Sybil 1999

Le texte évangélique

Matthieu 17, 1-9

1 Et six jours plus tard, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et son frère Jean, et les emmène à l'écart, sur une haute montagne. 2 Voilà qu'il apparut de manière différente sous leurs yeux, son visage était aussi radieux que le soleil, ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. 3 À ce moment ils firent également l'expérience de la présence de Moïse et Élie qui s'entretenait avec lui. 4 Réagissant à tout cela Pierre dit à Jésus: «Maître, c'est un endroit où il serait bon pour nous de rester. Si tu le veux bien, je fais monter ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une autre pour Élie.» 5 Il n'avait pas fini de parler, qu'un gros nuage éblouissant les couvrît de son ombre, et de ce nuage sortît une voix qui disait: «Celui-ci est mon fils que j'aime, il est mon bonheur. Prêtez attention à ce qu'il dit. » 6 En entendant cela, les disciples se jetèrent par terre en se cachant le visage, en proie à une grande peur. 7 Mais Jésus s'approcha d'eux et leur toucha en disant: «Relevez-vous et arrêtez d'avoir peur.» En levant les yeux, ils ne virent plus personne, sauf Jésus qui était tout seul.

9 Et alors qu'ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre: «Ne parlez à personne de votre vision, jusqu'à ce que le nouvel Adam ai été relevé du monde des morts.»

Des études

Quel mystère se cache derrière ce masque? Qui suis-je?


Commentaire d'évangile - Homélie

Le mystère de Jésus est aussi le nôtre

Êtes-vous introvertis ou extravertis? Si vous êtes introvertis, on vous trouvera peut-être un peu secret, on aura l'impression de ne pas beaucoup vous connaître. Si vous êtes extravertis, on aura peut-être le sentiment de bien savoir qui vous êtes, parce que vous vous exprimez beaucoup et ouvertement. Pourtant, il est bien possible que dans les deux cas on vous connaît mal, on prend votre masque social pour votre être réel et profond. Il y a plus. On vous connaît mal, parce que, de prime abord, vous vous connaissez mal.

C'est bien de révélation et de connaissance d'identité qu'il s'agit dans l'évangile de ce dimanche. Mais attention! Nous avons l'habitude d'avoir les yeux fixés sur Jésus transfiguré, alors que ce sont les disciples qui sont au coeur du récit. Ce sont eux qui vivent une expérience hors de l'ordinaire, qui découvrent un Jésus différent, qui perçoivent en Jésus le mystère même de Dieu à l'oeuvre, comme il fut à l'oeuvre en Moïse et Élie. C'est tellement vrai que ce sont eux qui sont ébranlés, effrayés de ce qu'ils découvrent. Même si cette scène n'aurait pu exister sans l'expérience de Pâques, le phénomène existentiel reste le même.

J'ai essayé de puiser dans mon expérience des exemples de moments forts, des moments privilégiés de découverte, soit des autres, soit de moi-même. Ils sont plutôt rares. Car il s'agit plus que de ces beaux moments agréables en compagnie d'un être cher autour d'une bonne bouteille de vin, même si ces moments peuvent être une invitation à entrer dans la densité des choses et à dire comme Pierre: conservons à jamais ces moments, construisons des tentes pour qu'ils demeurent parmi nous.

Le jour où j'ai pris conscience que j'étais amoureux et que mon être désirait entrer dans un nouveau projet de vie, j'ai vécu un moment de lumière et de libération, mais en même temps j'en frissonnais de tout mon être, effrayé devant l'inconnu et de tout ce que cela impliquait. Quand un couple en conflits permanents découvre à la fin d'une thérapie qu'ils sont appelés à des chemins différents, il s'ensuit à la fois un moment de libération et de peur extrême devant les conséquences et l'inconnu. Je connais une mère qui a été confrontée très tôt à la déficience mentale de sa fille: l'accepter, ou la refuser comme c'était le cas pour son conjoint, tel fut l'enjeu. Mais la découverte et l'acceptation qu'elle était appelée à un amour inconditionnel, fut à la fois libérant, mais aussi effrayant en pensant à ce que cela impliquait pour le reste de sa vie.

Vous pensez que nous sommes loin du récit de la transfiguration? Pas du tout. En découvrant le mystère de Jésus, c'est le mystère de leur propre vie qu'ils découvrent. C'est incroyable et merveilleux: quel moment de lumière de percevoir ainsi sa vie si intimement liée à cet Être qui est la source du monde et de tout amour. Mais en même temps, ils sont effrayés devant leur univers qui s'écroule et tant d'inconnus qui s'annoncent. C'est exactement ce que nous pouvons vivre dans ces moments de rare vérité.

Il me reste une question. Pourquoi ces moments de vérité surviennent-ils très souvent dans les temps de souffrance et d'épreuve? Dans le récit évangélique, c'est à l'ombre de l'annonce de son arrestation prochaine et de sa mort qu'on vit ce moment intense. Pourquoi certains ont-ils eu besoin du 11 septembre et de la vue de tous ces dossiers en mille miettes flottant dans l'air comme des flocons de neige pour soudainement se voir autrement? Pourquoi a-t-il fallu cet événement pour entendre cette vie qui bat en provenance d'Afghanistan? Pourquoi faut-il parfois la perte d'un être cher pour entreprendre ce long voyage à la découverte de soi? Pourquoi faut-il parfois que des parents s'ouvrent péniblement à l'annonce que leur enfant est homosexuel, pour vivre ensuite l'intensité d'un échange vrai et la redécouverte de la beauté de leur enfant.

Ce que les disciples ont vécu, nous sommes appelés à le vivre à des niveaux différents. Mais pour cela, il faut accepter d'être "emmené sur la montagne", "à l'écart". La signification de ces derniers mots varie selon les personnes. Et en plus, nous n'avons pas de contrôle sur ces moments. Ce temps de Carême rappelle que la vie est un cheminement dont nous ne saisissons pas tous les contours. Mais nous pouvons garder un coeur ouvert, et prier Jésus qui nous a précédés sur cette route, pour que, lors de ces moments de grande vérité, nous ayons la force de les vivre et de ne pas s'enfuir par peur.

 

-André Gilbert, Gatineau, décembre 2001

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