, chez Matthieu la question revêt un caractère solennelle en prenant Dieu à témoin de manière typiquement juive (voir Job 27, 2 : « Par le Dieu vivant... ») : «Je t’adjure par le Dieu vivant, dis-nous si tu es le messie, le fils de Dieu. » Rappelons tout de suite que l’expression « fils de Dieu » n’est pas à comprendre au sens absolu comme dans la théologie actuelle. Par définition, le messie était envoyé par Dieu, et par le fait même fils de Dieu, au sens où il représentait Dieu et proclamait la parole de Dieu. On peut se poser ici la question : pourquoi le grand prêtre pose-t-il une telle question après le témoignage concernant la destruction et la construction du temple? Quel est le lien entre la question du temple et la question du messie? La réponse n’est pas très claire. Il faut savoir que le titre de messie, i.e. oint, a d’abord été associé au roi qui recevait l’onction pour assumer des tâches comme délégué de Dieu, et devenait par le fait même son fils adoptif. Ainsi, Saül, David et Salomon, celui-là même qui construira le premier temple de Jérusalem, ont été des messies de Dieu. Par la suite, le titre a été attribué de manière plus large à des gens que Dieu envoyait pour accomplir une mission. C’est le cas du roi perse Cyrus qui fera reconstruire le temple de Jérusalem (voir Isaïe 45, 1). Il est donc possible qu’il y ait association entre autorité sur le temple, sur sa reconstruction, et le messie. Mais il encore plus probable que Marc ait construit cette scène pour faire de la question de la messianité de Jésus le sommet de ce procès. Matthieu accentue ce point en reformulant la question du grand prêtre selon modèle de la confession de Pierre plus tôt : « Simon-Pierre répondit: "Tu es le messie, le Fils du Dieu vivant." » (Matthieu 16, 16). Et sa réponse est un peu plus subtile que celle de Marc qui dit simplement : « Je (le) suis. », car son Jésus dit plutôt : «Tu l’as dit. », une réponse un peu plus vague. Ce qui suit (Désormais vous verrez le nouvel Adam, assis à la droite de Dieu, et venant sur les nuées du ciel) fait référence à deux passages de l’Ancien Testament qui ont été combinés :

  • Daniel 7, 13 : Je contemplais, dans les visions de la nuit: Voici, venant sur les nuées du ciel, comme un nouvel Adam. Il s’avança jusqu’à l’Ancien et fut conduit en sa présence.
  • Psaume 110, 1 : Oracle de Yahvé à mon Seigneur: "Siège à ma droite, tant que j’aie fait de tes ennemis l’escabeau de tes pieds. "
Cette figure mystérieuse, le fils de l’homme, que je préfère traduire par nouvel Adam, car c’est la recréation de l’homme tel que voulu par Dieu, était attendue pour la fin des temps, après une période de souffrance, alors que Dieu rétablira le nouvel ordre des choses, où ceux qui ont été humiliés et rejetés, recevront le pouvoir de juger l’humanité, à la droite de Dieu et en son nom. Ce type de messie était différent du messie politique qui faisait partie de l’imaginaire du peuple juif.

v. 65 À ce moment, le grand prêtre déchira ses vêtements en disant : « Il a injurié Dieu. Pourquoi chercher encore des témoins? Vous voyez! Maintenant vous avez entendu l’injure. 66 Qu’est-ce que vous en pensez? Alors ils répondirent : « Il est passible de mort. »

Littéralement : À ce moment-là le grand prêtre déchira ses vêtements disant : « Il a blasphémé (eblasphēmēsen). Quoi encore avons-nous besoin de témoins? Eh bien! Maintenant vous avez entendu le blasphème (blasphēmian).

v. 66 Qu’est-ce que vous en pensez? Alors ils répondirent : « Il est passible de mort. »

Littéralement : Quoi à vous il semble? » Eux ayant répondu dirent: il est passible de mort. »

 
La réplique de Jésus est considérée comme une injure ou un blasphème (blasphēmia). Cela peut surprendre. Mais le fait de venir sur les nuées, donc du monde de Dieu, et surtout de siéger à sa droite, et donc de partager sa puissance, est considéré comme la revendication d’un rang divin, d’où l’injure flagrante à Dieu. Nous avons des parallèles dans l’Ancien Testament, en particulier l’histoire de Jérémie. Car le prophète annonce la destruction du temple de Jérusalem à l’image de la destruction du sanctuaire de Silo : « Je vais traiter ce Temple qui porte mon nom, et dans lequel vous placez votre confiance, ce lieu que j’ai donné à vous et à vos pères, comme j’ai traité Silo » (Jérémie 7, 14). Un peu plus loin dans le livre de Jérémie, un disciple rappelle cette parole et la suite : « Cette parole fut adressée à Jérémie de la part de Yahvé: ..."Je traiterai ce Temple comme Silo et je ferai de cette ville une malédiction pour toutes les nations de la terre. " Prêtres, prophètes et peuple entier entendirent Jérémie prononcer ces paroles dans le Temple de Yahvé. Et quand Jérémie eut fini de prononcer tout ce que Yahvé lui avait ordonné de dire à tout le peuple, prêtres, prophètes et peuple entier se saisirent de lui en disant: "Tu vas mourir! » (Jérémie 26, 1-8)

Matthieu va modifier légèrement le récit qu’il reçoit de Marc. Avant tout, il enlève toute valeur juridique à ce procès au sanhédrin : il remplace « ils le condamnèrent (katakrinō) » par « ils répondirent », si bien que le «Il est passible de mort. » ne devient qu’une opinion. Il a sans doute raison, car l’autorité religieuse n’avait pas le pouvoir de condamner à mort, et donc ne pouvait tenir de véritable procès. Matthieu met l’accent sur l’aspect religieux du jugement en répétant deux fois le mot blasphème. Enfin, il corrige Marc sur le vêtement du prêtre, la tunique ou chemise (chitōn : vêtement simple sans manche), en le remplaçant par imation (manteau) qui se portait sur la tunique. En utilisant le pluriel (qu’on a traduit par vêtements), Matthieu nous donne l’impression que le grand prêtre a déchiré tout ce qu’il portait, ce qui donne un caractère très dramatique au geste.

v. 67 Alors ils lui crachèrent au visage et lui assénèrent des coups de poing, et d’autres le giflèrent

Littéralement : À ce moment-là ils crachèrent à son visage et lui donnèrent des coups de poing, eux ils giflèrent

v. 68 en disant : « Fais le prophète pour nous, messie, qui est-ce qui t’a frappé? »

Littéralement : disant : « Prophétise-nous, messie, qui est-ce qui est t’ayant frappe? »

ils crachèrent à son visage et lui donnèrent des coups de poing
Ce récit a été composé avec la figure du serviteur souffrant en tête :
  • Isaïe 50, 6 : J’ai tendu le dos à ceux qui me frappaient, et les joues à ceux qui m’arrachaient la barbe; je n’ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats.

C’est ainsi que les premiers chrétiens ont pu se réconcilier avec le sort de Jésus. Même si la version de Marc et Matthieu semblent similaires, il y tout de même des différences qu’il vaut la peine de noter. Matthieu rend la scène plus odieuse, car elle n’est l’oeuvre que du sanhédrin, cette institution religieuse, alors que Marc fera participer les gardes. Il continue surtout d’accentuer son caractère religieux avec l’interpellation de Jésus comme messie, ce que n’a pas Marc. C’est ce titre de messie qu’on ridiculise ici clairement.

v. 69 Pierre était assis dehors dans la cour du palais. Une servante s’approcha de lui pour lui dire : « Toi, tu étais avec Jésus le Galiléen. »

Littéralement : Pierre était assis dehors dans la cour du palais. Et s’approcha de lui une servante disant : « Et toi, tu étais avec Jésus le Galiléen. »

v. 70 Devant tous Pierre nia : « Je ne sais pas ce que tu veux dire. »

Littéralement : Lui, il nia devant tous disant: « Je ne sais pas ce que tu dis. »

v. 71 Comme il sortait par la grande porte, une autre servante le vit et s’adressa à ceux qui étaient là : « Celui-là était avec Jésus le Nazôréen. »

Littéralement : Étant sorti vers la grande porte, le vit une autre, et dit à ceux qui étaient là : « Celui-là était avec Jésus le Nazôréen. »

v. 72 De nouveau, Pierre nia avec serment : « Je ne connais pas cet homme. »

Littéralement : Et de nouveau il nia avec serment : « Je ne connais pas l’homme. »

v. 73 Après un peu de temps, les gens qui se tenaient là dirent à Pierre : « Oui, toi aussi, tu es l’un d’eux. D’ailleurs, ton accent te trahit. »

Littéralement : Après un peu de temps s’étant approchés ceux qui se tenaient debout dirent à Pierre : « Vraiment toi aussi l’un d’eux tu es, et car ton accent visible te fait. »

v. 74 À ce moment, Pierre commença à fulminer et à jurer qu’il ne connaissait pas l’homme. Et aussitôt, le coq chanta.

Littéralement : À ce moment-là il commença à fulminer et à jurer qu’il ne connaissait pas l’homme. Et aussitôt un coq fit entendre sa voix.

v. 75 C’est alors que Pierre se rappela de la parole de Jésus : avant qu’un coq chante, trois fois tu auras nié me connaître. Après être sorti dehors, il pleura amèrement.

Littéralement : Et se rappela Pierre de la parole de Jésus qui lui avait été dite : avant qu’un coq fasse entendre sa voix trois fois tu m’auras renié. Et étant sorti dehors il pleura amèrement.

 
Le récit du reniement de Pierre est très bien connu. Il fait fort probablement référence à un événement historique, car on le retrouve dans deux sources indépendantes, celle de Marc et celle de Jean. Dans ce qui suit, nous proposons une traduction la plus littérale possible du texte grec sur les traditions du reniement de Pierre. Nous avons souligné les mots de Marc qui se retrouvent également chez les autres évangélistes; quand un mot est partiellement souligné, cela signifie qu’il s’agit du même mot, mais avec un temps ou forme différente. Nous avons mis en bleu les mots que partagent seulement Luc et Matthieu. Nous avons noté en rouge les mots de Jean qui se retrouvent également dans un évangile synoptique.

Marc 14Matthieu 26Luc 22Jean 18
66a Et Pierre étant en bas dans la cour.69a Puis, Pierre était assis dehors dans la cours.55 Puis, ayant fait du feu au milieu de la cour et s’étant assis ensemble, Pierre était assis au milieu d’eux. 16 Puis, Pierre se tenait à la porte dehors. Sortit donc l’autre disciple connu du grand prêtre et il dit à la portière et il introduisit Pierre.
66b vient une des servantes du grand prêtre 69b et vint vers lui une servante 56a Puis, l’ayant vu, étant assis près de la lumière [du feu] et ayant fixé les yeux sur lui, une quelconque servante17a La servante, la portière,
67 et ayant vu Pierre se chauffant, l’ayant regardé, elle dit : toi aussi tu étais avec le Nazarénien, Jésus. 69c disant: toi aussi tu étais avec Jésus le Galiléen 56b dit: Celui-là aussi était en compagnie de lui. 17b dit donc à Pierre : Toi aussi, n’es-tu pas des disciples de cet homme?
68a Puis, il nia disant : je ne connais ni ne comprends ce que tu dis. 70 Puis, il nia devant tous disant : je ne connais pas ce que tu dis.57 Puis, il nia disant: Femme, je ne le connais pas. 17c Lui dit: Je n’[en] suis pas.
18 Puis, les serviteurs et les gardes qui s’étaient tenus là, ayant fait un feu de braise, car il faisait froid, et ils se chauffaient. Puis, Pierre aussi était avec eux, s’étant tenu là et se chauffant.
68b Et il sortit dehors vers le vestibule [et un coq chanta].71a Puis, étant sorti vers le porche58a et après un court [moment]25a Puis, Simon Pierre était s’étant tenu là et se chauffant.
69 et la servante l’ayant vu commença de nouveau à dire à ceux qui s’étaient tenus auprès: Celui-ci est [un] d’entre eux. 71b Une autre le vit et dit à ceux qui [étaient] là: Celui-ci était avec Jésus le Nazaréen. 58b Quelqu’un de différent l’ayant vu déclarait : Toi aussi tu es [un] d’entre eux. Pierre déclara : 25b Ils lui dirent: Toi aussi, n’es-tu pas de ses disciples?
70a Puis, de nouveau il niait. 72 Et de nouveau il nia avec serment: je ne connais pas l’homme. 58c Homme, je n’[en] suis pas.25c Lui nia et dit: je n’[en] suis pas.
70b Et de nouveau un peu après, ceux qui s’étaient tenus auprès, disaient à Pierre : Véritablement, tu es d’entre eux et en effet tu es Galiléen. 73 Puis, un peu après, ceux qui s’étaient tenus auprès, s’approchant, ils dirent à Pierre : Véritablement toi aussi tu es d’entre eux et en effet ton parler te rend évident. 59 Et s’étant écoulé environ une heure, quelqu’un d’autre insistait disant : En vérité celui-ci aussi était avec lui et en effet il est Galiléen. 26 Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, dit : Ne t’ai-je pas vu dans le jardin avec lui?
71 Puis, lui commença à maudire et à jurer : Je ne connais pas cet homme que vous dites. 74a Alors il commença à maudire et à jurer: Je ne connais pas l’homme. 60a Puis, Pierre dit: Homme, je ne connais pas ce que tu dis. 27a De nouveau donc Pierre nia.
72a Et aussitôt, pour [la] seconde [fois], un coq chanta. 74b Et aussitôt un coq chanta.60b Et immédiatement, lui parlant encore, un coq chanta. 27b Et aussitôt un coq chanta.
61a Et, s’étant retourné, le Seigneur regarda Pierre,
72b Et Pierre se remémora le mot comme lui avait dit Jésus : Avant qu’un coq chante deux fois, trois fois tu m’auras renié. 75a Et Pierre se souvint du mot de Jésus ayant dit: Avant qu’un coq chante trios fois tu m’auras renié. 61b et Pierre se rappela du mot du Seigneur comme il lui avait dit : Avant qu’un coq chante aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois.
72c Et, s’écroulant, il pleurait. 75b Et, étant sorti dehors, il pleura amèrement. 62 Et, étant sorti dehors, il pleura amèrement.

Dans les deux traditions (Marc et Jean),
  1. Pierre est démasqué à trois reprises comme faisant partie des disciples de Jésus. Pour Marc, la servante du grand prêtre l’interpelle à deux reprises, avant que des gens de la cours du grand prêtre l’interpellent à leur tour. Pour Jean, c’est beaucoup plus précis : il s’agit d’abord de la servante qui s’occupait de la porte d’entrée dans la cour intérieure, puis des serviteurs et des gardes du grand prêtre, et enfin d’un parent de celui que Pierre avait blessé à Gethsémani.

  2. Les deux traditions affirment que, lorsqu’il a été interpellé trois fois, Pierre a nié connaître Jésus ou faire partie de ses disciples.

  3. Les deux traditions mentionnent le chant du coq, une référence à l’anticipation par Jésus du reniement. La tradition de Marc se poursuit avec le repentir de Pierre, totalement absent de la tradition de Jean. Étant donné la probabilité de la valeur historique du reniement de Pierre, on peut penser que ce fait n’a pu être connu que par le témoignage de Pierre lui-même. Et la tradition l’a conservé, malgré le fait que Pierre soit devenu le guide de la communauté chrétienne naissante, comme reflet de la fragilité humaine et de la puissance par la suite de la vie offerte par le ressuscité.

Comme il en a l’habitude, Matthieu améliore le récit de Marc. Tout d’abord, ce sont trois interlocuteurs différents qui l’interpellent, plutôt que deux, ce qui correspond mieux à la logique d’un récit en trois temps. De plus, l’interpellation prend trois formes différentes : d’abord on fait référence à Jésus le Galilée, puis à Jésus le Nazoréen, puis à l’accent particulier des gens de Galilée. Enfin, il schématise le récit de Marc en éliminant les détails qu’il juge inutiles, comme le fait que Pierre se chauffe, et surtout le fait que le coq chante deux fois. On pourrait ajouter qu’il s’assure que son récit n’ait pas d’ambiguïté, et donc reprend la phrase de Marc qui disait : « d’ailleurs tu es Galiléen » en écrivant plutôt : « d’ailleurs ton langage te trahit » pour que le lecteur sache bien qu’il s’agit de son accent.

Par contre, il met l’accent sur la gravité et l’intensité du reniement de Pierre. Lors du premier reniement, c’est « devant tout le monde » qu’il nie connaître Jésus. Dans le deuxième reniement, c’est « avec serment » qu’il nie connaître Jésus. Pourquoi? Matthieu semble aimer dramatiser les choses, et donc veut clairement faire sentir le sérieux du geste de Pierre.

Chapitre 27

v. 1 À l’aube, tous les grands prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus sur la façon de le faire mourir.

Littéralement : L’aube étant arrivé, tinrent conseil tous les grands prêtres et les anciens du peuple contre Jésus de la façon le faire mourir.

v. 2 Après l’avoir attaché, ils l’emmenèrent et le livrèrent au gouverneur Pilate.

Littéralement : Et l’ayant attaché, ils emmenèrent et livrèrent à Pilate le gouverneur

  Le simulacre de procès qui a eu lieu auprès d’Anne n’a aucune valeur juridique, puisqu’il ne s’agissait pas d’une rencontre officielle du Sanhédrin. Et si on se fie à Jean, la procédure normale était que le grand prêtre en fonction, ici Caïphe, référait la personne accusée au gouverneur romain qui seul pouvait autoriser l’utilisation de la peine capitale. Matthieu en est conscient, voilà pourquoi il ajoute qu’au petit matin une nouvelle décision est prise, celle sur la façon de faire mourir Jésus, ce qui s’est passé la nuit n’ayant aucune valeur. Cela devait avoir lieu dans le palais de Caïphe. Et Matthieu insiste pour dire que cette décision est prise par « tous » les grands prêtres, une façon d’accentuer la responsabilité du peuple juif.

v. 3 Pendant ce temps, Judas, après avoir vu, que celui qu’il avait remis aux autorités, avait été condamné, se repentit et alla retourner les cinq cent dollars aux grands prêtres et aux anciens

Littéralement : À ce moment-là Judas, ayant vu que celui qu’il avait livré avait été condamné, s’étant repenti (metamelētheis), retourna les trente pièces d’argent (ta triakonta argyria) aux grands prêtres et aux anciens

v. 4 avec ces mots : « J’ai erré en remettant un être innocent. » On lui rétorqua : « Que veux-tu que ça nous fasse? C’est ton problème. »

Littéralement : disant : « j’ai péché livrant un sang (haima) innocent (athōon). » Eux dirent : « quoi pour nous? Toi tu verras. »

v. 5 Après avoir jeté l’argent dans le temple, il se retira et alla se pendre.

Littéralement : Et ayant rejeté les pièces d’argent dans le temple se retira (anechōrēsen), et étant parti se pendit (apēnxato).

v. 6 Ramassant l’argent, les grands prêtres se dirent : « Il n’est pas permis de déposer ça dans le trésor du temple, car c’est le salaire du sang.

Littéralement : Les grands prêtres, ayant pris les pièces d’argent, dirent : « il n’est pas permis de déposer cela dans le trésor du temple (korbanan), puisque c’est le salaire (timē) du sang (haimatos). »

v. 7 Après avoir tenu conseil, ils achetèrent avec l’argent le champ du potier pour la sépulture des étrangers.

Littéralement : Ayant tenu conseil (symboulion), ils achetèrent avec cela le champ du potier (kerameōs) pour sépulture des étrangers (xenois).

v. 8 C’est pourquoi ce champ a été appelé « champ du sang » jusqu’à ce jour.

Littéralement : C’est pourquoi ce champ a été appelé champ du sang jusqu’à ce jour.

v. 9 Alors on comprit la parole de Jérémie le prophète qui disait : Ils prirent les trente pièces d’argent, le salaire estimé par les fils d’Israël.

Littéralement : À ce moment-là, s’accomplit la parole (eplērōthē to rhēthen) de Jérémie (Ieremiou) le prophète disant : Ils prirent les trente pièces d’argent (triakonta argyria), le salaire (timēn) de ce qui a été estimé qu’ont estimé les fils d’Israël.

v. 10 Ils utilisèrent cela pour le champ du potier, comme l’avait prescrit le Seigneur.

