Jean 15, 26-27; 16, 12-15

Je vous propose une analyse biblique avec les étapes suivantes: une étude de chaque mot grec du passage évangélique, suivie d'une analyse de la structure du récit et de son contexte, à laquelle s'ajoute une comparaison des passages parallèles ou semblables. À la fin de cette analyse et en guise de conclusion, je propose de résumer ce que l'évangéliste a voulu dire, et je termine avec des pistes d'actualisation.


 


  1. Traduction du texte grec (28e édition de Kurt Aland)

    Texte grecTexte grec translittéréTraduction littéraleTraduction en français courant
    26 Ὅταν ἔλθῃ ὁ παράκλητος ὃν ἐγὼ πέμψω ὑμῖν παρὰ τοῦ πατρός, τὸ πνεῦμα τῆς ἀληθείας ὃ παρὰ τοῦ πατρὸς ἐκπορεύεται, ἐκεῖνος μαρτυρήσει περὶ ἐμοῦ•26 Hotan elthē ho paraklētos hon egō pempsō hymin para tou patros, to pneuma tēs alētheias ho para tou patros ekporeuetai, ekeinos martyrēsei peri emou•26 Quand il viendra le paraclet que, moi, j'enverrai à vous d'auprès du Père, le souffle de vérité qui, d'auprès du père il sort, celui-là témoignera à mon sujet.26 Quand viendra l'aidant que je vous enverrai, de la part du Père, le souffle de vérité qui vient du Père, lui, il me rendra témoignage.
    27 καὶ ὑμεῖς δὲ μαρτυρεῖτε, ὅτι ἀπʼ ἀρχῆς μετʼ ἐμοῦ ἐστε27 kai hymeis de martyreite, hoti apʼ archēs metʼ emou este...27 Puis, vous aussi vous témoignerez, parce ce depuis (le) début vous êtes avec moi...27 Mais à votre tour vous rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le tout début...
    12 Ἔτι πολλὰ ἔχω ὑμῖν λέγειν, ἀλλʼ οὐ δύνασθε βαστάζειν ἄρτι•12 Eti polla echō hymin legein, allʼ ou dynasthe bastazein arti•12 Encore plus choses j'ai à vous dire, mais vous n'êtes pas capables de porter maintenant.12 J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous êtes incapables de les porter pour l'instant.
    13 ὅταν δὲ ἔλθῃ ἐκεῖνος, τὸ πνεῦμα τῆς ἀληθείας, ὁδηγήσει ὑμᾶς ἐν τῇ ἀληθείᾳ πάσῃ• οὐ γὰρ λαλήσει ἀφʼ ἑαυτοῦ, ἀλλʼ ὅσα ἀκούσει λαλήσει καὶ τὰ ἐρχόμενα ἀναγγελεῖ ὑμῖν.13 hotan de elthē ekeinos, to pneuma tēs alētheias, hodēgēsei hymas en tē alētheia pasē• ou gar lalēsei aphʼ heautou, allʼ hosa akousei lalēsei kai ta erchomena anangelei hymin.13 Puis, quand il viendra celui-là, le souffle de vérité, il guidera vous dans toute la vérité. Car il ne parlera pas à partir de lui-même, mais autant qu'il entendra, il parlera, et les choses venant, il annoncera à vous.13 Cependant, quand il viendra, lui, le souffle de vérité, il vous guidera vers la vérité toute entière. Car il ne parlera pas de lui-même, mais dans la mesure où il peut entendre, il parlera et vous expliquera les choses à venir.
    14 ἐκεῖνος ἐμὲ δοξάσει, ὅτι ἐκ τοῦ ἐμοῦ λήμψεται καὶ ἀναγγελεῖ ὑμῖν.14 ekeinos eme doxasei, hoti ek tou emou lēmpsetai kai anangelei hymin.14 Celui-là me glorifiera, parce que de ce qui est mien il recevra et annoncera à vous.14 Lui, il révélera ma qualité d'être extraordinaire, parce ce qu'il recevra ce qui est mien et vous l'expliquera.
    15 πάντα ὅσα ἔχει ὁ πατὴρ ἐμά ἐστιν• διὰ τοῦτο εἶπον ὅτι ἐκ τοῦ ἐμοῦ λαμβάνει καὶ ἀναγγελεῖ ὑμῖν.15 panta hosa echei ho patēr ema estin• dia touto eipon hoti ek tou emou lambanei kai anangelei hymin.15 Toutes choses qu'a le Père miennes sont. C'est pourquoi j'ai dit que de ce qui est mien il reçoit et annoncera à vous.15 Tout ce qui appartient au Père, m'appartient également. Voilà pourquoi j'ai dit qu'il reçoit ce qui est mien et vous l'expliquera.

  1. Analyse verset par verset

    v. 26 Quand viendra l'aidant que je vous enverrai, de la part du Père, l'Esprit de vérité qui vient du Père, lui, il me rendra témoignage.

    Littéralement: Quand il viendra (hotan elthē) le paraclet (paraklētos) que, moi, j'enverrai (pempsō) à vous d'auprès du Père (para tou patros), le souffle (pneuma) de vérité (alētheias) qui, d'auprès (para tou patros) du Père il sort (ekporeuetai), celui-là (ekeinos) témoignera à mon sujet (peri emou).

hotan elthē (quand il viendra)
Ce qui surprend pour un esprit francophone devant cette expression grecque, c’est de voir la conjonction hotan (lorsque, quand) suivie d’un verbe au subjonctif : ici, elthē est le subjonctif aoriste du verbe erchomai (venir, arriver, aller, paraître), et donc techniquement, il faudrait traduire l’expression par : quand qu’il soit venu, ce qui serait une phrase incompréhensible en français. Notons que nous ne sommes pas devant un caprice de Jean, car sur les 79 occurrences de hotan dans les évangiles-Actes-lettres de Jean (Mt = 19; Mc = 21; Lc = 29; Jn = 17; Ac = 2; 1Jn = 1), 75 sont suivies du subjonctif (une exception chez Lc, trois chez Mc). Comment expliquer le subjonctif? La conjonction « quand » renvoie souvent à un événement potentiel, mais non encore arrivé, et le subjonctif traduit l’idée d’une réalité future ou souhaitée. Aussi, la plupart des traducteurs optent pour une phrase au futur : « quand il viendra ». Il est intéressant de s’arrêter sur l’expression « quand » avec le verbe « venir » au subjonctif dans les évangiles.
  • Lc 9, 26 : « Car celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, de celui-là le Fils de l’homme rougira, quand il viendra (hotan erchomai) dans sa gloire et dans celle du Père et des saints anges »
  • Lc 23, 42 : « Et il disait: "Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras (hotan erchomai) dans ton royaume »
  • Mt 21, 40 : « Quand donc que viendra (hotan erchomai) le maître de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons-là? »
  • Mt 25, 31 : « Quand le Fils de l’homme viendra (hotan erchomai) dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire »
  • Mc 8, 38 : « Car celui qui aura rougi de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aussi rougira de lui, quand il viendra (hotan erchomai) dans la gloire de son Père avec les saints anges »
  • Jn 4, 25 : « La femme lui dit: "Je sais que le Messie doit venir, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra (hotan erchomai), il nous expliquera tout »
  • Jn 7, 27 : « Mais lui, nous savons d’où il est, tandis que le Christ, quand il viendra (hotan erchomai), personne ne saura d’où il est »
  • Jn 7, 31 : « Dans la foule, beaucoup crurent en lui et disaient: "Le Christ, quand il viendra (hotan erchomai), fera-t-il plus de signes que n’en a fait celui-ci? »
  • Jn 15, 26 : « Quand viendra (hotan erchomai) le Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père, le souffle de vérité, qui vient du Père, il me rendra témoignage »
  • Jn 16, 4 : « Mais je vous ai dit cela, pour que quand leur heure sera venue (hotan erchomai), vous vous rappeliez que je vous l’ai dit. Je ne vous ai pas dit cela dès le commencement, parce que j’étais avec vous »
  • Jn 16, 13 : « Mais quand il viendra (hotan erchomai), lui, le souffle de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra, il le dira et il vous dévoilera les choses à venir »

Sur les 11 occurrences de l’expression, celle-ci renvoie la plupart du temps à l’événement eschatologique de la fin des temps, quand viendra le fils de l’homme ou le Christ dans la gloire. Mais il y a une exception chez Jean. Dans la bouche des gens, l’expression renvoie bel et bien à l’événement eschatologique de la fin des temps. Mais quand l’expression est dans la bouche de Jésus (15, 26; 16, 4.13), elle renvoie à l’heure de la croix, qui est pour Jean, un moment d’exaltation. La croix, c’est le moment où l’Esprit ou souffle est répandu dans le monde. Pour soutenir ce point, Jean nous présentera cette scène en 19, 34 : « Mais un des soldats avec sa lance transperça le côté, et il sortit aussitôt du sang et de l’eau ». Comme l’écrit R. E. Brown (voir son commentaire sur 19, 34) : « L’eau qui coule représente le don de l’Esprit, et le sang versé représente sa mort qui permet le don de l’Esprit ».

Qu’est-ce à dire? Pour le Jésus de Jean, il n’y pas de fin des temps où il faudrait attendre le retour du messie; pour lui, l’eschatologie ou fin des temps est réalisée avec le don de Jésus de sa vie en croix, introduisant déjà ce monde nouveau que les autres évangélistes ont annoncé pour la fin des temps. Ce monde nouveau est marqué par l’Esprit qui attirera tous les humains à Jésus (12, 32).

Paraklētos (paraclet)
Paraklētos signifie : celui qui est appelé à côté, avocat, défenseur, intercesseur, consolateur. C’est un mot qui n’apparaît que dans la tradition johannique dans toute la Bible : (Mt = 0; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 4; Ac = 0; 1Jn = 1). Il est composé de la préposition para (auprès de), et du verbe kaleō (appeler), et donc désigne quelqu’un qu’on appelle à ses côtés. Jean l’a sans doute emprunté au vocabulaire local où il désigne quelqu’un – un non-professionnel – qui vient soutenir une connaissance, au cours d’un procès. Étant donné le climat de l’ensemble de l’évangile de Jean où on assiste à un immense procès alors que la communauté est sur le banc des accusés, affrontant les forces adverses de la société, appelées « le monde », paraklētos est souvent traduit par avocat ou défenseur (sur le sujet, voir le Glossaire). Par contre, dans le contexte moderne où n’existe pas vraiment de confrontation entre deux groupes sociaux, j’ai préféré traduire par « aidant », i.e. quelqu’un qui est à côté de soi pour nous aider à vivre ce que nous avons à vivre.

Que peut-on dire sur ce paraklētos? Nous avons seulement cinq références pour nous faire une idée.

  • Il vient du Père et est donné grâce à la médiation de Jésus (Jn 14, 16)
  • Ce don est lié à la mort de Jésus, appelée son exaltation (le don est toujours au futur, Jn 14, 16.26; 15, 26; et surtout 16, 7 où il est lié au départ de Jésus)
  • C’est un don pour toujours (Jn 14, 16)
  • Il nous rend capable d’assimiler tout l’enseignement de Jésus et de le comprendre en profondeur (Jn 14, 26)
  • Il est synonyme de l’Esprit, et plus particulièrement de l’Esprit de vérité, i.e. ce révélateur de l’intimité de Dieu

Bref, paraklētos est un autre nom de ce dynamisme intérieur, appelé Esprit, dans sa fonction de nous aider à entrer dans la compréhension de l’intimité de Dieu, et donc à devenir des seconds Jésus, et par là à démontrer la même force en action, en parole et en perspicacité. Ce dynamisme est le legs de Jésus en mourant, un legs non statique, mais dynamique.

Pempsō (j'enverrai)
Le verbe pempsō (envoyer quelque chose à quelqu’un) est très johannique : (Mt = 4; Mc = 1; Lc = 10; Jn = 32; Ac = 11). Sur les 32 occurrences du verbe, 24 servent à décrire l’envoi de Jésus par le Père : pour Jean, Jésus est en mission, et donc sa vie n’a de sens que par rapport à ce Dieu Père qui l’a mandaté. Qu’est-ce que cela signifie?

  • Ses actions n’ont pas de motivations personnelles, mais elles sont soumises à ce qu’il perçoit être la volonté de Dieu : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son oeuvre à bonne fin » (4, 34)
  • De manière semblable, celui qui est envoyé n’est qu’un simple conduit du message de celui qui l’envoie : « Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé » (7, 16)
  • L’identité de celui qui est envoyé et de celui qui envoie sont intimement associées, si bien que l’attitude face à l’un se répercute sur l’attitude face à l’autre : « Qui n’honore pas le Fils n’honore pas le Père qui l’a envoyé » (5, 23); « et qui me voit, voit celui qui m’a envoyé » (12, 45)
  • En même temps, il y a une certaines préséance de celui qui envoie sur celui qui est envoyé : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni l’envoyé plus grand que celui qui l’a envoyé » (13, 16)
  • Mais on ne peut accueillir l’envoyé si on ne connaît pas celui qui envoie : « Mais tout cela, ils le feront contre vous à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé » (15, 21)

Avec cette notion d’envoi, Jean affirme une chose très importante sur le plan théologique : Jésus ne tient pas sa valeur de sa propre personnalité, mais de sa relation à ce Dieu Père dont il est le miroir, le reflet, le révélateur, si bien qu’une prise de position par rapport à lui, est une prise de position par rapport à Dieu. Son envoi est la manifestation même de Dieu en notre monde.

Mais ici au v. 26, il s’agit pas de l’envoi de Jésus, mais de celui du paraklētos, de l’Esprit comme défenseur ou aidant. Et plus précisément, le sujet de l’action est Jésus : que, moi, j’enverrai. Si on considère les quatre mentions dans l’évangile de l’envoi du paraklētos, on peut avoir l’impression que l’auteur se contredit :

  • C’est le Père qui donne le paraklētos à la suite de la prière de Jésus : « et je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour qu’il soit avec vous à jamais » (14, 16)
  • C’est le Père qui envoie le paraklētos au nom de Jésus : « Mais le Paraclet, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (14, 26)
  • Le paraklētos vient du Père, mais c’est Jésus qui l’envoie : « Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père, le souffle de vérité, qui vient du Père » (15, 26)
  • Jésus enverra le paraklētos après sa mort : « car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous; mais si je pars, je vous l’enverrai » (16, 7)

Qui envoie? Le Père ou Jésus? Il ne faut évidemment pas presser trop fort la logique du récit, car nous ne sommes pas devant un traité scientifique. Étant donné la forte intimité de Jésus avec son Père, ce qui est dit de l’un, peut être dit de l’autre. Ce qui est clair, le Père est la source d’où Jésus vient ainsi que le paraklētos; en ce sent c’est lui qui envoie à la fois Jésus et le paraklētos. Le rôle de Jésus est celui de médiateur : par sa prière et par sa mort, il permet cet envoi; parce qu’il joue un rôle essentiel, on peut donc dire en quelque sorte qu’il envoie le paraklētos. On reconnaîtra ici le fondement de ce segment du Credo formulé à Nicée et qu’on reprend dans la liturgie catholique du dimanche : « L’Esprit Saint procède du Père et du Fils ».

Une dernière remarque : le verbe « envoyer » est au futur. Pour Jean, l’envoi du paraklētos ne sera possible que par la mise à mort de Jésus, appelée son exaltation, si bien que la scène de l’envoi « officiel » de l’Esprit n’aura lieu que le dimanche soir : « il souffla sur eux et leur dit: "Recevez l’Esprit Saint" » (20, 22). Encore une fois, il ne pas faut presser trop fort la logique de l’évangéliste, car l’envoi de l’Esprit est mentionné implicitement dans deux scènes précédentes : dans la scène du disciple bien-aimé et de la mère de Jésus en croix, où l’action de l’Esprit permet à Marie de devenir disciple, si bien que le disciple bien-aimé peut la prendre chez lui (voir le commentaire de R. E. Brown sur Jean 19, 26-27), et dans la scène du percement du côté de Jésus où l’eau qui coule représente le don de l’Esprit, et le sang versé représente sa mort qui permet le don de l’Esprit (voir R. E. Brown sur Jean 19, 34).

para tou patros (d'auprès du Père) Commençons avec la préposition para (auprès de) qu’aime bien Jean : Mt = 18; Mc = 17; Lc = 29; Jn = 35; Ac = 29; 2Jn = 3. Elle a en général quatre grandes significations :
  1. elle traduit une idée d’origine comme provenir d’auprès de quelqu’un ou de la part de quelqu’un;
  2. ou encore, elle exprime le fait d’être auprès de quelqu’un, d’être dans son entourage ou dans son intimité;
  3. ou encore, elle exprime la proximité par rapport à un objet, comme marcher le long d’un lac ou auprès d’un lac
  4. enfin, elle est utilisée dans une comparaison et se dit littéralement : par rapport à.

Chez Jean, les deux premières significations prédominent.

