Sybil 2007

Le texte évangélique

Matthieu 2, 1-12

1 Après la naissance de Jésus à Bethléem de Judée à l'époque du roi Hérode, il advint que des astrologues orientaux se présentèrent à Jérusalem. 2 «Où se trouve le roi des Juifs qui vient de naître?», demandèrent-ils. «Car nous avons vu une nouvelle étoile apparaître, et ainsi nous sommes venus nous prosterner devant lui.» 3 Quand il entendit ces paroles, le roi Hérode fut bouleversé, comme d'ailleurs l'ensemble des citoyens de Jérusalem. 4 Après avoir rassemblé les grands prêtres et les spécialistes de la Bible dans la population, il se mit à s'informer où devait naître le messie. 5 On lui répondit: « À Bethléem en Judée, car on peut lire dans le livre du prophète:

6 Et toi, Bethléem, terre de Judas,
tu n'es absolument pas la plus insignifiante ville qui a donné des chefs de Juda,
car c'est de chez toi que sera originaire ce chef
qui dirigera mon peuple Israël.»

7 À la suite de ces paroles, Hérode convoqua secrètement les astrologues, afin qu'ils lui précisent la date exacte où l'astre était apparu, 8 et après les avoir envoyés à Bethléem, il leur dit: «Allez, et renseignez-vous avec exactitude sur cet enfant; et si jamais vous le trouvez, venez me l'annoncer, afin que je puisse moi aussi me prosterner devant lui. » 9 À la suite des paroles du roi, ils partirent. Et voici que l'astre qu'ils avaient vu à à son lever les conduisait jusqu'à ce qu'ils parviennent à destination, et alors il se tint au dessus de l'endroit où se trouvait l'enfant. 10 Ayant ainsi vu l'astre, ils ressentirent une très grande joie. 11 Après être entré dans la maison, ils aperçoivent l'enfant avec Marie, sa mère. Alors ils se prosternèrent devant lui en s'agenouillant, puis après avoir ouvert leurs coffrets, ils lui offrirent des cadeaux: de l'or, de l'encens et de la myrrhe. 12 Mais à la suite d'un avertissement au cours d'un rêve de ne pas revenir auprès d'Hérode, ils retournèrent dans leur pays par un autre chemin.

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Commentaire d'évangile - Homélie

Les multiples chemins de la vie

Jamais Daniel1 n’aurait pu imaginer ce qui l’attendait. Tout allait si bien pour lui : propriétaire de l’entreprise de paysagement de son père qui avait le contrat de tous les McDonald’s de l’île de Montréal, marié et père de deux beaux enfants, la vie était belle et prospère. Malheureusement, le couple se sépare. La vie de Daniel s’écroule : alcool, consommation de cocaïne qui exige 500$ par jour, perte de son emploi, perte de son logement. Ses parents qui l’hébergeaient par pitié le mettent finalement à la porte pour l’obliger à se reprendre en main. Maintenant à la rue, il lui faut de l’argent pour sa drogue, et il accepte de diriger un petit réseau de prostitution. Mais en allant chercher une des filles pour l’amener au « travail », il voit dans l’appartement son enfant de 5 ans qui sera laissé tout seul. C’est le choc. La scène lui est intolérable. Il veut en finir avec la vie et fait une overdose. Mais ni la mort, ni l’hôpital ne le gardent, et il est encore dans la rue.

C’est alors qu’on lui parle d’un centre de réhabilitation. Il y passera plus d’un an, en cure fermée. Il en est ressorti sobre, avec sur le bras le tatouage du « lion de Juda », le symbole associé à la victoire de Jésus ressuscité dans l’Apocalypse, avec en tête l’idée d’en aider d’autres. Puis il rencontre Sylvie avec laquelle il recommence sa vie. Et un jour il ouvre le sous-sol de sa maison pour en faire une banque alimentaire et parfois y héberger des gens. Puis, l’église du quartier lui loue son sous-sol où il peut fournir de la nourriture à une soixantaine de famille. Mais quand l’automne et le froid fut arrivé, Daniel et Sylvie décident que le sous-sol doit aussi servir d’abri pour les gens dans la rue. C’est ainsi qu’ils installent une douzaine de matelas chaque soir. Les vêtements sont récupérés et lavés chaque jour, le sous-sol est désinfecté et nettoyé, et il n’y a eu aucun cas de Covid-19 jusqu’ici.