Littéralement : Et ils donnèrent (edōkan) cela pour le champ (agron) du potier (kerameōs), selon ce qu’a prescrit (synetaxen) le Seigneur.

 
Ce passage est unique à Matthieu. Alors on peut se poser la question : a-t-il créé cette scène de toute pièce ou a-t-il utilisé une source qu’il est seul à connaître? Nous ne pouvons émettre que des hypothèses, et la réponse est peut-être qu’une tradition ou légende orale existait qu’il a reprise et reformulée à sa façon. Sur quoi nous basons-nous pour faire une telle affirmation? Tout d’abord, cette tradition ou légende reçoit également un écho dans les Actes des Apôtres 1, 16-19 : 16 "Frères, il fallait que s’accomplît l’Écriture où, par la bouche de David, l’Esprit Saint avait parlé d’avance de Judas, qui s’est fait le guide de ceux qui ont arrêté Jésus. 17 Il avait rang parmi nous et s’était vu attribuer une part dans notre ministère. 18 Et voilà que, s’étant acquis un domaine avec le salaire de son forfait, cet homme est tombé la tête la première et a éclaté par le milieu, et toutes ses entrailles se sont répandues. 19 La chose fut si connue de tous les habitants de Jérusalem que ce domaine fut appelé dans leur langue Hakeldama, c’est-à-dire "Domaine du Sang."

Mais comme on le constate, les Actes des Apôtres présentent une légende un peu différente de ce qu’on trouve chez Matthieu. Tout d’abord on ne parle pas de suicide, mais d’un accident qui semble avoir lieu bien après les événements entourant la mort de Jésus. Ensuite, c’est Judas qui semble avoir lui-même effectué la transaction sur l’achat du domaine, et non les grands prêtres. Enfin, le nom Hakeldama, « champ » ou « domaine » du sang, proviendrait non pas du fait qu’il a été acquis au prix du sang de Jésus, mais du sang de ses entrailles qui se répandent. Les biblistes ont tenté sans résultat probant de réconcilier les deux récits. Les seuls points communs sont ceux-ci : 1) Judas a obtenu de l’argent pour sa trahison de Jésus; 2) cet argent a servi à l’acquisition d’un lopin de terre; 3) Judas est mort tragiquement; 4) le lopin de terre porte le nom d’Hakeldama.

Quand on analyse le vocabulaire du récit de Matthieu, on trouve des expressions uniques qui n’apparaissent qu’ici, et donc ne font pas partie de son vocabulaire habituel, comme « alla se pendre » (apēnxato), le trésor du temple (korbanan), potier (kerameōs), sépulture (taphēn). Ce sont là des indices d’une source que Matthieu n’a pas inventée. Par contre, on repère beaucoup d’expressions qui sont soit typiques de Matthieu, ou qu’il utilise beaucoup plus que les autres évangélistes de manière significative, comme « se repentit » (metamelētheis), « un être innocent » (athōon), « il se retira » (anechōrēsen) « le salaire » (timē) « sang » (haimatos), « après avoir tenu conseil » (symboulion), « les étrangers » (xenois). Et il y cette expression qui lui est unique : « Alors on comprit la parole de Jérémie le prophète qui disait » (tote eplērōthē to rhēthen dia Ieremiou tou prophētou legontos), qu’on retrouve également telle quelle dans son récit de l’enfance : « tote eplērōthē to rhēthen dia Ieremiou tou prophētou legontos » (Mt 2, 17). Tout cela montre le travail rédactionnel de Matthieu.

Qu’est-ce que tout cela veut dire? Le récit, tel que nous le présente Matthieu, a peu de valeur historique. Il réutilise probablement une source racontant l’achat d’une terre avec l’argent de la trahison de Judas et la mort tragique de ce dernier. Mais le détail de son récit sert un propos théologique, celui de la responsabilité du peuple juif (Sur ce que nous savons de Judas sur le plan historique, voir Meier).

La clé de ce propos théologique nous est fournie par cette citation de l’Écriture aux vv. 9-10 :

Ils prirent (elabon) les trente pièces d’argent (triakonta argyria), le salaire estimé par les fils d’Israël. 10 Ils utilisèrent (edōkan, litt : donnèrent) cela pour le champ (agron) du potier (kerameōs), comme l’avait prescrit (synetaxen) le Seigneur (Kyrios).

En fait, il s’agit d’un collage de différents passages (en souligné, les termes grecs identiques dans le récit de Matthieu).

  • Zacharie 11, 12-13 (LXX) Et je leur dirai : S’il vous semble bon, donnez-moi un salaire; sinon, refusez-le-moi. Et ils ont pesé (estēsan) pour mon salaire trente sicles d’argent (triakonta argyria). 13 Et le Seigneur me dit : Jette-les dans le creuset, et je verrai si l’argent a été éprouvé de la même manière que j’ai été éprouvé pour l’amour d’eux. Et je pris (elabon) les trente sicles d’argent, et je les jetai au creuset, dans le temple du Seigneur.

  • Jérémie 18, 2-3 : "Lève-toi et entre dans la maison d’un potier (kerameōs), et là tu entendras mes paroles." Et je descendis dans la maison d’un potier, et voilà qu’il était à l’ouvrage sur sa roue.

  • Jérémie 32, 6-15 (LXX): 6 Et la parole du Seigneur vint donc à Jérémie, disant : 7 Voilà que Hanaméel, fils de Shallum, frère de ton père, va venir le trouver, disant : "Achète pour toi mon champ (agron) d’Anatot, parce qu’il est juste que tu le possèdes en l’achetant". 8 Et Hanaméel fils de Shallum, frère de mon père, vint me trouver dans le préau de la prison, et me dit : "Achète pour toi mon champ en la terre de Benjamin en Anatot parce que tu as le droit de l’acheter étant le plus ancien". Et je reconnus que c’était la parole du Seigneur. 9 Et j’achetai le champ d’Hanaméel, fils du frère de mon père, et je pesai (estēsa) pour lui sept sicles et dix pièces d’argent (argyriou). 10 Et je fis un écrit, je le scellai et je pris des témoins, et je mis l’argent dans la balance. Et je gardai l’écrit d’acquisition scellé. 12 Et je le remis (edōka) à Baruch, fils de Nériyya, fils de Mahséya, sous les yeux d’Anaméhel, fils du frère de mon père, et sous les yeux des hommes qui étaient là, et dont le nom était écrit dans l’acte d’acquisition, et sous les yeux des Juifs se trouvant dans le préau de la prison. 13 Et je donnai mes ordres (synetaxa) à Baruch sous leurs yeux, disant: 14 "Voici ce que dit le Seigneur (Kyrios) tout-puissant: Prends cet acte d’acquisition, acte que tu as lu, et mets-le dans un pot de terre, afin qu’il soit conservé longtemps"; 15 Car voici ce que dit le Seigneur : "On bâtira encore ici des maisons; on cultivera encore des champs et des vignes en cette terre".

Comme on a pu le constater, ces références à l’Ancien Testament sont réunies de manière assez lâche par les thèmes des trente pièces d’argent, du potier et de l’achat d’un champ. Dans le texte de Zacharie, Dieu demande au prophète de paître des brebis qui iront par la suite à l’abattoir, et il sera payé trente pièces d’argent pour son travail; on peut voir le lien avec Jésus, l’agneau qui est mené à l’abattoir, et le salaire de trente pièces d’argent pour ce travail.

Dans le premier texte de Jérémie, l’oeuvre du potier qui se brise et qui doit être recommencée devient l’image du peuple d’Israël qui est infidèle à son Dieu, et le prophète vient annoncer les malheurs qui l’attendent.

Dans le deuxième texte de Jérémie, le roi de Babylone est aux portes de Jérusalem pour exiler la population, mais Dieu demande néanmoins de faire une transaction en achetant un terrain à Anatot, tout près de Jérusalem; il y a quelque chose d’incongru dans le contexte, mais c’est ce que Dieu veut.

Bref, Matthieu, avec les premières communautés chrétiennes, a cherché à comprendre les derniers moments de la vie de Jésus en relisant l’Ancien Testament, cette parole de Dieu. Au moment où son évangile est écrit, les Romains ont déjà détruit Jérusalem; les malheurs ce sont accumulés sur le peuple juif. Alors il relit plusieurs textes qui parlent des malheurs qui attendent le peuple juif, il trouve ce passage de Zacharie qui parle des brebis qu’on mène à l’abattoir et pour lequel on paie le berger trente pièces d’argent; il trouve également ce passage de Jérémie qui annonce l’exil du peuple et où le prophète fait l’acquisition d’un champ alors que la vie devrait plutôt s’arrêter; il trouve enfin ce passage où un potier doit jeter un vase sorti de son tour, car il est brisé, image du peuple, pour le recommencer, image de ce que Dieu veut faire. Tous ces passages l’éclairent sur les événements entourant Judas et l’aide à lui donner un sens; ils sont dans la lignée de ce qu’ont vécu les prophètes d’autrefois, en particulier Jérémie.

Plusieurs autres passages de Jérémie l’ont aidé à jeter une lumière sur ces événements tragiques, comme 26, 15 : « Mais sachez que si vous me faites périr, vous ferez retomber le sang innocent (haima athōon) sur vous, sur cette ville, et sur ceux qui l’habitent ». C’est à cette lumière qu’il a écrit cette scène de Judas retournant voir les grands prêtres : «J’ai erré en remettant un être (haima, litt : sang) innocent (athōon). » On peut se demander également si 2 Samuel 17, 23 (LXX : Quand Achitophel vit que son conseil n’était pas suivi, il bâta son ânesse, retourna en sa demeure dans la ville, donna, des instructions a sa famille, se pendit (apēnxato), et mourut; on l’ensevelit dans le sépulcre de son père) n’a pas inspiré Matthieu dans le suicide de Judas, puisqu’on y retrouve le même mot rare « se pendre » (apēnxato) : dans le deux cas, il s’agit de deux traîtres, l’un à l’égard de Jésus, l’autre à l’égard du roi David. C’est un peu l’histoire qui se répète.

v. 11 Jésus se tint devant le gouverneur. Ce dernier l’interrogea : « Es-tu le roi des Juifs? » Jésus répondit : « C’est toi qui le dit. »

Littéralement : Jésus se tint devant le gouverneur. Et l’interrogea le gouverneur disant : « Tu es le roi des Juifs? » Jésus déclarait: « Tu le dis. »

Jésus se tint devant le gouverneur
Après l’interruption du procès de Jésus pour insérer l’histoire de la fin tragique de Judas, Matthieu retourne au récit de Marc. Il doit donc ajouter la phrase « Jésus se tint devant le gouverneur » à sa source pour nous rappeler où nous en étions.

Tu es le roi des Juifs?
L’accusation d’être le roi des Juifs semble être le motif historique de la mort de Jésus. On la retrouve dans les deux sources indépendantes que sont Marc et Jean. C’est le motif qui se retrouvera dans la bouche de Pilate et sur l’écriteau de la croix. Matthieu reprend donc le texte de Marc où Pilate pose à Jésus la question de sa royauté et Jésus répond de manière énigmatique : « Tu le dis (sy legeis). » Comment faut-il interpréter cette réponse? Tout d’abord, il est inutile d’essayer de se mettre dans la peau de Jésus. Il s’agit d’un récit, donc d’une oeuvre littéraire. Matthieu reprend l’oeuvre littéraire de Marc. Pourquoi Marc n’a-t-il pas mis dans la bouche de Jésus une réponse simple : oui (nai), ou encore, non (ou)? De manière surprenante, Marc est le seul évangéliste qui ne connait pas les expressions « oui » ou « non », alors que quelqu’un comme Matthieu utilise 7 fois « oui » et 2 fois « non ». Et l’expression « Tu le dis » provient de Marc que reprennent Matthieu et Luc, et ne se retrouve nulle part ailleurs dans un sens affirmatif, sauf chez Jean (18, 37) qui doit ajouter : « Je suis roi » » Donc, comme il ne semble pas connaître le mot « oui », il est donc possible que l’intention de Marc était de mettre dans la bouche de Jésus l’équivalent de « oui » avec son expression : « Tu le dis », non pas que sur le plan historique les choses se soient passées comme ça, mais pour Marc, dans sa foi, il l’est vraiment.

v. 12 Face aux accusations des grands prêtres et des anciens, il ne répondit rien.

Littéralement : Et dans le fait d’être accusé par les grands prêtres et les anciens, il ne répondit rien.

v. 13 Alors Pilate lui dit : « Tu n’entends pas tous ceux qui témoignent contre toi? »

Littéralement : À ce moment-là Pilate lui dit : « Tu n’entends pas tous ceux qui témoignent contre toi? »

v. 14 Mais Jésus ne répondit sur rien, si bien que le gouverneur en était grandement étonné.

Littéralement : Et il ne lui répondit pour rien en parole, au point d’étonner grandement le gouverneur.

Pilate lu dit : Tu n’entends pas
Quand on compare la comparution devant Anne et celle devant Pilate, on est étonné de voir que les deux parutions suivent la même séquence. Regardons le texte de Marc qu’utilise Matthieu :

  Comparution devant Anne Comparution devant Pilate  
Pilate l’interrogea: "Tu es le roi des Juifs?" Jésus lui répond: "Tu le dis." 15, 2
14, 56 Car plusieurs déposaient faussement contre lui et leurs témoignages ne concordaient pas. Et les grands prêtres multipliaient contre lui les accusations. 15, 3
14, 60 Se levant alors au milieu, le Grand Prêtre interrogea Jésus: "Tu ne réponds rien? Qu’est-ce que ces gens attestent contre toi?" Et Pilate de l’interroger à nouveau: "Tu ne réponds rien? Vois tout ce dont ils t’accusent!" 15, 4
14, 61 Mais lui se taisait et ne répondit rien. Mais Jésus ne répondit plus rien, si bien que Pilate était étonné. 15, 5

Il est donc possible que le détail du procès devant Pilate soit un « montage » créé à partir du simili-procès devant Anne, car on devait avoir très peu d’information sur ce qui s’est passé chez le gouverneur romain.

Matthieu reprend donc tel quel le texte de Marc, sauf quelques changements mineurs, dont deux qu’il vaut la peine de relever. Le premier est de répéter deux fois (v. 12 et 14) que Jésus « ne répond rien », plutôt qu’une seule fois; il veut probablement associer avec plus de force Jésus au serviteur souffrant d’Isaïe (Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche, comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir, comme devant les tondeurs une brebis muette, il n’ouvrait pas la bouche, 53, 7). Le deuxième est d’ajouter les anciens aux grands prêtres dans la liste des accusateurs de Jésus; c’est sa façon d’insister sur la culpabilité de tout le peuple juif dans la mort de Jésus.

v. 15 À la fête de la Pâque, le gouverneur avait l’habitude de libérer un prisonnier que la foule choisissait.

Littéralement : Au temps de la fête, le gouverneur avait l’habitude (eiōthei) de libérer un prisonnier que la foule voulait.

v. 16 Or, il y avait un prisonnier fameux, appelé [Jésus] Barabbas.

Littéralement : À ce moment-là ils avaient un prisonnier fameux appelé [Jésus] Barabbas.

v. 17 Alors que les gens était rassemblés, Pilate leur demanda : « Lequel voulez-vous que je vous libère, [Jésus] Barabbas ou Jésus appelé messie? »

Littéralement : Eux étant donc rassemblés, Pilate leur dit : « Lequel voulez-vous que je vous libère, [Jésus] Barabbas ou Jésus appelé messie? »

v. 18 Car il savait que c’était par jalousie qu’on l’avait livré.

Littéralement : Car il savait que c’était par jalousie qu’ils l’avaient livré.

 
Matthieu opère des changements de deux ordres à sa source marcienne. Il y a d’abord des changements d’ordre littéraire. Il atténue le côté rude du style de Marc, par exemple, en précisant que le gouverneur « avait l’habitude » (eiōthei) de relâcher un prisonnier; car le lecteur aurait pu se poser certaines questions, comme : est-ce que cela faisait partie de la loi? Le lecteur saura donc qu’il s’agit d’une coutume qui n’a pas de valeur juridique. Il y a aussi sa tendance à schématiser les détails de Marc qui ne contribuent en rien au propos catéchétique. C’est ainsi que les détails concernant Barabbas (arrêté avec les émeutiers qui avaient commis un meurtre dans la sédition, Marc 15, 7) sont remplacés par : prisonnier fameux.

Matthieu opère également des changements théologiques. Il transforme cette scène pour qu’elle devienne le moment d’un choix fondamental du peuple juif, pour ou contre Jésus. Pour y arriver, il modifie la logique de Marc qui présente Pilate proposant simplement de relâcher Jésus. Sous sa plume, Pilate propose à la foule de choisir entre Jésus Barabbas et Jésus messie. Matthieu est le seul à donner ce prénom de Jésus à Barabbas, mais ce détail a peut-être une valeur historique, car beaucoup de Juifs avaient Jésus comme prénom (certains manuscrits omettent « Jésus » dans le nom de Barabbas, mais c’est dû probablement à la pression d’Origène, 3e siècle, qui refusait qu’un bandit porte le nom de Jésus). La foule doit donc choisir entre deux Jésus. Et pour bien montrer la signification de ce choix, le titre de « Roi des Juifs » chez Marc devient « messie (christon) sous sa plume : si on rejette ce Jésus, c’est le messie qu’on rejette. Pour accentuer encore ce choix, la montée de la foule chez Marc devient chez Matthieu « Alors que les gens était rassemblés », à l’image d’une assemblée délibérante, composée en fait de tout le monde (les gens). C’est un terrible procès que Matthieu fait à son peuple. Mais c’est à l’image du Deutéronome où Dieu demande de choisir entre la vie et la mort. Pour Matthieu, son peuple a choisi la mort. (Notons qu’au moyen âge l’évangile de Matthieu semble le plus connu, puisque Domingo de Guzman, fondateur des dominicains, ne se promenait qu’avec l’évangile de Matthieu sous le bras. Cela a peut-être contribué à certaines poussées anti-juives.)

v. 19 Alors qu’il siégeait au tribunal, sa femme lui envoya un message qui disait : « N’aie rien à voir avec ce juste. Car j’ai été aujourd’hui très bouleversé par un rêve à son sujet. »

Littéralement : Lui, étant assis au tribunal, sa femme envoya vers lui disant: « Rien à toi et ce juste-là. Car beaucoup j’ai souffert aujourd’hui selon un rêve (onar) à son sujet. »

sa femme... selon un rêve (onar) à son sujet
Notre péricope commence avec une scène étrange que Matthieu a insérée à sa source : le récit de la femme de Pilate qui a eu un songe sur Jésus qui l’a bouleversé au point de recommander à son mari de ne pas le condamner. P. Benoit et M.-E. Boismard (Synopse des quatre évangiles II, Paris : Cerf, 1972, p. 416) écrivent :
Il s’agit ici probablement d’une tradition tardive, comme c’est souvent le cas dans les détails que Mt est le seul à rapporter. Ce trait de la femme d’un juge qui demande à son mari d’épargner un prisonnier appartient au folklore, car on le retrouve ailleurs, ainsi chez les rabbins de Babylonie. Cette anecdote a pu s’introduire dans le récit de Mt par quelque influence étrangère.

Mais il faut reconnaître que nous retrouvons ici un geste typique de l’évangile de Matthieu : donner un rôle aux songes (grec : onar) dans la façon dont Dieu communique avec le monde. Il en est d’ailleurs le seul dans tout le Nouveau Testament. Rappelons-nous de son récit de l’enfance : l’ange du Seigneur apparaît à Joseph dans un songe pour lui dire de ne pas crainte de prendre chez lui malgré le fait qu’elle soit déjà enceinte (1, 20); les mages sont avertis en songe de ne pas retourner voir Hérode (2, 12); l’ange du Seigneur apparaît à Joseph en songe pour l’inviter à fuir en Égypte (2, 13); l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph en Égypte pour lui dire qu’il peut revenir au pays (2, 19); mais comme il craint Archélaüs, fils d’Hérode, l’ange du Seigneur l’invite en songe de se rendre en Galilée (2, 22). Ainsi, pour Matthieu, nos rêves peuvent avoir une valeur devant Dieu dans notre recherche du sens des choses et dans les décisions que nous avons à prendre. Dans le contexte du procès de Jésus, c’est une façon de mettre en contraste des païens, en l’occurrence des Romains, avec le peuple juif : les Romains savent qu’il ne faut pas condamner Jésus, ce qui accentue la culpabilité du peuple juif.

v. 20 Mais les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules de réclamer Barabbas et faire périr Jésus.

