Sybil 1999

Le texte évangélique

Marc 14, 12-16.22-26

12 Le premier jour de la fête des pains sans levain, où on procédait à l'immolation de l'agneau pascal, les disciples dirent à Jésus: « Où veux-tu que nous allions pour faire les préparatifs, afin que tu puisses manger la Pâque. » 13 Alors il envoie deux de ses disciples avec cette consigne: « Allez en ville, et là un homme viendra à votre rencontre, portant une cruche d'eau. Suivez-le. 14 Et dans le lieu où il entrera, dites au propriétaire: « Le maître te fait dire: 'Où est ma salle à manger où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples?' 15 Et lui vous indiquera une chambre haute très grande, avec les tapis étalés, tout prête. C'est là que vous ferez les préparatifs pour nous. » 16 Les disciples partirent donc et allèrent en ville, et trouvèrent tout comme il leur avait dit. Ils se mirent en frais de préparer la Pâque...

... 22 Pendant le repas, ayant pris du pain et ayant prononcé la bénédiction, il rompit le pain qu'il partagea ensuite entre eux avec ces mots: « Prenez, ceci est mon corps. » 23 Puis, prenant une coupe, il fit l'action de grâce et la leur partagea, et ils y burent tous. 24 Il ajouta: « Ceci est mon sang pour établir une alliance et qui sera répandu pour une multitude de gens. 25 Vraiment, je vous l'assure, je ne boirai jamais plus de vin jusqu'au jour où je boirai du vin nouveau dans le monde de Dieu. » 26 Après avoir chanté les psaumes, ils se rendirent au Mont des Oliviers.

Des études

Il n'y a pas de limite à l'amour


Commentaire d'évangile - Homélie

Manger tout ce qu'il y a dans son assiette

Un jour, il y a de cela plusieurs années, je prenais le repas de midi dans un presbytère d'une église d'Allemagne, et ayant terminé de manger mon plat, je tends l'assiette à la religieuse qui desservait la table. Mais voilà que je dois essuyer une colère monstre de sa part: j'avais laissé des miettes dans mon assiette et des traces de sauce; il m'aurait fallu ramasser tout le fond de l'assiette avec de la mie de pain, afin qu'il ne reste absolument rien. On m'expliqua plus tard qu'elle avait connu la guerre et la faim, et qu'elle ne comprenait pas qu'on laisse quoi que ce soit dans une assiette. Cette image m'est restée, et aujourd'hui, elle symbolise pour moi une dimension de la fête du corps et du sang du Christ.

Quand on évoque le dernier repas de Jésus avec ses disciples: "Jésus prit du pain... et dit: « Prenez, ceci est mon corps. » Puis il prit la coupe... et il leur a dit: « Ceci est mon sang... »", on retrouve chez les chrétiens d'aujourd'hui toute une gamme de sentiments et de perceptions. Pour certains, c'est avant tout le moment quasi magique de la transsubstantiation où le Christ est présent avec son corps et sa divinité, et qui appelle toute notre vénération. Pour d'autres, c'est l'évocation de l'institution de l'eucharistie et le moment qui fait qu'une messe est une messe. Pour d'autres encore, c'est l'évocation de paroles d'un rituel bien familier, presque usé jusqu'à la corde, mais qui résonne comme une musique rassurante et permet la communion à la fin.

Pour moi, l'évocation du dernier repas de Jésus est autre chose. Il est d'abord ce moment émouvant de son repas d'adieu, où il résume ce qui a été le sens de sa vie, tout ce qu'il a essayé de faire et dire. Il a tout donné, en incluant son être entier, comme l'exprime la symbolique du corps et du sang. Tout est devenu nourriture chez lui. On a atteint la limite du don, à la manière du pélican qui se perce le flanc pour nourrir ses petits. À chaque fois que je revis ce moment, au fond de moi je dis: "Non, je n'oublie pas; non, jamais je n'oublierai ce qu'a été ta vie, jamais! Je me souviendrai!"

Pourtant, il ne s'agit pas ici d'un simple souvenir, d'une évocation du passé, comme lorsqu'on feuillette un album photo. Chez les Juifs, lorsqu'on évoque la sortie d'Égypte et la célébration de la Pâque, on rappelle que ce n'était pas seulement les pères qui furent sauvés et mangèrent la Pâque, mais avec eux c'est tout le peuple, incluant les contemporains. Quand on évoque le dernier repas de Jésus, je me sens dans la même salle, au même moment, autour de cette même table partagée par les disciples. C'est à moi que s'adresse Jésus, c'est à nous, dans un véritable présent. Malgré toute mon indignité, je me sens envoyé en mission, au même titre que Pierre, Jean, André. C'est d'ailleurs ce présent qu'évoque la scène des disciples d'Emmaüs, quand Jésus chemine mystérieusement avec eux et préside le repas. Appelons ça, si on veut, une présence réelle. J'ai connu un prêtre dominicain, à Paris, qui refusait de s'assoir sur la chaise du président d'eucharistie, lorsqu'il assurait la présidence: c'était réservé au Christ, le véritable président.

Il y a enfin une dimension qui n'attire peut-être vraiment notre attention qu'au moment de manger le pain de communion. Pourquoi du pain et du vin? Pourquoi évoquer le corps et le sang de Jésus? Pour moi, il y a là résumé en quelques mots tout le mystère de l'Incarnation. Le pain est au coeur de notre alimentation, le vin est au coeur de notre fête. Le corps c'est nous, c'est tout notre être avec ce qui le caractérise, le sang c'est la vie qui circule et nous permet d'agir. Manger ce pain, boire à cette coupe c'est reconnaître que Jésus vivant ne se retrouve que dans ce qui fait le coeur de nos vies et de nos fêtes, qu'il ne peut agir qu'à travers ce qui constitue notre être, notre personnalité, notre souffle.

Mais il y a plus. Quand je mange le pain, quand je dis Amen, je dis oui à ce qui constitue ma vie, j'accepte de manger tout ce qui se trouve dans mon assiette, les choses magnifiques comme celles qui le sont moins, tout comme Jésus a dit oui à la sienne, tout comme il a bu la coupe jusqu'à la lie. Il y a parfois dans mon assiette des choses amères. Les mangerai-je? Tout? C'est une véritable croisée des chemins. En ce moment, je pense à des parents qui ont dit oui à l'amour de la vie, jusqu'à accepter et soutenir un enfant trisomique ou ayant l'acidose lactique. Ils ont vraiment choisi la vie.

Je me permets une prière: "Seigneur, comme tu l'as fait, permets-moi de mettre la main à la pâte, et de boire le calice de ma vie jusqu'au bout, avec ses fêtes et sa lie".

 

-André Gilbert, Gatineau, mars 2003

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