Pourquoi Daniel fait-il tout cela? « J’ai Jésus tatoué sur le bras » dit-il? Mais il refuse de parler de religion, et ne voit rien de religieux dans ce qu’il fait. Pour lui, il s’agit simplement de l’amour en action, et c’est beau d’aimer.

Quel lien cette histoire peut-il avoir avec le récit des mages raconté par Matthieu? C’est une histoire similaire d’un parcours inhabituel vers celui qu’on appelle : messie ou « Dieu sauve ». Rappelons le récit. Des mages, considérés à l’époque des sages et des savants astrologues, et populaires en Arabie, voient une nouvelle étoile apparaître. Dans l’Antiquité, l’apparition d’une nouvelle étoile était liée à la naissance d’un personnage important. Et comme cette étoile était probablement apparue dans la constellation du Poisson du zodiaque, associée aux Hébreux, les mages se mettent en marche vers la Judée. C’est ici dans son récit que Matthieu introduit un nouvel événement : le roi des Juifs, Hérode, ainsi que tout Jérusalem, apprend le but du voyage des mages. Catastrophe! Hérode aurait un rival. Les grands prêtres et les scribes, spécialistes de la Bible, peuvent lui dire que les prophètes ont annoncé que le messie naîtrait à Bethléem. Hérode a donc un plan : éliminer ce rival. Il connaît le lieu, il a besoin d’avoir une idée de l’âge du bébé, ce qu’il obtient des mages qui peuvent lui dire à quelle date l’étoile liée à sa naissance est apparue. Il lui reste donc à se faire préciser la demeure exacte, une tâche qu’il confie aux mages. C’est ainsi que les mages peuvent reprendre la route, cette fois guidée par l’étoile, un peu comme les Hébreux lors de leur sortie d’Égypte, était éclairés de nuit par une colonne de feu. Le récit se termine avec les mages qui entrent dans la maison de l’enfant et se prosternent comme devant leur roi. Mais à ce moment de son récit, Matthieu tient à ajouter ce passage d’Isaïe 60 et du Psaume 72 où des rois d’Arabie offrent pour la reconstruction du temple leurs précieux cadeaux d’or pour l’édifice, ainsi que l’encens et la myrrhe pour les offrandes de l’autel, expression de leur reconnaissance au Dieu d’Israël; évidemment, le nouveau temple c’est maintenant Jésus. Comme Matthieu a introduit dans le récit l’événement de l’intervention d’Hérode, il doit ajouter un détail à sa conclusion : grâce à un avertissement en rêve, les mages retournent dans leur pays en fuyant Hérode, pour éviter de lui donner l’information qu’il veut.

Bien sûr, le récit des mages est fictif. Mais c’est une grande catéchèse. J’ai parlé d’un parcours inhabituel. Matthieu, pourtant un évangéliste juif, a mis en contraste deux parcours : d’une part, celui des mages païens qui n’ont pour se guider que les phénomènes naturels de la vie, les astres, les rêves, et d’autre part, les Juifs religieux avec leurs grands prêtres et les scribes qui ont la Bible pour se guider. Quel parcours a été le plus fructueux? Le premier parcours a conduit au messie, le deuxième a conduit à son élimination. On peut trouver le jugement de Matthieu sévère, et bien sûr un peu caricatural. Mais il est d’abord le reflet de son milieu communautaire qui, à l’origine très juif, a vu un grand nombre de gens d’origine païenne s’y joindre; de plus, les chrétiens juifs se sont vus rejetés par leurs frères plus orthodoxes et exclus des synagogues : témoignage peu édifiant des gens très religieux.

Pour Matthieu ces parcours inhabituels sont importants, car pour lui rien n’échappe au plan de Dieu. Il aurait vu la même chose dans le parcours de Daniel. Et s’il avait à réécrire aujourd’hui le récit des mages, il pourrait mettre en scène beaucoup de naufragés de la vie que des accidents de parcours leur ont fait éliminer tous les masques jusqu’à trouver au fond d’eux, cette flamme, cette étoile qui les a fait emprunter le chemin de l’amour. Pour Daniel, ce fut la vue de l’enfant vulnérable laissé à lui-même qui a tout fait basculer et l’a mis en route vers un nouveau parcours : ce fut son étoile. Aucun parcours n’est préétabli, aucun parcours n’est exclu de la découverte de l’amour révélé dans sa plénitude en Jésus. Alors, ne désespérons jamais.

 

-André Gilbert, Gatineau, janvier 2021


1 Pour le récit complet de cette histoire vraie, voir Yves Boisvert, La Presse, 29 décembre 2020

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