Littéralement : Les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules afin qu’ils réclament Barabbas, et qu’ils fassent périr Jésus.

v. 21 Le gouverneur leur demanda : « Lequel des deux voulez-vous que je vous libère? » Les gens dirent : « Barabbas ».

Littéralement : Le gouverneur ayant répondu, il leur dit : « Lequel voulez-vous des deux que je vous libère? » Eux dirent : « Barabbas ».

v. 22 Pilate leur dit : « Que ferai-je donc de Jésus, appelé messie? » Tous répondirent : « Qu’il soit crucifié. »

Littéralement : Pilate leur dit : « Quoi donc je ferai Jésus appelé messie? » Tous dirent : « Qu’il soit crucifié. »

v. 23 Pilate reprit : « Mais qu’a-t-il fait de mal? » Ils criaient plus violemment : « Qu’il soit crucifié. »

Littéralement : Lui, il déclarait: « Car quoi mauvais il a fait? » Eux plus violemment criaient disant : « Qu’il soit crucifié. »

Tous répondirent : « Qu’il soit crucifié
Quand Matthieu reprend sa source, il continue à la modifier pour servir son propos théologique, celui de montrer la responsabilité du peuple juif dans la mort de Jésus. Tout d’abord, il tient encore à ajouter les anciens aux grands prêtres à la liste des accusateurs. Ensuite, comme il fait de cette comparution devant Pilate une prise de décision sur le rejet de Jésus messie, alors il opère un certain nombre de changements :
  1. Ce que les Juifs demandent, ce n’est pas seulement de libérer Barabbas comme chez Marc, mais également de faire périr Jésus (v. 20);
  2. Il ajoute une nouvelle fois la question de Pilate sur le choix entre libérer Barabbas ou Jésus, appuyant le fait qu’il s’agit d’un choix conscient et délibéré (v. 21);
  3. Le titre de Jésus dans la question de Pilate n’est pas celui de « roi des Juifs » comme chez Marc, mais celui de « messie », insistant sur l’enjeu juif de ce messie promis par Dieu.

v. 24 S’apercevant qu’il ne servait à rien de continuer, mais que les choses s’envenimaient davantage, Pilate prît de l’eau et se lava les mains devant la foule avec ces mots : « Je suis innocent de ce sang. À vous d’y voir. »

Littéralement : Pilate, ayant vu qu’il ne servait à rien mais que le tumulte est plus grand, ayant pris de l’eau se lava les mains devant la foule disant: « Innocent (thōos) je suis de ce sang (haimatos). Vous-mêmes voyez. »

v. 25 Tout le peuple répondit : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants. »

Littéralement : Et ayant répondu, tout le peuple dit : « Que son sang sur nous et nos enfants. »

ayant pris de l’eau se lava les mains
À la fin de cette séquence, Matthieu ajoute un récit qu’il est seul à rapporter, un récit qui montre un Pilate qui voudrait libérer Jésus, mais doit céder à la pression de la foule, et pour montrer son désaccord, pose ce geste symbolique du lavement des mains. Ce geste est connu dans l’Ancien Testament, car Dieu en fait une prescription pour les anciens du village dans le cas de découverte inopinée d’un homme assassiné à la campagne, afin d’attester qu’ils n’ont pas versé de sang innocent et ainsi recevoir le pardon de Dieu (voir Deutéronome 21, 1-9). Pour Matthieu, le gouverneur romain, et à travers lui tout le monde païen, n’a aucune responsabilité dans la mort de Jésus. Toute la responsabilité en revient au peuple juif. Pour bien insister sur ce point, il met dans la bouche de la foule cette phrase inspirée du prophète Jérémie 26, 15 : « Mais sachez que si vous me faites périr, vous ferez retomber le sang innocent (haima athōon) sur vous, sur cette ville, et sur ceux qui l’habitent ».

v. 26 Alors il leur libéra Barabbas, et après avoir fait flageller Jésus, il leur livra pour qu’il soit crucifié.

Littéralement : À ce moment-là il leur libéra Barabbas, et ayant fait flageller Jésus il livra afin qu’il soit crucifié.

ayant fait flageller
Un mot sur la flagellation. Le fouet romain était muni de morceaux d’os et de plomb; on flagellait avant la crucifixion pour affaiblir le supplicié et abréger ses souffrances (voir la note de la Traduction OEcuménique de la Bible). Le mot utilisé par Matthieu est phragelloō (flageller, fouetter) qu’il reprend de Marc. Ce fouet ne semble pas seulement romain, mais connu dans le monde juif, peut-être emprunté au monde romain. C’est le même mot qu’utilise Jean dans la description de la scène où Jésus chasse les vendeurs du temple : Se faisant un fouet (phragellion) de cordes, il les chassa tous du Temple, et les brebis et les boeufs; il répandit la monnaie des changeurs et renversa leurs tables (Jn 2, 15). Il existe un mot synonyme matigoō utilisé par les évangélistes pour décrire le sort qui attend les judéo-chrétiens de part de leurs frères Juifs : « Ils vous flagelleront (matigoō) dans leurs synagogues » (Mt 10, 17; voir aussi Mt 20, 19; Mt 23, 34; Mc 10, 34; Lc 18, 33; Jn 19, 1).

v. 27 Les soldats du gouverneur emmenèrent alors Jésus au prétoire et rassemblèrent toute la cohorte.

Littéralement : À ce moment-là les soldats du gouverneur ayant pris avec eux Jésus vers le prétoire assemblèrent sur lui toute la cohorte.

v. 28 Après l’avoir dévêtu, ils lui mirent un manteau écarlate,

Littéralement : Et l’ayant dévêtu, ils lui mirent tout autour une chlamyde écarlate,

v. 29 puis, après avoir tressé une couronne à partir de ronces, ils la lui mirent sur la tête ainsi qu’un roseau dans sa main droite. S’étant agenouillé devant lui, ils se moquèrent : « Salut, roi des Juifs. »

Littéralement : et ayant tressé une couronne à partir de ronces, ils mirent sur sa tête et un roseau dans sa droite, et s’étant agenouillé devant lui, ils se moquèrent de lui en disant: « Réjouis-toi, roi des Juifs. »

v. 30 Ils crachèrent sur lui et le frappèrent à la tête avec le roseau.

Littéralement : Et ayant craché vers lui, ils prirent le roseau et frappèrent à sa tête.

v. 31 Quand ils se furent moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau pourpre et lui remirent son propre manteau, et l’emmenèrent pour le crucifier.

Littéralement : Et quand ils se moquèrent de lui, ils le dévêtir de sa chlamyde et le vêtirent de sa tunique et l’emmenèrent pour crucifier.

ils se moquèrent de lui
Comme il a l’habitude de le faire, Matthieu essaie d’améliorer le texte de Marc qu’il a sous les yeux, en particulier la séquence des gestes de moquerie concernant la prétention de Jésus à être roi des Juifs. Marc semble énumérer confusément la suite les actes des soldats : ils le vêtent d’un vêtement pourpre, lui mettent une couronne d’épine, le saluent comme roi, le frappent avec un roseau, crachent sur lui, se prosternent devant lui. Matthieu y met un ordre rigoureux et précis :
  1. Tout d’abord, il faut le dévêtir,
  2. Ensuite on lui met une chlamyde (un vêtement militaire) écarlate, ce qui est compréhensible au milieu de soldats, et a plus de sens que le vêtement royal pourpre de Marc,
  3. On tresse une couronne avec des ronces (Marc lui met la couronne avant de mentionner qu’on la tresse),
  4. On la met sur la tête de Jésus (Marc l’assume sans le mentionner),
  5. On met dans la main droite de Jésus un sceptre de roseau (détail non mentionné par Marc), allusion au sceptre que le roi tenait dans la main droite, ce qui complète la caricature de Jésus, roi des Juifs,
  6. Le premier geste des soldats est la génuflexion devant le roi, ce qui est la séquence normale quand on comparait devant un roi (avant le salut qui est en premier chez Marc; et ce dernier met la génuflexion à la toute fin, ce qui n’a pas beaucoup de sens),
  7. Vient le salut avec le titre : « Salut, roi des Juifs. »,
  8. Qui est suivi habituellement d’un baiser, qui se change ici en crachat (Marc fait suivre le salut d’un coup de roseau sur la tête, puis des crachats),
  9. Enfin, la scène se termine avec le sceptre, symbole d’autorité, qu’on utilise pour lui frapper la tête.

Des scènes de moqueries devant des prétendants royaux ou des condamnés à morts sont bien connues. Donnons deux exemples rapportées par P. Benoit et M.-E. Boismard (Synopse des quatre évangiles II, Paris : Cerf, 1972, p. 420) :

  1. Philon d’Alexandrie.(in Flacc. 6) raconte ainsi comment, pour se moquer du roi Agrippa de passage à Alexandrie, la foule s’empare d’un simple d’esprit nommé Karabas et le pousse au gymnase; on l’installe sur une estrade, et là : « ayant percé une feuille de papyrus on la lui mit sur la tête en guise de diadème; on l’enveloppe d’une natte en guise de chlamyde; en guise de sceptre, quelqu’un lui donne un morceau de tige de papyrus des champs qu’il voit jeté sur le chemin. » On vient alors le saluer en l’appelant marin (= Seigneur en araméen) et lui demander justice.

  2. D’après Dion Chrysostome (De Reg. 4 66), lors de la fête des Sacées, les Perses se divertissaient ainsi : « Ayant pris un des prisonniers condamnés à mort, ils le font asseoir sur le trône du roi, ils lui donnent un vêtement royal, ils le laissent commander, boire, festoyer, user des concubines du roi pendant ces jours-là; personne ne l’empêche de faire ce qu’il veut. Après quoi, l’ayant dévêtu et flagellé, ils le pendirent. »

v. 32 En sortant, ils trouvèrent un homme de Cyrène du nom de Simon. Ils le réquisitionnèrent pour porter sa croix.

Littéralement : Sortant, ils trouvèrent un homme de Cyrène du nom de Simon. Ils réquisitionnèrent celui-ci afin qu’il porte sa croix.

ils réquisitionnèrent celui-ci afin qu’il porte sa croix
La scène où Jésus a besoin d’aide pour porter sa croix a une certaine vraisemblance. Tout d’abord, il était normal que le condamné porte sa croix lui-même, plus exactement le bois transversal, puisque le bois vertical demeurait sur place. De plus, Jésus a été flagellé, une pratique qui avait pour but d’affaiblir le supplicié. La personne qu’on réquisitionne se nomme Simon, originaire de Cyrène, une région où vivent beaucoup de Juifs à l’époque (Voir Actes 11, 20 où on mentionne des Juifs convertis au christianisme à Cyrène). Marc a plus de détail sur Simon (il connaît deux de ses fils, Alexandre et Rufus, dont le dernier est peut-être le même mentionné par Paul dans sa lettre aux Romains, 16, 13) que néglige Matthieu, selon son habitude. On devine que cette scène a frappé l’imagination, car ce détail a été conservé dans les mémoires. Jean n’en fait aucune mention, mais c’est compréhensible dans le contexte de sa théologie d’un Jésus glorieux même dans sa passion : un Jésus affaibli n’avait pas sa place.

v. 33 Parvenu à un lieu, appelé Golgotha, c’est-à-dire lieu du crâne,

Littéralement : Et étant allé en un lieu appelé Golgotha, celui qui est appelé lieu du crâne,

lieu du crâne
Le Golgotha, lieu du crâne, est probablement un élément historique, puisqu’on le retrouve dans les deux sources indépendantes que sont Marc et Jean. Il est possible qu’il renvoie à une configuration physique du roc de cette carrière où avait lieu l’exécution de criminels juste en dehors des murs de la ville de Jérusalem à cette époque, mais près d’une porte, car Jean 19, 20 affirme que c’était près de la ville et la circulation semble intense. Encore aujourd’hui, si on se rend sous l’église du Saint-Sépulcre, on peut voir cette configuration qui ressemble à un crâne.

v. 34 ils lui donnèrent à boire du vin mélangé avec du fiel. Après avoir goûté, il n’en voulu pas.

Littéralement : ils lui donnèrent à boire du vin mélangé avec du fiel (cholēs). Et ayant goûté, il ne voulut pas boire.

à boire du vin mélangé avec du fiel (cholēs)
Dans le Talmud de Babylone, traité Sanhédrin 43a, on peut lire :
Ce que Rabbi Hiyya ben Ashni déclare au nom de Rabbi Hisda : Quand on conduit quelqu’un à son exécution, on lui donne une coupe de vin contenant un grain d’encens pour engourdir ses sens, car il est écrit : donnez une boisson forte à quelqu’un sur le point de mourir, et du vin à celui qui a le coeur amer. On enseigne également : les dames nobles de Jérusalem ont l’habitude de l’apporter et de le donner. Si elles ne le donnaient pas, qui se chargerait de le leur fournir? Aussi, dans ces circonstances, il est logique que cela soit fourni à même les fonds publics.

Même si le Talmud date du 5e siècle de l’ère moderne, il reflète probablement une coutume très ancienne et qui apparaît dans notre récit. C’était une mesure de compassion. Un peu d’ivresse aidait à passer à travers ses souffrances. Matthieu modifie sa source marcienne qui parlait de myrrhe ajouté au vin : il parle plutôt de fiel (cholēs). Il entend faire ici allusion au psaume 69, 22 : (LXX) Et ils m’ont donné du fiel (cholēn) pour nourriture, et dans ma soif ils m’ont abreuvé de vinaigre. Ce psaume est la prière d’un homme persécuté à cause de son amour pour Dieu et du zèle pour sa maison, qui se plaint d’être devenu un étranger pour sa famille et la risée de tous, mais à la fin exprime sa foi en la capacité libératrice de Dieu. Pour Matthieu, ce persécuté est actuellement incarné par Jésus.

v. 35 Après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en les tirant au sort.

Littéralement : L’ayant crucifié ils se séparèrent ses vêtements, jetant un sort.

v. 36 Et assis, ils assuraient la garde.

Littéralement : Et assis, ils veillaient sur lui là.

v. 37 On posa au-dessus de la tête de Jésus son acte d’accusation rédigé ainsi : Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs.

Littéralement : Et ils posèrent au-dessus de sa tête son accusation qui avait été écrit : Celui-ci est Jésus le roi des Juifs.

ils se séparèrent ses vêtements
Il était habituel que les exécuteurs se partagent les vêtements des condamnés, et donc les soldats se sont probablement partagés les vêtements des trois personnes en croix. Dans la scène de partage des vêtements de Jésus, Matthieu reprend tel quel Marc où il s’agit d’une citation du psaume 22, 16-18 (LXX: 21, 17-19) :
(LXX) 17 Une multitude de chiens m’ont entouré; la synagogue des pervers m’assiège; ils m’ont percé les pieds et les mains, 18 ils ont compté mes os; ils m’ont observé et surveillé. 19 Ils se sont partagé mes vêtements et ils ont tiré ma robe au sort (diemerisanto ta himatia mou heautois kai epi ton himatismon mou ebalon klēron).

Le sort de Jésus prend son sens à la lumière du psalmiste, un juste persécuté en raison de sa foi en Dieu.

Considérons les autres modifications que Matthieu apporte à sa source marcienne. Lorsqu’il reprend la mention de Marc que Jésus ne voulut pas de la boisson qu’on lui tendait, il prend la peine d’ajouter que Jésus y a d’abord goûté, avant de la refuser. Pourquoi? Tout d’abord, le refus de boire dans le récit originel de Marc entendait probablement signifier que Jésus est mort en pleine conscience, sans s’enivrer, donc en acceptant totalement sa situation. En modifiant cette source, Matthieu se trouve à en changer le sens : le refus de Jésus de boire semble plus lié au mauvais goût de la boisson. Voulait-il faire une association avec le psaume 69 (v. 22: "Et ils m’ont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif ils m’ont abreuvé de vinaigre")? Peut-être.

Un autre ajout concerne le fait que des gardes sont postés, assis, devant la croix. Chez Matthieu les gardes jouent le rôle de témoin important : ils sont présent à la croix avant sa mort, ils seront présents lorsqu’il mourra et que la terre tremblera, ils seront présents au sépulcre qu’ils auront mission de protéger, et enfin ils seront présents au moment où l’Ange du Seigneur roulera la pierre du sépulcre. Ils deviennent comme des témoins neutres, assurant que les événements entourant Jésus ne sont pas une invention chrétienne. La dernière modification se rapporte au motif de la condamnation de Jésus qui s’explique par la tendance de Matthieu à être plus précis que Marc : il ajoute que le motif est mis « au-dessus de sa tête » et que le contenu est « Celui-ci est Jésus », et pas seulement « Le roi des Juifs »; Jean donne raison à Matthieu sur ce point et est même plus précis : « Jésus le Nazôréen ».

v. 38 On crucifie alors avec lui deux bandits, un à droite, l’autre à gauche.

Littéralement : À ce moment-là sont crucifiés avec lui deux brigands, un à la droite et un à gauche.

v. 39 Les passants l’injuriaient en agitant la tête

Littéralement : Eux, passant, l’injuriaient agitant (kinountes) leur tête (kephalas)

v. 40 et disaient : « Toi qui détruis le temple et le reconstruis en trois jours, libère-toi toi-même, si tu es fils de Dieu, et descends de la croix. »

Littéralement : et disant: « Celui qui détruit le temple et en trois jours construisant, libère-toi (sōson) toi-même, si tu es fils de Dieu, [et] descends de la croix. »

v. 41 De la même façon, les grands prêtres avec les scribes et les anciens se moquaient avec ces mots :

Littéralement : Et pareillement les grands prêtres se moquant avec les scribes et les anciens disaient:

v. 42 « Il en a libéré d’autres, il n’est même pas capable de se libérer lui-même. Il est roi d’Israël, qu’il descende de la croix, et alors nous croirons en lui.

Littéralement : « D’autres il a sauvé (esōsen), il n’est pas capable de se sauver (sōsai) lui-même. Il est roi d’Israël, descends maintenant de la croix et nous croirons en lui.

v. 43 Il s’est fié à Dieu, qu’Il le libère maintenant s’Il tient à lui. Car n’a-t-il pas dit : je suis fils de Dieu? »

Littéralement : Il a convaincu Dieu, qu’il le libère (rhysasthō) maintenant s’il le désire (thelei auton). Car il a dit que je suis fils de Dieu. »

v. 44 Les bandits qui avaient été crucifiés avec lui l’injuriaient tout autant.

Littéralement : Les brigands aussi avec lui, ceux qui avaient été crucifiés avec lui l’injuriaient.

 
Deux bandits sont crucifiés avec Jésus. Comme Jean confirme également ce fait, on peut y voir un événement historique. Il est même permis de penser que ces bandits sont liés à la sédition à laquelle participait Barabbas; mais ils ont eu moins de chance que ce dernier.

Le coeur de cette péricope reprend des éléments du Psaume 22, 8-9 (LXX: 21, 7-8):

(LXX) 7 Tous ceux qui m’ont vu se sont moqués de moi; ils ont murmuré entre leurs lèvres, ils ont secoué la tête (ekinēsan kephalēn). 8. Ils ont dit : Il a mis son espoir en Dieu, que le Seigneur le sauve (rhysasthō auton); qu’il le délivre (sōsatō auton), puisqu’il se complaît en lui (thelei auton).

Jésus revit les moqueries du juste persécuté. Voilà comment les premiers chrétiens interprètent les événements terribles concernant Jésus et leur permettent d’y trouver un sens.

Les injures sont proférées par trois groupes : 1) les passants qui reprennent les accusations du sanhédrin; 2) les grands prêtres qui reprennent les accusations devant Pilate, et 3) enfin les bandits dont on ne précise pas le contenu. C’est une façon pour le récit originel de Marc de résumer une dernière fois toutes les accusations et d’en faire un sommet : tout le monde l’injurie, tout le monde confirme le sort qu’il mérite, y compris ceux qui vivent le même sort que lui. Et le nombre trois est typique de tout bon récit (voir les trois reniements de Pierre, les trois allées-venues de Jésus auprès de ses disciples à Gethsémani).