  • Para entend exprimer l’origine d’une personne, d’une chose ou d’une action (27 fois) : « Il y eut un homme envoyé de (para) Dieu, son nom était Jean » (1, 6); ou encore, « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de (para) son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité » (1, 14)
  • Para traduit le fait d’être auprès de quelqu’un et d’être dans son intimité (8 fois) : « Il leur dit: "Venez et voyez." Ils vinrent donc et virent où il demeurait, et ils demeurèrent auprès de (para) lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure » (1, 39); ou encore, « Quand donc ils furent arrivés près de lui, les Samaritains le prièrent de demeurer chez (para) eux. Il y demeura deux jours » (4, 40)

Il va sans dire qu’ici au v. 26 para a les sens de l’origine d’une réalité, et donc entend signifier l’origine du paraklētos.

patēr (père) Patēr (père, ancêtre) est un terme extrêmement commun dans les évangiles-Actes, mais plus particulièrement dans la tradition johannique : Mt = 62; Mc = 18; Lc = 52; Jn = 130; Ac = 34; 1Jn = 14; 2Jn 4. Mais, tout comme en français, il peut revêtir diverses significations, du père biologique au père spirituel. Quand on parcourt les évangiles-Actes, on peut regrouper ces diverses significations en quatre catégories :

  1. C’est d’abord le titre donné à Dieu par Jésus, repris ensuite par les évangélistes, surtout par Jean : Mt = 44; Mc = 4; Lc = 13; Jn = 114; Ac = 3. Par exemple, « Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père (patēr) qui est dans les cieux » (Mt 15, 16)

  2. Le mot désigne aussi bien évidemment le géniteur, le père biologique : Mt = 15; Mc = 13; Lc = 26; Jn = 2; Ac = 6. Par exemple, « Mais, apprenant qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place d’Hérode son père (patēr), il craignit de s’y rendre; averti en songe, il se retira dans la région de Galilée » (Mt 2, 22)

  3. On emploie aussi le mot, surtout au pluriel, pour désigner les ancêtres d’une nation ou d’une communauté : Mt = 2; Mc = 0; Lc = 7; Jn = 5; Ac = 22. Par exemple, « Si nous avions vécu du temps de nos pères (patēr), nous ne nous serions pas joints à eux pour verser le sang des prophètes » (Mt 23, 30)

  4. À quelques reprises, il est utilisé dans un sens spirituel pour désigner une personne à la source de son identité personnelle, sociale ou religieuse; chez les Juifs ce sera entre autres Abraham ou David : Mt = 1; Mc = 1; Lc = 6; Jn = 9; Ac = 2. Par exemple, « ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes: Nous avons pour père (patēr) Abraham. Car je vous le dis, Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham » (Mt 3, 9)

Ces quatre significations se retrouvent chez Jean, mais de manière écrasante, c’est l’idée de Dieu Père (88% des 130 occurrences) qui prédomine. Attardons-nous sur ce point.

Notons d’abord que l’idée d’un Dieu Père se retrouve d’abord dans l’Ancien Testament. Mais là, Dieu est avant tout Père non pas d’un individu particulier, mais de tout le peuple. Donnons quelques exemples.

  • « Alors tu diras à Pharaon: Ainsi parle Yahvé: mon fils premier-né, c’est Israël » (Ex 4, 22)
  • « Est-ce là ce que vous rendez à Yahvé? Peuple insensé, dénué de sagesse! N’est-ce pas lui ton père, qui t’a procréé, lui qui t’a fait et par qui tu subsistes » (Dt 32, 6)
  • « En larmes ils reviennent, dans les supplications je les ramène. Je vais les conduire aux cours d’eau, par un chemin tout droit où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israël et Éphraïm est mon premier-né » (Jr 31, 9)
  • « Pourtant tu es notre père. Si Abraham ne nous a pas reconnus, si Israël ne se souvient plus de nous, toi, Yahvé, tu es notre père, notre rédempteur, tel est ton nom depuis toujours » (Is 63, 16)

Mais à quelques reprises, Dieu se fait appeler père par des individus, surtout dans la prière.

  • « Il m’invoquera, disant : tu es mon père, ô mon Dieu, et le défenseur de mon salut » (Ps 89, 27)
  • « Seigneur, Père et souverain Maître de ma vie, ne m’abandonnez pas au conseil de mes lèvres, et ne permettez pas que j’y trouve une occasion de chute » (Si 23, 1)

Bref, donner le nom de père à Dieu n’a rien de nouveau. Mais le type de relation père-fils que Jean attribue à Jésus est tout à fait unique. Pour nous aider à voir plus clair, considérons cette relation sous trois angles différents : ce qui est dit uniquement du Père, ce qui concerne seulement Jésus, ce qui est commun aux deux.

  1. Ce qui est propre au Père

    • Le Père est plus grand que tout et plus grand que le Fils : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers le Père, parce que le Père est plus grand que moi » (14, 28; voir aussi 10, 29)

    • Le Père est propriétaire de la vigne (monde vivant), et c’est donc lui qui envoie son fils comme la vigne par laquelle tous pourront produire du fruit : « Je suis la vigne véritable et mon Père est le vigneron » (15, 1); voir toutes les référence à l’envoi de Jésus par le Père, par exemple : « Qui n’honore pas le Fils n’honore pas le Père qui l’a envoyé » (5, 23 ; voir aussi 20, 21)

    • Le Père aime le Fils et aime ceux qui aiment son Fils : « C’est pour cela que le Père m’aime, parce que je donne ma vie, pour la reprendre » (10, 17; voir aussi 3, 35; 5, 20; 10, 17; 15, 9); « or celui qui m’aime sera aimé de mon Père; et je l’aimerai et je me manifesterai à lui (14, 21; voir aussi 14, 23)

    • Parce que le Père aime son fils, il lui partage tout :
      • Il lui a tout remis : « Le Père aime le Fils et a tout remis dans sa main » (3, 35; voir aussi 13, 3)
      • Il a délégué en particulier le jugement : « Car le Père ne juge personne; il a donné au Fils le jugement tout entier » (5, 22; voir aussi 8, 16)
      • Il lui a remis aussi la capacité d’avoir la vie en lui-même : « Comme le Père en effet a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir aussi la vie en lui-même » (5, 26)
      • Il se fait totalement connaître de lui : « Car le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu’il fait; et il lui montrera des oeuvres plus grandes que celles-ci, à vous en stupéfier » (5, 20)
      • Il lui partage sa gloire ou qualité d’être : « La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous, et nous avons vu sa gloire, une gloire d’unique engendré du Père ; elle était pleine de grâce et de vérité » (1, 14; voir aussi 8, 54)
      • Il lui délègue de capacité de ressusciter : « Oui, telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour » (6, 40)

    • Parce que c’est le Père qui a envoyé son fils en mission, il le soutient de différentes manières :
      • Il lui indique ce qu’il a à faire : « les oeuvres que le Père m’a donné à mener à bonne fin, ces oeuvres mêmes que je fais me rendent témoignage que le Père m’envoie » (5, 36)
      • Il témoigne en sa faveur à travers ses actions merveilleuses : « Et le Père qui m’a envoyé, lui, me rend témoignage » (5, 37; voir aussi 8, 18)
      • C’est lui qui attire les gens à Jésus en leur donnant la foi : « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire; et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (6, 44; voir aussi 6, 37.65)
      • Pour que la mission de son fils se poursuive, il enverra un autre Paraclet ou une force de soutien : « Mais le Paraclet, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (14, 26; voir aussi 15, 26)
      • Enfin, le Père répondra à la prière des disciples au nom de Jésus : « En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom » (16, 23; voir aussi 15, 16)

  2. Ce qui est propre à Jésus

    • Il est le fils unique du Père
      • Unique engendré ou engendré de manière unique : « La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous, et nous avons vu sa gloire, une gloire d’unique engendré (monogenous) du Père ; elle était pleine de grâce et de vérité. » (1, 14)
      • Qui vient du Père : « car le Père lui-même vous aime, parce que vous m’aimez et que vous croyez que je suis sorti d’auprès de Dieu » (voir aussi 13, 3)
      • Qui aime son Père : « mais il faut que le monde reconnaisse que j’aime le Père et que je fais comme le Père m’a commandé » (14, 31)
      • Et qui retourne au Père : « Parce que je vais vers le Père et que vous ne me verrez plus » (16, 10; voir aussi 13, 1.3; 14, 12; 16, 17; 20, 17)

    • Il a une connaissance unique du Père, car il l’a vu dans son intimité
      • Il possède une connaissance unique du Père : « Nul n’a jamais vu Dieu; l’unique engendré, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (1, 18); ou encore : « Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi je t’ai connu et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé » (17, 25; voir aussi 6, 46)
      • Il vit une intimité continuelle avec le Père : « De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé et que je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » (6, 57)

    • Par sa vie, il est le reflet de tout ce qu’est le Père
      • Il copie son action, comme un artisan refait les gestes de son parent exerçant le même métier : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne le voie faire au Père; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement » (5, 19)
      • De cette façon, il honore le Père : « Jésus répondit: "Je n’ai pas un démon mais j’honore mon Père, et vous cherchez à me déshonorer" » (8, 49)
      • Et se décrit comme son représentant : « Je viens au nom de mon Père et vous ne m’accueillez pas; qu’un autre vienne en son propre nom, celui-là, vous l’accueillerez » (5, 43)
      • Il est chemin vers le Père : « Jésus lui dit: "Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi" » (14, 6)
      • Sa parole est celle de son Père : « Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles; et la parole que vous entendez n’est pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé » (14, 24; voir aussi 14, 10)
      • Et donc il est révélateur du Père, car le connaître, c’est connaître le Père : « Ils lui disaient donc: "Où est ton Père?" Jésus répondit: "Vous ne connaissez ni moi ni mon Père; si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père." » (8, 19; voir aussi 14, 7.9; 15, 15)
      • De manière corollaire, rejeter Jésus, c’est aussi rejeter le Père : « Qui me hait, hait aussi mon Père » (15, 23; voir aussi 15, 24; 16, 3)

    • En mission, il exerce une délégation et exécute tout que le Père lui a demandé
      • Il a reçu une mission : « Car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens; je ne viens pas de moi-même; mais lui m’a envoyé » (8, 42; voir aussi 10, 36)
      • Cette mission implique l’exercice d’un jugement, afin que soit révélés les coeurs : « Et s’il m’arrive de juger, moi, mon jugement est selon la vérité, parce que je ne suis pas seul; mais il y a moi et celui qui m’a envoyé » (8, 16)
      • Elle consiste à faire les oeuvres du Père : « Les oeuvres que je fais au nom de mon Père témoignent de moi » (10, 25; voir aussi 10, 32.37)
      • L’une de ses oeuvres est de donner sa vie, pour la reprendre par la suite : « C’est pour cela que le Père m’aime, parce que je donne ma vie, pour la reprendre » (10, 18; voir aussi 18, 11)
      • Et il répète ce que le Père lui a enseigné : « Mais celui qui m’a envoyé est véridique et je dis au monde ce que j’ai entendu de lui. Ils ne comprirent pas qu’il leur parlait du Père » (8, 26-27; voir aussi 8, 28.38; 12, 49-50)
      • Tout au long de sa mission, il garde ses commandements : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour » (15, 10)
      • Et il répond à la prière du croyant pour témoigner du Père : « Et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils » (14, 13)

  3. Ce que partagent le Père et Jésus

    • Tout ce que fait le Père, le fils le fait
      • Les deux sont à l’oeuvre en même temps : « Mais il leur répondit: "Mon Père est à l’oeuvre jusqu’à présent et j’oeuvre moi aussi." » (5, 17)
      • Tout ce que l’un possède, l’autre le possède également : « Tout ce qu’a le Père est à moi. Voilà pourquoi j’ai dit que c’est de mon bien qu’il reçoit et qu’il vous le dévoilera » (16, 15)
      • Les deux ressuscitent les morts : « Comme le Père en effet ressuscite les morts et leur redonne vie, ainsi le Fils donne vie à qui il veut » (5, 21)
      • Honorer l’un, c’est honorer l’autre : « afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Qui n’honore pas le Fils n’honore pas le Père qui l’a envoyé » (5, 23)
      • C’est ensemble que le Père et le fils habitent le croyant : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui » (14, 23)/ul>

      • Le Père et le fils sont uns
        • Ils ont une connaissance mutuelle l’un de l’autre : « Comme le Père me connaît et que je connais le Père, et je donne ma vie pour mes brebis » (10, 15)
        • Ils sont uns : « Moi et le Père nous sommes un » (10, 30; voir aussi 17, 11)
        • Ils vivent l’un dans l’autre : « Mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces oeuvres, afin de reconnaître une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père » (10, 38; voir aussi 14, 10.11.20)

      • Le Père et le fils sont égaux
        • Jésus est perçu comme se faisant l’égal de Dieu, en amendant une loi de Dieu et en appelant Dieu comme son propre père : « Aussi les Juifs n’en cherchaient que davantage à le tuer, puisque, non content de violer le sabbat, il appelait encore Dieu son propre père, se faisant égal à Dieu » (5, 18)

Comment résumer tout ce qui vient d’être observé? Le Père est premier et le plus grand, il aime son fils, et parce qu’il parce qu’il aime son fils il lui partage tout son être, et c’est ainsi par son fils qu’il intervient et se fait connaître dans le monde. En un mot, le Père est à la source de toutes les initiatives du fils et est à la source de la qualité d’être de son fils, et c’est lui qui rend possible la réussite de la mission de son fils. Et cette mission se prolongera grâce au Paraclet qu’il enverra.

Quant au fils, il est l’unique engendré par le Père, et en raison du partage de son intimité et de son amour pour lui, il en a une connaissance unique, et sa mission est de le refléter parfaitement, ce qu’il fait par ses paroles et par ses actions, en incluant le don de sa vie, si bien qu’au terme, les croyants sauront qui est le Père.

Alors nous ne sommes pas surpris de constater que le portrait final qui nous reste est celui de deux êtres jumeaux, qui agissent de la même façon, qui mènent une vie pratiquement fusionnelle, si bien que voir l’un, c’est voir l’autre, et qui invitent le croyant à se joindre à cette intimité. Il y a quelque chose de vertigineux à entrer dans cette vision que nous propose Jean, quand on se rappelle ce qu’a été la vie de ce fils de Joseph, un homme à tout faire, qui est devenu d’abord disciple de Jean Baptiste, puis à son tour a rassemblé autour de lui un groupe de disciples, proposant une ouverture totale à l’action de Dieu en cours, invitant à un amour inconditionnel et guérissant les blessés de la vie sur son chemin, mais finissant comme un être fragile et sans puissance devant les autorités religieuses et politiques, trahi par quelqu’un qu’il a eu tort de choisir et renié par quelqu’un en qui il voyait un pilier du groupe. Jean, quelque 60 ans après les événements, nous dit : vous voulez connaître qui est ce mystère qu’on appelle Dieu? Ne regardez nulle part ailleurs, sinon vers ce Jésus de Nazareth. Il y a même plus : il est Dieu même. On ne peut accueillir une telle affirmation que dans le silence d’un un profond sentiment d’abandon devant ce qui dépasse notre capacité de comprendre. Et ce qu’il y a encore de plus ahurissant, c’est que nous pouvons entrer dans cette intimité.

Pneuma (souffle)
Pour une présentation de pneuma, on consultera le Glossaire. Résumons-en les points principaux. Le mot est dérivé du verbe pneō qui signifie : souffler, exhaler une odeur, respirer. Chez les auteurs grecs classiques, le substantif neutre pneuma renvoie d’abord au souffle du vent, ensuite à la respiration, à l’haleine ou à l’odeur du parfum. Dans la traduction grecque de la Bible hébraïque, appelée la Septante, pneuma traduit le mot hébreu rûaḥ qui désigne parfois le souffle du vent, parfois l’être humain qui est vivant par sa respiration, et parfois Dieu dans son pouvoir d’action. Dans ce dernier cas, si on se fie au livre de la Sagesse, les êtres humains sont en mesure de saisir les intentions de Dieu, parce qu’ils ont reçus de lui cette réalité immatérielle et dynamique : « Et ton souffle (pneuma) incorruptible est en tous les êtres » (12, 1).

Dans les évangiles-Actes-épitres de Jean, c’est un mot fréquent : Mt = 19; Mc = 23; Lc = 36; Jn = 24; Ac = 70; 1Jn = 12. Quand on parcourt tout le Nouveau Testament où il apparaît à plus de 240 reprises, on peut schématiser ses diverses significations en cinq points :

  1. C’est le pneuma a ressuscité Jésus d’entre les morts et nous ressuscitera également (Rm 8, 11)
  2. Le pneuma relève du Père ou de Jésus ressuscité, et tous les deux peuvent en faire don (Ac 2, 33)
  3. Le pneuma a inspiré l’Écriture, ainsi que quelques grands personnages vivant à l’époque ou contemporains de Jésus (Ac 4, 25)
  4. Le pneuma est à l’origine de l’existence historique de Jésus et de ses orientations fondamentales (Lc 1, 35)
  5. Le pneuma est le dynamisme de fond de l’existence chrétienne sous toutes ses formes et oriente les décisions (Rm 8, 5-6)

Dans tout le Nouveau Testament, trois auteurs se détachent comme théologiens du pneuma. Il y a d’abord Paul pour qui le pneuma est la source de la vie chrétienne, expliquant la foi qui n’est pas issue de la logique humaine, faisant sa demeure dans le croyant pour orienter sa vie et le conduire vers la vie éternelle. Il y a aussi Luc qui y voit cette force qui a guidé Jésus, et qui maintenant provoque la croissance de l’Église jusqu’aux confins de la terre. Enfin, il y a Jean chez qui le pneuma entre en action avec le départ de Jésus, afin d’aider le croyant à assimiler l’enseignement de Jésus, d’avoir la force de témoigner et d’affronter l’opposition de la société. Attardons-nous à l’enseignement du quatrième évangile sur le sujet.

Les 24 occurrences de pneuma chez Jean désignent quatre réalités différentes.

