Sybil 2000

Le texte évangélique

Marc 9, 2-10

2 Six jours plus tard, Jésus emmène avec lui Pierre, Jacques et Jean, et leur fait gravir une haute montagne pour être tout seuls avec lui. Il apparut alors métamorphosé sous leurs yeux, 3 et ses vêtements devinrent blanc d'une telle blancheur qu'aucune manufacture sur cette terre n'est capable d'obtenir un tel blanc. 4 De même, ils firent l'expérience de la présence d'Élie et de Moïse qui étaient en discussion avec Jésus. 5 Pierre réagit en disant à Jésus : « Maître, il fait bon d'être ici. Montons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une autre pour Élie. » Il ne savait que dire, car il était terrifié. 7 Alors un nuage les enveloppa et une voix se vit entendre du nuage: « Celui-ci est mon fils que j'aime. Prêtez attention à ce qu'il dit. » 8 Et soudain, en regardant autour d'eux, ils ne virent plus personne, sauf Jésus qui était tout seul.

9 Quand ils descendirent de la montagne, il leur donna l'ordre de ne raconter à personne ce qu'ils avaient vu, sinon après que le nouvel Adam soit revenu du monde des morts. 10 Ils retinrent cette parole, se demandant ce que signifiait revenir du monde des morts.

Des études

Voir chez les autres ce que peu de gens voient


Commentaire d'évangile - Homélie

Les deux visages de la vie

Il a été un homme d'affaire brillant. Au milieu d'une transaction, il avait cette capacité de faire des calculs extrêmement rapides. En plus, c'était un homme extrêmement généreux, s'occupant de ses frères et soeurs quand ils rencontraient des situations difficiles. Avec sa femme et ses enfants, il était d'une tendresse débordante. Mais soudain, il s'est mis à oublier des choses : un robinet qui coule, un poêle qui chauffe. Un matin, il prend l'autobus pour une courte course, et sa famille angoissée ne leur retrouvera que le soir. Le diagnostic était posé : il avait l'Alzheimer. Les choses se gâtèrent. Il se mit à accuser son épouse de le voler. Pour calmer son angoisse, celle-ci lui mettait une liasse de billets de banque en petites coupures : il avait alors l'impression d'avoir beaucoup d'argent sur lui. Il pouvait sortir pour une course revêtu d'un pyjama. Dans les quelques moments de lucidité qu'il eut avant de s'enfoncer dans la nuit, il explosait en pleurs. Le temps vint où il fallut l'hospitaliser. La peine était innommable pour la famille de retrouver ce conjoint et ce père dont il fallait maintenant changer les couches, passant ses journées à chiquer un chiffon, ne reconnaissant plus personne.

Quand la maladie se déclare, on rencontre souvent le déni, tant chez la personne concernée que chez ses proches : ce n'est pas possible, ce n'est pas lui. Puis quand la maladie s'est vraiment installée, la tentation est grande de s'éloigner de cette personne, comme si elle était déjà morte. Quel est donc le vrai visage de la vie? Qui sommes-nous vraiment? La réponse ne peut venir qu'en acceptant de garder ensemble ces deux visages. C'est ce que propose le récit évangélique de ce jour. Regardons de plus près.

Ce récit est traditionnellement appelé celui de la transfiguration de Jésus. En quelques mots, Jésus invite ses disciples les plus intimes sur une haute montagne où ils le verront soudainement transformés en habit éclatant, conversant avec deux figures-clé de l'Ancien Testament, alors qu'une voix céleste leur demandera d'écouter cet être enfant chéri de Dieu. Nos réactions devant ce récit vont de l'agacement devant ce monde merveilleux et irréel, à celui d'un élan de piété devant ce Fils de Dieu qui nous est montré dans toute sa divinité. Nous passons alors à côté de ce que ce récit essaie de traduire dans un style quelque peu déroutant : au milieu des annonces de la passion et à l'approche de la mort qui se profile à l'horizon, la foi de ses intimes voient et entendent des choses sur Jésus qui échappent à la majorité des gens. En d'autres mots, au moment où les gens ordinaires ne verront en Jésus qu'un condamné à mort défiguré, la foi de ses intimes continueront à voir cet être extraordinaire et unique qui a parlé de Dieu de manière extraordinaire et unique. Leur foi a été capable de garder ensemble l'être souffrant et défiguré, et l'être aimé et unique qu'ils ont connu, comme faisant partie tous les deux de notre réalité humaine.

Sur le plan historique, les choses ne se sont probablement pas passées littéralement comme le décrit ce récit, i.e. avec cette transformation soudaine des vêtements, ce nuage qui les enveloppe et cette voix d'outre-tombe qui résonne. Mais ce récit de Marc emprunte un peu le langage merveilleux pour traduire une chose profonde et vraie : c'est cette intimité vécue dans l'amour avec Jésus qui a permis aux disciples de passer à travers l'atrocité de son procès et de sa mort, et de faire par la suite l'expérience de Pâques. C'est seulement ce regard né de l'amour qui permet de voir autre chose qu'un être défiguré et mort. La foi n'est autre chose que ce regard né de l'amour.

Quand on regarde le récit de la transfiguration, on peut avoir l'impression d'être uniquement centré sur la personne de Jésus. C'est une erreur. On ne peut parler de Jésus sans parler de nous. Jésus trace simplement le chemin qui est le nôtre. Ainsi, nous sommes également ces deux visages de la vie, nous sommes cette personne dans un vêtement rayonnant qui est le fils chéri de Dieu, et nous sommes ce visage défiguré. Et la tentation est grande de ne voir chez soi et chez les autres que l'être de lumière, quand la vie nous gâte, que l'être des ténèbres quand arrive l'adversité. Ce que dit le récit de la transfiguration : quand le ciel s'obscurcit, élève-toi vers les hauteurs de la foi et n'oublie pas l'être lumineux que tu es et l'être chéri de Dieu que tu es. C'est ce que font les aidants naturels quand ils veillent sur des êtres dont l'esprit est parti en voyage vers des mondes imaginaires, comme dans la maladie d'Alzheimer; leurs yeux percent l'obscurité pour apercevoir encore l'être lumineux et l'aimer.

Je vais avouer une manie que j'ai. Pendant quelques années, j'ai vu beaucoup de bébés quand je visitais des couples avec ma conjointe pour la préparation au baptême. À chaque fois, je regardais l'enfant droit dans les yeux en me demandant : que deviendra-t-il? Que deviendra-t-elle? Aujourd'hui, chaque fois que je rencontre quelqu'un, qui qu'il soit et peu importe ses actions, je ne peux m'empêcher d'imaginer le bébé qu'il a été, ce poupon avec un sourire attendrissant et lumineux. Oui, je sais, je sais. Il y a Hitler, il y a Saddam Hussein, il y a Kadhafi. Ce poupon aimant est-il mort dans certains cas? Le récit de la transfiguration nous trompe-t-il? Tant que nous vivons, nous ne pouvons porter un jugement définitif. Alors il faut être des veilleurs qui attendent l'aurore, ce jour où l'être lumineux percera l'obscurité, ce jour où Pâques deviendra une réalité universelle. Du moins, si c'est là notre foi.

 

-André Gilbert, Gatineau, décembre 2011

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