Encore une fois, Matthieu modifie la tradition qu’il reçoit de Marc. La plus importante modification est d’ajouter deux fois l’expression « Fils de Dieu » au contenu des injures, d’abord dans la bouche des passants, ensuite dans la bouche des grands prêtres : « libère-toi toi-même, si tu es fils de Dieu » au v. 40 et « Car n’a-t-il pas dit : je suis fils de Dieu? ». Pourquoi apporte-t-il ces modifications? C’est sa façon, lui l’évangéliste bien structuré, de préparer la scène de la mort de Jésus quand les gardes s’écrieront quand Jésus aura expiré : « Vraiment celui-ci était fils de Dieu! »

L’autre modification majeure de Matthieu est de citer explicitement le Psaume 22 qui était implicite dans le récit originel. Il ne laisse aucune place à l’ambiguïté. Il fait également référence à Sagesse 2, 27 qui nous décrit le Juste qui reçoit la moquerie des gens, comme celle-ci : LXX « Il assure qu’il a la science de Dieu, et il se nomme le Fils de Dieu. » Matthieu s’assure ainsi que son auditoire sait exactement quelle passage de l’Écriture explique ce qui se passe et lui donne son sens.

Enfin, un petit ajout majeur : tout comme il l’a fait tout au long de son récit de la passion, il insiste pour dire que les anciens ont été présents tout au long du récit de la passion, y compris dans cette scène des injures. Ces anciens, ce sont les représentants du peuple juif.

v. 45 À partir de midi, l’obscurité s’étendit sur toute la terre jusqu’à trois heures.

Littéralement : À partir de la sixième heure, l’obscurité vint (skotos egeneto) sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure.

l’obscurité vint sur toute la terre
Pendant trois heures (de midi à trois heures), il fait nuit. La source du récit fait référence à Exode 10, 22 (LXX):
Moise étendit donc la main vers le ciel, et il vint des ténèbres (egeneto skotos), un sombre tourbillon, qui enveloppa l’Égypte durant trois jours.

Bien sûr, dans le cas de Jésus, il s’agit ici de trois heures, et non de trois jours. Mais l’allusion est assez claire aux trois jours de ténèbres que s’apprête à vivre Jésus avant sa résurrection : ce sera son exode, son passage de la mort à la vie.

v. 46 Vers trois heures, Jésus s’écria d’une voix forte : « Eli, Eli, lema sabachthani? » c’est-à-dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? »

Littéralement : Vers la neuvième heure Jésus s’écria d’une voix forte, disant : « Eli, Eli, lema sabachthani? » cela est : « Mon Dieu (thee mou), mon Dieu (thee mou), pourquoi m’as-tu abandonné (hinati me enkatelipes)? »

v. 47 Des gens qui s’étaient tenus là l’entendirent et dirent : « Il appelle Élie, celui-là. »

Littéralement : Certains de ceux qui s’étaient tenus là, entendant, dirent : « Celui-là appelle Élie. »

v. 48 L’un d’eux accourut aussitôt et, après avoir mis une éponge remplie de vinaigre autour d’un roseau, lui donnait à boire.

Littéralement : Et aussitôt, ayant couru un d’eux et ayant pris une éponge remplie de vinaigre (oxous) et entourant un roseau il lui donnait à boire (epotizen).

v. 49 Les autres dirent: « Laisse faire, voyons si Élie viendra le libérer. »

Littéralement : Les autres dirent : « Laisse, voyons si Élie vient le sauvant. »

v. 50 De nouveau, Jésus cria d’une voix forte et rendit l’esprit.

Littéralement : Jésus de nouveau, criant d’une voix forte, rendit l’esprit (aphēken to pneuma).

 
Le cri de Jésus en croix reprend celui le début du psaume 22, 2. La source de Marc a une version araméenne, la langue parlée par Jésus (Elôi, Elôi, lama sabachtani), tandis que Matthieu a une formule plus hébraïque.

Texte hébreu massorétique Tranlittération Traduction
אֵלִי אֵלִי ʾēlî ʾēlî Mon Dieu, mon Dieu,
לָמָה lāmâ pourquoi
עֲזַבְת ʿăzabtānî m’as-tu abandonné

Puis il nous présente sa version grecque de ce psaume en modifiant un peu sa source marcienne.

Marc Matthieu Septante (LXX) Traduction de la LXX
Ho theos mou ho theos mou, eis ti enkatelipes me? thee mou thee mou, hinati me enkatelipes? O Theos, ho Theos mou, prosches moi; hina ti enkatelipes me? O Dieu, mon Dieu, regardes-moi; pourquoi m’as-tu abandonné?

Tout d’abord, Matthieu est original en optant pour le vocatif pour décliner le mot Dieu (thee) : le vocatif en Grec est utilisé pour exprimer une interpellation, et donc se traduirait littéralement : toi, mon Dieu! Au contraire, Marc et le texte de la Septante utilisent le nominatif pour décliner le mot Dieu (ho theos), i.e. un simple sujet de phrase comme lorsqu’on dit : Dieu a agit. Ainsi, Matthieu traduit mieux le caractère et l’intensité de cette prière, car il devient un véritable cri. Mais par la suite, sa traduction suit assez fidèlement le texte de la Septante. On aura remarqué au passage que la Septante, cette traduction grecque de l’Écriture hébraïque complétée au milieu du 2e siècle avant J.-C., est loin d’être littérale : le traducteur s’est permis d’ajouter « regardes-moi » au texte hébreu qu’il avait sous les yeux.

Les moqueries devant le cri de Jésus semblent ajoutées à un récit originel, car on s’attendrait après ce cri à ce que Jésus expire. La source de Matthieu reprend les moqueries devant le cri de Jésus, puisque « Elôi » pouvait aussi évoquer la forme abrégée du nom propre Eliyahou, Élie. L’auteur nous renvoie au prophète Malachie qui parle du retour d’Élie avant l’arrivée du jour du Seigneur :

(LXX) Et voilà que je vous enverrai Élie le Thesbite, avant que vienne ce jour du Seigneur, jour grand et éclatant (3, 23)
Dans l’évangile de Matthieu, Élie est associé à Jean Baptiste par Jésus (Mt 11, 14; 17, 12), ou encore à Jésus par les gens (Mt 16, 14). Et il semblerait que les scribes attendaient le retour d’Élie avant le jour du Seigneur (Mt 17, 10). L’auteur tient donc à étendre la scène des moqueries jusqu’au dernier souffle de Jésus : pour les gens qui regardent la scène, associer Jésus à la venue finale du jour du Seigneur est totalement ridicule.

La scène de l’éponge remplie de vinaigre est bizarre et mal ficelée. On voit mal comment elle peut suivre l’appel à Dieu de Jésus. Notre connaissance historique nous permet d’affirmer qu’il était habituel que les soldats se désaltèrent avec un mélange d’eau et de vinaigre. Il est possible qu’historiquement, par compassion, un soldat ait voulu partager sa boisson avec un Jésus déshydraté. Mais le récit chrétien prend une tout autre direction en faisant allusion au psaume 69, 22 pour éclairer cette scène :

(LXX) Et ils m’ont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif ils m’ont abreuvé (epotisan) de vinaigre (oxos)

C’est ainsi qu’un geste de compassion est devenu un geste sadique. Encore une fois, on accentue l’hostilité des gens vis-à-vis de Jésus. Matthieu améliore un peu le récit, car sa source marcienne était à peu près incompréhensible : celui qui l’avait abreuvé de vinaigre poursuivait en disant : « Laissez! Voyons si Élie vient le descendre. » Cette dernière phrase n’a pas de sens : le « laissez » s’adresse à qui et vise quoi au juste? Et comment cette phrase s’articule-t-elle avec le geste de donner du vinaigre à Jésus? Matthieu retravaille cette phrase. D’abord, elle est prononcée par d’autres que celui qui a offert du vinaigre à Jésus. Puis, elle s’adresse à ce dernier pour lui dire en quelque sorte : arrête de réconforter ce condamné à mort, voyons plutôt si Élie s’occupera vraiment de lui. Maintenant on comprend un peu mieux la scène.

La scène se termine avec Jésus qui rend l’esprit (aphēken to pneuma), i.e. remet le souffle de vie reçu, la façon typiquement hébraïque de dire que Jésus meurt.

v. 51 Et voici que le voile du temple se déchira en deux du haut en bas, la terre se mit à trembler et les pierres à se fendre,

Littéralement : Et voici que le voile du temple se déchira d’en haut jusqu’en bas en deux et la terre (hē gē) fut secoué et les pierres se fendirent,

le voile du temple se déchira
Le voile du temple qui se déchire renvoie au rideau qui séparait le Saint des Saints du reste du temple de Jérusalem. Le sens théologique est clair : ce lieu qui symbolise la présence de Dieu n’est plus réservé à une clique, mais est ouvert à l’ensemble des nations païennes, et donc à l’humanité entière. En Jésus, Dieu est maintenant accessible partout et par tous.
v. 52 les tombeaux s’ouvrirent et plusieurs corps des saints, qui s’étaient endormis, se réveillèrent,

Littéralement : et les tombeaux (ta mnēmeia) s’ouvrirent et plusieurs corps des saints qui s’étaient endormis se réveillèrent (ēgerthēsan),

v. 53 sortirent des tombeaux après leur réveil et entrèrent dans la ville sainte pour se faire voir à beaucoup de gens.

Littéralement : et étant sortis des tombeaux (ek tōn mnēmeiōn) avec leur réveil, entrèrent dans la ville sainte et se firent voir à plusieurs.

v. 54 Le centurion ainsi que ceux qui gardaient Jésus avec lui furent fortement effrayés en voyant le tremblement de terre et tout ces événements, et se dirent : « En toute vérité, celui-là était fils de Dieu. »

Littéralement : Le centurion et ceux avec lui gardant Jésus, ayant vu le tremblement de terre et les événements, furent fortement effrayés, disant: « Vraiment fils de Dieu (theou huios) était celui-là. »

 
À sa source marcienne, Matthieu ajoute une scène surprenante, celle de la terre qui tremble, des pierres qui se fendent, des tombeaux qui s’ouvrent, des morts qui ressuscitent et retournent à Jérusalem. Pour comprendre l’intention de Matthieu, il faut relire l’Ancien Testament, en particulier ces passages reliés au Jour du Seigneur et à la fin des temps :

Amos 8, 8-9 (LXX): Et n’est-ce pas à cause de ces choses que la terre (hē gē) sera troublée, que tous ceux qui l’habitent seront dans la douleur; et que la destruction montera comme le fleuve d’Égypte, et descendra comme lui? Et en ce jour-là ceci arrivera, dit le Seigneur Maître: Le soleil se couchera à midi, et sur la terre, la lumière fera place aux ténèbres.
Isaïe 26, 19 (LXX) : Les morts ressusciteront, et ceux qui sont dans leurs sépulcres se lèveront (egerthēsontai hoi en tois mnēmeiois), et ceux qui sont sur la terre tressailliront de joie; car la rosée qui vient de vous est leur guérison, et la terre des impies périra.
Ézéchiel 37, 12 (LXX) : A cause de cela, prophétise et dis : Voilà que j’ouvre vos sépulcres (ta mnēmata), dit le Seigneur, je vais vous en faire sortir, et je tous introduirai en la terre d’Israël.
Daniel 12, 2 (LXX) : Et nombre de ceux qui dorment sous des amas de terre se réveilleront (exegerthēsontai), les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et la confusion éternelle.

Ainsi, cette scène représente la destruction d’un monde ancien avec la terre qui est ébranlée et les pierres, fondation de la terre, qui sont brisées. Ce monde est remplacé par un monde nouveau et la résurrection des morts, comme Dieu l’a promis pour la fin des temps. Ce que Dieu a promis se réalise en Jésus.

À la croix, la scène se termine avec le témoignage du centurion. Elle renvoie implicitement à Sagesse 2, 18 (LXX) : Car si le Juste est Fils de Dieu (huios Theou), Dieu le protégera, et le tirera des mains de ses adversaires. Car le grand cri de Jésus en croix semble annoncer quelque chose de nouveau, et cette nouveauté est l’extirpation de l’adversaire qu’est la mort. Mais Matthieu va modifier ce qu’il reçoit de Marc. Tout d’abord, il ne s’agit plus seulement du centurion qui témoigne, mais aussi de tous les gardes postés devant la croix. Ensuite, tout ce monde réagit non seulement à la mort de Jésus, mais aux événements apocalyptiques qui se passent autour d’eux, si bien qu’ils sont effrayés. Enfin, la phrase du centurion est modifiée pour enlever le mot « homme » et le remplacer par « celui-là ». On peut comprendre ici l’intention de Matthieu : il veut effacer toute trace d’une figure simplement humaine pour la remplacer par quelqu’un qui siège déjà auprès de Dieu. Et c’est non seulement une seule personne, mais plusieurs qui peuvent en témoigner.

v. 55 Il y avait là plusieurs femmes qui observaient à distance, dont certaines avaient suivi Jésus depuis la Galilée pour le soutenir,

Littéralement : Étaient là plusieurs femmes à distance pour observer, certaines avaient suivi Jésus depuis la Galilée le servant,

v. 56 parmi lesquelles on trouvait Marie de Magdala et Marie, mère de Jacques et Joseph, ainsi que la mère des fils de Zébédée.

Littéralement : parmi lesquelles étaient Marie originaire de Magdala et Marie, mère de Jacques et Joseph, et la mère des fils de Zébédée.

 
La présence des femmes, dont certaines avaient suivi Jésus depuis la Galilée, se trouve à souligner l’absence des hommes, en particulier ses disciples. Trois évangélistes rapportent cette scène, dont Marc et Jean, des sources indépendantes, ce qui soutient la thèse de sa valeur historique. Mais l’identification de ses femmes ne concorde pas totalement, à l’exception de Marie de Magdala. Matthieu reprend la version de Marc d’une autre Marie, mais qu’il modifie légèrement, puisqu’elle est mère de Jacques et Joseph (Joset), puis de Salomé qui semble correspondre à la mère des fils de Zébédée. Mais Jean introduit la soeur de Marie, inconnue par ailleurs, et d’une Marie, femme de Clopas (variante de Cléophas, un des disciples d’Emmaüs?). Cette dernière est-elle également cette Marie, mère de Jacques et Joseph? Impossible de le confirmer. Quoiqu’il en soit, la présence de femmes auprès de Jésus au moment de sa mort est difficilement contestable et ne fait qu’accentuer le contraste avec l’absence d’hommes.

Marc 15, 40 Matthieu 27 55-56 Jean 19, 25
Il y avait aussi des femmes qui regardaient à distance, entre autres Il y avait là de nombreuses femmes qui regardaient à distance, celles-là même qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée et le servaient, entre autre Or près de la croix de Jésus se tenaient
Marie de Magdala, Marie mère de Jacques le petit et de Joset, et Salomé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée. sa mère et la soeur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala.

v. 57 Le soir venu, un homme riche d’Arimathie, appelé Joseph, qui était aussi devenu disciple de Jésus, se présenta

Littéralement : Le soir étant arrivé, vint un homme riche d’Arimathie, du nom de Joseph, qui aussi était devenu disciple de Jésus. 58 Celui-là étant venu à Pilate, réclama le corps de Jésus. À ce moment là Pilate ordonna de rendre,

v. 58 à Pilate pour réclamer le corps de Jésus. Pilate ordonna alors de le lui rendre

Littéralement : Celui-là étant venu à Pilate, réclama le corps de Jésus. À ce moment là Pilate ordonna de rendre,

v. 59 et, après avoir pris le corps, Joseph l’enroula d’une fine étoffe sans tache

Littéralement : et ayant pris le corps Joseph l’enroula d’une fine étoffe pure

v. 60 et le déposa dans le tombeau neuf qu’il s’était fait tailler dans la pierre, puis après avoir roulé une grosse pierre à la porte du tombeau, il partit.

Littéralement : et le déposa dans son nouveau tombeau qu’il a fait tailler dans la pierre et ayant roulé une grande pierre à la porte du tombeau, il partit.

v. 61 Marie de Magdala et une autre Marie se trouvaient là, assises devant le sépulcre.

Littéralement : Était là Marie de Magdala et une autre Marie assises devant le sépulcre.

 
Sur le plan historique, il est difficile de reconstituer la suite des événements. Selon les Actes des Apôtres, ce sont les Juifs qui ont mis le corps de Jésus dans un tombeau (Sans trouver en lui aucun motif de mort, ils l’ont condamné et ont demandé à Pilate de le faire périr. Et lorsqu’ils eurent accompli tout ce qui était écrit de lui, ils le descendirent du gibet et le mirent au tombeau, Actes 13, 28-29). Pour Marc, que reprend Matthieu, c’est Joseph d’Arimathie qui réclame d’abord le corps de Jésus et le fait mettre dans une tombe taillée dans le roc, sans embaumement. Pour Jean, c’est également Joseph d’Arimathie qui réclame à Pilate le corps de Jésus, mais ajoute que Nicodème intervient pour s’occuper de l’embaumement. Il est possible qu’à l’origine, le récit ne contenait qu’un simple empressement à lui trouver une tombe de la part des Juifs, étant donné que le sabbat, qui correspondait aussi à la pâque juive, approchait. Mais par la suite, le récit s’est amplifié avec des dignitaires qui étaient peut-être présents, comme Joseph d’Arimathie, et avec un embaumement digne de la qualité de Jésus.

Selon Matthieu, Joseph d’Arimathie était riche. D’où tient-il cette information? Selon son habitude, Matthieu relie tout à la lumière de l’Ancien Testament, et dans notre scène c’est en relisant Isaïe 59, 9 que les choses prennent sens : On lui a donné un sépulcre avec les impies et sa tombe est avec le riche, bien qu’il n’ait pas commis de violence et qu’il n’y ait pas eu de tromperie dans sa bouche. Pour Matthieu, c’est donc ainsi dans sa propre tombe que Joseph d’Arimathie dépose Jésus, une autre raison pour considérer qu’il était riche. L’important est de percevoir que tout cela correspond à un plan divin. De plus, le linceul ou pièce d’étoffe était sans tâche (kathara=pure), car Matthieu a tendance à accentuer la dignité de Jésus, et donc la pièce d’étoffe se devait d’être sans tache.

v. 62 Le lendemain, le jour qui est après la Préparation, les grands prêtres et les Pharisiens se rassemblèrent chez Pilate

Littéralement : Le lendemain, celle qui est après la préparation, se rassemblèrent les grands prêtres et les Pharisiens chez Pilate,

v. 63 pour lui dire : « Seigneur, souvenons-nous de ce qu’a dit cet imposteur-là alors qu’il était encore vivant : "Je retournerai à la vie après trois jours".

Littéralement : disant : « Seigneur, souvenons-nous que cet imposteur-là a dit encore vivant : "Après trois jours je suis réveillé".

v. 64 Ordonne donc de faire surveiller le sépulcre pendant trois jours afin d’éviter que ses disciples viennent le dérober pour dire ensuite à la foule : "Il est ressuscité des morts", et cette dernière imposture serait pire que la première. »

Littéralement : Ordonne donc de surveiller le sépulcre jusqu’à trois jours, de peur que venant, ses disciples le volent et disent à la foule : "Il est ressuscité des morts", et sera le dernier égarement pire que le premier. »

v. 65 Pilate leur répondit : « Prenez un garde. Allez, surveillez le sépulcre comme vous l’entendez. »

Littéralement : Leur déclara Pilate : « Ayez un garde. Allez, surveillez comme vous savez. »

v. 66 Après être retournés au sépulcre, ils firent sceller la pierre et y postèrent un garde.

Littéralement : Eux, ayant fait route, firent surveiller le sépulcre, ayant fait sceller la pierre avec un garde.

