Raymond E. Brown, La mort du Messie,
v.2: Appendice VII: L'arrière-plan de l'Ancien Testament des récits de la passion, pp 1445-1465, selon la version anglaise

(Résumé détaillé)


L'arrière-plan de l'Ancien Testament des récits de la passion


Table des matières

  1. Les parallèles à la Passion dans l'Ancien Testament en général
    1. Le Pentateuque
    2. Les livres historiques
    3. Les livres prophétiques
    4. La sagesse ou les livres sapientiaux
  2. Les parallèles à la Passion dans les Psaumes
    1. Les psaumes proposés comme parallèles (excepté le Ps 22) à la Passion
    2. Le Ps 22 et la Passion


Prochain chapitre: Appendice VIII - Les annonces de Jésus de sa passion et de sa mort

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On ne peut nier que l’arrière plan vétéro-testament a largement influencé la rédaction chrétienne des récits de la passion, afin de fournir le cadre d’un récit dramatique aux éléments de la prédication chrétienne. En particulier, dans le matériel secondaire de la passion qui ne faisait pas partie du cœur de la prédication chrétienne et qui pouvait faire l’objet de débats dans les synagogues, les chrétiens ont laissé libre cours à leur imagination (par exemple, la mort de Judas inspirée par la mort de figures de l’AT comme Ahitophel ou Antiochus Épiphane). Notre intérêt dans cette section se centrera plutôt sur les livres de l’AT qui ont eu le plus d’influence dans la rédaction des récits de la passion.

Les récits de la passion font référence à l’AT de différentes façons, soit par une allusion implicite sans en utiliser le vocabulaire, soit de manière explicite avec la formule stéréotypée : « Tout cela arriva afin que soit accomplie la parole de l’Écriture… ». Il faut également tenir compte du fait que la référence à l’AT dans le monde juif se fait aussi à travers son développement midrashique, comme on peut le voir avec le récit d’Hérode et de l’enfant Jésus chez Matthieu basé sur le développement midrashique de la naissance de Moïse.

  1. Les parallèles à la Passion dans l'Ancien Testament en général

    1. Le Pentateuque

      1. Il y a d’abord Gn 22, 1-14, le récit de l’épreuve d’Abraham à qui Dieu demande de sacrifier son fils et qui se montre fidèle. Ce récit est certainement évoqué implicitement par Rm 8, 32 (Dieu qui n’a pas épargné son propre fils) et 1 Jn 4, 9-10 (Dieu qui envoie son fils comme sacrifice expiatoire). Mais il n’est pas sûr que le midrah de l’Aqedah soit suffisant développé au moment de la rédaction des récits de la passion pour les avoir influencés.

      2. Le texte d’Exode 12 décrit le rituel de la manducation de la Pâque avec l’aspersion du sang de l’agneau aux montants de la porte pour que l’ange exterminateur épargne les enfants juifs. Les évangiles synoptiques présentent le dernier repas de Jésus comme un repas pascal. Jean, pour sa part, présente explicitement Jésus comme l’agneau de Dieu et associe sa condamnation avec le moment où on immolait l’agneau au temple, tout comme il associe le fait qu’on ne lui brisa pas les os aux exigences pour l’agneau d’Ex 12, 46.

      3. On pourrait ajouter Nb 21, 9 avec la scène du serpent d’airain dressé pour apporter la guérison et auquel Jn 3, 14-15 fait référence.

    2. Les livres historiques

      Comme on croyait que Jésus était un descendant de David, on a pu associer à Jésus les derniers moments difficiles du roi, tels que racontés par 2 Sm 15, 13-37; 17, 23. Ainsi on a pu associer Judas à la figure d’Ahitophel qui s’est joint aux ennemis, le passage du Cédron de Jésus (Jn 18, 1) avec celui de David, la prière du mont des Oliviers avec la montée de David au même endroit pour y pleurer, la mort de Judas avec Ahitophel qui s’est suicidé, la demande de Jésus d’épargner ses disciples (Jn 18, 8b) avec l’appel de David à ses troupes d’éviter le bain de sang et de l’attendre à Jérusalem.

