Sybil 1997

Le texte évangélique

Luc 17, 5-10

5 Alors les apôtres dirent au au Seigneur: « Augmente en nous la foi. » 6 Le Seigneur leur répond: « Si vous avez en ce moment la foi gros comme une graine de moutarde, vous pourriez dire à ce mûrier: déracine-toi et plante-toi dans la mer, et il vous aurait écouté.

7 Qui parmi vous, ayant un serviteur qui s'occupe de labourer les champs et de paître les animaux, lui dira-t-il quand il rentrera des champs: « Vite passe à table »? 8 Ne lui dira-t-il pas plutôt: « Prépare quelque chose pour que je puisse manger, puis après t'être accoutré, tu me serviras tant que je n'aurai pas fini de manger et de boire, et après tu mangeras et boiras à ton tour »? 9 Doit-il exprimer de la reconnaissance à son serviteur parce qu'il a fait ce qui était dans l'ordre des choses? 10 De la même manière, vous aussi, quand vous aurez fait tout ce qui était dans l'ordre des choses, dites: « Nous ne sommes pas des serviteurs indispensables, nous n'avons fait que ce que nous devions faire. »

Des études

Comment une fleur peut-elle pousser dans le désert?


Commentaire d'évangile" - Homélie

Pour rester éternellement jeune

Le texte évangélique proposé pour la liturgie de ce dimanche comporte des éléments difficiles à accepter et peut facilement nous rebuter. Commençons par le récit de ce serviteur qui n'a aucune reconnaissance à recevoir de son maître pour avoir bien accompli son travail, car cela faisait partie de l'ordre des choses; on entend ainsi affirmer qu'un chrétien n'a pas à s'imaginer qu'il fait quelque chose d'exceptionnel par sa vie croyante et attendre ainsi la reconnaissance de Dieu. Une façon d'apprivoiser une affirmation si rude est d'écouter saint Paul: « Annoncer l'Évangile en effet n'est pas pour moi un titre de gloire; c'est une nécessité qui m'incombe... Si j'avais l'initiative de cette tâche, j'aurais droit à une récompense; si je ne l'ai pas, c'est une charge qui m'est confiée. » (1 Co 9, 16-17) Ainsi, la vie chrétienne n'est pas un accomplissement personnel, mais l'ouverture et la fidélité à un courant qui prend sa source en Dieu; notre récompense, c'est ce que ce courant produit en nous.

Venons-en à la question sur la foi qui amorce le texte de ce jour. Le rôle que Jésus fait jouer à la foi ne cesse de m'intriguer : pourquoi un rôle si fondamental? Et l'image utilisée par notre passage a quelque chose d'excessif: un mûrier qui se déracine lui-même et va se planter dans la mer. Pour avoir connu le monde du Moyen-Orient, je sais qu'il y a ici un texte qu'il ne faut pas prendre à la lettre. Mais l'idée est quand même que la foi a la puissance de faire éclater l'ordre des choses et d'ouvrir sur un monde nouveau. Comment est-ce possible?

Tout commence par une demande des disciples: «Augmente en nous la foi! » Malheureusement le texte liturgique ne donne pas le contexte de leur demande. Auparavant, Jésus a affirmé: « Et si sept fois le jour il pèche contre toi et que sept fois il revienne à toi, en disant: "Je me repens", tu lui remettras."» Pourquoi les disciples se mettent-ils alors à parler de foi? Eh bien, justement, tout repose sur la foi, la foi que les gens peuvent changer et vont changer, que ce qui habite notre humanité est plus grand que ce qu'on voit. Replaçons la demande des disciples dans notre contexte à nous, i.e. le conflit insoluble entre Israéliens et Palestiniens où, bien sûr, chacun a raison; ces conflits incessants qui affament les pays les plus pauvres et maintiennent dans l'itinérance des populations entières; tous ces ghettos qui révèlent ce qu'il y a de pire en l'homme; et ces charognards qui tirent profit du malheur des autres; à toutes ces situations, chacun pourrait y greffer ses propres drames à échelle réduite. Dites-moi, que veut dire exactement: « Si sept fois le jour ton frère pèche contre toi et te dis: 'Je me repent', tu lui pardonneras »? Oui, augmente en moi la foi, Seigneur. Car pardonner signifie croire qu'une relation empreinte de vie et d'amour peut reprendre.

En peu de mots, disons-le: sans la foi, il n'y a plus d'avenir pour notre humanité. Karl Marx avait parlé de la religion comme opium du peuple. Je dis: seule la foi permet de faire agir notre humanité. Seule la foi me permet de ne pas être paralysé par ce que je vois. Seule la foi me permet de vaincre mes peurs. J'ai personnellement atteint l'âge où les gens posent la question : « De quoi vivrai-je, quand je ne pourrai plus travailler? Et si mon bas de laine n'était pas suffisant?» Sans la foi, on peut vouloir chercher stupidement une sécurité mur à mur, au mépris de toute solidarité.

Certains identifient la foi à une obstination à croire que tout ira bien malgré les démentis de la vie. Je maintiens que c'est tout à fait le contraire. C'est la foi qui nous permet d'accueillir les événements comme une parole et le fait changer d'idée, tout comme c'est la foi qui nous fait agir, dans l'espérance que la vit peut naître de la mort. C'est la foi qui nous amène à regarder le lendemain comme une aube, et non pas comme un crépuscule. C'est la foi qui nous garde toujours jeune.

Il est fort probable que je ne serais pas croyant sans l'accueil de Jésus et de son témoignage de vie. Quand il parle de foi et du rôle qu'elle joue, il parle de sa propre expérience. C'est cette foi qui lui a permis de remettre debout des êtres humains. C'est cette foi qui lui a permis d'affronter la mort comme il l'a fait. Ultimement, la résurrection est le résultat de la foi. Voilà pourquoi celle-ci est si fondamentale chaque jour d'une vie.

 

-André Gilbert, Gatineau, juin 2004

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