 
Ce récit est unique à Matthieu et ne se retrouve dans aucun autre évangile. Et de plus, il comporte de nombreux problèmes. Tout d’abord, les Pharisiens avaient disparus de la scène avec le procès de Jésus et réapparaissent soudain. C’est surprenant. Mais la plus grande difficulté vient de la crédibilité accordée par eux et les grands prêtres à l’annonce de Jésus de ressusciter après trois jours. Admettons un instant que Jésus ait été clair sur le sujet, ils semblent y prêter foi plus que les disciples eux-mêmes qui ont disparu de la scène. Enfin, l’autre grande difficulté provient du moment : nous sommes en plein sabbat, avec interdiction de franchir certaines distances. Comment des êtres extrêmement religieux comme les grands prêtres et les pharisiens auraient-ils pu enfreindre la loi du sabbat et se rendre chez le gouverneur Pilate? Et nous n’avons même pas mentionné leur immense naïveté : si les disciples avaient voulu voler le corps de Jésus, n’auraient-ils pas fait cela de nuit, immédiatement après son décès? Conclusion : nous sommes probablement devant une pure création de l’évangéliste Matthieu. Pourquoi? Il semble qu’au moment où il écrit son évangile, il existe une légende dans les milieux juifs pour faire contrepoids à l’affirmation chrétienne du tombeau vide, à savoir que ce sont les disciples qui sont venus de nuit pour dérober le corps de leur maître, comme l’écrit lui-même Matthieu : « cette histoire s’est colportée parmi les Juifs jusqu’à ce jour » (Mt 28, 15). Ce que Matthieu affirme est donc ceci : le vol du corps de Jésus est impossible, car on avait posté des gardes devant le tombeau.

Cette création de Matthieu est confirmée sur le plan littéraire. Tout d’abord cette scène prépare deux autres scènes uniques à Matthieu, tout d’abord Mt 28, 4 où les gardes voient l’ange du Seigneur rouler la pierre et s’asseoir dessus, et Mt 28, 11-15 où les gardes sont soudoyés pour ne pas raconter ce qu’ils ont vu au sépulcre et répandre plutôt l’histoire d’un vol du corps. Ces trois passages uniques à Matthieu forment un bloc cohérent. Le langage comporte des particularités de Matthieu, comme la particule apo dans « ressuscité des (apo) morts » plutôt que ressuscité des (ek) morts » dans les textes parallèles. Enfin, cette scène fait écho à une autre qui a eu lieu plus tôt chez Matthieu 12, 38-42, à savoir la demande d’un signe adressée à Jésus de la part des scribes et des Pharisiens. Matthieu se distingue des parallèles en citant explicitement Jonas et la mention des trois jours et des trois nuits, et en ajoutant que le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. Être dans le sein de la terre trois jours est une allusion claire à sa mise au tombeau. De plus, il utilise l’expression trois jours alors que sa source marcienne parle toujours de « après trois jours » (Mc 8, 31; 9, 31; 10, 34). Il n’est donc pas surprenant de retrouver ici la proposition de « surveiller le sépulcre pendant trois jours » et surtout ces Pharisiens qui ont été témoins de l’annonce de Jésus. N’oublions pas, Matthieu aime la clarté et les compositions bien serrées.

  1. Analyse de la structure du récit

    Étant donné la longueur du récit, nous nous restreindrons à une vue générale de la structure du récit de la passion chez Matthieu. De plus, comme Matthieu reprend le récit de Marc, comparer les deux structures nous aidera à mieux mettre en valeur l’approche de Matthieu (en caractère gras les récits propres à ce dernier).

    Matthieu Marc
    -La trahison de Judas (26, 14-16)-La trahison de Judas (14, 10-11)
    -La préparation de la pâque (26, 17-19)-La préparation de la pâque (14, 12-16)
    -Annonce de la trahison de Judas (26, 20-25)-Annonce de la trahison de Judas (14, 17-21)
    -Derniers repas de Jésus (26, 26-29)-Derniers repas de Jésus (14. 22-25)
    -Vers Gethsémani (26, 30)-Vers Gethsémani (14, 26)
    -Annonce du reniement de Pierre (26, 31-35)-Annonce du reniement de Pierre (14, 27-31)
    -L’agonie à Gethsémani (26, 36-46)-L’agonie à Gethsémani (14, 32-42)
    -Arrestation de Jésus (26, 47-56)-Arrestation de Jésus (14, 43-52)
    -Jésus et Pierre chez le grand prêtre (26, 57-58)-Jésus et Pierre chez le grand prêtre (14, 53-54)
    -Jésus devant le sanhédrin (26, 59-66)-Jésus devant le sanhédrin (14, 55-64)
    -Outrages à Jésus prophète (26, 67-68)-Outrages à Jésus prophète (14, 65)
    -Reniement de Pierre (26, 69-75)-Reniement de Pierre (14, 66-72)
    -Jésus conduit devant Pilate (27, 1-2)-Jésus conduit devant Pilate (15, 1)
    -Mort de Judas (27, 3-10)
    -Comparution devant Pilate (27, 11-14)-Comparution devant Pilate (15, 2-5)
    -Condamnation à mort (27, 15-26)-Condamnation à mort (15, 6-15)
    -Outrages à Jésus roi (27, 27-31)-Outrages à Jésus roi (15, 16-20)
    -Chemin de croix (27, 32)-Chemin de croix (15, 21)
    -Crucifiement (27, 33-43)-Crucifiement (15, 22-32a)
    -Les deux bandits (27, 44)-Les deux bandits (15, 32b)
    -Mort de Jésus (27, 45-56)-Mort de Jésus (15, 33-41)
    -L’ensevelissement (27, 57-61)-L’ensevelissement (15, 42-47)
    -La garde du tombeau (27, 62-66)

    • Comme nous le constatons, Matthieu reprend telle quelle toute la séquence de Marc. Ses modifications consistent à ajouter deux récits qui lui sont propres (que nous avons mis en caractère gras), celui de la mort de Judas et celui de la demande d’une garde pour le tombeau. On peut émettre l’hypothèse que ces deux récits ont été créés par Matthieu, ou plus probablement, existaient comme tradition orale ou écrite dans un milieu où prédominaient des judéo-chrétiens. Quoiqu’il en soit, leur rôle théologique et apologétique est clair. Dans le cas de Judas, nous sommes devant le triste représentant de cette communauté juive qui a refusé et trahi le messie de Dieu; on peut comprendre que cette communauté judéo-chrétienne était plus blessée que cette trahison provienne de l’un des leurs que si elle était venue de ces Romains païens. Pour Matthieu, le message est clair : le peuple juif a sciemment et clairement refusé Jésus messie, envoyé par Dieu, et Judas en est le représentant type. Dans le cas du récit de la garde du tombeau, Matthieu l’a probablement créé dans un but apologétique : contrecarrer la légende qui circulait dans les milieux juifs expliquant que le tombeau de Jésus s’est retrouvé vide parce que ces disciples sont venus de nuit dérober son corps. Son message est clair : cette légende est fausse puisque le tombeau était gardé, et donc personne n’a pu dérober son corps. Bref, les deux ajouts de Matthieu s’expliquent par le contexte juif où l’évangile fut écrit.

    • La séquence des récits empruntée à Marc commence avec la trahison de Judas. C’est le fondement de tout le reste : le geste de Judas entraînera l’arrestation de Jésus, son procès et son exécution. Cette séquence totalement logique n’est interrompue que par le reniement de Pierre qui ne vient que mettre en contraste la fidèlité de Jésus à la volonté de son Père et la faiblesse humaine.

    • S’il fallait regrouper les différents récits de cette séquence, on pourrait obtenir ceci (en caractère gras les récits ajoutés par Matthieu) :

      Introduction (mise en scène) : trahison de Judas

      1. Repas d’adieu de Jésus à Jérusalem
        1. Annonce de la trahison d’un des Douze
        2. Distribution du pain et de la coupe, et annonce que c’est le dernier repas
      2. Gethsémani
        1. Annonce de la défection des disciples et du reniement de Pierre
        2. Prière et veille de Jésus
        3. Arrestation de Jésus
      3. Procès de Jésus à Jérusalem
        1. Premier procès : religieux - motif d’accusation : prétention à être prophète avec des prérogatives divines et condamnation à mort
          1. Témoignages et interrogatoire
          2. Jugement
          3. Scéance de moqueries devant le prophète
        2. Intermède :
          1. Reniement de Pierre
          2. Mort de Judas
        3. Deuxième procès : civil - motif d’accusation : prétention à être roi d’Israël et condamnation à mort
          1. Témoignages et interrogatoire
          2. Tentative de négotiation et jugement
          3. Scéance de moqueries devant le roi
      4. Exécution de Jésus - Golgotha
        1. Soutien pour se rendre au lieu d’exécution
        2. Scéance de moqueries devant le sauveur
        3. Mort de Jésus, témoignage du centurion et présence des femmes
        4. Joseph d’Arimathie s’occupe de réclamer le corps et veille à la mise au tombeau
        5. Transition vers le tombeau vide

    • Faisons un certain nombre d’observations :
      • On peut dégager quatre moments dans l’ensemble, liés à quatre lieux géographiques différents : le lieu privé du repas à Jérusalem, le lieu de retraite de Gethsémani, les lieux publics des procès à Jérusalem, le lieu de l’exécution au Golgotha.

      • Le sommet de cet ensemble est le double procès de Jésus comme prophète et roi d’Israël : aux yeux des hommes, les prétentions de Jésus sont totalement ridicules, mais aux yeux du croyant, c’est la vérité.

      • Un thème conducteur tout au long de cette séquence est la moquerie de l’auditoire qui survient au cours des deux procès et à la croix, jusqu’au dernier souffle de Jésus. Ce thème vise à associer Jésus à la figure du serviteur souffrant dans Isaïe, et ce qui permet aux chrétiens de trouver un sens à cette scène horrible.

      • Matthieu effectue avec beaucoup de doigté l’ajout de ses deux récits sans nuire à la dynamique de la séquence : la mort de Judas est ajoutée lors de l’intermède que constitue le reniement de Pierre, et la scène des Juifs qui réclame une garde contribue à la transition vers la découverte du tombeau vide.

  2. Analyse du contexte

    Comme nous l’avons fait pour l’analyse de la structure, considérons ensemble la séquence des récits qui précèdent à la fois chez Matthieu et Marc.

    MatthieuMarc
    -Discours eschatologique : destruction du temple (24, 1-3)-Discours eschatologique : destruction du temple (13, 1-4)
    -Discours eschatologique : perturbations et fléaux (24, 4-8)-Discours eschatologique : perturbations et fléaux (13, 5-8)
    -Discours eschatologique : persécutions (24, 9-14)-Discours eschatologique : persécutions (13, 9-13)
    -Discours eschatologique : jours terribles pour Jérusalem (24, 15-22)-Discours eschatologique : jours terribles pour Jérusalem (13, 14-20)
    -Discours eschatologique : faux prophètes et faux messies (24, 23-28)-Discours eschatologique : faux prophètes et faux messies (13, 21-23)
    -Discours eschatologique : manifestation du fils de l’homme (24, 29-31)-Discours eschatologique : manifestation du fils de l’homme (13, 24-27)
    -Discours eschatologique : le temps est proche (24, 32-36)-Discours eschatologique : le temps est proche (13, 28-32)
    -Discours eschatologique : appel à la vigilance (13, 33-37)
    -Discours eschatologique : surprise comme au temps de Noé (24, 37-41)
    -Discours eschatologique : appel à la vigilance – le maître de maison (24, 42-44)
    -Discours eschatologique : appel à la vigilance – l’intendant fidèle (24, 45-51)
    -Discours eschatologique : appel à la vigilance – parabole des dix vierges (25, 1-13)
    -Discours eschatologique : appel à la vigilance – Parabole des talents (25, 14-30)
    -Discours eschatologique : appel à la vigilance – sort qui attend chacun au jugement dernier (25, 31-46)
    -Complot des juifs contre Jésus (26, 1-5)-Complot des juifs contre Jésus (14, 1-2)
    -L’onction à Béthanie (26, 6-13)-L’onction à Béthanie (14, 3-9)

    • Encore une fois, dans les récits qui précèdent le récit de la passion, Matthieu suit Marc de très près avec trois ensembles : un discours eschatologique, le récit du complot contre Jésus (les grands prêtres et les anciens réunis chez Caïphe dans le texte de Matthieu, les grands prêtres et les scribes chez Marc), et le récit de l’onction à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux. La plus grande différence apparaît chez Matthieu qui ajoute au discours eschatologique un ensemble de textes : les paraboles de l’intendant fidèle, des dix vierges, des talents et du jugement dernier.

    • Tout le contexte prépare la mort de Jésus : le discours eschatologique devient le guide du disciple pendant son absence, le complot des Juifs annonce son arrestation, et l’onction de Béthanie annonce symboliquement son ensevelissement.

    • En donnant une grande expansion au discours eschatologique avec une série de paraboles sur la façon de se comporter en l’absence de Jésus, Matthieu met l’accent sur l’agir chrétien : faire fructifier le trésor reçu de Jésus, s’occuper des gens démunis et isolés. En cela, Matthieu montre ses racines juives pour qui l’orthopraxie (l’agir juste) et plus importante que l’orthodoxie (la doctrine juste). Les disciples ayant une direction claire, Jésus peut s’absenter et commencer sa passion.

    • Quant au récit qui suit la passion de Jésus, Matthieu suit également Marc avec la découverte du tombeau vide. Mais il fait deux ajouts importants : tout d’abord, plutôt que de simplement raconter que la pierre du sépulcre est roulée, il crée un scenario apocalyptique où un ange descend du ciel pour rouler la pierre alors que la terre tremble, puis les gardes jouent le rôle de témoin du roulement de la pierre et du tombeau vide. Encore une fois, nous avons un écho d’une communauté de Judéo-chrétiens qui aime faire référence aux récits apocalyptiques de l’Ancien Testament et doivent lutter contre les mensonges de leurs frères juifs concernant le tombeau vide.

  3. Analyse des parallèles

    Découpons ce long récit en différentes sections et comparons-le à sa source marcienne. La traduction est la plus littérale possible. Nous soulignons les mots identiques.

    MatthieuMarc
    14 Alors l’un des Douze, appelé Judas Iscariote, se rendit auprès des grands prêtres 15 et leur dit: "Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai?" Ceux-ci lui versèrent 30 pièces d’argent.10 Judas Iscariote, l’un des Douze, s’en alla auprès des grands prêtres pour le leur livrer. 11 A cette nouvelle ils se réjouirent et ils promirent de lui donner de l’argent.
    16 Et de ce moment il cherchait une occasion favorable pour le livrer. Et il cherchait une occasion favorable pour le livrer.

    • Matthieu reprend les éléments de base du récit de Marc : Judas Iscariote, l’un des Douze, collabore avec les grands prêtres moyennant une somme d’argent. Mais il dramatise le récit en créant un dialogue avec les grands prêtres, et surtout il en fait une initiative de Judas lui-même, accentuant par le fait même sa responsabilité. Enfin, en précisant la somme d’argent en jeu, il opère un emprunt à Zacharie 11, 12, faisant de l’histoire de Judas un récit préfiguré par l’Ancien Testament.

    MatthieuMarc
    17 Le premier jour des Azymes, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent: "Où veux-tu que nous te préparions de quoi manger la Pâque?" 12 Le premier jour des Azymes, où l’on immolait la Pâque, ses disciples lui disent: "Où veux-tu que nous nous en allions préparer pour que tu manges la Pâque?"
    18 Il dit: "Allez à la ville, chez un tel, et dites-lui:13 Il envoie alors deux de ses disciples, en leur disant: "Allez à la ville; vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau. Suivez-le, 14 et là où il entrera, dites au propriétaire:
    Le Maître te fait dire: Mon temps est proche, c’est chez toi que je vais faire la Pâque avec mes disciples." Le Maître te fait dire: Où est ma salle, où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples? 15 Et il vous montrera, à l’étage, une grande pièce garnie de coussins, toute prête; faites-y pour nous les préparatifs."
    19 Les disciples firent comme Jésus leur avait ordonné et préparèrent la Pâque. 16 Les disciples partirent et vinrent à la ville, et ils trouvèrent comme il leur avait dit, et ils préparèrent la Pâque.

    • Une première observation s’impose : le récit de Matthieu est plus court. C’est typique de Matthieu d’élaguer le récit de Marc de tous ses détails; il aime réduire les choses à l’essentiel. Et parfois les détails sont inutiles pour une communauté d’origine juive, comme cette mention que le premier jour des Azymes correspond au temps où on immole la Pâque.

    • On retrouve également certaines expressions typiques de Matthieu comme « s’approcher de Jésus » (qui annonce un dialogue), « temps est proche » (voir la fin de son récit de la tentation et la fin de la prière de Jésus à Gethsémani), « comme Jésus le leur avait ordonné » (accentuant l’autorité et la transcendance de Jésus).

    MatthieuMarc
    20 Le soir venu, il était à table avec les Douze. 17 Le soir venu, il arrive avec les Douze.
    21 Et tandis qu’ils mangeaient, il dit: "En vérité je vous le dis, l’un de vous me livrera."18 Et tandis qu’ils étaient à table et qu’ils mangeaient, Jésus dit: "En vérité, je vous le dis, l’un de vous me livrera, un qui mange avec moi."
    22 Fort attristés, ils se mirent chacun à lui dire: "Serait-ce moi, Seigneur?" 19 Ils devinrent tout tristes et se mirent à lui dire l’un après l’autre: "Serait-ce moi?"
    23 Il répondit: "Quelqu’un qui a plongé avec moi la main dans le plat, voilà celui qui va me livrer!20 Il leur dit: "C’est l’un des Douze, qui plonge avec moi la main dans le même plat.
    24 Le Fils de l’homme s’en va selon qu’il est écrit de lui; mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme est livré! Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître!" 21 Oui, le Fils de l’homme s’en va selon qu’il est écrit de lui; mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme est livré! Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître!"
    25 A son tour, Judas, celui qui allait le livrer, lui demanda: "Serait-ce moi, Rabbi" - "Tu l’as dit", répond Jésus.

    • Matthieu modifie sa source pour avant tout ajouter ce court dialogue avec Judas où Jésus dit clairement que c’est lui qui le trahira. Cet ajout accentue d’une part la responsabilité de Judas qui agira même s’il est démasqué, et d’autre part la transcendance de Jésus qui sait exactement ce qui se passe. Cette transcendance était déjà présente plutôt avec l’expression: Seigneur. Cela est conforme à sa théologie.

    MatthieuMarc
    26 Or, tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna aux disciples 22 Et tandis qu’ils mangeaient, il prit du pain, le bénit, le rompit et le leur donna
    en disant: "Prenez, mangez, ceci est mon corps." en disant: "Prenez, ceci est mon corps."
    27 Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna 23 Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna, et ils en burent tous.
    en disant: "Buvez-en tous; 28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés. 24 Et il leur dit: "Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude.
    29 Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai avec vous, nouveau, dans le Royaume de mon Père." 25 En vérité, je vous le dis, je ne boirai plus du produit de la vigne jusqu’au jour où je boirai le vin nouveau dans le Royaume de Dieu."
    30 Après le chant des Psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers. 26 Après le chant des Psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.

    • Nous avons déjà commenté ce passage. Rappelons que Matthieu améliore la composition littéraire de Marc : le texte est mieux structuré, la séquence plus logique, car Jésus y invite non seulement à prendre le pain, mais aussi à le manger; il y invite non seulement à prendre la coupe, mais également à la boire, et surtout il parle du sens de ce geste avant que les disciples boivent, et non pas après comme chez Marc. De plus, Matthieu aime donner le sens théologique des choses, et ici ce sens concerne la mort tragique de Jésus qui est associée au pardon des péchés, comme les sacrifices du temple à Jérusalem. Ensuite, le Jésus de Matthieu n’annonce pas seulement qu’il boira du vin nouveau dans le Royaume comme chez Marc, mais qu’il le boira « avec vous » : c’est comme communauté ou comme Église qu’on le boira, une insistance typique de Matthieu. Enfin, on aura remarqué que, comme tout bon Juif, Matthieu évite de prononcer le nom de Dieu, et donc parle de « Royaume de mon Père ».

    MatthieuMarc
    31 Alors Jésus leur dit: "Vous tous, vous allez succomber à cause de moi, cette nuit même. Il est écrit en effet: Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées. 32 Mais après ma résurrection je vous précéderai en Galilée." 27 Et Jésus leur dit: "Tous vous allez succomber, car il est écrit: Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées. 28 Mais après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée."
    33 Prenant la parole, Pierre lui dit: "Si tous succombent à cause de toi, moi je ne succomberai jamais." 29 Pierre lui dit: "Même si tous succombent, du moins pas moi!"
    34 Jésus lui répliqua: "En vérité je te le dis: cette nuit même, avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois." 30 Jésus lui dit: "En vérité, je te le dis: toi, aujourd’hui, cette nuit même, avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois."
    35 Pierre lui dit: "Dussé-je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas." Et tous les disciples en dirent autant. 31 Mais lui reprenait de plus belle: "Dussé-je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas." Et tous disaient de même.