      Certains biblistes ont proposé l’influence du martyr des frères Maccabées (2 M 6, 16 – 7, 42; 4 M 5, 1 – 18, 23), mais on chercherait en vain dans les récits de la passion certains traits des Maccabées comme les descriptions des horreurs de la torture et les discours provocateurs demandant le châtiment du dirigeant.

    3. Les livres prophétiques

      1. Isaïe

        En Ac 8, 32-33 Philippe explique à l’eunuque éthiopien le passage de Is 53, 7-8 (le mouton qu’on mène à l’abattoir). C’est la figure du serviteur souffrant (Is 42, 1-4; 49, 1-7; 50, 4-11; 52, 13 – 53, 12) qui a eu le plus d’influence sur la réflexion chrétienne concernant la mort de Jésus. Ainsi, 1 P 2, 22-24 fait référence à Is 53, 9b (il n’a pas commis de péché…). Le thème de Jésus qui a été livré (paradidomai) reflète celui du serviteur qui a été livré (Is 53, 6.12). Selon Mc 9, 12, l’Écriture avait annoncé les souffrances du fils de l’homme, un écho de Is 53, 3 où le serviteur est méprisé et rejeté, tout comme Mc 8, 17 spécifie que Jésus accomplit les paroles d’Is 53, 4 où le serviteur est présenté comme celui qui prend sur lui nos infirmité, et que Mc 14, 65 avec les moqueries sur Jésus fait allusion à Is 50, 6-7, alors qu’on frappe le serviteur aux joues et qu’on crache sur lui.

      2. Jérémie

        La structure du livre de Jérémie avec ses paroles et actions prophétiques, et le récit de ses souffrances et de son rejet ont pu influencer l’idée d’écrire un récit semblable autour de Jésus. Par exemple, le ch. 26 présente un complot par les prêtres, les prophètes et tout le peuple contre Jérémie qui annonce la destruction de la ville et de son temple, et met en garde contre le fait de verser du sang innocent, un langage qu’on retrouve chez Matthieu. Dans les influences on peut ajouter les Lamentations de Jérémie alors que les passants hochent la tête devant la fille de Jérusalem affligée (Lm 2, 15) ou que le fidèle du Seigneur tend la joue à celui qui le frappe (Lm 3, 28-20), ce qu’en retrouve en Mc 15, 29 et Mt 27, 39.

      3. Ézéchiel

        On note l’influence d’Ez 37, 12-13 (« Je vais ouvrir vos tombeaux… ») sur la scène de Mt 27, 52-23 alors que les tombeaux s’ouvrent et le corps de nombreux saints ressuscitent.

      4. Daniel

        Dn 7, 13 présente la vision de Daniel d’un fils d’homme qui vient sur les nuées du ciel, et cette image sera combinée avec celle de la session à la droite du Ps 110, 1 chez Mc 14, 12 (« Vous verrez le fils de l’homme siégeant à la droite… ») pour décrire l’annonce de Jésus sur son avenir lors de son procès devant le grand-prêtre. L’accusation de blasphème du Sanhédrin à l’égard de Jésus pourrait être un écho du blasphème de la Bête de Dn 7, 20. Enfin, l’annonce de Dn 12, 2 que « beaucoup de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux se réveilleront » reçoit un écho en Mt 27, 52-53.

      5. Les prophètes mineurs.

        Il y a d’abord Am 8, 9 (« je ferai se coucher le soleil en plein midi et enténébrerai la terre en plein jour ») qui a influencé Mc 15, 33 (« A midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à trois heures »). Mais c’est surtout le prophète Zacharie qui a été repris dans plusieurs passages du récit de la passion : Za 13, 17 (« Frappe le berger, les brebis seront dispersées ») est cité par Mc 14, 27 || Mt 26, 21 (« Je frapperai le bergers et les brebis seront dispersées »); Za 9, 9 (« humble, monté sur un âne, sur un ânon tout jeune ») a façonné le récit de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem (Mc 11, 1-10); Za 14, 21 (« Il n’y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur ») est l’arrière-plan de la scène de la purification du temple (Mc 11, 15-19; Jn 2, 16); Za 9, 11 (« à cause de l’alliance conclue avec toi dans le sang ») reçoit un écho lors du dernier repas de Jésus; Za 11, 12-13 (« ils payèrent mon salaire : trente sicles d’argent… Je pris les trente sicles d’argent et les jetai au fondeur, dans la Maison du Seigneur ») est à la base du récit de Judas et des trente pièces d’argent (Mt 27, 2-10); Za 12, 10 (« Alors ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé ») reçoit un écho en Jn 19, 34.37 (« Ils verront celui qu’ils ont transpercé »).