  1. Pneuma, selon son sens originel, désigne le vent, ce phénomène de la nature (1 seule fois) : « Le vent (pneuma) souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va » (3, 8)
  2. Pneuma désigne l’être humain, un être vivant parce qu’il respire, avec sa conscience et sa vie intérieure (2 fois) : « Ayant dit cela, Jésus fut troublé en son esprit (pneuma) et il attesta: "En vérité, en vérité, je vous le dis, l’un de vous me livrera." » (13, 21; voir aussi 11, 33)
  3. Pneuma désigne l’action de Dieu sur la personne de Jésus, qui lui fait découvrir sa mission et l’oriente tout au long de sa vie (3 fois): « Et Jean rendit témoignage en disant: "J’ai vu l’Esprit (pneuma) descendre, tel une colombe venant du ciel, et demeurer sur lui » (1, 32; voir aussi 1, 33)
  4. Pneuma désigne ce souffle que le Père enverra et qui s’adresse au croyant après la mort de Jésus (18 fois) : « Il parlait de l’Esprit (pneuma) que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui; car il n’y avait pas encore d’Esprit (pneuma), parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié » (7, 39)

Comme on peut le voir, pneuma a une valeur symbolique qui peut revêtir diverses significations. Les deux premières significations apparaissent obvies, car pneuma pour désigner le vent est son sens premier, et pneuma pour désigner les êtres vivants, des êtres qui demeurent vivants tant qu’ils peuvent respirer, prend ses racines dans l’Ancien Testament et est facilement compréhensible. Mais le fait que pneuma puisse désigner Dieu demande un peu d’effort de compréhension. On peut imaginer que par sa nature intangible, i.e. on ne peut voir le vent et on peut difficilement le contrôler, et en même temps en raison de sa force et sa capacité de tout bouleverser, ce phénomène de la nature a pu servir d’analogie pour désigner Dieu. C’est ce qu’on observe dans les écrits synoptiques, en particulier dans cette force de Dieu qui accompagne Jésus. On le voit aussi dans le quatrième évangile (1, 32-33), dans cette partie qui, s’il faut en croire M.E. Boismard (Synopse des quatre évangiles, T. III - L’évangile de Jean. Paris : Cerf, 1977; voir par exemple p. 25), remonte au Document C, une source préévangélique. Là où les choses se compliquent, c’est lorsque pneuma en vient à s’opposer à la chair ou à l’être humain livré à sa vision habituelle des choses et à sa manière habituelle d’agir, et dans le cas de Jean, un pneuma qui ne sera donné qu’après la mort de Jésus. Regardons d’un peu plus près ces textes que Boismard attribuent à une deuxième édition de l’évangile par l’auteur, appelé Jean IIB.

  • Le monde ordinaire et le monde du pneuma désignent deux mondes : « Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit (pneuma) est esprit (pneuma) » (3, 6)
  • L’écart est si grand qu’il faut en quelque sorte une nouvelle naissance, ou en d’autres mots, devenir une autre personne, que symbolise le baptême : « Jésus répondit: "En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’Esprit (pneuma), nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (3, 5)
  • Le monde du pneuma échappe à notre logique et à notre manière de contrôler les choses : « Le vent (pneuma) souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit (pneuma) » (3, 8)
  • Cette nouvelle logique est contenue dans la parole de Jésus : « C’est l’esprit (pneuma) qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit (pneuma) et elles sont vie » (6, 63)
  • C’est en devenant cet être nouveau, en vivant cette vie nouvelle, qu’on peut vraiment entrer en relation avec Dieu : « Dieu est esprit (pneuma), et ceux qui adorent, c’est dans l’esprit (pneuma) et la vérité qu’ils doivent adorer » (4, 24)
  • À moins d’entrer dans cette vie nouvelle, on est incapable de reconnaître ou voir le pneuma : « l’Esprit (pneuma) de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu’il ne le voit pas ni ne le reconnaît. Vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous » (14, 17)

Pour résumer ce qui concerne le pneuma associé à Dieu, qu’on appelle habituellement en français : l’Esprit Saint, il est ce souffle divin qui a guidé les êtres d’exception, en particulier Jésus, mais pour Paul et surtout pour Jean, il est ce souffle divin qu’a répandu Jésus ressuscité, afin de comprendre profondément ce qu’il a dit et ce qu’il a fait, et donc de vivre comme lui, une vie dans l’amour et le service jusqu’au don de sa vie, et en vivant comme lui, de pouvoir entrer dans la même intimité qu’il partage avec son Père. Parce que pneuma fait référence au souffle dont nous avons besoin pour respirer et vivre, tout en demeurant non visible, il devient le symbole parfait pour rendre compte de cette part de Dieu qui nous est essentielle pour vivre comme Jésus, et par là comme Dieu, et donc pour être vraiment les enfants de Dieu. Pour Jean, c’est l’accueil de Jésus et de sa parole qui permet au pneuma d’habiter notre être, parce ce pneuma est à l’image de Jésus, et accepter l’un, c’est nécessairement accepter l’autre.

Alētheias (de vérité)
Aussi surprenant que cela puisse paraître, la nation de vérité n’est pas très développée dans les synoptiques-Actes. Par contre, elle occupe une place éminente dans la tradition johannique (82% de toutes les occurrences) : Mt = 1; Mc = 3; Lc = 3; Jn = 25; Ac = 3; 1Jn = 9; 2Jn = 5; 3Jn = 6. Nous avons présenté dans le Glossaire la notion de vérité. Qu’il nous suffise ici d’offrir un résumé.

Le nom féminin alētheia est composé de la racine verbale lanthanō (être caché, ignoré, passer inaperçu), précédée du préfixe négatif a-. Il qualifie donc ce qui ne passe pas inaperçu, ce qui n’est pas caché, qui n’est pas dissimulé. Il désigne donc la « vérité », i.e. le discours qui ne cache rien, par opposition à l’erreur, au mensonge ou aux apparences. Homère l’utilise pour parler des personnes qui ne mentent pas ou ne se trompent pas.

La Septante a traduit la plupart du temps par le mot alētheia le terme hébraïque : ʾĕmet (vérité, fidélité, loyauté). Dans le monde juif, ʾĕmet est utilisé surtout pour exprimer trois faits de la vie : la conformité avec la réalité (une chose qu’on a pu vérifier, Dt 22, 20), la sincérité d’une personne (être de bonne foi, Jg 9, 16), la solidité d’une chose (une norme sûre pour conduire à bon port, Ne 9, 13) ou d’une personne (incorruptible et loyale, qui sait de quoi elle parle, Ex 18, 21). Il va sans dire que le terme de vérité convient avant tout à Yahvé, qui est décrit comme un Dieu de « grâce et de vérité (fidélité) » (Ex 34, 6).

Dans tout le Nouveau Testament, en plus de Jean, c’est surtout chez Paul qu’on parle de vérité qui revêt d’abord les trois significations que nous avons identifiées plus tôt : la conformité à la réalité (Pierre est vraiment Galiléen, Lc 22, 59), la sincérité et la bonne foi d’une personne (Paul clame sa bonne foi, Rm 9, 1), la solidité d’une chose ou d’une personne (la solidité de l’évangile pour trouver la vie, 2 Th 2, 10.12). Mais en plus de ces trois significations, on en trouve une quatrième dans les lettres pastorales et les lettres catholiques : la vérité de la doctrine chrétienne ou l’orthodoxie (la connaissance de la vérité = message chrétien, 1 Tm 2, 4).

Intéressons-nous maintenant à la tradition johannique. À part d’une seule occurrence où le mot renvoie à une parole solide, sûre (« Cependant je vous dis la vérité: c’est votre intérêt que je parte », 16, 7), toutes les autres présences du mot « vérité » désigne la révélation de l’intimité du Père en Jésus. C’est unique dans toute la Bible. Bien sûr, quand on lit le Prologue de Jean (« Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité », 1, 14), on a l’impression de retrouver Ex 34, 6 : « Yahvé passa devant lui (Moïse) et il cria: "Yahvé, Yahvé, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce (ḥesed) et en vérité (ʾĕmet) " »; mais alors que la « vérité » du texte d’Exode renvoie à la fidélité de Yahvé, la vérité johannique renvoie à un amour qui va jusqu’à la croix et au don de sa vie, une vérité inaccessible à la logique humaine. Regardons de plus près.

  • La vérité johannique est inaccessible à la logique humaine, et même inaccessible pour ceux qui n’ont que l’Ancien Testament, car elle ne peut venir que de la révélation en Jésus : « Car la Loi fut donnée par Moïse; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ » (1, 7)
  • La vérité johannique est inaccessible parce qu’elle révélation de l’intimité du Père, et Jésus seul la connaît et peut en parler : « Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité » (18, 37)
  • On ne peut accueillir cette vérité comme on accueille les vérités de la science ou des notions intellectuelles, car on ne peut entrer dans cette vérité qu’en la vivant, qu’en empruntant le même chemin que celui de Jésus : « Mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que soit manifesté que ses oeuvres sont faites en Dieu." » (3, 21)
  • Voilà pourquoi « cheminer », « être dans la vérité », et « vivre » à la suite de Jésus deviennent synonymes : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi » (14, 6)
  • Ainsi, la véritable religion et le véritable culte n’est pas une affaire de temple ou d’église, mais de vie à la manière de Jésus : « Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est dans l’esprit et la vérité qu’ils doivent adorer » (4, 24).
  • Par contre, étant inaccessible à la logique humaine et au gros bon sens, elle est spontanément rejetée par l’ensemble de la société : « le souffle de Vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu’il ne le voit pas ni ne le reconnaît » (14, 17)
  • Si le croyant est capable de s’ouvrir à cette vérité, c’est grâce au souffle divin qu’envoie le Père et qui ouvre le coeur à la parole de Jésus : « Mais quand il viendra, lui, le souffle de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra, il le dira et il vous dévoilera les choses à venir » (16, 13)

Ici, au v. 26, l’expression « Esprit de vérité » ou « Souffle de vérité » renvoie à cette force intérieure, envoyée par le Père, pour accueillir, faire sien et vivre cette facette de Dieu révélée en Jésus et vécue par lui, un amour qui aime jusqu’à la croix, un amour qui s’incarne dans la vie simple d’un être humain. Sans cette aide, tout paraîtrait absurde.

En terminant, il vaut la peine de mentionner ce que M.E. Boismard (Synopse des quatre évangiles, T. III - L’évangile de Jean. Paris : Cerf, 1977, p. 383) affirme à propos de l’expression « Esprit de vérité », i.e. Jean l’aurait reprise des milieux qumraniens, surtout en regard de ce passage de sa première lettre : « Qui connaît Dieu nous écoute, qui n’est pas de Dieu ne nous écoute pas. C’est à quoi nous reconnaissons l’esprit de la vérité et l’esprit de l’erreur » (4, 6). Ce dualisme entre esprit de vérité et esprit de l’erreur, tout comme ailleurs dans son évangile le dualisme lumière / ténèbres, ainsi que vérité / perversion, fait écho à ce qu’on trouve par exemple dans la Règle de la Communauté à Qumrân :

Et (Dieu) a disposé pour l’homme deux esprits pour qu’il marchât en eux jusqu’au temps de sa Visite : ce sont les esprits de vérité et de perversion. D’une fontaine de lumière provient la vérité et d’une source de ténèbres provient la perversion (1 QS 3 18-19)

Mais alors que les écrits de Qumrân doivent être lus dans le contexte eschatologique et apocalyptique du combat final entre le Bien et le Mal, les écrits de Jean doivent être lus dans le contexte d’une eschatologie réalisée où la communauté chrétienne est confrontée à l’opposition de son milieu social, en particulier du monde juif, et l’évangile entend les soutenir dans cette opposition.

para tou patros (d'auprès du Père)
Nous avons analysé plus tôt cette expression. Ici, il est normal d’être surpris que Jean revienne avec la même expression, comme si nous avions déjà oublié que le Paraclet venait du Père. En fait, nous sommes devant une structure littéraire, appelée inclusion ou chiasme, très fréquemment utilisée par Jean.

a1 Quand il viendra b1 celui que moi j’enverrai à vous c1 d’auprès du Père d le Souffle de vérité c2 d’auprès du Père b2 il sort a2 Celui-là témoignera à mon sujet

Tout comme dans un sandwich le plus important est ce qu’il y a entre les deux tranches de pain, ainsi dans une inclusion le point de mire est le centre, ici la partie d) : le Souffle de vérité (sur l’inclusion, voir le Glossaire). Les autres parties se répondent de manière parallèle.
a: quand il viendra || celui-là témoignera à mon sujet
b : celui que moi j’enverrai à vous || il sort
c : d’auprès du Père || d’auprès du Père

Tout comme un poème avec ses rimes, l’inclusion permet d’accentuer de manière stylisée certains thèmes. Ici, autour du souffle de vérité au centre de la scène se déploient ses caractéristiques : il vient du Père, il est en route vers chacun de vous, il viendra témoigner sur Jésus.

Ekporeuetai (il sort) Le verbe Ekporeuetai est le futur tu verbe ekporeuomai (s’en aller, venir, sortir). Il formé de la préposition ek (de, venant de, sortant de) et du verbe poreuomai (marcher, faire route, aller, se rendre), et donc signifie littéralement : aller en venant de... Ce n’est pas un verbe très usité chez Jean : Mt = 5; Mc = 11; Lc = 3; Jn = 2; Ac = 3; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. La seule autre utilisation chez Jean à part notre v. 26 se trouve en 5, 29 quand Jésus fait référence au jour du Jugement et que ceux qui entendront la voix du fils de l’homme « sortiront » des tombeaux. Dans l’ensemble des évangiles-Actes, ce verbe a souvent une connotation de déplacement physique alors que des gens ou Jésus sortent d’une ville pour aller ailleurs. Mais il y a tout de même un sens symbolique au verbe qui jette un certain éclairage sur notre propos.

  • « Et tous lui rendaient témoignage et étaient en admiration devant les paroles pleines de grâce qui sortaient (ekporeuomai) de sa bouche » (Lc 4, 22)
  • « Mais il répondit: "Il est écrit: Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort (ekporeuomai) de la bouche de Dieu" » (Mt 4, 4)
  • « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme; mais ce qui sort (ekporeuomai) de sa bouche, voilà ce qui souille l’homme. » (Mt 15, 11)
  • « tandis que ce qui sort (ekporeuomai) de la bouche procède du coeur, et c’est cela qui souille l’homme » (Mt 15, 18)
  • « Car c’est du dedans, du coeur des hommes, que sortent (ekporeuomai) les desseins pervers: débauches, vols, meurtres » (Mc 7, 21)
  • « Toutes ces mauvaises choses sortent (ekporeuomai) du dedans et souillent l’homme » (Mc 7, 23)

Comme on l’aura remarqué, le verbe « sortir » permet de traduire le fait qu’un être humain, ou Dieu même, est en mesure de communiquer ce qui est dans sa pensée et dans son coeur : une parole « sort » de la bouche, et la bouche exprime ce qui est dans le coeur et dans la pensée. Tout cela nous permet de comprendre qu’est-ce qui a amené les premiers chrétiens à utiliser le verbe « sortir » en référence à l’esprit ou à ce souffle divin : tout comme la parole sort de la bouche et du coeur d’une personne, l’esprit ou le souffle sort de la pensée et du coeur de Dieu, il est une part de lui qui nous est communiqué et transmis. Tout comme chez l’humain cette communication a besoin d’air, Dieu communique par un souffle.

Ekeinos (celui-là) C’est un mot qui peut être adjectif démonstratif (par exemple, cet homme-), ou pronom démonstratif (par exemple, celui-là ou lui). La seule raison de le mentionner est que Jean emploie beaucoup ce mot, plus que les autres : Mt = 54; Mc = 23; Lc = 33; Jn = 70; Ac = 22; 1Jn = 7; 2Jn = 0; 3Jn = 0. C’est un mot simple et courant, et est le reflet de la grande simplicité du style du 4e évangile. Pour qui veut étudier le grec du Nouveau Testament, l’évangile de Jean est le premier texte qu’il peut aborder sans trop de difficulté; il n’y trouvera ni sophistication ou vocabulaire recherché. Et l’emploi du mot ekeinos reflète cette simplicité. Mentionnons qu’il est utilisé pour désigner cinq réalités différentes :
  • Jésus lui-même (13 fois), par exemple : « Jésus leur répondit: "L’oeuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui (ekeinos) qu’il a envoyé." » (6, 29)
  • Dieu Père (4 fois), par exemple : « Jésus reprit donc la parole et leur dit: "En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne le voie faire au Père; ce que fait celui-ci (ekeinos), le Fils le fait pareillement. » (5, 19)
  • L’Esprit Saint (5 fois), par exemple : « Mais le Paraclet, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui (ekeinos), vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (14, 26)
  • Une personne (31 fois), par exemple : « Après la bouchée, alors Satan entra en lui (ekeinos). Jésus lui dit donc: "Ce que tu fais, fais-le vite." » (13, 27)
  • Une chose (17 fois), par exemple : « Ils le menèrent d’abord chez Anne; c’était en effet le beau-père de Caïphe, qui était grand prêtre cette (ekeinos) année-là » (18, 13)

Martyrēsei (il témoignera)
Pour une analyse de la notion de témoignage, on se réfèrera au Glossaire. Contentons-nous de résumer cette analyse. La langue grecque de la Bible nous offre cinq mots apparentés : le verbe martyreō (être témoin, rendre témoignage), le nom féminin martyria (action de témoigner, témoignage, attestation de), le nom masculin martys (témoin, martyr), et de manière moins fréquente, le verbe martyromai (attester, assurer, appeler à témoigner) et le nom neutre martyrion (preuve, témoignage). L’idée même de témoignage renvoie à l’expérience de quelqu’un qui a vu de ses propres yeux quelque chose et qui peut en parler : il y a donc deux éléments essentiels, une personne (un chien ne peut pas témoigner), et un événement (on ne peut pas témoigner sur la théorie de la relativité).

Dans l’Ancien Testament, la notion de témoignage a une saveur religieuse, alors qu’il s’agit de faire le procès contre les faux dieux et de témoigner en faveur du vrai Dieu. De même, les deux tables de pierre sur lesquelles fut écrite la loi de Dieu devint le témoin de l’alliance entre Dieu et son peuple, comme c’est normal dans un contrat, et donc fut appelée « témoignages », comme rappel perpétuel. Toute l’atmosphère est décidément légale.

Avec le Nouveau Testament, l’accent se déplace d’un contexte légal vers un contexte événementiel : on témoigne de ce qu’on a vu et entendu, en particulier la résurrection de Jésus. En même temps, un nouveau contexte apparaît, un contexte apocalyptique où le témoignage devient la révélation de ce qui était caché, la proclamation d’une connaissance issue de la foi.

Jean va accentuer le contexte événementiel et apocalyptique avec le verbe le verbe martyreō (être témoin, rendre témoignage) : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 33; Ac = 11; 1Jn = 6; 2Jn = 0; 3Jn = 4 et le nom féminin martyria (action de témoigner, témoignage, attestation de) : Mt = 0; Mc = 3; Lc = 1; Jn = 14; Ac = 1; 1Jn = 6; 2Jn = 0; 3Jn = 1. En quel sens?