    • Matthieu reprend Marc en substance. De petites modifications montrent son souci de précision : il ne s’agit plus de succomber (être scandalisé) en soi, mais de succomber à cause de Jésus (« à cause de moi », « à cause de toi »); et le moment est précis (« cette nuit »). Comme il a accentué la culpabilité de Judas, il accentue la culpabilité de Pierre en répétant deux fois le mot « succomber ».

    MatthieuMarc
    36 Alors Jésus parvient avec eux à un domaine appelé Gethsémani, et il dit aux disciples: "Restez ici, tandis que je m’en irai prier là-bas." 32 Ils parviennent à un domaine du nom de Gethsémani, et il dit à ses disciples: "Restez ici tandis que je prierai."
    37 Et prenant avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à ressentir tristesse et angoisse. 38 Alors il leur dit: "Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi." 33 Puis il prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il commença à ressentir effroi et angoisse. 34 Et il leur dit: "Mon âme est triste à en mourir; demeurez ici et veillez."
    39 Etant allé un peu plus loin, il tomba face contre terre en faisant cette prière: "Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux." 35 Etant allé un peu plus loin, il tombait à terre, et il priait pour que, s’il était possible, cette heure passât loin de lui. 36 Et il disait: "Abba (Père)! tout t’est possible: éloigne de moi cette coupe; pourtant, pas ce que je veux, mais ce que tu veux!"
    40 Il vient vers les disciples et les trouve en train de dormir; et il dit à Pierre: "Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller une heure avec moi! 41 Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation: l’esprit est ardent, mais la chair est faible." 37 Il vient et les trouve en train de dormir; et il dit à Pierre: "Simon, tu dors? Tu n’as pas eu la force de veiller une heure? 38 Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation: l’esprit est ardent, mais la chair est faible."
    42 A nouveau, pour la deuxième fois, il s’en alla prier: "Mon Père, dit-il, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite!" 39 Puis il s’en alla de nouveau et pria, en disant les mêmes paroles.
    43 Puis il vint et les trouva à nouveau en train de dormir; car leurs yeux étaient appesantis.40 De nouveau il vint et les trouva endormis, car leurs yeux étaient alourdis; et ils ne savaient que lui répondre.
    44 Il les laissa et s’en alla de nouveau prier une troisième fois, répétant les mêmes paroles. 45 Alors il vient vers les disciples et leur dit: "Désormais vous pouvez dormir et vous reposer: voici toute proche l’heurele Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs. 46 Levez-vous! Allons! Voici tout proche celui qui me livre."41 Une troisième fois il vient et leur dit: "Désormais vous pouvez dormir et vous reposer. C’en est fait. L’heure est venue: voici que le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs. 42 Levez-vous! Allons! Voici que celui qui me livre est tout proche."

    • Encore unes fois, Matthieu reprend le récit de Marc en le structurant beaucoup mieux :
      • Pour éviter la confusion sur le lieu de prière de Jésus, il dit explicitement : je m’en irai prier là-bas (plutôt que le vague « je prierai » de Marc)
      • Le mouvement de va et vient entre le lieu de prière de Jésus et ses disciples est beaucoup mieux marqué : il va prier « pour la deuxième fois », il va prier « pour une troisième fois »; tout est bien compté. À chaque fois, Matthieu prend la peine de répéter que Jésus prie, alors que chez Marc on doit l’assumer lors de la troisième fois.

    • Nous avons mentionné plutôt que Matthieu donne une grande importance au rôle de la communauté ou de l’Église. On retrouve ici le même intérêt avec l’insistance sur la prière communautaire. Le Jésus de Matthieu ne demande pas simplement de veiller, mais de veiller « avec moi ». Quand il reviendra vers ses disciples, il répétera encore : vous n’avez pas eu la force de veiller une heure avec moi! Le lecteur perspicace aura remarqué qu’en interpellant Pierre, Jésus dit dit : « Vous n’avez pas eu la force... » et non pas « Tu n’as pas eu la force... » comme dans le texte de Marc. Pour Matthieu, Pierre représente la communauté-Église. Et c’est le rôle de cette communauté de soutenir les gens dans leur angoisse et leurs souffrances.

    • Soulignons un dernier trait de Matthieu : il aime accentuer le caractère transcendant de Jésus, comme s’il le regardait déjà avec les lunettes de la foi. Plutôt que de tomber à terre comme chez Marc, Jésus tombe la face contre terre, ce qui est un geste d’abandon, de soumission et d’acceptation, comme on le voit dans scène du don de l’alliance à Abraham (Genèse 17, 3). Il réduit au minimum la résistance de Jésus à la volonté de son Père: 1) lors du premier moment de prière, Jésus ne demande qu’une seule fois que la coupe passe loin de lui, alors qu’elle a lieu deux fois chez Marc; 2) l’accent est sur l’accomplissement de la volonté du Père lors du deuxième moment de prière. Enfin, 3) il évite le mot trop intimiste de Marc : Abba (littéralement : papa).

    MatthieuMarc
    47 Comme il parlait encore, voici Judas, l’un des Douze, et avec lui une bande nombreuse armée de glaives et de bâtons, envoyée par les grands prêtres et les anciens du peuple.43 Et aussitôt, comme il parlait encore, survient Judas, l’un des Douze, et avec lui une bande armée de glaives et de bâtons, venant de la part des grands prêtres, des scribes et des anciens.
    48 Or le traître leur avait donné ce signe: "Celui à qui je donnerai un baiser, c’est lui; arrêtez-le." 49 Et aussitôt il s’approcha de Jésus en disant: "Salut, Rabbi", et il lui donna un baiser. 44 Or, le traître leur avait donné ce signe convenu: "Celui à qui je donnerai un baiser, c’est lui; arrêtez-le et emmenez-le sous bonne garde." 45 Et aussitôt arrivé, il s’approcha de lui en disant: "Rabbi", et il lui donna un baiser.
    50 Mais Jésus lui dit: "Ami, fais ta besogne." Alors, s’avançant, ils mirent la main sur Jésus et l’arrêtèrent. 46 Les autres mirent la main sur lui et l’arrêtèrent.
    51 Et voilà qu’un des compagnons de Jésus, portant la main à son glaive, le dégaina, frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui enleva l’oreille. 47 Alors l’un des assistants, dégainant son glaive, frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui enleva l’oreille.
    52 Alors Jésus lui dit: "Rengaine ton glaive; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. 53 Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges? 54 Comment alors s’accompliraient les Ecritures d’après lesquelles il doit en être ainsi?"
    55 A ce moment-là Jésus dit aux foules: "Suis-je un brigand, que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons pour me saisir? Chaque jour j’étais assis dans le Temple, à enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté." 56 Or tout ceci advint pour que s’accomplissent les Ecritures des prophètes. 48 S’adressant à eux, Jésus leur dit: "Suis-je un brigand, que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons pour me saisir! 49 Chaque jour j’étais auprès de vous dans le Temple, à enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté. Mais c’est pour que les Ecritures s’accomplissent."
    Alors les disciples l’abandonnèrent tous et prirent la fuite. 50 Et, l’abandonnant, ils prirent tous la fuite. 51 Un jeune homme le suivait, n’ayant pour tout vêtement qu’un drap, et on le saisit; 52 mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu

    • Selon son habitude, Matthieu aime mettre les points sur les i. Aux vv. 49 et 50 il remplace les « lui » de Marc par « Jésus »; pas d’ambiguïté possible. De même, au v. 58 le « ils » de Marc est remplacé par « les disciples », pour être précis. Quand Judas donne son baiser, il ne dit pas seulement « Rabbi », mais « Salut, rabbi », ce qui est la salutation habituelle. Enfin, quand il évoque les Écritures qui éclairent les événements (v. 56), il précice qu’il s’agit des Écritures des prophètes; en l’occurrence, on peut y voir une référence au prophète Zacharie. Bref, nous sommes devant un évangéliste qui aime les choses nettes et précises.

    • Matthieu maintient le caractère transcendant de Jésus qui demeure en contrôle de la situation. C’est ainsi qu’après avoir reçu le baiser de Judas, il lui ordonne de faire ce qu’il a à faire, totalement conscient de tout ce qui se passe (v. 50); même sur le point d’être arrêté, Jésus demeure le leader. D’ailleurs, selon Matthieu, si Jésus est arrêté, c’est son choix : il aurait pu faire appel à une armée d’anges pour le protéger.

    • Nous avons déjà parlé de Matthieu qui, tout comme bon Juif, met l’accent sur l’agir plutôt que la doctrine. Or, l’événement du compagnon qui dégaine son glaive devient l’occasion d’un enseignement éthique sur la violence.

    • Pourquoi Matthieu n’a-t-il pas repris la scène du jeune homme qui s’enfuit nu? Probablement, selon son habitude de ne garder que l’essentiel, il a jugé que cette scène n’apportait rien au drame qui se jouait et à sa théologie.

    MatthieuMarc
    57 Ceux qui avaient arrêté Jésus l’emmenèrent chez Caïphe le Grand Prêtre, où se réunirent les scribes et les anciens. 53 Ils emmenèrent Jésus chez le Grand Prêtre, et tous les grands prêtres, les anciens et les scribes se rassemblent.
    58 Quant à Pierre, il le suivait de loin, jusqu’au palais du Grand Prêtre; il pénétra à l’intérieur et s’assit avec les valets, pour voir le dénouement.54 Pierre l’avait suivi de loin jusqu’à l’intérieur du palais du Grand Prêtre et, assis avec les valets, il se chauffait à la flambée.
    59 Or, les grands prêtres et le Sanhédrin tout entier cherchaient un faux témoignage contre Jésus, en vue de le faire mourir; 60 et ils n’en trouvèrent pas, bien que des faux témoins se fussent présentés en grand nombre.55 Or, les grands prêtres et tout le Sanhédrin cherchaient un témoignage contre Jésus pour le faire mourir et ils n’en trouvaient pas. 56 Car plusieurs déposaient faussement contre lui et leurs témoignages ne concordaient pas.
    Finalement il s’en présenta deux, 61 qui déclarèrent: "Cet homme a dit: Je puis détruire le Sanctuaire de Dieu et le rebâtir en trois jours." 57 Quelques-uns se levèrent pour porter contre lui ce faux témoignage: 58 "Nous l’avons entendu qui disait: Je détruirai ce Sanctuaire fait de main d’homme et en trois jours j’en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d’homme." 59 Et sur cela même leurs dépositions n’étaient pas d’accord.
    62 Se levant alors, le Grand Prêtre lui dit: "Tu ne réponds rien? Qu’est-ce que ces gens attestent contre toi?" 63 Mais Jésus se taisait.60 Se levant alors au milieu, le Grand Prêtre interrogea Jésus: "Tu ne réponds rien? Qu’est-ce que ces gens attestent contre toi?" 61 Mais lui se taisait et ne répondit rien.
    Le Grand Prêtre lui dit: "Je t’adjure par le Dieu Vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu" – De nouveau le Grand Prêtre l’interrogeait, et il lui dit: "Tu es le Christ, le Fils du Béni" –
    64 "Tu l’as dit, lui dit Jésus. D’ailleurs je vous le déclare: dorénavant, vous verrez le Fils de l’homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel." 62 "Je le suis, dit Jésus, et vous verrez le Fils de l’homme siégeant à la droite de la Puissance et venant avec les nuées du ciel."
    65 Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements en disant: "Il a blasphémé! qu’avons-nous encore besoin de témoins? Là, vous venez d’entendre le blasphème! 66 Qu’en pensez-vous?" Ils répondirent: "Il est passible de mort."63 Alors le Grand Prêtre déchira ses tuniques et dit: "Qu’avons-nous encore besoin de témoins? 64 Vous avez entendu le blasphème; que vous en semble?" Tous prononcèrent qu’il était passible de mort.
    67 Alors ils lui crachèrent au visage et le giflèrent; d’autres lui donnèrent des coups 68 en disant: "Fais le prophète, Christ, dis-nous qui t’a frappé." 65 Et quelques-uns se mirent à lui cracher au visage, à le gifler et à lui dire: "Fais le prophète!" Et les valets le bourrèrent de coups.

    • Les textes de Matthieu et Marc sont très similaires dans leur substance. On note seulement chez Matthieu des traits qui lui sont habituels, i.e.
      • Élimination de détails inutiles : c’est le cas de cette flamblée auprès de laquelle Pierre se chauffait;
      • Souci de la précision :
        1. On apprend que le grand prêtre s’appelait Caïphe
        2. Les témoignages contre Jésus sont appelés faux témoignages
        3. Il sait que le Sanhédrin n’a pas le pouvoir de condamner à mort, alors il évite de donner à sa décision un pouvoir juridique, et donc utilise l’expression « Ils répondirent: "Il est passible de mort." » plutôt que « Tous prononcèrent qu’il était passible de mort » comme chez Marc
        4. Les gestes brutaux contre Jésus ont lieu avant de lui demander de deviner (on doit assumer qu’il a les yeux bandés) qui l’a fait (Fais le prophète), ce qui est tout à fait logique, alors que chez Marc on a des valets qui le bourrent de coups après cette demande, ce qui rend la scène un peu confuse;
        5. Matthieu précise le sens de « faire le prophète » en ajoutant : dis-nous qui t’a frappé;
      • Vision juive des choses
        1. Comme Juif, Matthieu est incapable d’accepter la remarque chez Marc que le temple de Jérusalem est simplement un sanctuaire fait de main d’homme, et donc ne le reprend pas
        2. L’appel à dire la vérité dans la bouche du grand prêtre reprend une expression tout à fait juive : « Je t’adjure par le Dieu Vivant »
        3. Conformément à la Loi qui exige deux témoins pour qu’un témoignage soit valide, ce sont deux témoins qui viennent rappeler la parole de Jésus sur la destruction du temple
        4. Comme Juif qui a le sens aigu de la transcendance de Dieu, on sent une petite gêne quand le grand prêtre demande à Jésus s’il est le Christ, le Fils de Dieu : plutôt que le « Je le suis » de Marc, il a « Tu l’as dit », ce qui laisse place à une forme d’ambiguïté.

    MatthieuMarc
    69 Cependant Pierre était assis dehors, dans la cour. 66 Comme Pierre était en bas dans la cour,
    Une servante s’approcha de lui en disant: "Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen." arrive une des servantes du Grand Prêtre. 67 Voyant Pierre qui se chauffait, elle le dévisagea et dit: "Toi aussi, tu étais avec le Nazarénien Jésus."
    70 Mais lui nia devant tout le monde en disant: "Je ne sais pas ce que tu dis."68 Mais lui nia en disant: "Je ne sais pas, je ne comprends pas ce que tu dis."
    71 Comme il s’était retiré vers le porche, une autre le vit et dit à ceux qui étaient là: "Celui-là était avec Jésus le Nazôréen." Puis il se retira dehors vers le vestibule et un coq chanta. 69 La servante, l’ayant vu, recommença à dire aux assistants: "Celui-là en est!"
    72 Et de nouveau il nia avec serment: "Je ne connais pas cet homme." 70 Mais de nouveau il niait.
    73 Peu après, ceux qui se tenaient là s’approchèrent et dirent à Pierre: "Sûrement, toi aussi, tu en es: et d’ailleurs ton langage te trahit." Peu après, à leur tour, les assistants disaient à Pierre: "Vraiment tu en es; et d’ailleurs tu es Galiléen."
    74 Alors il se mit à jurer avec force imprécations: "Je ne connais pas cet homme."71 Mais il se mit à jurer avec force imprécations: "Je ne connais pas cet homme dont vous parlez."
    Et aussitôt un coq chanta. 75 Et Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite: "Avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois." Et, sortant dehors, il pleura amèrement. 72 Et aussitôt, pour la seconde fois, un coq chanta. Et Pierre se ressouvint de la parole que Jésus lui avait dite: "Avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois." Et il éclata en sanglots.

    • Les traits de la composition de Matthieu que nous avons déjà soulignés se poursuivent.

      • Sa composition est soignée. Il prend bien soin d’établir que les interlocuteurs de Pierre sont différents pour chacun de ses reniements, alors que Marc met en scène la même servante pour les deux premiers; cela évite le problème du deuxième reniement chez Marc qui apparaît redondant. Et la façon dont les trois interlocuteurs forcent Pierre à prendre position varie à chaque fois : on fait d’abord référence à Jésus le Galilée, puis à Jésus le Nazôréen, et enfin au fait que lui-même soit Galiléen. Enfin, il se débarrasse de l’anecdote qu’il juge sans doute de mauvais goût d’un coq qui aurait chanté deux fois avant que Pierre ne le renie trois fois.

      • Comme il l’a fait plus tôt avec Judas, puis avec Pierre qui jurait de sa fidélité, Matthieu dramatise la scène du reniement et en accentue les traits : c’est « devant tout le monde » que Pierre nie connaître Jésus la première fois, c’est « avec serment » qu’il nie la deuxième fois. Pour le troisième reniement, Marc avait déjà « il se mit à jurer avec force imprécations », et il était donc difficile pour lui d’en rajouter. En dramatisant ainsi le geste de Pierre, Matthieu se trouve à dire ceci : le reniement de Pierre était un geste clair et conscient. Tout cela a pour effet d’en accentuer sa culpabilité, ce qui n’est pas étonnant chez un évangéliste très porté sur les choses éthiques.

      • Comme il lui arrive souvent, Matthieu aime préciser les choses qui risquent d’être ambigües et non comprises. C’est le cas du troisième reniement. Si nous n’avions que la version de Marc où on dit à Pierre « et d’ailleurs tu es Galiléen », on pourrait avoir de la difficulté à comprendre le sens de cette affirmation et on se demanderait : comment les gens savent-ils cela? Est-ce écrit sur son front? Est-il habillé différemment? Matthieu enlève toute ambigüité : « et d’ailleurs ton langage te trahit ». C’est ainsi que nous apprenons que les Juifs de Galilée parlaient Araméen avec accent différent de ceux de la Judée.

    MatthieuMarc
    1 Le matin étant arrivé, tous les grands prêtres et les anciens du peuple tinrent un conseil contre Jésus, en sorte de le faire mourir.1 Et aussitôt, le matin, les grands prêtres préparèrent un conseil avec les anciens, les scribes, et tout le Sanhédrin;
    2 Et, après l’ avoir ligoté, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate le gouverneur.puis, après avoir ligoté Jésus, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate .
    3 Alors Judas, qui l’avait livré, voyant qu’il avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les 30 pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens: 4 "J’ai péché, dit-il, en livrant un sang innocent." Mais ils dirent: "Que nous importe? A toi de voir." 5 Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre. 6 Ayant ramassé l’argent, les grands prêtres dirent: "Il n’est pas permis de le verser au trésor, puisque c’est le prix du sang." 7 Après délibération, ils achetèrent avec cet argent le "champ du potier" comme lieu de sépulture pour les étrangers. 8 Voilà pourquoi ce champ-là s’est appelé jusqu’à ce jour le "Champ du Sang." 9 Alors s’accomplit l’oracle de Jérémie le prophète: Et ils prirent les 30 pièces d’argent, le prix du Précieux qu’ont apprécié des fils d’Israël, 10 et ils les donnèrent pour le champ du potier, ainsi que me l’a ordonné le Seigneur.

    • Deux points méritent d’être soulignés:
      • Fidèle à sa réputation, Matthieu précise les choses qui peuvent être ambigües chez Marc : si les grands prêtres se réunissent, c’est qu’il s’agit d’une rencontre « contre Jésus, en sorte de le faire mourir »; Marc assumait que le lecteur allait facilement le saisir. Dès le début du procès chez Pilate, Matthieu donne toujours le titre de gouverneur à Pilate, et il le seul à le faire : Marc assumait que tout le monde savait qui est Pilate, Matthieu ne l’assume pas.

      • Et comme il l’a fait depuis le début, il insiste sur la culpabilité du peuple juif. C’est le sens de ce récit sur la mort de Judas, un récit qu’il a probablement créé en réutilisant une légende qui circulait dans son milieu. Il écrit ce récit à la lumière des prophètes Jérémie et Zacharie où Dieu se plaint de l’infidélité de son peuple. Comme nous l’avons déjà souligné, Judas représente ce peuple infidèle.

