Sybil 1997

Le texte évangélique

Matthieu 22, 15-21

15 Alors les Pharisiens allèrent prendre conseil sur la façon de piéger Jésus. 16 Ils envoient donc quelques-uns de leurs disciples avec les Hérodiens pour poser à Jésus cette question : « Maître, nous savons que tu es une personne authentique et tu enseignes avec droiture le chemin de Dieu, tu ne traites qui que ce soit avec déférence, mais tu demeures impartial. 17 Dis-nous donc ce que tu en penses : est-il permis de payer l’impôt à César? » 18 Ayant bien perçu leur malice, Jésus leur répondit : « Gens hypocrites, pourquoi cherchez-vous à me mettre à l’épreuve? » 19 Montrez-moi la monnaie utilisée pour payer l’impôt. » Ils lui présentèrent la monnaie romaine du denier. 20 Jésus leur demanda : « De qui est l’effigie et l’inscription sur cette monnaie? » 21 Ils lui répondent : « De César ». Alors Jésus leur déclara : « Rendez alors à César ce qui revient à César, et à Dieu ce qui revient à Dieu. »

Des études

Notre monde socio-économique nous oblige à constamment calculer. Mais dans quel but?


Commentaire d'évangile" - Homélie

Qu’est-ce qui revient à Dieu?

Il était une foi une communauté de 13 religieuses bénédictines semi-cloîtrées qui vivaient dans un grand monastère de quatre étages situé dans un immense domaine avec des champs et des animaux1. Mère Hélène, l’abbesse, se mit à réfléchir : « Que faut-il faire? C’est trop grand pour nous et trop onéreux à entretenir? » Elle alla donc voir sœur Hectorine, responsable régionale de la Congrégation des sœurs des Saints Cœurs de Jésus et de Marie. Celle-ci était également en réflexion devant leur grand édifice où ne résidait plus qu’une cinquantaine de religieuses avec une moyenne d’âge de 86 ans. Dans l’échange, sœur Hectorine eut soudain une idée : pourquoi ne pas combiner les actifs des deux communautés et bâtir une résidence qui pourrait non seulement servir aux religieuses, mais aussi aux citoyens? Le projet Pax Habitat venait de naître, qui allait accueillir 54 religieuses, 66 laïcs âgés, où le coût de location de 25 logements serait limité à 25 % du revenu du locataire et 35 pourraient offrir un service pour personnes non autonomes; on offrirait aux familles d'alentour un CPE pouvant accueillir 70 enfants. C’était un projet audacieux et innovateur, car il ne correspondait à aucune case : il touchait à la fois le soin aux aînés et le domaine de l’habitation. Il a fallu également obtenir la permission du Vatican et s’associer les bonnes personnes. Mais le projet fut une réussite.

Pourquoi raconter cette histoire? C’est qu’elle allie la connaissance du monde des affaires et un cœur compatissant; c’est l’économie et l’amour qui travaillent ensemble. Cela me semble un contexte intéressant pour lire l’évangile de ce jour. On nous présente la version de Matthieu d’un récit qu’il copie de Marc. Le contexte est celui d’un conflit qui s’intensifie entre Jésus qui se trouve à Jérusalem et les autorités religieuses. L’évangéliste nomme deux groupes qui veulent lui faire dire une parole compromettante qui justifierait son arrestation. Le premier groupe est celui des Pharisiens, des intégristes religieux, pour qui la présence romaine était un sacrilège et c’était un devoir de refuser toute collaboration. Le deuxième groupe était celui des Hérodiens, des partisans ou fonctionnaires du roi Hérode Antipas de Galilée, heureux de soutenir la présence romaine. Donc, l’évangéliste nous présente ces deux groupes, ennemis jurés aux visions opposées, s’alliant contre Jésus. Ce contexte est important pour comprendre la question posée par les deux groupes s’il faut payer ou non l’impôt romain. Car, si Jésus soutient l’impôt romain, les Pharisiens crieront au scandale; si Jésus dénonce l’impôt romain, ce sont les Hérodiens qui crieront au scandale. Nous connaissons la réponse de Jésus : « Rendez alors à César ce qui revient à César, et à Dieu ce qui revient à Dieu. »

On comprend assez aisément la première partie de la réponse : si on utilise le denier, la monnaie romaine, il faut être logique jusqu’au bout. La participation à la vie socio-économique oblige à utiliser l’un des instruments de cette vie socio-économique. La question de l’évangile reflétait sans doute une question que se posaient les membres de la communauté chrétienne qui vivaient dans l’attente du retour de Jésus, et donc se demandaient s’il fallait participer à la vie socio-économique. La réponse de l’évangile est claire : c’est oui.

Mais quelle est la signification de la deuxième partie de la réponse de Jésus : « Rendez à Dieu ce qui revient à Dieu ». Bien sûr, on pourrait répondre : « Tout revient à Dieu ». Mais cette réponse, si elle est vraie, est tout de même trop vague. Je préfère la réponse : le cœur, c’est le cœur qui revient à Dieu. Dans le monde biblique, le cœur est le centre de décision de la personne, ce qui motive et oriente son action. Or, le monde socio-économique a ses propres règles. Je me souviens d’un professeur d’économie à l’université que j’avais invité à parler d’économie dans un cours de Bible et qui avait choqué des étudiants haïtiens lorsqu’il avait déclaré : « Haïti ne vaut rien ». Il se plaçait sur le plan économique et dans un contexte d’offre et demande et de commerce, et il considérait que ce pays n’avait rien à offrir de valable. D’une certaine façon il avait raison, et ignorer les lois du marché et toute la mécanique économique peut faire plus de tort que de bien. Mais l’économie est un moyen, un instrument. C’est à l’être humain de lui donner une direction, un but. Revenons à l’histoire des deux religieuses à la source du projet Pax Habitat. Dans la même situation, un développeur aurait pu trouver une solution qui maximise son profit, et donc aurait pu faire construire simplement des condos qu’il aurait vendu à fort prix. Mais en raison de leurs valeurs, les deux religieuses ont opté pour une solution différente qui rencontre des besoins réels, en respectant les règles socio-économiques. Le croyant peut vivre une certaine tension entre son monde socio-économique et le monde de sa foi. Certains choisissent le monde religieux en se retirant complètement du monde socio-économique, comme chez certains intégristes religieux. D’autres considèrent ces deux mondes incompatibles et s’abandonnent complètement aux règles socio-économiques qu’ils jugent inéluctables, reléguant la religion dans la sphère de la piété. Mais la réponse de Jésus est différente : entrez dans le monde socio-économique puisque vous faites partie de la société, mais en même temps c’est votre responsabilité de lui donner une direction compatible avec ce que Dieu a voulu pour notre monde.


1 Le récit complet a été publié dans La Presse (Montréal, Canada) par Katia Gagnon, le 8 juillet 2023. Pour le texte complet : Hébergement pour aînés - Une petite révolution à Joliette

 

-André Gilbert, Gatineau, juillet 2023


 

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