Alors que dans un contexte événementiel on témoigne de ce qu’on a vu et entendu lors d’un événement physique, l’évangéliste va d’abord introduire le témoignage basé sur un événement de l’ordre de la vision mystique, ce dont a été témoin Jean-Baptiste : « Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, celui-là m’avait dit: Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Et moi, j’ai vu et je témoigne (martyreō) que celui-ci est l’Élu de Dieu » (1, 33-34; voir aussi 3, 28 qui en fait écho). De même, quand il introduit le témoignage de la communauté, il la présente sur la base d’une perception dans la foi, comme si le croyant « voyait » les choses de l’intérieur : « Car la Vie s’est manifestée: nous l’avons vue, nous en rendons témoignage (martyreō) et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue » (1 Jn 1, 2; voir aussi 1 Jn 4, 14). Enfin, il y a le cas unique de Jésus qui témoigne de ce qu’il a vu et entendu : « (Celui qui vient du ciel) témoigne (martyreō) de ce qu’il a vu et entendu, et son témoignage (martyria), nul ne l’accueille » (3, 32; voir aussi 3, 11.33). Jésus appartient à cette classe unique qui a fait l’expérience de l’intimité de Dieu, et donc peut le révéler et le faire connaître. Pour Jean, le contenu de cette révélation s’appelle : la vérité (alētheia); témoigner, c’est faire connaître la vérité, i.e. l’intimité de Dieu, ce qui inclut son envoyé, Jésus.

Jean accentue également le contexte apocalyptique : le témoignage est la révélation d’un savoir, d’une réalité inconnue aux yeux des gens. Sept acteurs interviennent pour témoigner et chacun apporte un témoignage spécifique.

  • Jean-Baptiste témoigne que Jésus est la lumière du monde, quelqu’un qui est plus grand que lui et a existé avant lui (1, 6-7.15)

  • Les oeuvres de Jésus (l’eau changée en vin aux noces de Cana, la guérison de l’enfant du fonctionnaire royal à Capharnaüm, la guérison du paralytique à la piscine de Bethzatha, l’alimentation d’une foule en pains, la guérison de l’aveugle-né, la résurrection de Lazare) témoignent sous forme de signes qu’il est source de vie en plénitude

  • La façon pour le Père de témoigner est d’accomplir à travers Jésus toutes ces oeuvres, communément appelées miracles, appelées « signes » par Jean, et qui, dans la bouche de Jésus, veulent témoigner qu’il a vraiment été envoyé par Dieu, qu’il est son représentant et son visage (5, 37)

  • Les Écritures témoignent que Jésus est la source de la vie éternelle (5, 39-40)

  • Quant au Paraclet, son témoignage peut être déduit de son synonyme : « Esprit de vérité », et l’évangéliste le précise ainsi : « Lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir » (16, 13); ainsi le disciple sera en mesure de comprendre tout ce que Jésus a dit et fait

  • Jésus aussi témoigne à son sujet en 8, 12 : « Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il aura la lumière qui conduit à la vie ». Mais si on recueille toutes les affirmations de Jésus sur lui-même avec l’expression « Je suis », on obtient une petite liste :
    • Je suis le messie (4, 26)
    • Je suis le pain de vie (6, 35)
    • Je suis la porte des brebis (10, 7)
    • Je suis le bon berger (10, 11)
    • Je suis la résurrection (11, 25)
    • Je suis le chemin, la vérité et la vie (14, 6)
    • Je suis la vigne véritable (15, 1)
    Tout cela sans inclure l’expression « Je suis » sans attribut, une allusion au titre même de Dieu. Devant Pilate, Jésus résumera ainsi le témoignage qu’il est venu apporter : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix » (18, 37)

  • Enfin, la communauté chrétienne témoigne (voir 15, 17), et ce dont elle témoigne est résumé dans le première lettre de Jean : « Et voici ce témoignage: c’est que Dieu nous a donné la vie éternelle et que cette vie est dans son Fils » (1 Jn 5, 11)

Ainsi, le témoignage est d’abord la communication d’un savoir, un savoir qui a jusqu’ici échappé à l’humanité. Voilà pourquoi l’évangéliste peut dire que Jean-Baptiste est venu rendre témoignage à la lumière et que Jésus se proclame lumière du monde. Ce savoir pourrait se résumer ainsi : en Jésus nous avons pu voir l’intimité de Dieu, un Dieu qui est Père, un Dieu qui aime, un Dieu qui guérit, un Dieu qui veut partager sa vie éternelle, et donc invite à entrer dans cette intimité, à cohabiter avec lui en quelque sorte. Cette connaissance est chemin et vie, car en révélant le chemin à prendre, elle nous indique comment devenir enfants de Dieu, partageant la même vie. C’est tout cela que Jean appelle « la vérité », et qui s’incarne dans une personne, Jésus de Nazareth.

Revenons à notre v. 26 : « l’Esprit de vérité... témoignera à mon sujet ». Ce témoin est l’un des sept que nomme Jean. Son action se situe au futur, après le départ de Jésus. Comme tous les témoins, son rôle est de révéler un savoir que nous n’aurions pas autrement, un savoir qui concerne Jésus, son identité, ce qu’il a dit et fait. Enfin, comme tous les témoins, son témoignage est basé sur ce qu’il a vu et entendu : « Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir » (16, 13). Le « ce qu’il entendra » peut surprendre, mais pour l’évangéliste, c’est bien le cas comme on le voit dans ce qui suit où il est à l’écoute de Jésus : « Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi, et il vous le communiquera » (16, 14); ainsi, Jésus est à l’écoute du Père, l’Esprit est à l’écoute de Jésus, le croyant est à l’écoute de l’Esprit, et par là le croyant est à l’écoute du Père. Voilà comment le croyant a accès à ce que Jean appelle la vérité, la connaissance de l’intimité de Dieu.

Peri emou (à mon sujet) La préposition peri (au sujet de, sur, en ce qui concerne) est très fréquente, surtout dans la tradition johannique : Mt = 28; Mc = 23; Lc = 45; Jn = 67; Ac = 71; 1Jn = 10; 2Jn = 0; 3Jn = 1. Mais ce qui nous intéresse ici c’est son couplage avec le prénom personnel emou (moi) pour nous donner peri emou : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 2; Jn = 9; Ac = 2; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0; Jean l’utilise 9 fois, et Luc 4 fois. Comme on peut le deviner, l’expression est toujours dans la bouche de Jésus.

  • Chez Luc, c’est une affirmation de Jésus lors de son dernier repas où il dévoile que ce qui « le concerne » touche à sa fin (Lc 22, 37), puis c’est une déclaration aux disciples que ce qui « le concerne » dans les Écritures doit s’accomplir (Lc 24, 44). Dans ses Actes, il s’agit d’abord d’une parole de Jésus cité par Paul l’avertissant qu’on n’accueillera pas le témoignage « à son sujet » (Ac 22, 18), puis d’une autre parole de Jésus adressée à Paul, cité par le narrateur, l’avertissant qu’il doit aller témoigner « à son sujet » jusqu’à Rome (Ac 23, 11)
  • Chez Jean, c’est Jésus qui parle du témoignage « à son sujet » (5, 32.36.37.39; 8, 18; 10, 25; 15, 26), à une exception près, lorsque Jésus s’adresse à Pilate pour dire : « Dis-tu cela de toi-même ou d’autres te l’ont-ils dit au sujet de moi (peri emou)? » (18, 34).

De cette brève observation, nous pouvons tirer trois conclusions :

  1. L’expression peri emou (en ce qui me concerne) fait partie de la palette d’expressions que Jean aime bien
  2. Le fait que l’expression « témoigner (martyreō) en ce qui me concerne » revienne huit fois telle quelle reflète un aspect du style de Jean, celui de répéter constamment les mêmes formules comme un refrain ou un mantra : cette répétition nous permet de méditer une affirmation qui, au début apparaît simple, mais dont la profondeur ne se laisse deviner qu’à la fin.
  3. Le fait que peri emou n’apparaît ailleurs dans les évangiles-Actes que chez Luc soutient une observation faite à plusieurs reprises d’un contact culturel entre l’évangile de Jean et celui de Luc, d’autant plus que dans les Actes peri emou détermine comme chez Jean l’objet du témoignage.

v. 27 Mais à votre tour vous rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le tout début

Littéralement : Puis, vous aussi vous témoignerez, parce ce depuis (le) début (archēs) vous êtes avec moi (metʼ emou)

archēs (début) Le mot archē signifie : commencement, principe, cause, commandement, bord. C’est un mot qu’on rencontre occasionnellement dans les évangiles-Actes, mais plus particulièrement dans la tradition johannique (60% de toutes les occurrences) : Mt = 4; Mc = 4; Lc = 3; Jn = 8; Ac = 4; 1Jn = 18; 2Jn = 2; 3Jn = 0. On pourrait diviser sa signification en six catégories.

  • Le début de la vie croyante, et dans plusieurs cas, c’est une référence au baptême. Par exemple : « Bien-aimés, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, c’est un commandement ancien, que vous avez reçu dès le début (apʼ archēs). Ce commandement ancien est la parole que vous avez entendue » (1 Jn 2, 7; voir aussi Ac 11, 15; 1 Jn 2, 24; 3, 11; 2 Jn 1, 5-6)
  • Le début du ministère de Jésus. Par exemple : « (composer un récit) d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début (apʼ archēs) témoins oculaires et serviteurs de la Parole » (Lc 1, 2; voir aussi Mc 1, 1; Jn 2, 11; 6, 64; 8, 25; 15, 27; 16, 4)
  • Le début de la création. Par exemple : « Il répondit: "N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès le début (apʼ archēs), les fit homme et femme » (Mt 19, 4; voir aussi Mt 19, 8; 24, 21; Mc 10, 6; 13, 19; Jn 8, 44; 1 Jn 3, 8)
  • Le début absolu, hors du temps. Par exemple : « Au début (en archē) était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu » (Jn 1, 1; voir aussi Jn 1, 2; 1Jn 1, 1; 2, 13-14)
  • Le début de la fin des temps et des bouleversements. Par exemple : « On se dressera, en effet, nation contre nation et royaume contre royaume. Il y aura par endroits des tremblements de terre, il y aura des famines. Ce sera le début (archē) des douleurs de l’enfantement » (Mc 13, 8; voir aussi Lc 12, 11; 20, 20; Mt 24 8)
  • Enfin, on pourrait regrouper dans une catégorie « autres » certaines significations isolées, comme le début ou bord d’une pièce de tissue (« Il (Pierre) voit le ciel ouvert et un objet, semblable à une grande nappe nouée aux quatre coins (archais), en descendre vers la terre », Ac 10, 11), ou le début de la vie d’un individu, comme celle de Paul (« Ce qu’a été ma vie depuis ma jeunesse, comment depuis le début (apʼ archēs) j’ai vécu au sein de ma nation, à Jérusalem même, tous les Juifs le savent », Ac 26, 4)

Sur les huit occurrences de archē dans l’évangile de Jean, cinq concernent le début du ministère de Jésus (Jn 2, 11; 6, 64; 8, 25; 15, 27; 16, 4), deux le commencement absolu hors du temps (Jn 1, 1-2), et un le début de la création (Jn 8, 44). Et ici, au v. 27, il s’agit du début du ministère de Jésus : « depuis (le) commencement (archēs) vous êtes avec moi ». Ainsi, parce que les disciples ont été avec Jésus depuis le début de son ministère, et donc qu’ils ont vus ce qu’il a fait et entendu ce qu’il a dit, ils sont en mesure de révéler son identité. Plus précisément, il y a ici une référence aux signes accomplis par Jésus, à commencer par les noces à Cana (Jn 2, 1-11), la guérison de l’enfant du fonctionnaire royal à Capharnaüm (Jn 4, 46-54), la guérison du paralytique à la piscine de Bethzatha (Jn 5, 1-9), l’alimentation d’une foule en pains (Jn 6, 1-14), la guérison de l’aveugle-né (Jn 9, 1-7), la résurrection de Lazare (Jn 11, 1-45).

metʼ emou (avec moi) Cette expression revient cinq fois dans l’évangile de Jean et il vaut la peine de s’y arrêter un peu.
  • En 8, 29 Jésus parle aux Juifs du Père sans qu’ils réussissent à comprendre, et il leur dit : « Celui qui m’a envoyé est avec moi (metʼ emou) : il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît »
  • En 13, 8, c’est la scène du dernier repas avec Jésus où Jésus entreprend de laver les pieds de ses disciples : « Pierre lui dit : "Me laver les pieds à moi ! Jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu ne peux pas avoir part avec moi (metʼ emou)" »
  • Ici, en 15, 27, alors qu’il parle du témoignage, d’abord du Paraclet, puis des disciples, Jésus dit : « et à votre tour, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi (metʼ emou) depuis le commencement »
  • En 16, 32, les disciples font une confession de foi, mais Jésus questionne la fermeté de leur foi et leur dit : « Voici que l’heure vient, et maintenant elle est là, où vous serez dispersés, chacun allant de son côté, et vous me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul, le Père est avec moi avec moi (metʼ emou) »
  • Et enfin, en 17, 12, c’est la grande prière de Jésus à son Père : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi avec moi (metʼ emou), et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde »

Cette brève analyse permet de constater que les quatre premières références parlent deux fois du Père qui est avec Jésus, et deux fois des disciples qui sont avec Jésus, et si la cinquième référence parle des disciples avec Jésus, l’ensemble de la phrase considère aussi le fait que les disciples seront également avec le Père. Ainsi, chez Jean, « être avec Jésus » ne signifie pas simplement être un disciple qui marche dans ses pas, mais il implique aussi une vie d’intimité avec lui, et par là une vie d’intimité également avec le Père. Et en raison de cette intimité avec Jésus et avec le Père, les disciples peuvent témoigner.

v. 12 J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous êtes incapables de le porter pour l'instant.

Littéralement : Encore plusieurs choses (polla) j'ai à vous dire, mais vous n'êtes pas capable (dynasthe) de porter (bastazein) maintenant (arti).

polla (plusieurs choses) Cette expression revient cinq fois dans l’évangile de Jean et il vaut la peine de s’y arrêter un peu.
  • En 8, 29 Jésus parle aux Juifs du Père sans qu’ils réussissent à comprendre, et il leur dit : « Celui qui m’a envoyé est avec moi (metʼ emou) : il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît »
  • En 13, 8, c’est la scène du dernier repas avec Jésus où Jésus entreprend de laver les pieds de ses disciples : « Pierre lui dit : "Me laver les pieds à moi ! Jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu ne peux pas avoir part avec moi (metʼ emou)" »
  • Ici, en 15, 27, alors qu’il parle du témoignage, d’abord du Paraclet, puis des disciples, Jésus dit : « et à votre tour, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi (metʼ emou) depuis le commencement »
  • En 16, 32, les disciples font une confession de foi, mais Jésus questionne la fermeté de leur foi et leur dit : « Voici que l’heure vient, et maintenant elle est là, où vous serez dispersés, chacun allant de son côté, et vous me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul, le Père est avec moi avec moi (metʼ emou) »
  • Et enfin, en 17, 12, c’est la grande prière de Jésus à son Père : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi avec moi (metʼ emou), et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde »

Cette brève analyse permet de constater que les quatre premières références parlent deux fois du Père qui est avec Jésus, et deux fois des disciples qui sont avec Jésus, et si la cinquième référence parle des disciples avec Jésus, l’ensemble de la phrase considère aussi le fait que les disciples seront également avec le Père. Ainsi, chez Jean, « être avec Jésus » ne signifie pas simplement être un disciple qui marche dans ses pas, mais il implique aussi une vie d’intimité avec lui, et par là une vie d’intimité également avec le Père. Et en raison de cette intimité avec Jésus et avec le Père, les disciples peuvent témoigner.

ou dynasthe (vous n'êtes pas capables) Cette expression revient cinq fois dans l’évangile de Jean et il vaut la peine de s’y arrêter un peu.
  • En 8, 29 Jésus parle aux Juifs du Père sans qu’ils réussissent à comprendre, et il leur dit : « Celui qui m’a envoyé est avec moi (metʼ emou) : il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît »
  • En 13, 8, c’est la scène du dernier repas avec Jésus où Jésus entreprend de laver les pieds de ses disciples : « Pierre lui dit : "Me laver les pieds à moi ! Jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu ne peux pas avoir part avec moi (metʼ emou)" »
  • Ici, en 15, 27, alors qu’il parle du témoignage, d’abord du Paraclet, puis des disciples, Jésus dit : « et à votre tour, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi (metʼ emou) depuis le commencement »
  • En 16, 32, les disciples font une confession de foi, mais Jésus questionne la fermeté de leur foi et leur dit : « Voici que l’heure vient, et maintenant elle est là, où vous serez dispersés, chacun allant de son côté, et vous me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul, le Père est avec moi avec moi (metʼ emou) »
  • Et enfin, en 17, 12, c’est la grande prière de Jésus à son Père : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi avec moi (metʼ emou), et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde »

Cette brève analyse permet de constater que les quatre premières références parlent deux fois du Père qui est avec Jésus, et deux fois des disciples qui sont avec Jésus, et si la cinquième référence parle des disciples avec Jésus, l’ensemble de la phrase considère aussi le fait que les disciples seront également avec le Père. Ainsi, chez Jean, « être avec Jésus » ne signifie pas simplement être un disciple qui marche dans ses pas, mais il implique aussi une vie d’intimité avec lui, et par là une vie d’intimité également avec le Père. Et en raison de cette intimité avec Jésus et avec le Père, les disciples peuvent témoigner.

bastazein (de porter) Cette expression revient cinq fois dans l’évangile de Jean et il vaut la peine de s’y arrêter un peu.
  • En 8, 29 Jésus parle aux Juifs du Père sans qu’ils réussissent à comprendre, et il leur dit : « Celui qui m’a envoyé est avec moi (metʼ emou) : il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît »
  • En 13, 8, c’est la scène du dernier repas avec Jésus où Jésus entreprend de laver les pieds de ses disciples : « Pierre lui dit : "Me laver les pieds à moi ! Jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu ne peux pas avoir part avec moi (metʼ emou)" »
  • Ici, en 15, 27, alors qu’il parle du témoignage, d’abord du Paraclet, puis des disciples, Jésus dit : « et à votre tour, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi (metʼ emou) depuis le commencement »
  • En 16, 32, les disciples font une confession de foi, mais Jésus questionne la fermeté de leur foi et leur dit : « Voici que l’heure vient, et maintenant elle est là, où vous serez dispersés, chacun allant de son côté, et vous me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul, le Père est avec moi avec moi (metʼ emou) »
  • Et enfin, en 17, 12, c’est la grande prière de Jésus à son Père : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi avec moi (metʼ emou), et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde »

Cette brève analyse permet de constater que les quatre premières références parlent deux fois du Père qui est avec Jésus, et deux fois des disciples qui sont avec Jésus, et si la cinquième référence parle des disciples avec Jésus, l’ensemble de la phrase considère aussi le fait que les disciples seront également avec le Père. Ainsi, chez Jean, « être avec Jésus » ne signifie pas simplement être un disciple qui marche dans ses pas, mais il implique aussi une vie d’intimité avec lui, et par là une vie d’intimité également avec le Père. Et en raison de cette intimité avec Jésus et avec le Père, les disciples peuvent témoigner.

arti (maintenant) Cette expression revient cinq fois dans l’évangile de Jean et il vaut la peine de s’y arrêter un peu.
  • En 8, 29 Jésus parle aux Juifs du Père sans qu’ils réussissent à comprendre, et il leur dit : « Celui qui m’a envoyé est avec moi (metʼ emou) : il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît »
  • En 13, 8, c’est la scène du dernier repas avec Jésus où Jésus entreprend de laver les pieds de ses disciples : « Pierre lui dit : "Me laver les pieds à moi ! Jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu ne peux pas avoir part avec moi (metʼ emou)" »
  • Ici, en 15, 27, alors qu’il parle du témoignage, d’abord du Paraclet, puis des disciples, Jésus dit : « et à votre tour, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi (metʼ emou) depuis le commencement »
  • En 16, 32, les disciples font une confession de foi, mais Jésus questionne la fermeté de leur foi et leur dit : « Voici que l’heure vient, et maintenant elle est là, où vous serez dispersés, chacun allant de son côté, et vous me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul, le Père est avec moi avec moi (metʼ emou) »
  • Et enfin, en 17, 12, c’est la grande prière de Jésus à son Père : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi avec moi (metʼ emou), et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la fondation du monde »

Cette brève analyse permet de constater que les quatre premières références parlent deux fois du Père qui est avec Jésus, et deux fois des disciples qui sont avec Jésus, et si la cinquième référence parle des disciples avec Jésus, l’ensemble de la phrase considère aussi le fait que les disciples seront également avec le Père. Ainsi, chez Jean, « être avec Jésus » ne signifie pas simplement être un disciple qui marche dans ses pas, mais il implique aussi une vie d’intimité avec lui, et par là une vie d’intimité également avec le Père. Et en raison de cette intimité avec Jésus et avec le Père, les disciples peuvent témoigner.

v. 13 Cependant, quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité toute entière. Car il ne parlera pas de lui-même, mais dans la mesure où il peut entendre, il parlera et vous expliquera les choses à venir.

Littéralement : Puis, quand il viendra (hotan elthē) celui-là, l'esprit de vérité, il guidera (hodēgēsei) vous dans toute la vérité (alētheia pasē). Car il ne parlera pas à partir de lui-même (aphʼ heautou), mais autant (hosa) qu'il entendra (akousei), il parlera, et les choses venant (ta erchomena), il annoncera (anangelei).

hotan elthē (quand il viendra) Comme nous avons analysé l’expression au v. 26, rappelons ce que nous y avons affirmé : ce futur renvoie à l’exaltation de la croix chez Jean, si bien que c’est en mourant que Jésus répand l’Esprit.

hodēgēsei (il guidera) Le verbe hodēgeō (guider, conduire) est très rare dans tout le Nouveau Testament, et plus spécifiquement dans les évangiles-Actes : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 1; Ac = 1; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Cela donne peu de points de comparaison : Matthieu (15, 14) et Luc (6, 39) rapportent un exemple de Jésus sur un aveugle qui ne peut guider un autre aveugle, ce qui nous laisse Actes 8, 31 où l’eunuque répond à Philippe qui lui demande s’il comprend le livre d’Isaïe qu’il est en train de lire et lui dit : « Et comment le pourrais-je, dit-il, si personne ne me guide (hodēgeō)? ». Aussi, allons à la pêche du côté de l’Ancien Testament et examiner les utilisations de hodēgeō dans la Septante. Des exemples tirés de trois livres méritent d’être mentionnés.

  • Il y a d’abord ce passage du livre d’Isaïe 63, 14 qui est une forme de psaume adressé à Dieu, rappelant la sortie d’Égypte sous la direction de Moïse : LXX « Ils étaient là, comme des troupeaux dans les champs. L’Esprit du Seigneur est descendu et les a guidés (hodēgeō). C’est ainsi que tu as conduit ton peuple, pour te donner un nom glorieux. »
  • Puis il y a surtout les Psaumes où le verbe revient 27 fois, par exemple : LXX « Guide-moi (hodēgeō) dans ta vérité, et instruis-moi ; car tu es, ô Dieu, mon Sauveur, et je t’ai attendu tout le jour » (25, 5); ou encore : LXX « Enseigne-moi à faire ta volonté ; car tu es mon Dieu. Ton Esprit, plein de bonté, me guidera (hodēgeō) dans la droiture » (143, 10)
  • Enfin, mentionnons le livre de la Sagesse où l’auteur prie le Seigneur d’envoyer sa Sagesse : « car elle sait et comprend tout. Elle me guidera (hodēgeō) prudemment dans mes actions et me protégera par sa gloire » (9, 11)

Ainsi, le monde juif offre un cadre pour comprendre l’annonce par Jésus que l’Esprit de vérité guidera les disciples vers la vérité entière. Tout comme ce fut le cas avec Moïse, l’Esprit guidera leur route. Et surtout, comme le dit le psalmiste, il les instruira et les fera entrer dans la volonté de Dieu, qui est plein de bonté; c’est une autre façon de parler d’entrer dans l’intimité de Dieu. Enfin, cet Esprit est cette Sagesse qui guide les actions du croyant. Ce cadre juif donne une couleur pratique à l’action de guider, qui n’est pas d’ordre théorique, mais concerne l’agir et une compréhension du coeur de Dieu.

alētheia pasē (toute la vérité) Nous avons déjà analysé alētheia. Mais que signifie « toute » la vérité? L’adjectif pasē est un adjectif au datif, féminin, singulier, de la racine pas (tout, chaque). Au singulier, le mot signifie : quiconque ou toute chose ou total, et au pluriel : tous. Il est presqu’utilisé à chaque neuf ou dix versets, surtout chez Luc : Mt = 129; Mc = 67; Lc = 159; Jn = 65; Ac = 172; 1Jn = 27; 2Jn = 2; 3Jn = 2. Chez Jean, comme dans les évangiles-Actes, c’est ici la seule occurrence de l’expression : alētheia pasē. Mais ce n’est pas la première fois que Jean utilise pas (tout) dans le cadre de l’action de l’Esprit. Plus tôt, n’a-t-il pas écrit : « Mais le Paraclet, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout (pas) et vous rappellera tout (pas) ce que je vous ai dit » (14, 26). À chaque fois, nous avons un verbe au futur (il vous guidera, il vous enseignera, il vous rappellera), ce qui laisse entendre que les disciples ne connaissent pas toute la vérité, mais qu’ils la connaîtront plus tard? Qu’est-ce qui leur manque? Qu’est-ce qu’ils ne comprendront que plus tard? C’est ce que nous verrons dans l’analyse du reste du verset.

aphʼ heautou (à partir de lui-même) Voilà une expression typiquement johannique, formé de la préposition apo (à partir de) et du pronom réfléchi heautou (soi-même, lui-même). Elle apparaît quatre autres fois dans son évangile. Regardons de près.

  • Aux Juifs qui ne comprennent pas que Jésus ait fait une guérison le jour du sabbat, ce dernier leur répond : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même (aphʼ heautou), qu’il ne le voie faire au Père; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement » (5, 19); ainsi, l’action de Jésus n’est pas une initiative personnelle, mais elle prend sa source en Dieu même
  • Aux Juifs qui s’étonnent que Jésus soit si savant sans avoir étudié, Jésus répond qu’il n’enseigne pas sa propre doctrine, mais que son enseignement vient du Père, et ajoute : « Celui qui parle de lui-même (aphʼ heautou) cherche sa propre gloire; mais celui qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé, celui-là est véridique et il n’y a pas en lui d’imposture » (7, 18); ainsi la parole de Jésus serait la pure expression de la parole de Dieu
  • Lors d’un conseil du Sanhédrin on prendra la décision de faire mettre à mort Jésus à la suite du conseil de Caïphe qu’il valait mieux qu’un seul homme meure plutôt que de voir toute la nation périr avec la venue des Romains, Jean écrit : « Or cela, il ne le dit pas de lui-même (aphʼ heautou); mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation » (11, 51); donc, cette parole n’est pas vraiment de Caïphe, mais vient de Dieu qui s’est servi de lui pour annoncer le sort qui attend Jésus
  • Dans sa présentation de Jésus comme la véritable vigne, Jean met dans la bouche de Jésus cette parole : « Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut de lui-même (aphʼ heautou) porter du fruit s’il ne demeure pas sur la vigne, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi » (15, 4); ainsi, si l’action du croyant peut être source de vie, ce n’est que dans la mesure où elle transmet ce qui prend sa source en Jésus lui-même.

Ces quatre références concernent à la fois l’action et la parole : une action qui ne vient pas de soi, une parole qui ne vient pas de soi. Pour Jésus, son action et sa parole ne sont que le reflet de l’action et de la parole de son Père. Caïphe a été accidentellement le messager de Dieu. Quand au croyant, tout comme Jésus a laissé le Père agir à travers lui, ainsi doit-il laissé agir Jésus à travers leur propre action.

Si l’Esprit ne parle pas de lui-même, de qui est-il le reflet? C’est ce que nous verrons au v. 14.

hosa (autant que) Hosa est le pronom relatif hosos à l’accusatif neutre pluriel qui traduit une idée de quantité (autant que, aussi grand que), ou de nombre; il est la plupart du temps au pluriel. Il apparaît un certain nombre de fois dans les évangiles-Actes : Mt = 15; Mc = 14; Lc = 10; Jn = 10; Ac = 18; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 0. La seule raison de le mentionner ici est pour préciser sa signification. Hosos est le complément direct de « écouter ». Chez un être humain, la phrase pourrait prendre deux sens : soit qu’une personne répétera tout ce qu’elle a entendu, sans rien omettre (tout ce qu’elle entendra, elle le répètera), soit qu’une personne répètera en autant qu’elle pourra entendre (comprendre), et donc l’étendue de ce qui sera entendu sera limitée (dans la mesure où elle peut comprendre, elle le répétera). Comme il s’agit ici de l’Esprit, on ne peut penser à une limite, et donc l’idée est que l’Esprit transmettra de manière transparente tout ce qu’il entendra, sans rien omettre. En ce sens, il est synonyme de « tout », comme on le voit ailleurs dans l’évangile, par exemple quand Marthe dit à Jésus : « Mais maintenant encore, je sais que tout (hosos, litt. : autant que) ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera » (11, 22)

akousei (il entendra) Akousei est le verbe akouō (entendre, écouter, apprendre, comprendre, considérer, obéir) à la forme future, 3e personne du singulier. Comme on peut facilement l’anticiper, il est très fréquent dans tout le Nouveau Testament, et en particulier dans les évangiles-actes-épitres de Jean : Mt = 57; Mc = 41; Lc = 59; Jn = 54; Ac = 74; 1Jn = 10; 2Jn = 0; 3 Jn = 1. Nous l’avons présenté lors de notre analyse de Jean 10, 3. Qu’on nous permette de reprendre le point principal de notre analyse, i.e. les occurrences du verbe « écouter » se retrouvent dans sept contextes différents qui colorent sa signification.

  1. Écouter la parole ou écouter quelqu’un signifie croire, avoir la foi (29 fois dans la tradition johannique). Par exemple, « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute (akouō) ma parole et croit à celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie » (Jn 5, 24; voir aussi 1, 37; 3, 29; 5, 25.28; 6, 45; 10, 3.8.16.20.27; 14, 28; 18, 37; 1 Jn 2, 7.24; 3, 11; 4, 6). L’acte de croire se fait par connaturalité, i.e. notre être profond s’est ouvert à Dieu, et donc est capable de reconnaître la dimension de Dieu en Jésus : « Qui est de Dieu entend (akouō) les paroles de Dieu; si vous n’entendez (akouō) pas, c’est que vous n’êtes pas de Dieu." » (Jn 8, 47). À l’inverse, ne pas être capable d’écouter une parole signifie ne pas croire. Par exemple, « Après l’avoir entendu, beaucoup de ses disciples dirent: "Elle est dure, cette parole! Qui peut l’écouter (akouō)?" (Jn 6, 60; voir aussi 8, 38.43; 9, 27; 12, 47; 14, 24).

  2. Écouter a parfois le sens trivial d’apprendre une nouvelle (13 fois dans la tradition johannique). Par exemple, « Entendant (akouō) les rumeurs au sujet de Jésus, les Pharisiens envoyèrent des gardes pour se saisir de lui » (Jn 7, 32; voir aussi 4, 1.47; 9, 32.35; 11, 4.6.20.29; 12, 12.18; 1 Jn 2, 18; 3 Jn 1, 4).

  3. Écouter a parfois le sens d’être interpellé, de recevoir une parole qui oblige à prendre une décision (9 fois dans la tradition johannique). Par exemple, « Des Pharisiens, qui se trouvaient avec lui, entendirent (akouō) ces paroles et lui dirent: "Est-ce que nous aussi, nous sommes aveugles?" » (Jn 9, 40; voir aussi 7, 40; 8, 9.27.40; 12, 29; 19, 8.13; 21, 7).

  4. À quelques reprises, l’évangile utilise ce verbe pour décrire la relation et la communion unique de Jésus avec Dieu (6 fois dans la tradition johannique). Par exemple, « (Celui qui vient du ciel) témoigne de ce qu’il a vu et entendu (akouō), et son témoignage, nul ne l’accueille » (Jn 3, 32; voir aussi 5, 30; 8, 26.40; 15, 15; 16, 13).

  5. L’évangéliste utilise également ce verbe pour décrire le fait que Dieu répond à une prière (6 fois dans la tradition johannique). Par exemple, « Nous savons que Dieu n’écoute (akouō) pas les pécheurs, mais si quelqu’un est religieux et fait sa volonté, celui-là il l’écoute (akouō)» (Jn 9, 31; voir aussi 11, 41.42; 1 Jn 5, 14).

  6. Ensuite, nous avons le cas unique où le mot renvoie à l’action légale d’entendre quelqu’un pour enquête : « Notre Loi juge-t-elle un homme sans d’abord l’entendre (akouō) et savoir ce qu’il fait! » (Jn 7, 51).

  7. Enfin, il y a aussi le cas unique où le mot décrit le fait d’avoir acquis un savoir : « La foule alors lui répondit: "Nous avons appris (akouō) de la Loi que le Christ demeure à jamais. Comment peux-tu dire: Il faut que soit élevé le Fils de l’homme? Qui est ce Fils de l’homme?" » (Jn 12, 34).

Ici, au v. 13, le verbe « écouter » renvoie à ce contexte iv) que nous avons appelé : la relation et la communion unique de Jésus avec Dieu. Mais au v. 13 il s’agit plutôt de l’Esprit, et non de Jésus. En fait, sur les six occurrences de ce contexte, cinq décrivent la relation de Jésus qui est à l’écoute de son Père, si bien que notre v. 13 est un cas unique où il ne s’agit pas de Jésus, mais de l’Esprit. Comment expliquer ça? N’oublions pas que nous assistons aux adieux de Jésus, car bientôt il ne sera plus présent physiquement pour transmettre ce qu’il entendra du Père; ce sera le rôle de l’Esprit. Pour le disciple, cela signifie qu’il devra changer de medium pour entendre le Père, tout comme il faut syntoniser une nouvelle station de radio pour entendre une musique différente.

ta erchomena (les choses venant) Erchomena est la forme du verbe erchomai (venir, arriver, aller, paraître) au participe présent moyen/passif, au neutre acccusatif pluriel. Le participe se décline comme un nom, et donc est précédé de ta, l’article neutre accusatif pluriel issu de ho (le, la, les). Le neutre désigne souvent : les choses en général. Or, on parle ici de choses « venant ». Nos bibles ont opté pour diverses traductions : les choses à venir (BJ), tout ce qui doit venir (TOB), ce qui doit arriver (NTB), ce qui est à venir (Louis Second), ce qui vient (Maredsous, Chouraqui). Mais, au-delà du détail de la traduction, de quoi parle-t-on exactement? Qu’est-ce qui est à venir? Les disciples pourront-ils connaître l’avenir grâce l’Esprit? Malheureusement, on ne dispose de peu d’exemples pour expliciter sa signification. En fait, le seul autre exemple provient de la scène de Gethsémani : « Alors Jésus, sachant toutes les choses venant (ta erchomena), sortit et leur dit: "Qui cherchez-vous?" ». Ainsi, « les choses venant » renvoient à l’événement de sa crucifixion et à sa mort en croix. Cet événement sera difficile à comprendre, ils auront besoin de l’Aidant pour le comprendre et le digérer. À quelques reprises, Jésus les a averti : « Je vous le (celui qui mange mon pain a levé contre moi son talon) dis, dès à présent, avant que la chose n’arrive, pour qu’une fois celle-ci arrivée, vous croyiez que Je Suis » (13, 19).

anangelei (il annoncera) Anangelei est la forme future du verbe anangellō : annoncer, faire savoir, communiquer, rapporter, prêcher, proclamer. Il n’est utilisé que par Jean et Luc : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 5; Ac = 5; 1Jn = 1; 2Jn = 0; 3Jn = 0. Les onze occurrences apparaissent dans trois contextes différents qui colorent leur signification.