    MatthieuMarc
    11 Jésus fut amené en présence du gouverneur et le gouverneur l’interrogea en disant: "Tu es le Roi des Juifs?" 2 Pilate l’interrogea: "Tu es le roi des Juifs?"
    Jésus répliqua: "Tu le dis." Jésus lui répond: "Tu le dis."
    12 Puis, tandis qu’il était accusé par les grands prêtres et les anciens, il ne répondit rien.3 Et les grands prêtres multipliaient contre lui les accusations.
    13 Alors Pilate lui dit: "N’entends-tu pas tout ce qu’ils attestent contre toi?" 4 Et Pilate de l’interroger à nouveau: "Tu ne réponds rien? Vois tout ce dont ils t’accusent!"
    14 Et il ne lui répondit sur aucun point, si bien que le gouverneur était fort étonné.5 Mais Jésus ne répondit plus rien, si bien que Pilate était étonné.
    15 A chaque Fête, le gouverneur avait coutume de relâcher à la foule un prisonnier, celui qu’elle voulait. 16 On avait alors un prisonnier fameux, nommé Barabbas.6 A chaque Fête, il leur relâchait un prisonnier, celui qu’ils demandaient. 7 Or, il y avait en prison le nommé Barabbas, arrêté avec les émeutiers qui avaient commis un meurtre dans la sédition. 8 La foule étant montée se mit à demander la grâce accoutumée.
    17 Pilate dit donc aux gens qui se trouvaient rassemblés: "Lequel voulez-vous que je vous relâche, Barabbas, ou Jésus que l’on appelle Christ?" 18 Il savait bien que c’était par jalousie qu’on l’avait livré. 9 Pilate leur répondit: "Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs?" 10 Il se rendait bien compte que c’était par jalousie que les grands prêtres l’avaient livré.
    19 Or, tandis qu’il siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire: "Ne te mêle point de l’affaire de ce juste; car aujourd’hui j’ai été très affectée dans un songe à cause de lui."
    20 Cependant, les grands prêtres et les anciens persuadèrent aux foules de réclamer Barabbas et de perdre Jésus.11 Cependant, les grands prêtres excitèrent la foule à demander qu’il leur relâchât plutôt Barabbas.
    21 Prenant la parole, le gouverneur leur dit: "Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche?"
    Ils dirent: "Barabbas."
    22 Pilate leur dit: "Que ferai-je donc de Jésus que l’on appelle Christ?"12 Pilate, prenant de nouveau la parole, leur disait: "Que ferai-je donc de celui que vous appelez le roi des Juifs?"
    Ils disent tous: "Qu’il soit crucifié!" 13 Mais eux crièrent de nouveau: "Crucifie-le!"
    23 Il reprit: "Quel mal a-t-il donc fait?" 14 Et Pilate de leur dire: "Qu’a-t-il donc fait de mal?"
    Mais ils criaient plus fort: "Qu’il soit crucifié!" Mais ils n’en crièrent que plus fort: "Crucifie-le!"
    24 Voyant alors qu’il n’aboutissait à rien, mais qu’il s’ensuivait plutôt du tumulte, Pilate prit de l’eau et se lava les mains en présence de la foule, en disant: "Je ne suis pas responsable de ce sang; à vous de voir!" 25 Et tout le peuple répondit: "Que son sang soit sur nous et sur nos enfants!"
    26 Alors il leur relâcha Barabbas; quant à Jésus, après l’avoir fait flageller, il le livra pour être crucifié.15 Pilate alors, voulant contenter la foule, leur relâcha Barabbas et, après avoir fait flageller Jésus, il le livra pour être crucifié.
    27 Alors les soldats du gouverneur prirent avec eux Jésus dans le Prétoire et ameutèrent sur lui toute la cohorte. 28 L’ayant dévêtu, ils lui mirent une chlamyde écarlate, 29 puis, ayant tressé une couronne avec des épines, ils la placèrent sur sa tête, avec un roseau dans sa main droite. Et, s’agenouillant devant lui, ils se moquèrent de lui en disant: "Salut, roi des Juifs!" 30 et, crachant sur lui, ils prenaient le roseau et en frappaient sa tête. 16 Les soldats l’emmenèrent à l’intérieur du palais, qui est le Prétoire, et ils convoquent toute la cohorte. 17 Ils le revêtent de pourpre, puis, ayant tressé une couronne d’épines, ils la lui mettent. 18 Et ils se mirent à le saluer: "Salut, roi des Juifs!" 19 Et ils lui frappaient la tête avec un roseau et ils lui crachaient dessus, et ils ployaient le genou devant lui pour lui rendre hommage.
    31 Puis, quand ils se furent moqués de lui, ils lui ôtèrent la chlamyde, lui remirent ses vêtements et l’emmenèrent pour le crucifier. 20 Puis, quand ils se furent moqués de lui, ils lui ôtèrent la pourpre et lui remirent ses vêtements. Ils le mènent dehors afin de le crucifier.

    • Examinons d’abord le dialogue de Pilate avec la foule. En effet, comme Jésus ne répond rien, le récit se tourne rapidement vers l’interaction avec la foule. Sur ce point, la dynamique du dialogue est totalement différente chez Marc et Matthieu. Chez Marc, Pilate pose trois questions :

      1. Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs? (Réponse : relâche plutôt Barabbas)
      2. Que ferai-je donc de celui que vous appelez le roi des Juifs? (Réponse : crucifie-le)
      3. Qu’a-t-il donc fait de mal? (Réponse : crucifie-le)

      Ainsi, le Pilate de Marc essaie constamment de justifier le relâchement de Jésus, et la foule cède au « lavage de cerveau » des grands prêtres et les gens demandent hystériquement de crucifier Jésus. Mais la dynamique de Matthieu est totalement différente. Pilate pose quatre questions, dont les deux premières sont propres à Matthieu :

      1. Lequel voulez-vous que je vous relâche, Barabbas, ou Jésus que l’on appelle Christ? (Réponse : relâche Barabbas, mais élimine Jésus)
      2. Lequel voulez-vous que je vous relâche? (Réponse : Barabbas)
      3. Que ferai-je donc de Jésus que l’on appelle Christ? (Réponse : qu’il soit crucifié)
      4. Qu’a-t-il donc fait de mal? (Réponse : qu’il soit crucifié)

      Chez Matthieu, ce que Pilate demande à la foule c’est de faire un choix entre Jésus et un meurtrier. C’est un peu le cadre du Deutéronome que nous retrouvons ici quand Moïse demande à son peuple de choisir entre la vie et la mort (Deutéronome 30, 15-20 : Vois, je te propose aujourd’hui vie et bonheur, mort et malheur... Je prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre: je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez). Pilate devient en quelque un Moïse qui demande au peuple juif de choisir entre la vie et la mort. Et pour accentuer le fait que ce peuple choisit la mort, leur demande ne consiste pas seulement à relâcher Barabbas, mais également à « perdre » Jésus (v. 20). Et pour être bien clair qu’il s’agit bien du peuple juif dans son ensemble, il ajoute les anciens du peuple aux grands prêtres parmi ceux qui persuadent la foule de faire ce choix.

    • Nous avons analysé plutôt cette péricope. Qu’il nous suffise de souligner de nouveau le caractère plus soigné de la composition de Matthieu dans cette séquence où les soldats se moquent de Jésus : sa séquence respecte beaucoup mieux l’ordre logique des choses où on dévêt l’homme avant de lui mettre des habits royaux avec une couronne et un sceptre, et où on parodie le cérémonial habituel de s’agenouiller d’abord devant le roi avant de le saluer et de lui donner un baiser; la séquence de Marc est plus confuse. Nous avons mis Marc en parallèle à Matthieu, mais avec le chiffre de l’ordre avec lequel l’action apparaît dans son évangile

      MatthieuMarc
      0. L’ayant dévêtu,
      1. ils lui mirent une chlamyde écarlate, 1. Ils le revêtent de pourpre
      2. puis, ayant tressé une couronne avec des épines, 2. puis, ayant tressé une couronne d’épines,
      3. ils la placèrent sur sa tête, 3. ils la lui mettent.
      4. avec un roseau dans sa main droite.
      5. Et, s’agenouillant devant lui, 7. et ils ployaient le genou devant lui pour lui rendre hommage.
      6. ils se moquèrent de lui en disant: "Salut, roi des Juifs!" 4. Et ils se mirent à le saluer: "Salut, roi des Juifs!"
      7. et, crachant sur lui, 6. et ils lui crachaient dessus,
      8. ils prenaient le roseau et en frappaient sa tête5. Et ils lui frappaient la tête avec un roseau

    • Terminons avec un dernier point : l’ajout de la scène de l’épouse de Pilate et de son songe ainsi que celle du lavement des mains de Pilate, des scènes qu’il a probablement créées lui-même, comme nous l’avons dit plutôt, ne visent qu’à disculper les païens représentés par les Romains et à accentuer la culpabilité juive.

    MatthieuMarc
    32 En sortant, ils trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, et le requirent pour porter sa croix. 21 Et ils requièrent, pour porter sa croix, Simon de Cyrène, le père d’Alexandre et de Rufus, qui passait par là, revenant des champs.
    33 Arrivés à un lieu dit Golgotha, c’est-à-dire lieu dit du Crâne, 34 ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel; il en goûta et n’en voulut point boire. 35 Quand ils l’eurent crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort. 36 Puis, s’étant assis, ils restaient là à le garder. 22 Et ils amènent Jésus au lieu dit Golgotha, ce qui se traduit lieu du Crâne. 23 Et ils lui donnaient du vin parfumé de myrrhe, mais il n’en prit pas. 24 Puis ils le crucifient et se partagent ses vêtements en tirant au sort ce qui reviendrait à chacun. 25 C’était la troisième heure quand ils le crucifièrent.
    37 Ils placèrent aussi au-dessus de sa tête le motif de sa condamnation ainsi libellé: "Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs." 38 Alors sont crucifiés avec lui deux brigands, l’un à droite et l’autre à gauche. 26 L’inscription qui indiquait le motif de sa condamnation était libellée: "Le roi des Juifs." 27 Et avec lui ils crucifient deux brigands, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche.
    39 Les passants l’injuriaient en hochant la tête 40 et disant: "Toi qui détruis le Sanctuaire et en trois jours le rebâtis, sauve-toi toi-même, si tu es fils de Dieu, et descends de la croix!" 29 Les passants l’injuriaient en hochant la tête et disant: "Hé! toi qui détruis le Sanctuaire et le rebâtis en trois jours, 30 sauve-toi toi-même en descendant de la croix!"
    41 Pareillement les grands prêtres se gaussaient et disaient avec les scribes et les anciens: 42 "Il en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui-même! Il est roi d’Israël: qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui! 43 Il a compté sur Dieu; que Dieu le délivre maintenant, s’il s’intéresse à lui! Il a bien dit: Je suis fils de Dieu!" 31 Pareillement les grands prêtres se gaussaient entre eux avec les scribes et disaient: "Il en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui-même! 32 Que le Christ, le Roi d’Israël, descende maintenant de la croix, pour que nous voyions et que nous croyions!"
    44 Même les brigands crucifiés avec lui l’outrageaient de la sorte. Même ceux qui étaient crucifiés avec lui l’outrageaient.
    45 A partir de la sixième heure, l’obscurité se fit sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure. 46 Et vers la neuvième heure, Jésus clama en un grand cri: "Eli, Eli, lema sabachtani", c’est-à-dire: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?" 33 Quand il fut la sixième heure, l’obscurité se fit sur la terre entière jusqu’à la neuvième heure. 34 Et à la neuvième heure Jésus clama en un grand cri: "Elôï, Elôï, lema sabachthani", ce qui se traduit: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?"
    47 Certains de ceux qui se tenaient là disaient en l’entendant: "Il appelle Elie, celui-ci!" 48 Et aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge qu’il imbiba de vinaigre et, l’ayant mise au bout d’un roseau, il lui donnait à boire. 49 Mais les autres lui dirent: "Laisse! que nous voyions si Elie va venir le sauver!" 35 Certains des assistants disaient en l’entendant: "Voilà qu’il appelle Elie!" 36 Quelqu’un courut tremper une éponge dans du vinaigre et, l’ayant mise au bout d’un roseau, il lui donnait à boire en disant: "Laissez! que nous voyions si Elie va venir le descendre!"
    50 Or Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit. 51 Et voilà que le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas; la terre trembla, les rochers se fendirent, 52 les tombeaux s’ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent: 53 ils sortirent des tombeaux après sa résurrection, entrèrent dans la Ville sainte et se firent voir à bien des gens. 37 Or Jésus, jetant un grand cri, expira. 38 Et le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas.
    54 Quant au centurion et aux hommes qui avec lui gardaient Jésus, à la vue du séisme et de ce qui se passait, ils furent saisis d’une grande frayeur et dirent: "Vraiment celui-ci était fils de Dieu! " 39 Voyant qu’il avait ainsi expiré, le centurion, qui se tenait en face de lui, s’écria: "Vraiment cet homme était fils de Dieu!"

    • Dans ce récit du crucifiement de Jésus, Matthieu semblent reprendre tel quel Marc. Mais il lui donne une orientation plus fortement théologique. On le voit tout de suite par les deux titres « Fils de Dieu » (vv. 40 et 43) qu’il ajoute et met dans la bouche de ceux qui se moquent. Car la scène de Marc porte sur l’accusation politique de « roi des Juifs ». Matthieu ramène subtilement à l’avant plan l’accusation religieuse de prétendre à être messie, et donc fils de Dieu. Il le fait non seulement à travers le titre, mais également à travers plusieurs références à l’Ancien Testament où on parle du Juste ou de celui qui est resté fidèle à Yahvé mais doit subir le sarcasme ou la persécution de son entourage. Citons le psaume 69, 22 : (Et ils m’ont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif ils m’ont abreuvé de vinaigre, cf v. 34), le psaume 22 (7 Tous ceux qui m’ont vu se sont moqués de moi; ils ont murmuré entre leurs lèvres, ils ont secoué la tête. 8. Ils ont dit : Il a mis son espoir en Dieu, que le Seigneur le sauve; qu’il le délivre, puisqu’il se complaît en lui, cf vv. 39 et 42), Sagesse 2, 27 (Il assure qu’il a la science de Dieu, et il se nomme le Fils de Dieu, cf v. 43). Comprenons le point de vue de Matthieu. Ce n’est pas le passé qui l’intéresse, mais le présent, et son présent c’est le Judaïsme des années 80 et le fait que l’ensemble de son peuple se soit fermé à la prédication de Jésus; le drame pour Matthieu est que son peuple vivait l’espoir d’un messie, et quand celui qui l’incarnait s’est présenté, il l’ait totalement rejeté. Glissons en terminant que Matthieu modifie la proclamation finale « Cet homme était fils de Dieu! » qui devient : « Celui-ci était fils de Dieu! »; car dans sa foi, au moment où il écrit ces lignes, Jésus appartient au monde de Dieu, et donc n’est plus un homme.

    • Encore une fois, Matthieu améliore le texte de Marc avec une composition plus soignée. La scène de l’éponge de vinaigre est incompréhensible chez Marc, car celui qui est allé chercher cette éponge dit ensuite à l’assistance de laisser faire (cf v. 36) : c’est à n’y rien comprendre, car pourquoi l’homme s’adresse-t-il à la foule alors que c’est lui qui pose le geste avec l’éponge, et pourquoi demande-t-il à la foule de laisser faire, alors que celle-ci ne fait absolument rien? Matthieu a certainement vu l’illogisme de Marc et modifie le récit : c’est la foule qui, s’adressant à l’homme donnant à boire à un Jésus probablement déshydraté, lui demande d’arrêter son geste de compassion et, par dérision, lui suggère de laisser le prophète Élie s’en occuper.

    • Ce goût pour des compositions bien structurées se voit également à travers la présence des gardes. Car Matthieu doit lutter contre l’histoire fausse qui circule dans le milieu juif d’un vol de nuit du corps de Jésus par ses disciples, et donc créera une scène où une garde est posée à l’entrée du sépulcre. Or, cette garde est introduite dès la crucifixion (Puis, s’étant assis, ils restaient là à le garder, v. 36), et elle sera témoin du séisme cosmique et de la résurrection des morts après que Jésus eut rendu son dernier souffle. (Quant au centurion et aux hommes qui avec lui gardaient Jésus, à la vue du séisme et de ce qui se passait , v. 54). Cette garde joue donc le rôle de témoin tout au long des derniers moments de Jésus, et c’est elle qui proclamera avec le centurion qu’il est fils de Dieu. La même rigueur de composition se voit également avec le témoignage du Centurion proclamant : « Vraiment celui-ci était fils de Dieu! » Matthieu et Marc partagent cette scène finale. Mais chez Marc, le titre « Fils de Dieu » apparaît comme un cheveu dans la soupe. Au contraire, Matthieu a pris soin d’introduire le titre plus tôt dans deux séquences où on le tourne en dérision (vv. 40 et 43), si bien que la troisième fois, dans la bouche de centurion et des gardes, le titre reçoit enfin sa confirmation.

    MatthieuMarc
    55 Il y avaitde nombreuses femmes qui regardaient à distance, celles-là même qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée et le servaient, 56 entre autres Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée. 40 Il y avait aussi des femmes qui regardaient à distance, entre autres Marie de Magdala, Marie mère de Jacques le petit et de Joset, et Salomé, 41 qui le suivaient et le servaient lorsqu’il était en Galilée; beaucoup d’autres encore qui étaient montées avec lui à Jérusalem.
    57 Le soir venu, il vint un homme riche d’Arimathie, du nom de Joseph, qui s’était fait, lui aussi, disciple de Jésus. 58 Il alla trouver Pilate et réclama le corps de Jésus. Alors Pilate ordonna qu’on le lui remît. 42 Déjà le soir était venu et comme c’était la Préparation, c’est-à-dire la veille du sabbat, 43 Joseph d’Arimathie, membre notable du Conseil, qui attendait lui aussi le Royaume de Dieu, s’en vint hardiment trouver Pilate et réclama le corps de Jésus. 44 Pilate s’étonna qu’il fût déjà mort et, ayant fait appeler le centurion, il lui demanda s’il était mort depuis longtemps. 45 Informé par le centurion, il octroya le corps à Joseph.
    59 Joseph prit donc le corps, le roula dans un linceul propre 60 et le mit dans le tombeau neuf qu’il s’était fait tailler dans le roc; puis il roula une grande pierre à l’entrée du tombeau et s’en alla. 46 Celui-ci, ayant acheté un linceul, descendit Jésus, l’enveloppa dans le linceul et le déposa dans une tombe qui avait été taillée dans le roc; puis il roula une pierre à l’entrée du tombeau.
    61 Or il y avait là Marie de Magdala et l’autre Marie, assises en face du sépulcre. 47 Or, Marie de Magdala et Marie, mère de Joset, regardaient où on l’avait mis.
    62 Le lendemain, c’est-à-dire après la Préparation, les grands prêtres et les Pharisiens se rendirent en corps chez Pilate 63 et lui dirent: "Seigneur, nous nous sommes souvenus que cet imposteur a dit, de son vivant: Après trois jours je ressusciterai! 64 Commande donc que le sépulcre soit tenu en sûreté jusqu’au troisième jour, pour éviter que ses disciples ne viennent le dérober et ne disent au peuple: Il est ressuscité des morts! Cette dernière imposture serait pire que la première." 65 Pilate leur répondit: "Vous avez une garde; allez et prenez vos sûretés comme vous l’entendez." 66 Ils allèrent donc et s’assurèrent du sépulcre, en scellant la pierre et en postant une garde.

    • À l’exception de l’épisode de la rencontre avec Pilate pour la demande d’une garde qui est propre à Matthieu, ce dernier se contente de suivre Marc. Mais selon son habitude, son écriture est plus compacte et concise. Dans sa description des femmes qui sont au lieu de la crucifixion, il mentionne d’abord qu’elles sont nombreuses, qu’elles ont suivi Jésus depuis la Galilée, avant de donner le détail de leur nom. Chez Marc il y a un mouvement de va et vient : il d’abord le détail de leur nom, puis le fait qu’elles l’ont suivi depuis la Galilée, pour revenir à leur nombre et leur identité. Et dans la scène autour de Joseph d’Arimathie, Matthieu élimine tous les détails qui ne servent pas son propos, comme l’étonnement de Pilate devant la mort précoce de Jésus et son besoin d’information. Il s’en tient simplement aux attributs essentiels, i.e. un disciple de Jésus et un homme riche, ce qui lui permet d’expliquer ce sépulcre tout neuf.

    • La foi de Matthieu et sa perception de la transcendance de Jésus se manifeste à travers plusieurs petits détails. Tout d’abord, le linceul est « propre » et non souillé, le sépulcre est « neuf » et non souillé, ce qui convient à la dignité de Jésus. Enfin, la pierre à l’entrée du tombeau est « grande », ce qui ne fera que mettre en valeur la puissance de Dieu dans son intervention.

  4. Intention de l'auteur en écrivant ce passage

    Le texte que nous avons analysé couvre deux chapitres, et il est impossible de tout réduire à une seule idée. Essayons de résumer ce que nous avons découvert.

    • Il y a une souffrance chez Matthieu. Il appartient au peuple élu, à ce peuple que Dieu a choisi pour révéler son amour, à ce peuple auquel Dieu a suscité toute une lignée de prophètes, à ce peuple auquel Dieu a promis un messie. Et voilà que son propre peuple a rejeté celui qui est le prophète parmi les prophètes, le messie promis, véritable fils de Dieu. Car, pour lui, l’enjeu du procès de Jésus n’est pas de nature politique, mais de nature religieuse. Tout au long de ce récit de la passion qu’il reprend de Marc, il accentue la responsabilité et la culpabilité de son peuple, tout comme il accentue la responsabilité et la culpabilité de deux autres Juifs, Judas qui le trahit, et Pierre qui le renie. Car son peuple a eu l’occasion de faire un choix fondamental, comme on le voit au cours du procès de Jésus, et il a choisi la mort. D’autre part, les païens romains portent moins de responsabilité que ses frères juifs, puisqu’il ne tenaient pas vraiment à faire périr Jésus. Ainsi, ce qui est arrivé constitue pour lui un véritable drame dont il essaie de comprendre la signification. Comment l’être humain peut-il mordre la main qui le nourrit? Comment expliquer le mystère de la liberté humaine et du mal? Et maintenant, au moment où il écrit son évangile, son peuple porte les conséquences de ses choix, puisque la ville de Jérusalem a été détruite.

    • Avec les membres de sa communauté et tous les autres chrétiens, il parcourt les Écritures, ce que nous appelons l’Ancien Testament, pour trouver un sens à tous ces événements tragiques. Le prophète Zacharie l’aide à comprendre le geste de Judas et l’abandon des disciples, ainsi que de l’infidélité de tout un peuple; c’est l’histoire qui se répète. Le prophète Jérémie l’aide à comprendre le sort qui attend Jésus après avoir parlé de la destruction du temple, la suite étrange de la trahison de Judas où on achètera un champ avec l’argent du crime, et surtout le fait que le peuple juif puisse ainsi verser un sang innocent. Le prophète Isaïe, en particulier les ch. 50 et 53, l’aide à comprendre l’horreur des dernières heures de Jésus où, dans le silence, il subit les moqueries et la violence, tandis que le ch. 59 éclaire sa mise au tombeau. Enfin, plusieurs psaumes lui permettent d’entrer dans le drame intérieur de Jésus, comme le psaume 42 qui parle de tristesse et d’angoisse, le psaume 69 qui évoque le juste qu’on abreuve de vinaigre et de fiel, comme le psaume 22 qui mentionne les moqueries et la dérision que doit subir celui qui est fidèle à Dieu, et surtout son appel à Dieu dans une situation où il n’y a presque plus d’espoir. Il y a bien sûr beaucoup d’autres références aux Écritures, mais nous avons relevé les plus importants. Quelle lumière tout cela lui apporte-t-il? Ce qui est arrivé à Jésus, et les gestes posés par les principaux acteurs, avaient été en quelque sorte préfigurés. Aussi utilise-t-il souvent l’expression : « Tout cela arriva pour que s’accomple l’Écriture », que nous préférons traduire par « Tout cela permit de parvenir à l’intelligence complète de l’Écriture » : car les événements vécus nous renvoient à l’Écriture et nous permettent de les relire sous un jour nouveau, et leur trouver un sens encore plus profond. Pour Matthieu, l’Écriture a fait en sorte que ce qu’a vécu Jésus n’était pas absurbe, il revivait ce que les prophètes on vécu; le refus des Juifs répétait les infidélités d’autrefois. Il n’y a rien qui survient dans la vie auquel on ne puisse jeter un éclairage nous aidant à y trouver un sens.

    • Pour Matthieu, malgré l’horreur du drame, la figure de Jésus garde son côté transcendant et unique. Il demeure le leader qui commande l’organisation du repas d’adieu. Il connaît celui qui le trahira, et le fera connaître personnellement au traître. Arrivé à Gethsémani, il ne s’effondre pas par terre, comme chez Marc, mais pose un geste de soumission à la volonté du Père. De même, s’il connaît tristesse et angoisse, il ne vit pas la frayeur comme chez Marc. Quand il reçoit le baiser de Judas, il lui dit calmement de faire ce qu’il a à faire, dans un geste de soumission totale à la volonté de son père. Au disciple qui veut prendre les armes pour empêcher son arrestation, Jésus dit simplement qu’il aurait pu faire appel à une armée d’anges, mais cela l’aurait empêché de suivre sa voie. Quand il mourra, c’est dans un linceul propre et un sépulcre neuf qu’on le déposera, conforme à sa dignité. Dans tout cela, c’est sa foi actuelle que transmet Matthieu et qu’il propose à ses lecteurs.

    • Pour Matthieu, la vie chrétienne se vie en communauté. Cela transparaît dans sa reprise du repas d’adieu où il ajoute « mangez » et « buvez » au geste de Jésus, insistant sur son aspect « communion ». À Gethsémani, il insiste pour que ses disciples intimes veillent avec lui, car la prière se vit en communauté et, quand il interpelle Pierre, c’est en tant que chef de communauté.

    • Matthieu est Juif et son auditoire principal est constitué de Judéo-chrétiens. Il ne faut donc pas se surprendre de voir son insistance sur l’aspect éthique de la vie : le Judaïsme est une orthopraxie (rectitude de l’agir), et non pas une orthodoxie (rectitude de la doctrine). Dès lors, agir conformément à la volonté de Dieu devient fondamental, et c’est ce que reflète sa prière à Gethsémani. C’est ainsi que le geste du compagnon de Jésus, qui utilise son glaive pour trancher l’oreille du serviteur du grand prêtre, devient l’occasion d’un sermon sur la violence. D’autre part, comme son auditoire est de culture juive, il peut se reférer à leur univers religieux pour proposer sa catéchèse. Ainsi, lors du repas d’adieu, le sens de la mort de Jésus est associé au sacrifice animal pour le pardon des péchés qui avait lieu au temple. Quand Jésus meurt, Matthieu explique la signification de ce qu’il appelle « l’heure » en utilisant des scènes apocalyptiques qu’on retrouve chez des prophètes comme Ézéchiel, Daniel, Isaïe et Daniel où la terre tremble, les sépulcres s’ouvrent, et les morts se réveillent. Enfin, il doit faire face aux diverses histoires qui circulent dans la communauté, comme celle entourant Judas, et surtout comme celle colportée par des adversaires Juifs sur le soi-disant vol de nuit du corps de Jésus.

  5. Situations ou événements actuels dans lesquels on pourrait lire ce texte

    1. Suggestions provenant des différents symboles du récit

      Voici dix-sept suggestions glanées tout au long de ce long récit.

      • Judas Iscariote, se rendit chez les grands prêtres pour leur dire : « Combien voulez-vous me donner, si je vous le remets? » L’attitude de Judas n’est-elle pas représentative d’un certain nombre de nos contemporains? Les grands prêtres ne sont-ils pas associés à Dieu dans le Judaïsme? Il y a une réflexion à faire sur la fragilité et l’aveuglement humain.

      • « Celui qui me trahira, c’est celui qui aura plongé la main avec moi dans le plat... il aurait mieux valu pour cet homme de ne pas naître. » Comment peut-on trahir un partenaire de vie? Que s’est-il passer? Regardons notre entourage, regardons nos vies. Y voit-on des choses semblables? Quelle en est la source? Et il y cette phrase terrible que Matthieu met dans la bouche de Jésus : il aurait mieux valu pour cet homme de ne pas naître? Dirait-on ça d’Hitler? On pourrait dire que tout n’est pas totalement noir chez un être humain, mais il reste que les conséquences de certains de nos gestes peuvent être la source d’un mal terrible. Nous pouvons faire une réflexion sur le mystère de la vie.

      • « Prenez, mangez, ceci est mon corps. » « Buvez en tous, ceci est mon sang d’alliance, versé afin qu’une grande partie de l’humanité revienne de ses égarements. » Voilà la réponse au mal : le don de sa vie. Manger ce pain, boire à la coupe, c’est épouser cette option de vie. Réfléchissons à tout ce qu’implique le fait de participer à cette symbolique au coeur de l’eucharistie.

      • « Vraiment, je te l’assure, cette nuit même, avant que le coq ne chante, tu auras nié me connaître par trois fois. » Pierre nous représente lorsque dans les situations difficiles nous manquons de courage et cédons à la peur; il représente beaucoup d’aspects de nous dont nous avons honte à certains jours. Mais notre réflexion doit tenir compte du fait qu’il a regretté amèrement son attitude et doit tenir compte de ce qu’il est devenu par la suite, celui qui a accepté le leadership de la jeune communauté chrétienne. Ne doit-on pas voir en tout être humain faible ce qu’il peut devenir? À quelle condition des gestes de faiblesses peuvent-ils projeter un être vers l’avant?

      • « Mon être est triste à mourir. Restez ici et demeurez éveillés avec moi. » Jésus a eu besoin des autres dans les moments difficiles. Pouvons-nous passer à travers les épreuves de la vie sans le soutien des autres? Et nous-même, quelle est notre attitude vis-à-vis de ceux qui vivent une peine, une souffrance, une perte? Nous pouvons réfléchir sur le rôle de la communauté.

      • « Mon père, si c’est possible, évite-moi cette coupe. Toutefois, que vienne non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. » Il y a deux aspects extrêmement importants dans cette prière : il y a d’une part la reconnaissance de notre profond désir d’éviter les choses difficiles qui nous arrivent, et d’autre part l’acceptation de la situation difficile après avoir tout fait pour l’éviter. Désirer le malheur, la souffrance, les choses pénibles relève de la maladie mentale. Mais le grand défi est de s’y ouvrir quand il est impossible de l’éviter. Prenons le temps de regarder l’attitude de Jésus et de la comparer à celle de ceux qui s’obstinent à refuser ce qui leur arrive.

      • « Restez éveillés et priez, afin que vous n’entriez pas dans l’épreuve. Car bien que l’esprit soit bien disposé, la chair est par contre faible. » Jésus a été un être de prière, et ce moment de prière à Gethsémani a été fondamental pour lui; c’est ce qui lui a permis d’affronter les derniers moments de sa vie. Par contre, les disciples ont été incapables de veiller dans la prière, et on connaît la suite. Pourquoi la prière est-elle si fondamentale? N’est-ce pas la façon de descendre à la source de nos vie, de retrouver nos valeurs, d’établir un moment de totale vérité, et par là d’entendre l’Esprit de Dieu? Ce type de prière fait-il partie de nos vies?

      • Mais Jésus lui dit : « Remets l’épée dans son fourreau. Car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée. » Il y a bien sûr une vérité universelle dans cette maxime : la violence entraîne la violence; il s’en suit un cercle vicieux. Mais cette maxime prend une couleur nouvelle par l’attitude de Jésus, celle de faire face à la violence en répondant par l’amour qui se donne. Bien sûr, il ne s’agit pas d’être naïf et d’avoir une vision bucolique de la vie. Mais ce que l’attitude de Jésus dit clairement est que répondre à la violence par la violence est une réponse simpliste qui ne donne aucun résultat. La réponse qui porte fruit est celle qui aborde en profondeur les sources de la violence et accepte d’abandonner certaines choses au nom d’un amour plus grand que soi. Le récit de la passion permet une grande réflexion sur ce point.

      • Les grands prêtres et tout le sanhédrin cherchaient un faux témoin contre Jésus afin de pouvoir le mettre à mort. Piper les dés et utiliser le système de justice à ses propres fins nous est bien connu. Il n’y a ici aucune recherche de vérité et aucun souci de justice. Qu’est-ce qui cause de telles attitudes? Remarquons que ces attitudes n’épargnent pas le monde religieux. Comment nous libérer de ces attitudes? Peut-on trouver une réponse dans ce récit de la passion?

      • « Cette homme proclamait : je suis capable de détruire le temple, et en trois jours le reconstruire. » Nous connaissons par d’autres passages évangéliques l’attitude de Jésus face au temple. Le temple représente nos absolus, nos idoles, nos tabous. Est-il possible de grandir sans qu’ils soient détruits? Le Judaïsme tiendra mordicus à ce temple, et paradoxalement il sera détruit de toute façon par les Romains en l’an 70. Le véritable chrétien accepte que son monde soit reconstruit par ce que propose Jésus. Qu’est-ce que cela implique? Une réflexion s’impose.

      • « Désormais vous verrez le nouvel Adam, assis à la droite de Dieu, et venant sur les nuées du ciel. » À ce moment, le grand prêtre déchira ses vêtements en disant : « Il a injurié Dieu. » Aujourd’hui, on entend une expression similaire : « Il a injurié l’Islam ». Il ne s’agit pas de commencer une guère de religion, car au moyen âge des chrétiens ont mis au bûcher beaucoup de gens qui ont « injurié Dieu ou la religion ». De manière générale, peu importe la religion, de quel droit peut-on dire de quelqu’un : « Il a injurié Dieu »? Si Jésus est représentif d’un certain nombre de nos situations, ne peut-on pas dire que c’est la personne qui crie « Il a injurié Dieu » qui, dans les faits, injure Dieu? Cette scène n’est-elle pas un appel à reviser nos manières de juger les autres? Et n’est-elle pas révélatrice de nos faux visages de Dieu?

      • Alors ils lui crachèrent au visage et lui assénèrent des coups de poing, et d’autres le giflèrent en disant : « Fais le prophète pour nous, messie, qui est-ce qui t’a frappé? » Nous avons ici une scène de violence. Pourquoi ne pas nous arrêter à tous les actes violents dans notre société. Tant que nous les ignorerons, nous serons incapables de réagir de manière appropriée. D’où vient une telle violence? Existe-t-il une façon de la canaliser? Est-elle essentiellement mauvaise? Qu’exprime-t-elle? Jésus a-t-il été violent? Comment a-t-il réagi devant la violence?

      • Pilate leur demanda : « Lequel voulez-vous que je vous libère, [Jésus] Barabbas ou Jésus appelé messie? » C’est l’exemple d’un choix fondamental où nous sommes devant deux chemins. Bien sûr, Matthieu a probablement transformé le récit originel pour le dramatiser. Mais il reste que les gens qui sont consciemment intervenus pour faire périr Jésus ont opéré un choix fondamental, même s’ils seraient surpris d’entendre cela. La plupart de nos décisions mineures quotidiennes découlent de nos choix fondamentaux qui se sont confirmés au fil des ans, même si on peut rarement dire qu’à telle date nous avons fait un choix fondamental. Prenons le temps de nous arrêter un instant et de poser la question : quelles ont été les décisions importantes de notre vie? Quelles étaient les valeurs en jeu? Qu’est-ce qui explique nos choix? Ferions-nous aujourd’hui les même choix? Pourquoi?

      • Les passants l’injuriaient en agitant la tête et disaient : « Toi qui détruis le temple et le reconstruis en trois jours, libère-toi toi-même, si tu es fils de Dieu, et descends de la croix. » Qu’est-ce qui explique dans notre humanité ce besoin de se moquer des autres, de les ridiculer et de les narguer? Peu importe la valeur historique des détails de cette scène, celle-ci est typique d’un certain nombre de nos attitudes. Qu’est-ce qui se passe réellement chez nous. Est-ce une façon de nous rassurer dans nos choix? Est-ce une façon d’arrêter de chercher la vérité en caricaturant le choix des autres?

      • « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » Bien sûr, nous avons ici le début du psaume 22, et nous savons que le psaume se termine avec un immense chant d’espérance. Mais il est important d’écouter tous les cris de désespoirs de notre humanité, de prendre le temps de pleurer avec ceux qui pleurent, d’accepter de ressentir ce sentiment d’impuissance. Car c’est un aspect de la réalité qu’on ne peut ignorer : Dieu a permis ce monde où il est possible qu’on se sente dans un gouffre sans issue, avec aucun moyen de s’en sortir. Comment réagir? Prenons le temps de regarder Jésus en croix.

      • De nouveau, Jésus cria d’une voix forte et rendit l’esprit. Ce furent les dernières secondes de Jésus de Nazareth parmi nous. Il a remis la vie qu’il a reçue, comme nous aurons à le faire un jour. Il y a quelque chose de paradoxal dans la mort : d’une part, on perd cette vie qui est unique et qui a été à la source de nos joies et de nos peines, de nos amours et de nos colères, de nos découvertes et de nos interrogations, et nos amis vivent un vide, nos partenaires et nos enfants nous pleurent; d’autre part, elle est souvent le début d’un temps de paix quand il y eu une longue souffrance. N’ayons pas peur de nous arrêter quelques instants à la réalité de la mort, notre mort, celle de nos proches. Cette réflexion nous permettra sans doute d’entrer davantage dans la vie.

      • Il y avait là plusieurs femmes qui observaient à distance, dont certaines avaient suivi Jésus depuis la Galilée pour le soutenir. Il est ironique de constater que les gens qui ont soutenu Jésus jusqu’à la fin de sa vie sont des femmes. Les disciples sont disparus dans la nature. Et par la suite elles seront les premiers témoins de Jésus ressuscité. C’est à l’honneur de la tradition chrétienne de ne pas avoir biffé cette mémoire. Comment donner toute la place à ces véritables disciples de Jésus? Comment bien entendre leur témoignage? La réflexion est loin d’être terminée.

    2. Suggestions provenant de ce que nous vivons actuellement

      Notre réflexion peut être guidée par des événements que nous vivons et sur lesquels nous essayons de projeter l’éclairage évangélique

      • Le 27 mars 2011, à Tripoli, 72 personnes, y compris des femmes enceintes et des bébés, montent à bord d’un Zodiac de 10 m à destination de l’île sicilienne de Lampedusa, environ 300 km, quittant le régime de Kadhafi. Ils n’y arriveront jamais. Ils mourront tous un à un, dans le désespoir, sauf 9 qui survivront pour raconter ce qui s’est passé. «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » En fait, ce sont certains capitaines de frégates qui les ont abandonnés, refusant de les secourir.

      • Un couple que je connais bien vit les derniers moments de leur union : violence verbale, chicane à répétition, rancoeur, et un jeune enfant qui n’en peut plus et pleure.

      • Un jeune homme de 19 ans, fils de policier, poignarde à mort 5 autres jeunes étudiants lors d’une fête qui célébrait la fin des classes à l’université, sans raison apparente, probablement dans un moment de folie. La violence semble gratuite. Comment les parents de l’accusé vivront-ils ce drame? Comment les parents qui ont perdu un enfant vivront-ils ce drame? Et nous, comment trouver un sens à ce qui est inexplicable?

      • La tension entre la Russie et l’Ukraine est extrême. Certains partisans pro-russes se sont infiltrés dans des édifices gouvernementaux ukrainiens. Comment réagir? Quelle action poser? Une action militaire? Une action diplomatique? Ne rien faire? L’évangile de ce jour peut-il fournir un peu de lumière dans nos décisions?

      • Des extrémistes islamistes, du nom de Boko Haram, continuent leur ravage au Nigeria. Ils viennent de faire sauter une bombe à Abuja, la capitale, qui a fait 75 morts, après avoir enlevé précédemment 85 écolières dans une ville du nord-est du pays. Comment des êtres humains peuvent-ils céder à une telle violence aveugle? Comment intervenir?

      • La guerre de Syrie a créé plus d’un million de gens déplacés, des gens qui ont presque tout perdu, des gens qui vivent dans des abris de fortune. Comment ne pas être émus? Mais que faire?

      • Une jeune femme que je connais très bien vient de recevoir les résultats d’un examen médical : trois disques déplacés dans la colonne vertébrale, nerfs coincés, besoin de l’intervention d’un neurochirurgien et possibilité d’un handicap qui durera toute la vie. Tout à coup certaines perspectives changent. Comment bien vivre une telle situation?

 

-André Gilbert, Gatineau, avril 2014