  1. Il peut signifier révéler, faire connaître, expliquer. Par exemple : « La femme lui dit: "Je sais que le Messie doit venir, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, il nous expliquera (anangelei) tout." » (Jn 4, 25; voir aussi Jn 16, 13-15; 1 Jn 1, 5)
  2. Il peut signifier communiquer ou rapporter un fait ou un événement. Par exemple : « À leur arrivée, ils réunirent l’Église et se mirent à rapporter (anangelei) tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux païens la porte de la foi » (Ac 14, 27; voir aussi 15, 4; 19, 18; Jn 5, 15)
  3. Enfin, il peut signifier prêcher ou proclamer l’évangile. Par exemple : « Vous savez comment, en rien de ce qui vous était avantageux, je ne me suis dérobé quand il fallait vous prêcher (anangelei) et vous instruire, en public et en privé » (Ac 20, 20; voir aussi 20, 27)

Ici, au v. 13, le sujet est l’Esprit de vérité, et on peut facilement éliminer les significations de rapporter un événement ou de prêcher l’évangile. L’Esprit de vérité a une fonction apocalyptique, i.e. révélatrice, et cette révélation renvoie aux événements à venir que sont la crucifixion et la mort de Jésus. Quel est le rôle de l’Aidant face à cet événement? Il est de l’éclairer, de le voir sous l’angle de Dieu. Aussi, la meilleure traduction de anangelei à notre avis est : expliquer. C’est ainsi que pour Jean cette mort ignominieuse de Jésus est présentée comme une exaltation, à la lumière apportée par l’Esprit de vérité.

v. 14 Lui, il révélera ma qualité d'être extraordinaire, parce ce qu'il recevra de ce qui est mien et vous l'expliquera

Littéralement : Celui-là me glorifiera (doxasei), parce que de ce qui est mien (ek tou emou) il recevra (lēmpsetai) et annoncera à vous

doxasei (il glorifiera) Le verbe doxazō (glorifier, rendre gloire, transfigurer, honorer, vanter, louer, célébrer) se rencontre surtout dans l’évangile de Jean : Mt = 4; Mc = 1; Lc = 9; Jn = 14; Ac = 2). Il faut aussi mentionner le substantif doxa (bonne opinion, honneur, estime, gloire, éclat, splendeur) qui se rencontre également surtout chez Jean : Mt = 7; Mc = 3; Lc = 13; Jn = 19; Ac = 4). Sur le plan étymologique, doxa est dérivé du verbe dokeō (paraître, sembler, penser, être d’avis), et donc renvoie à la réputation d’une personne, à sa renommée. D’ailleurs, la Septante s’est servie de doxa pour traduire l’hébreu kěbôd, dont la racine signifie avoir du poids : en effet, quelqu’un qui a du poids renvoie à quelqu’un qui a de l’influence, qui est « pesant », qui est connu et a une grande réputation.

Commençons avec le mot doxa. Dans l’ensemble des évangiles, le mot « gloire » reçoit diverses significations qu’on peut regrouper en cinq catégories.

  • La première catégorie se situe sur le plan purement humain. La gloire désigne l’état de richesses et de puissance de certains humains. Par exemple, c’est l’une des tentations que doit subir Jésus : « De nouveau le diable le prend avec lui sur une très haute montagne, lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire (doxa) » (Mt 4, 8; voir aussi Mt 6, 29; Lc 4, 6; 12, 27). Autour du même thème, la gloire désigne une grande réputation ou importance, ou encore les grands honneurs ou une valeur unique que reçoivent certains individus de la part des autres : « Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez votre gloire (doxa) les uns des autres » (Jn 5, 44; voir aussi Lc 2, 32; 14, 10; Jn 5, 41; 7, 18; 8, 50; 8, 54; 12, 43). Surtout Jean et Luc proposent des scènes autour de cette signification: Mt = 2; Mc = 0; Lc = 4; Jn = 9; Ac = 0

  • La gloire reflète le milieu divin, en particulier son autorité et sa puissance qui lui permet de jouer le rôle de juge. C’est dans ce monde qu’entre Jésus ressuscité, par exemple : « Et alors on verra le Fils de l’homme venant dans des nuées avec grande puissance et gloire (doxa) » (Mc 13, 26; voir aussi Mt 16, 27; 19, 28; 24, 30; 25, 31; Mc 8, 38; 10, 37; Lc 9, 26; 21, 27; 24, 26). Cette signification n’apparaît que dans les évangiles synoptiques dans leur évocation de la fin des temps : Mt = 5; Mc = 3; Lc = 3; Jn = 0; Ac = 0

  • En quelques rares cas, et seulement chez Luc, la gloire reflète le milieu divin, mais sans aucune connotation d’autorité ou de puissance, mais sous la symbolique de la lumière, comme l’éclat d’une pierre précieuse et mystérieuse à travers laquelle un message se fait entendre : « L’Ange du Seigneur se tint près d’eux et la gloire (doxa) du Seigneur les enveloppa de sa clarté; et ils furent saisis d’une grande crainte » (Lc 2, 9; voir aussi 9, 31). Tout cela se voit surtout chez Luc : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 1; Ac = 3

  • Il y a également l’expression « rendre gloire à Dieu » qui signifie reconnaître l’action de Dieu et sa puissance, et accepter de se mettre sous son autorité. Par exemple : « Gloire (doxa) à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance! » (Lc 2, 14); ou encore : « Les Juifs appelèrent donc une seconde fois l’homme qui avait été aveugle et lui dirent: "Rends gloire (doxa) à Dieu! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur." » (Jn 9, 24; voir aussi Lc 17, 18; 19, 38). C’est signification est surtout présente chez Luc : Mt = 0; Mc = 0; Lc = 3; Jn = 1; Ac = 1

  • Enfin, il y a cette signification qu’on ne trouve que chez Jean et qui est introduite dès le prologue : « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire (doxa), gloire (doxa) qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14). On aura remarqué que cette gloire est quelque chose qui se voit et se contemple, comme le visage ou la personnalité de quelqu’un (voir aussi 17, 24). Cette gloire se manifeste particulièrement à certains moments, comme lors de gestes extraordinaires de Jésus qu’on appelle traditionnellement miracles, ainsi à Cana lorsque de l’eau devient du vin (2, 11) ou à Béthanie pour la ressuscitation de Lazare (11, 4.40). Cette gloire Jésus l’a reçu de son Père dès avant la création du monde (17, 5) et, à son tour, il l’a donne à ses disciples (17, 22) afin qu’ils vivent l’union avec lui et son Père. Cette gloire ne sera pleinement manifeste que lorsque Jésus sera de retour auprès de son Père (17, 24). Fondamentalement, cette gloire renvoie à la qualité d’être de Jésus, qui est avant tout la qualité même de l’être Dieu en raison de sa communion avec Lui. Aussi, j’aime traduire gloire par « la qualité d’être », une réalité qu’on peut contempler, une réalité qu’on peut associer à l’amour. Voici les statistiques: Mt = 0; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 8; Ac = 0

Tournons-nous maintenant vers doxazō (glorifier). Sans surprise, l’emploie du verbe suit la même logique que celle du mot.

  • Les évangiles synoptiques se servent premièrement du verbe « glorifier » dans le même sens que « rendre gloire », i.e. reconnaître l’action de Dieu et sa puissance, et accepter de se mettre sous son autorité : « Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient (doxazō) votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5, 16; voir aussi 9, 8; 15, 31; Mc 2, 12; Lc 2, 20; 5, 25-26; 7, 16; 13, 13; 17, 15; 18, 43; 23, 47). C’est surtout Luc qui met en valeur cette signification : Mt = 3; Mc = 1; Lc = 8; Jn = 0; Ac = 4

  • Deuxièmement, le verbe est surtout utilisé au passif pour exprimer l’action humaine d’accorder une grande réputation ou les grands honneurs à quelqu’un : « Quand donc tu fais l’aumône, ne va pas le claironner devant toi; ainsi font les hypocrites, dans les synagogues et les rues, afin d’être glorifiés (doxazō) par les hommes; en vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense » (Mt 6, 2; voir aussi Lc 4, 15; Jn 8, 54a). Cette signification est peu présente : Mt = 1; Mc = 0; Lc = 1; Jn = 1; Ac = 0

  • Il y a le cas de « glorifier » unique chez Jean (Mt = 0; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 15; Ac = 0) qui prolonge la signification de gloire comme expression de la qualité d’être unique de Dieu.
    • L’objet de cette glorification est tantôt Dieu Père (11, 4; 12, 28; 13, 32; 17, 1.4; 21, 19), tantôt Jésus (8, 54; 11, 4; 12, 3; 13, 32; 16, 14; 17, 1.10).
    • De même, la source de cette glorification est parfois Dieu (8, 54; 12, 28; 13, 32; 17, 1), parfois l’Esprit (16, 14), parfois Jésus (17, 4), parfois un événement comme la maladie de Lazare (11, 4) ou, implicitement, la mort en croix (12, 23), parfois une personne comme Pierre (21, 19).
    Seuls quelques détails percent quand on cherche à savoir comment s’opère la glorification :
    • la ressuscitation de Lazare dévoilera la qualité d’être de Jésus qui rejaillira sur la qualité d’être de Dieu (11, 4a);
    • la mort librement accepté dans l’amour est la façon et pour Jésus et pour Dieu d’exprimer leur qualité d’être (13, 32), comme elle l’est pour Pierre de révéler qui est Dieu (21, 19);
    • en répondant à la prière des chrétiens, Jésus révèle qui il est, et à travers lui, révèle qui est Dieu (14, 13), tout comme le rôle de l’Esprit est de continuer à révéler qui est Jésus (16, 14);
    • Jésus a révélé Dieu à travers ses oeuvres, comme tous ses gestes de guérison (17, 4);
    • enfin, la communion des disciples qui ont accueilli la parole de Jésus révèle la communion même entre Jésus et son Père (17, 10).
    Glorifier devient en quelque sorte synonyme de « révéler » et rejoint ce que nous avons dit sur la gloire chez Jean qui est une réalité qui se manifeste et qu’on contemple.

  • Enfin, il y a le cas unique rencontré seulement dans les Actes (Mt = 0; Mc = 0; Lc = 0; Jn = 0; Ac = 1) où "glorifier" signifie: être ressuscité, être exalté, entrer dans le monde divin : « Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères a glorifié son serviteur Jésus que vous, vous avez livré et que vous avez renié devant Pilate, alors qu’il était décidé à le relâcher » (3, 13).

Revenons maintenant à notre v. 14. Le mot « glorifier » est lié au fait que l’Esprit de vérité expliquera les choses à venir, plus précisément la signification de la croix, qui est l’expression de l’amour qui va jusqu’à donner sa vie, qui reflète non seulement l’amour de Jésus, mais aussi l’amour du Père. Le mot a un sens apocalyptique, i.e. la révélation de la signification des choses, et plus particulièrement de l’identité de Jésus. Le mot gloire comporte originellement la notion d’éclat, mais ici il s’agit de l’éclat de l’identité de Jésus, et par là, du Père. Aussi, est-il légitime de traduire l’éclat de l’identité par « qualité d’être extraordinaire ». Voilà ce que révèlera l’Esprit de vérité sur Jésus.

ek tou emou (de moi) Nous avons ici une expression tout à fait johannique qui, en fait, n’apparaît que deux fois dans les évangiles-Actes, i.e. en Jn 16, 14-15. Elle est formée de la préposition ek (de, venant de, sortant, dès, du côté de, depuis, parmi) et du pronom possessif emos (mien) au génitif singulier (complément de nom), précédée de l’article ho (le) au génitif singulier. Non seulement l’expression est johannique, mais les mots font également partie de son arsenal, d’abord ek (Mt = 82; Mc = 67; Lc = 87; Jn = 165; Ac = 84; 1Jn = 34; 2Jn = 1; 3Jn = 2), puis emos (soit le pronom, soit l’adjectif possessif) (Mt = 38; Mc = 17; Lc = 37; Jn = 132; Ac = 18; 1Jn = 0; 2Jn = 0; 3Jn = 1)

Commençons avec ek chez Jean qui peut prendre différents sens selon le contexte.

  1. Il y a le sens local où ek exprime le point de départ ou la provenance physique et se traduit habituellement par « venant de » ou « sortant de » (21 fois). Par exemple, « Ils sortirent de (ek) la ville et ils se dirigeaient vers lui » (4, 30); ou encore, « Philippe était de (ek) Bethsaïde, la ville d’André et de Pierre » (1, 44)

  2. Puis, il y a le sens participatif pour désigner un sous-ensemble d’un ensemble, des individus parmi un groupe (55 fois). Par exemple, « André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des (ek) deux qui avaient entendu les paroles de Jean et suivi Jésus » (1, 40); ou encore, « Or il y avait parmi (ek) les Pharisiens un homme du nom de Nicodème, un notable des Juifs » (3, 1). On peut joindre à ce groupe des choses matérielles, par exemple : « Jésus lui répondit: "Quiconque boit de (ek) cette eau aura soif à nouveau" » (4, 13), ou encore : « Ils les rassemblèrent donc et remplirent douze couffins avec les morceaux qui, des (ek) cinq pains d’orge, se trouvaient en surplus à ceux qui avaient mangé » (6, 13)

  3. L’origine d’une personne peut avoir une saveur symbolique ou figurée pour exprimer l’appartenance à un monde, la descendance de son identité (47 fois). Par exemple, « Jésus répondit: "En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’ (ek) eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu" » (3, 5); ou encore, « Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tous; celui qui est de (ek) la terre est de (ek) la terre (on traduit : terrestre) et parle de (ek) la terre (on traduit : en terrestre). Celui qui vient du (ek) ciel... » (3, 31); ou encore, « Jésus leur dit: "Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car c’est de (ek) Dieu que je suis sorti et que je viens; je ne viens pas de moi-même; mais lui m’a envoyé » (8, 42)

  4. Jean se sert aussi de ek pour exprimer l’origine ou la source d’un don ou d’une information (9 fois). Par exemple, « Oui, de (ek) sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce » (1, 16); ou encore, « Moïse vous a donné la circoncision - non qu’elle vienne de (ek) Moïse mais des (ek) patriarches - et, le jour du sabbat, vous la pratiquez sur un homme » (7, 22); ou encore, « La foule alors lui répondit: "Nous avons appris de (ek) la Loi que le Christ demeure à jamais. Comment peux-tu dire: Il faut que soit élevé le Fils de l’homme? Qui est ce Fils de l’homme?" » (12, 34)

  5. Il y aussi le cas où ek renvoie au sujet du verbe ou à l’auteur d’une action, surtout si le verbe est au passif pour désigner l’agent de cette action (14 fois), et se traduit souvent par « par ». Par exemple, « lui (le Verbe) qui ne fut engendré ni du (ek) sang, ni d’ (ek) un vouloir de chair, ni d’ (ek) un vouloir d’homme, mais de Dieu » (1, 13); ou encore, « Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par (ek) la marche, se tenait donc assis près du puits. C’était environ la sixième heure » (4, 6); ou encore, « Alors Marie, prenant une livre d’un parfum de nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux; et la maison fut remplie par (ek) la senteur du parfum » (12, 3)

  6. Un autre cas est celui où ek exprime l’idée d’être « séparé de » ou « arraché à » quelque chose (8 fois). Par exemple, « Mon Père, quant à ce qu’il m’a donné, est plus grand que tous. Nul ne peut rien arracher de (ek) la main du Père » (10,29); ou encore, « Maintenant mon âme est troublée. Et que dire? Père, sauve-moi de (ek) cette heure! Mais c’est pour cela que je suis venu à cette heure » (12, 27)

  7. Notons également le sens temporel qui se rattache parfois à ek, pour signifier un point de départ dans le temps, et donc est souvent traduit par « dès lors », « depuis » (7 fois). Par exemple, « Mais il en est parmi vous qui ne croient pas." Jésus savait en effet dès (ek) le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui le livrerait » (6, 64); ou encore, « En passant, il vit un homme aveugle de (ek) naissance » (9, 1)

  8. Et il y a le cas peu fréquent où ek est utilisé pour décrire le fait qu’un objet est extrait ou composé de quelque chose d’autre (3 fois). Par exemple, « Se faisant un fouet de (ek) cordes, il les chassa tous du Temple, et les brebis et les boeufs; il répandit la monnaie des changeurs et renversa leurs tables » (2, 15); ou encore, « Ayant dit cela, il cracha à terre, fit de la boue de (ek) sa salive, enduisit avec cette boue les yeux de l’aveugle » (9, 6)

  9. Enfin, il y a le cas unique d’une locution adverbiale pour exprimer la manière de faire une chose : « en effet, celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, car il ne donne pas l’Esprit avec (ek) mesure » (3, 34)

Bien sûr, toutes ces catégories ne sont pas étanches et on peut discuter de l’une ou l’autre. Mais elles donnent une idée de la panoplie de significations possibles.

Maintenant, où situer le ek de notre v. 14? Il appartient au contexte où ek exprime l’origine ou la source d’un don ou d’une information (d.) : l’Esprit reçoit quelque chose qui prend sa source en Jésus, qui vient de (ek) Jésus. Quel est ce quelque chose? Il est exprimé par emos (mien) qu’il nous faut maintenant considérer.

Jean utilise abondamment emos (132 fois), soit comme pronom possessif (moi, me, mien) (90 fois), soit comme adjectif possessif (mon, ma)(42 fois). Il ne faut pas en être surpris, car d’une part sa théologie est très christologique, et une christologie haute (l’accent est sur le Christ de gloire), et d’autre part son évangile est un long discours de Jésus où forcément il emploie le « je ». Donc, quand examine toutes les occurrences où emos est pronom possessif désignant Jésus (81 fois), on note les situations suivantes.

  • Jésus demande de croire en lui (eis eme) (6, 35.37.45.56-57; 7, 38; 8, 12; 10, 38; 11, 25-26; 12, 26.46; 13, 20; 14, 1.12; 17, 20)
  • Le Père, les oeuvres, les Écritures ou les croyants témoignent à son sujet (peri emou) (5, 32.37.39.46; 8, 18; 10, 25; 15, 26)
  • Au point de départ, le Père l’a envoyé, lui (eme) (17, 18)
  • Et donc, pour connaître le Père, il faut le connaître ou le voir, lui (eme) (8, 19; 12, 45; 14, 9)
  • C’est pourquoi il est la porte ou le chemin, i.e. pour aller vers Dieu il faut passer par lui (diʼ emou) (10, 9; 14, 6)
  • Le connaître et croire en lui, c’est aussi l’aimer et être prêt à donner sa vie pour lui (hyper emou) (8, 42; 13, 38; 16, 27)
  • Il s’en suit une vie de relation intime, où Jésus habite avec le croyant tout le comme le Père habite avec lui (metʼ emou) (8, 29; 13, 8; 14, 10-11.20; 15, 4-7; 16, 32; 17, 21.23-24)
  • Il existe aussi des attitudes négatives à son égard : on s’indigne contre lui (emoi) (7, 23), on le (eme) hait (7, 7; 15, 8.23-24), on le (eme) rejette (12, 48), on le (eme) persécute (15, 20)

Ce qui ressort de cette observation est que emos renvoie à la personne de Jésus comme personne, dans sa totalité, dans tout ce qu’il est, dans ce qu’il dit, dans ce qu’il fait. Mais ceci dit, il nous faut noter que le pronom possessif emos est précédé ici de l’article ho (le), et donc ne peut directement désigner la personne de Jésus, mais quelque chose qui est de lui ou lui appartient : le mien. Nos bibles courantes ont opté pour diverses traductions : « de mon bien » (BJ), « ce qui est à moi » (TOB, NTB, Louis Second, Chouraqui), « de moi » (Maredsous). En fait, le pronom possessif précédé de l’article défini est très rare dans les synoptiques-Actes et la tradition johannique, en fait il ne se trouve que dans cinq autres versets en plus de Jn 16, 14-15.

  • Dans la parabole de l’enfant prodigue dans le dialogue avec le fils aîné : « Mais le père lui dit: Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et toutes choses les miennes (ta ema) sont tiennes » (Lc 15, 31)
  • Dans la parabole des ouvriers de la onzième heure, Jésus fait cette réponse aux ouvriers de la première heure qui protestent de ne pas recevoir plus que ceux de la onzième heure : « N’ai-je pas le droit de disposer des choses miennes (tois emois) comme il me plaît? Ou faut-il que tu sois jaloux parce que je suis bon? » (Mt 20, 15)
  • Dans la parabole des talents, Jésus fait ce reproche à celui qui n’a reçu qu’un talent et ne l’a pas fait fructifier : « Eh bien! tu aurais dû placer mon argent chez les banquiers, et à mon retour j’aurais recouvré ce qui est mien (to emon) avec un intérêt » (Mt 25, 27)
  • Dans l’allégorie du bon pasteur : « Je suis le bon pasteur; je connais les miennes (ta ema) et les miennes (ta ema) me connaissent » (Jn 10, 14)
  • Dans son long discours d’adieu, Jésus fait cette prière : « Je prie pour eux... pour ceux que tu m’as données : ils sont à toi, et toutes choses les miennes (ta ema) sont tiennes, et les choses tiennes sont miennes, et je suis glorifié en eux » (Jn 17, 10)

Ainsi, l’expression « le mien » traduit l’idée d’une chose qui appartient à Jésus. Mais ce qui est plus fondamental pour notre propos, c’est l’idée d’un partage commun de ce « mien » entre le père et le fils comme l’indique la parabole de l’enfant prodigue, et encore plus la prière de Jésus de Jn 17 où non seulement le Père et le Fils partagent tout, mais introduisent le croyant dans ce partage. Alors peut-on préciser ce que désigne le « ek tou mou »? Qu’est ce « mien » qui est partagé? Nous avons essayé de le clarifier plus tôt en parlant du Père qui partage tout :

  1. Le jugement
  2. La capacité d’avoir la vie en lui-même
  3. La capacité de voir et connaître tout ce qu’il fait
  4. La même qualité d’être ou gloire
  5. La capacité de retrouver la vie par delà la mort

Voilà ce qui est maintenant remis à l’Esprit pour qu’il prolonge Jésus après son départ, et auquel le croyant est appelé à prendre part.

lēmpsetai (il recevra;)
Lēmpsetai est le verbe lambanō au futur, 3e personne du singulier. Il est assez présent dans les synoptiques-Actes et la tradition johannique : Mt = 53; Mc = 20; Lc = 21; Jn = 46; Ac = 29; 1Jn = 1; 2Jn = 1; 3Jn = 0. Fondamentalement, il signifie : prendre. Mais « prendre » peut avoir deux dimensions, une dimension active où on se saisit de quelque chose et on la manipule (par exemple Mt 5, 40 : « Veut-on te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui même ton manteau »), et une dimension passive où on prend sur soi quelque chose, et donc on l’accueille et on la reçoit (par exemple Mt 10, 41 : « Qui accueille un prophète en tant que prophète recevra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en tant que juste recevra une récompense de juste »). Dans la tradition johannique, sur les 48 occurrences de lambanō, 30 signifient : recevoir ou accueillir, 18 sont habituellement traduites par : prendre.

Quand lambanō est dans la bouche de Jésus, il a presque toujours le sens d’accueillir ou de recevoir. Donnons des exemples.

  • Jésus fait référence à son témoignage qu’il faut accueillir et que certains n’accueillent pas (3, 11.32-33; 5, 34)
  • Jésus lui-même reçoit le témoignage de son Père qu’il exprime en parlant de gloire qu’il reçoit de Lui (5, 44) et non pas hommes comme chez les Juifs (5, 41.44)
  • Accueillir le témoignage, c’est recevoir sa parole (12, 48; 17, 8)
  • Fondamentalement, c’est toute la personne de Jésus qu’on accueille ou n’accueille pas (5, 43; 13, 20)
  • Et quand Jésus ne sera plus là, c’est l’Esprit de vérité que le croyant est appelé à accueillir et à recevoir (7, 39; 14, 17)
  • Dès lors, les croyants peuvent prier et demander au nom de Jésus, et ils recevront une réponse à leur prière (16, 24)

La seule exception possible se trouve en 10, 17 qu’on traduit habituellement par : « c’est pour cela que le Père m’aime, parce que je donne ma vie, pour la reprendre (lambanō) ». J’ai déjà analysé ce verset (voir Jn 10, 11-17). Qu’on me permette de simplement résumer. Ici, lambanō n’a pas le sens de « s’accaparer », mais a un sens similaire à ce qu’on trouve en 13, 12 : « Quand il leur eut lavé les pieds, qu’il eut repris (lambanō) ses vêtements et se fut mis de nouveau à table »; ainsi 10, 17 exprime l’idée de « revêtir » de nouveau la vie comme on un remet un vêtement qu’on a enlevé précédemment.

Bien sûr, le mot lambanō a parfois le sens de « prendre » ou de « saisir ».

  • Jésus est sujet de l’action : il prend du pain (6, 11; 21, 13), il prend une bouchée (13, 26), il prend du vinaigre (19, 30), il prend un linge ou son vêtement (13, 4.12)
  • Les disciples veulent le prendre dans le bateau alors qu’il marche sur l’eau (6, 21)
  • Judas prend une bouchée (13, 30), puis il prend une cohorte et des gardes pour arrêter Jésus (18, 3)
  • Pilate prend Jésus pour le flageller (19, 1), il dit aux Juifs de le prendre (18 31; 19, 6), les soldats lui prennent ses vêtements (19, 23), ou prennent son corps pour lui faire une sépulture (19, 40).
  • Enfin, Marie prend une livre de parfum de nard très pur pour oindre les pieds de Jésus (12, 3) et les gens de Jérusalem prennent des rameaux de palmier pour accueillir Jésus (12, 13).

Comme on aura pu le remarquer, le contexte est habituellement celui d’une action physique.

Or, ici au v. 14, certaines bibles optent pour la traduction : prendre (NTB, Louis Second), d’autres pour : recevoir (BJ, TOB, Chouraqui). À notre avis, il faut traduire par recevoir en raison de tout ce que nous venons d’observer. Mais il y a plus. Il y va des relations entre le Père, le Fils et l’Esprit telles que l’exprime l’évangile selon Jean. Comme le Fils reçoit tout du Père, ainsi l’Esprit reçoit du Fils. Et comme c’est le Père qui prend l’initiative et envoie son Fils, ainsi c’est le Fils qui prend l’initiative de prier le Père et d’envoyer l’Esprit qui vient du Père. Dans cette chaîne, le maillon qui suit reçoit du maillon qui précède. Ici, au v. 14, l’Esprit reçoit la parole et l’action du Fils et tout ce que le Père partage avec le Fils, et les prolongera dans le coeur des croyants, contribuant à la « glorification » du Fils, i.e. prolongeant la qualité extraordinaire de son être.

v. 15 Tout ce qui appartient au Père, m’appartient également. Voilà pourquoi j’ai dit qu’il recevra de ce qui est mien et vous l’expliquera.

Littéralement : Toutes choses autant (hosa) qu’a (exei) le Père miennes sont. C’est pourquoi (dia touto) j’ai dit que de ce qui est mien il reçoit et annoncera à vous

Hosa (autant que) Nous avons analysé plus tôt ce pronom relatif à l’accusatif neutre pluriel qui traduit une idée de quantité (autant que, aussi grand que), ou de nombre. Or ici, le fait qu’il accompagne « toutes choses » (panta), qui exprime aussi une quantité, a pour effet d’accentuer la quantité : le Père partage vraiment tout, et il n’y a absolument rien qu’il ne partage pas.

echei (il a) Le verbe echō (avoir), comme le verbe être, est un verbe commun à toutes les langues : Mt = 72; Mc = 68; Lc = 75; Jn = 83; Ac = 43; 1Jn = 28; 2Jn = 4; 3Jn = 2. Jean ne se prive pas pour l’employer abondamment et l’intégrer à son style assez simple et dépouillé. On ne trouve dans son évangile qu’un seul verset où il parle ce qu’a le Père : « Comme le Père en effet a (echei) la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils d’avoir aussi la vie en lui-même » (5, 26). Mais de mille et une manières dans son évangile, il a exprimé ce qui appartenait au père, comme on l’a vu au verset précédent.

Dia touto (C'est pourquoi) La préposition dia revêt diverses significations : causale (à cause de, en vue de), locale (à travers), temporelle (pendant, au cours de) et médiatrice (par). C’est une expression assez fréquente : Mt = 59; Mc = 33; Lc = 39; Jn = 59; Ac = 74; 1Jn = 5; 2Jn = 2; 3Jn = 2. L’expression dia touto (c’est pour cela) revêt un sens causal. La tradition johannique aime bien cette expression : Mt = 10; Mc = 4; Lc = 4; Jn = 14; Ac = 1; 1Jn = 2; 2Jn = 0; 3Jn = 1. Qu’est-ce que Jean nous dit ici? Il tente de nous expliquer pourquoi l’Esprit de vérité reçoit ce qui est appartient à Jésus pour en éclairer le croyant par la suite. On ne peut être que déboussolé devant un tel raisonnement. Car quel est le lien entre le fait que le Père partage tout avec le fils, et le fait que l’Esprit reçoive ce qui est propre au fils? Pour bien comprendre, il faut se rappeler que l’Esprit est l’Esprit de Dieu, et même si c’est Jésus qui l’envoie, il vient du Père. En toute logique, c’est l’être du Père que doit révéler l’Esprit. Mais si Jean affirme que le rôle de l’Esprit est de révéler et faire découvrir le fils, c’est que le Père partage tout avec le fils, et que voir le fils, c’est voir le Père. Dans ce contexte on comprend l’explication de Jean : si l’Esprit reçoit ce qui appartient au fils, et non ce qui appartient au Père, c’est que le Père partage tout avec le fils, et recevoir du fils c’est comme recevoir du Père.

  1. Analyse de la structure du récit

    Puisque le texte que nous analysons a été découpé en fonction des besoins liturgiques reliés à la Pentecôte, il nous faut chercher une structure à travers ce découpage.

    Partie 1 (15, 26-27)

    1. Premier témoin : le Paraclet v. 26
      a1 Quand il viendra le Paraclet (annonce de sa venue)
      b1 que, moi, j’enverrai à vous (l’initiateur est Jésus)
      c1 d’auprès du Père (la source)
      d le souffle de vérité (ce qui est envoyé)
      c2 qui d’auprès du Père
      b2 il sort (envoi du point de vue du Paraclet)
      a2 celui-là témoignera à mon sujet (pourquoi le Paraclet vient)

    2. Deuxième témoin : vous, le croyant v. 27
      1. Puis, vous aussi vous témoignerez (grâce au Paraclet)
      2. parce ce depuis (le) début vous êtes avec moi (la raison pour laquelle ils peuvent témoigner)

    Partie 2 (16, 12-15)

    Introduction : pourquoi le souffle de vérité est nécessaire? v 12
    • J’ai encore beaucoup de choses à vous dire (situation de Jésus)
    • mais vous êtes incapables de les porter pour l’instant (situation du disciple)

    1. Affirmation générale : le souffle de vérité vous guidera vers la vérité entière v 13

    2. Détail sur l’affirmation générale v 14-15
      a1 Car il ne parlera pas à partir de lui-même
      b1 mais autant qu’il entendra, il parlera
      c1 et les choses venant, il annoncera à vous.
      d Celui-là me glorifiera
      c2 parce que de ce qui est mien il recevra et annoncera à vous
      b2 Toutes choses qu’a le Père miennes sont
      a2 C’est pourquoi j’ai dit que de ce qui est mien il reçoit et annoncera à vous.

    Commentons la structure proposée. Pour la partie A, il faut distinguer deux sujets différents qui retiennent l’attention de l’évangéliste: le Paraclet et le croyant, qui sont tous les deux appelés à témoigner.

    Pour le Paraclet, nous proposons une structure en chiasme ou inclusion sémitique; sans être sûr qu’elle soit voulue par l’évangéliste, nous pensons qu’elle aide à comprendre le mouvement de la phrase. Comme dans toute inclusion, le coeur de ce qui est affirmé se trouve au milieu, ici à la ligne d : le souffle de vérité. Et dans toute inclusion, les lignes a1 et a2, b1 et b2, c1 et c2 se répondent et se complètent mutuellement comme deux choeurs. Ainsi a1 annonce la venue du Paraclet dont a2 explique la raison. Puis b1 présente cette venue du point de vue de Jésus qui l’envoie, alors b2 exprime la réponse : le souffle sort. Ensuite, c1 et c2 sont identiques pour répéter le refrain que le souffle prend sa source dans le Père.

    Le v. 27 porte improprement le titre de 2e témoin, car le témoignage du souffle de vérité se fera à travers le croyant, et non pas de manière indépendante. Mais tous les deux sont présentés dans leur rôle de témoin.

    La deuxième partie est centrée sur le Paraclet. Pourquoi parler du Paraclet? La réponse de Jean est simple : comme disciple, vous en aurez besoin, car vous êtes incapable de comprendre Jésus dans ce qu’il dit et fait, en particulier cette mort ignominieuse en croix. Voilà ce qui introduit cette péricope sur le Paraclet. Je considère ce v. 12 comme une introduction expliquant ce qui va suivre.

    Le v. 13a m’apparaît comme une affirmation générale : « Puis, quand il viendra celui-là, l’esprit de vérité, il guidera vous dans toute la vérité ». Jean résume ici tout le rôle du Paraclet. Le reste de ce petit ensemble viendra préciser cette affirmation.

    Encore une fois, pour les versets 13b – 15, il me semble que l’inclusion rend bien compte du mouvement de la pensée de Jean, sans être sûr qu’il ait voulu délibérément recourir à cette structure.

    • Au coeur de cette inclusion (voir la ligne d), il y a l’affirmation du rôle fondamental du Paraclet : glorifier Jésus, i.e. faire connaître la qualité de son être profond, où il est au fond l’image de Dieu même dans on amour jusqu’à donner sa vie.
    • Avec a1, Jean précise que le rôle du Paraclet n’est pas d’être centré sur lui-même ou de faire sa propre promotion, à cela a2 répond : non, il sera centré sur Jésus pour éclairer ce qu’il a dit et fait.
    • b1 précise que le Paraclet transmettra ce qu’il entendra de Dieu (n’oublions pas qu’un passif dans le milieu biblique est une façon de décrire Dieu comme l’agent de l’action), b2 de son côté précise que, puisque tout ce qu’a Dieu Père, Jésus l’a aussi, cela signifie qu’en transmettant ce qui vient de Dieu, il transmet aussi ce qui vient de Jésus
    • c1 précise sur quoi le Paraclet parlera ou qu’est-ce qu’il éclairera, i.e. les choses à venir que sont la crucifixion et la mort de Jésus, c2 réitère que tout cela concerne Jésus.

    Cette façon de s’exprimer peut nous dérouter, mais elle soutient la mémorisation dans une culture orale et contribue à en faire presqu’un chant, avec son rythme et ses refrains. Elle permet surtout de repérer sur quoi insiste l’évangéliste : le Paraclet glorifiera Jésus.

  2. Analyse du contexte

    Procédons en deux étapes, d’abord en considérant un plan possible de l’ensemble de l’évangile et en observant où se situe notre passage dans ce grand plan, ensuite en considérant le contexte immédiat de notre récit, i.e. ce qui précède et ce qui suit.

    1. Contexte de l’ensemble de l’évangile selon Jean

      Il n’est pas facile d’y trouver une structure. Quelqu’un comme R.E. Brown (The Gospel According to John. New York : Doubleday (Anchor Bible, 29), 1966-1970, 2 v.) divise l’évangile ainsi : Prologue (1, 1-18), le livre des signes (1, 19 – 12, 50), le livre de la gloire (13, 1 – 20, 31) qui inclut le dernier repas, le récit de la passion, le Seigneur ressuscité qui se termine par une conclusion (20, 30-31), et un épilogue (21, 1-25 : la pêche miraculeuse). De son côté, Boismard (M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - L’évangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 80) propose une division en huit unités (1, 19 – 20, 1-31), précédée du Prologue et se terminant avec une conclusion (21, 1-14). Nous proposons une intégration de ces deux structures.

      Prologue : 1, 1-18

      Livre des signes de Jésus (1, 19 – 12, 50) « Et voici quel fut le témoigne de Jean... »

      Signe 1 (1, 19- 2, 12) : Cana
      Signe 2 (2, 13 – 4, 54) : guérison d’un enfant à Capharnaüm
      Signe 3 (5, 1-47) : guérison d’un paralysé
      Signe 4 (6, 1-71) : multiplication des pains
      Signe 5 (7, 1 – 10, 21) : guérison de l’aveugle-né
      Signe 6 (10, 22 – 11, 57) : ressuscitation de Lazare

      Livre de la glorification de Jésus « Avant la fête de la Pâques, Jésus sachant que son heure était venue... »

      Dernier repas (13, 1 – 17, 26)
      • Notre premier texte sur le Paraclet (15, 26-27)
      • Notre deuxième texte sur le Paraclet (16, 12-15)
      Le récit de la passion (18, 1 – 19, 42)
      Le Seigneur ressuscité ou 7e signe (20, 1-31)

      Épilogue (21, 1- 25)

      Comme on peut le constater, nos textes sur le Paraclet se situent dans la 2e partie de l’évangile, appelé de livre de gloire, une référence à l’exaltation de Jésus sur la croix. Toute cette 2e partie est centrée sur les disciples au moment où Jésus sait qu’il va mourir et qu’il fait en quelque sorte ses adieux. Plus précisément, nous sommes à table pour le dernier repas, avant l’arrestation de Jésus. Nous assistons alors à un long discours.

    2. Contexte immédiat

      Le contexte immédiat est celui du dernier repas de Jésus. On peut diviser ce dernier repas comme ceci :

      Le repas (13, 1-30)
      Le dernier discours (13, 31 – 17, 26)

      • Le départ de Jésus et l’avenir des disciples (13, 31 – 14, 31)
        • Introduction : thème du départ et appel à l’amour mutuel (13, 31-38)
        • Jésus comme chemin vers le Père (14, 1-14)
        • La venue du Paraclet, de Jésus et du Père (14, 15-24)
        • Dernières recommandations (14, 25-31)
      • La vie des disciples et leur confrontation avec le monde après son départ (15, 1 – 16, 33)
        • Jésus comme vraie vigne (15, 1 – 17)
        • La haine du monde pour Jésus et ses disciples (15, 18 – 16, 4a)
          • Le monde hait et persécute les disciples (15, 18-21)
          • La culpabilité du monde (15, 22-25)
          • Le témoignage du Paraclet (15, 26-27)
          • La persécution des disciples (16, 1-4a)
        • Les dernières paroles de Jésus aux disciples (16, 4b – 16, 33)
          • Le départ de Jésus et la venue du Paraclet (16, 4b – 15)
            * Le départ de Jésus et la tristesse des disciples (16, 4b – 7)
            * Le Paraclet face au monde (16, 8 – 11)
            * La Paraclet comme guide des disciples (16, 12 – 15)
          • À son retour, les disciples passeront de l’affliction à la joie (16, 16-33)
      • La prière finale de Jésus (17, 1-26)

      Nous avons mis en caractères gras nos deux textes sur le Paraclet. Que constatons-nous? Le contexte est celui de l’hostilité et de la persécution du monde. Ainsi, le témoignage dont on parle en Jn 15, 26-27 se situe dans un moment de confrontation par des forces adverses, comme lors d’un procès. Il en est de même pour Jn 16, 12-15. En 16, 8-11 Jésus vient d’affirmer que l’envoi même du Paraclet grâce à sa mort permettra de confondre le monde et démontrer qu’ils se sont rangés contre Dieu. Maintenant (16, 12-15), il affirme que ce Paraclet non seulement confondra le monde, mais qu’il sera pour les disciples un guide pour comprendre cette mort ignominieuse. Cette affirmation ouvre la porte à l’annonce de sa résurrection et de la joie qui remplace l’affliction (16, 16-33).

  3. Analyse des parallèles

    La majorité des biblistes reconnaissent le fait que l’évangile selon Jean est indépendant des évangiles selon Marc, Matthieu et Luc, en ce qu’il ne les connaissait pas en rédigeant son évangile. Cela n’empêche pas que Jean a pu connaître certains éléments de cette tradition préévangélique. Aussi, on peut essayer de trouver des éléments communs de cette tradition.

    Nous avons mis en rouge certains mots que Jean partage avec les autres évangélistes. Ce qui est souligné représente une structure grammaticale commune : « quand » (hotan) avec un subjonctif qu’on traduit en français par un futur.

    JeanLucMatthieuMarc
    15, 26 Quand il viendra le paraclet que, moi, j’enverrai à vous d’auprès du Père, le souffle de vérité qui, d’auprès du père il sort, celui-là témoignera à mon sujet.Ac 5, 32 Et nous sommes témoins de ces choses-là, et aussi le souffle saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent.

    Ac 2, 33 Donc ayant été exalté par la droite de Dieu, et ayant reçu la promesse du souffle saint d’auprès du Père, il l’a répandu cela, ce que vous voyez et entendez

    10, 20 car ce n’est pas vous qui serez parlant, mais le souffle de votre Père qui parlera en vous

    10, 19 Puis, quand ils vous livreront, ne cherchez pas avec inquiétude comment parler ou que dire: ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure,

    13, 11 Et quand ils vous emmèneront pour vous livrer, ne vous préoccupez pas de ce que parlerai, mais parlez selon ce qui sera donné à cette heure-là: car ce n’est pas vous qui parlerez, mais le souffle saint
    15, 27 Puis, vous aussi vous témoignerez, parce ce depuis (le) début vous êtes avec moi...Ac 1, 21-22 Il faut donc que, de ces hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, en débutant par baptême de Jean jusqu’au jour où il nous fut enlevé, il y en ait un qui devienne avec nous témoin de sa résurrection10, 18 vous serez traduits devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi, pour rendre témoignage en face d’eux et des païens.13, 9 Puis, soyez vous-mêmes sur vos gardes. Ils vous livreront aux sanhédrins, vous serez battus de verges dans les synagogues et vous aurez à vous tenir devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi, pour témoignage en face d’eux.
    16, 12 Encore plus choses j’ai à vous dire, mais vous n’êtes pas capables de porter maintenant.
    16, 13 Puis, quand il viendra celui-là, le souffle de vérité, il guidera vous dans toute la vérité. Car il ne parlera pas à partir de lui-même, mais autant qu’il entendra, il parlera, et les choses venant, il annoncera à vous.
    16, 14 Celui-là me glorifiera, parce que de ce qui est mien il recevra et annoncera à vous.13, 26 Et alors ils verront le fils l’homme venant dans des nuées avec grande puissance et gloire
    16, 15 Toutes choses qu’a le Père miennes sont. C’est pourquoi j’ai dit que de ce qui est mien il reçoit et annoncera à vous.Lc 15, 31 Puis, le père lui dit: Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et toutes choses les miennes sont tiennes

    Jean partage un certain nombre de points communs avec Luc :

    • Le souffle ou Esprit vient de Dieu
    • Il est une réalité qu’on reçoit
    • Luc l’exprime sous forme d’une promesse, Jean exprime la même idée en employant un futur dans la bouche de Jésus
    • Chez Luc comme chez Jean, il y a un double témoignage, celui du disciple et celui du souffle ou Esprit, en fait le disciple aidé par le souffle saint
    • Le témoignage du disciple est possible parce qu’il est avec Jésus depuis le début de son ministère
    • Enfin, nous avons ajouté ce passage chez Luc de la parabole connue sous le nom de l’enfant prodigue où on retrouve dans la bouche du père le vocabulaire de Jean pour décrire le partage des biens entre le Père et le fils

    Il y a des points communs entre Jean, Matthieu et Marc
    • Le contexte est celui de l’affrontement et la persécution par ceux qui ont refusé Jésus
    • Le souffle saint sera celui qui parlera à travers leur bouche lors de ces affrontements et de ces procès
    • Cet affrontement prendra la forme d’un témoignage de la part des disciples

    Une différence importante est à souligner entre Jean et Marc
    • Jésus sera glorifié devant les croyants dès sa crucifixion et sa mort, tandis que ce moment est réservé pour la fin des temps chez Marc

  4. Intention de l'auteur en écrivant ce passage

    Tout évangile est une oeuvre composite : elle s’appuie d’abord sur diverses traditions qui ont circulé de manière soit orale, soit écrite, puis voit l’intervention d’un auteur principal qui structure cette tradition et la modifie pour en faire un récit en fonction de sa théologie et avec une visée pastorale pour une communauté qui est son principal auditoire, et se termine parfois avec une dernière retouche d’un auteur anonyme, comme c’est le cas par exemple pour Marc 16, 9 – 20 écrit clairement par quelqu’un d’autre que Marc et qui connaissait l’évangile de Luc.

    Jean ne fait pas exception. Si on en croit M. E. Boismard (M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - L’évangile de Jean : Paris, Cerf, 1977), la base de l’évangile, i.e. les scènes autour de Jean-Baptiste, les premiers disciples, le noyau du récit de la Samaritaine, une bonne partie des récits de miracle, une section du procès de Jésus et la rencontre de Jésus ressuscité avec Marie Magdeleine, tout cela proviendrait d’une source préévangélique qu’il appelle : document C. Le rédacteur principal, appelé d’abord Jean II-A, aurait d’abord composé en Palestine vers les années 60 une première version de son évangile. En raison d’événements difficiles, lui et sa communauté d’appartenance doivent fuir la Palestine et s’établissent en Asie mineure, probablement Éphèse. Et c’est là que vers l’an 90, il produit une nouvelle version de son évangile : pour distinguer cette version de la version antérieure du même auteur, Boismard renomme l’auteur : Jean II-B. Enfin, quelqu’un fera plus tard des retouches mineures, et Boismard lui attribue le nom de Jean III.

    Les deux textes de notre analyse proviendraient de Jean II-B, donc le vieux Jean de l’an 90, alors que la communauté chrétienne d’origine juive vient d’être exclue des synagogues et qu’une grande hostilité sévit. Pour représenter cette tension, il adopte le cadre d’un grand procès universel où le croyant est appelé à témoigner de sa foi. De plus, alors que dans les premières années qui ont suivi la mort de Jésus et l’expérience par plusieurs de sa résurrection, on avait l’impression que son retour était imminent, on commence à se demander si ce retour aura lieu vraiment. Alors Jean propose sa propre vision : ce retour est déjà présent par son souffle ou esprit que sa mort a permis de répandre dans le monde. Ce souffle divin, il lui donne de nom de souffle de vérité ou Esprit de vérité ou paraclet, i.e. quelqu’un qui vient aider et soutenir, et s’il faut témoigner, il jouera le rôle d’avocat pour choisir les bons mots. C’est ainsi qu’il prend le temps de bien expliciter son rôle dans son évangile.

    Tout d’abord, à travers 15, 26-27, il établi le coeur de l’enjeu avec ceux qui rejettent Jésus : une vision de Dieu. Car le fait même que Jésus ait accepté d’être rejeté et condamné comme un être sans défense, et à mourir de manière ignominieuse parce qu’il a voulu être fidèle à l’amour gratuit et total jusqu’au bout, tout cela traduit un visage de Dieu qui n’est pas un être de puissance, mais un être fragile et vulnérable dans l’acceptation d’un amour sans limite. Tout cela allait contre l’orthopraxie juive où Dieu contrôlait le monde et avait établi ses règles qu’il suffisait de suivre sans dévier. L’écart entre ces deux visions est si grand, qu’il est impossible d’y voir clair sans aide. Voilà ce que signifie le souffle ou esprit de vérité : la révélation du vrai visage de Dieu. Ce souffle de vérité vient du Père, car c’est une vision des choses qui n’est pas naturelle. Ce souffle est essentiel et Jean lui a donné un nom : le Paraclet ou Aidant. C’est ce qui permettra au croyant de témoigner, i.e. de révéler le visage de Dieu en marchant dans les pas de Jésus.

    À travers 16, 12-15, Jean sent très bien le vide que vit la communauté en l’absence de leur maître et le sentiment d’être isolé face à une majorité qui les tourne en ridicule et les ostracise. C’est ainsi qu’il insiste pour dire qu’on ne peut comprendre comme il faut ce qui se passe sans une réflexion profonde, sans l’aide de ce souffle au fond de nous, qui est en quelque sorte l’héritage de Jésus qui permet de pallier à son absence, qui permettra de mettre en pleine lumière tout ce qu’il a dit et fait, principalement sa mort comme un criminel, et en ce sens révèlera l’être extraordinaire qu’il a été et qu’il est, et en révélant qui il est, révèlera qui est vraiment Dieu : un être d’amour fou qui recherche la communion, un être d’amour qui accepte de mourir par amour.

    À travers son évangile et la présentation du rôle du Père, du fils et du souffle de vérité, Jean établit la base de ce qui deviendra le mystère trinitaire : différents rôles au sein d’une communion unique et de la révélation d’un visage unique. Pour Jean, le croyant est appelé à entrer dans ce mystère en le reflétant par sa vie.

  5. Situations ou événements actuels dans lesquels on pourrait lire ce texte

    1. Suggestions provenant des différents symboles du récit

      • Un premier symbole est relié au paraclet, que nous avons traduit par « aidant », qui est en quelque sorte une personne qui vient soutenir quelqu’un d’autre dans une situation difficile, le conseillant dans ce qu’il a à dire et à faire, l’appuyant dans sa cause, l’assurant qu’il demeurera à ses côtés quoiqu’il advienne. Quel est l’impact sur un être humain quand il est convaincu de ce soutien? Ne croyant ne devrait-il pas toujours vivre avec cette assurance?

      • Un autre symbole est celui du témoignage. Un véritable témoignage demande du courage. Car on se prononce publiquement, on prend parti. Et à travers ce témoignage, on révèle ses valeurs et sa vision du monde. Et pour le croyant, c’est une prise de position sur sa compréhension de Dieu telle que présentée par Jésus de Nazareth. Comment ce témoignage est-il vécu?

      • Il y a aussi le symbole de la vérité qui est présenté comme une réalité qui demande du temps et de l’aide. Les disciples n’ont pas accéder à cette vérité au début, et il leur a fallu plusieurs années pour entrer dans toute sa profondeur. Ce qui apparaît évident au premier abord est souvent différent d’une compréhension profonde des choses. Le geste de Jésus de répondre au mal par l’amour qui se sacrifie est loin d’être évident. Qui est prêt à accepter ce long cheminement?

      • Il ne faut pas oublier le symbole du souffle avec lequel on se réfère à l’Esprit saint. Le souffle est ce qui nous permet de vivre. Mais il faut tirer de l’extérieur, de l’air ambiant, ce qui nous fait vivre et l’intégrer à notre être; d’une certaine façon, c’est quelque chose qu’on reçoit. En même temps, après avoir inspiré, cet air nous oxygène, nous purifie, nous transforme, et nous permet de rejeter ce qui est néfaste s’il restait en nous. L’action d’inspirer et d’expirer n’est-il pas le reflet de la trame de notre vie, où on doit recevoir le monde des autres et rejeter ce qui nous mine de l’intérieur?

      • Jean a redéfini le symbole de la glorification et de la gloire. Il ne s’agit plus des grands honneurs accordés à quelqu’un ou de soumission à l’autorité de Dieu, mais de la révélation de la qualité d’un être, plus particulièrement l’être de Dieu et celui de Jésus. Une telle perspective notre change-t-elle pas notre manière de parler de glorification et de gloire? Surtout si on l’applique au témoignage chrétien, qui n’est plus une question d’apologétique, mais de vie d’une grande qualité à l’image de Jésus, et par là, à l’image de Dieu.

    2. Suggestions provenant de ce que nous vivons actuellement

      • Les États-Unis viennent de rejeter l’accord nucléaire avec l’Iran, sous prétexte qu’il ne protège pas suffisamment le monde du développement d’une bombe atomique dans un avenir rapproché. À ce s’ajoute le reproche de cultiver le terrorisme international. Tout cela reflète un jeu de forces politiques. Les quelques versets de l’évangile de Jean d’aujourd’hui ne semblent pas vraiment pertinents. Pourtant, qu’arriverait-il si on laissait ce souffle envoyé par Jésus éclairer la situation?

      • Le développement de ce qu’on appelle « intelligence artificielle » suscite beaucoup de débats, et les sentiments sont partagés entre l’espoir et l’inquiétude. Pour beaucoup, cela ouvre un univers où la vie sera meilleure. Tout en accueillant cet espoir, où s’insère cet Aidant que Jésus nous a laissé en héritage? Ne demeure-t-il pas essentiel pour que les nouvelles technologies servent vraiment l’être humain?

      • Depuis plusieurs mois un mouvement s’est développé qui vise à s’attaquer au harcèlement, et plus particulièrement au harcèlement sexuel. On dénonce l’utilisation du pouvoir et de la force pour soumettre les autres à ses propres besoins. Mais ce mouvement présente sous un nouveau jour une attitude qui, jusqu’ici, était « tolérée ». Cela peut-il nous aider à comprendre le rôle de « révélateur » de l’Aidant que Jésus nous a laissé en héritage?

      • L’assassinat de journalistes ou des gens qui essaient de communiquer ce qui se passe et de le comprendre est constant, sinon en croissance. On ne veut pas de la vérité. Elle dérange. Avec une telle attitude, on ne peut bien sûr accueillir le souffle de vérité qu’envoie Jésus. Cela amène la question : à quelle condition peut-on accueillir ce souffle de vérité?

      • Dans nos sociétés occidentales avec une population vieillissante, beaucoup de gens se retrouvent à la retraite à un âge où plusieurs années de vie active sont encore possibles. Dès lors se pose la question : comment ces gens continueront-ils leur témoignage? En fait, comment écouteront-ils le souffle saint pour les guider dans ce nouveau paysage de leur vie?

 

-André Gilbert, Gatineau, mai 2018