    4. La sagesse ou les livres sapientiaux

      Pr 31, 6 (« Qu’on donne plutôt de l’alcool à celui qui va périr et du vin à qui est plongé dans l’amertume ») sert d’arrière-plan à Mc 15, 23 || Mt 27, 34 (« ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel »). Le ch. 2 du livre de la Sagesse (milieu du 1ier siècle av. JC) décrit le sort du juste (2, 10 « Opprimons le pauvre, qui pourtant est juste… »; 2, 13 « Il déclare posséder la connaissance de Dieu et il se nomme enfant du Seigneur »; 2, 15 « Car sa vie ne ressemble pas à celle des autres… »; 2, 18 « Si le juste est fils de Dieu, alors celui-ci viendra à son secours… ») trouve un écho dans le récit de la passion, en particulier chez Mt 27, 43 : « Il a mis en Dieu sa confiance, que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime, car il a dit : "Je suis Fils de Dieu !" ». Dans le livre de la Sagesse, être fils de Dieu et « le juste » sont équivalents, ce qui aide à comprendre la confession du centurion (« fils de Dieu » chez Mc 15, 39 || Mt 27, 54) et « juste » en Lc 23, 47).

  2. Les parallèles à la Passion dans les Psaumes

    Plusieurs psaumes offrent des parallèles avec certains éléments du récit de la passion, mais ces éléments constituent des détails secondaires. De plus, en cherchant à étoffer la structure de base du récit de la passion, les premiers chrétiens n’ont pas fait une lecture verset par verset de quelque psaume que ce soit, comme on le voit dans les pesharim de Qumrân sur les psaumes.

    1. Les psaumes proposés comme parallèles (excepté le Ps 22) à la Passion

      Les parallèles sont parfois très généraux et très hypothétiques, mais quand ils sont hautement possibles et probables, ils sont soulignés en caractère gras.

      • Ps 2, 1-2 (LXX) : « D'où vient que les nations ont frémi et que les peuples ont médité de vains complots ? Les rois de la terre se sont levés, et les chefs se sont réunis ensemble (synagein) contre le Seigneur et contre son Christ ». Ce psaume est cité par Ac 4, 25-27 en référence au roi Hérode et le chef Pilate. C’est ainsi que Luc a introduit le personnage d’Hérode (Lc 23, 6-12). D’autres passages reprennent l’image de « se réunir ensemble » contre Jésus comme Mt 26, 3.57; 27, 17.62; Lc 22, 66).

      • Ps 18, 7 « De son temple, il a entendu ma voix ; le cri jeté vers lui est parvenu à ses oreilles » auquel le cri de Jésus et le déchirement du voile du temple en Mc 15, 37-38 ferait écho.

      • Ps 26, 6 et Ps 73, 13 sur le lavement des mains en signe d’innocence fournirait l’arrière-plan du geste de Pilate (Mt 27, 24).

      • Ps 27, 13 et Ps 35, 11 sur les faux témoins qui s’élèvent contre le juste reçoivent un écho avec les faux témoins contre Jésus (Mc 14, 57.39 || Mt 26, 59-60).

      • Ps 31, 6 « Dans ta main je remets mon esprit » fournit à Lc 23, 46 les derniers mots de Jésus.

      • Ps 31, 14 « pendant qu'ils se réunissaient (synagein) contre moi, ils ont tenu conseil (bouleuein) pour m'ôter la vie » voit son vocabulaire repris par Mt 26, 3-4 où on réunit contre Jésus et les chefs des prêtres et les anciens tiennent conseil.

      • Ps 31, 23 présente le juste qui crie vers le Seigneur comme Jésus en Mc 15, 37-38.

      • Ps 34, 21 « Il veille sur tous ses os, pas un seul ne s’est brisé » peut être considéré comme une source de Jn 19, 36.

      • Ps 35, 21 « La bouche grande ouverte contre moi, Ils disent : "Ah ! ah ! notre œil l’a vu" » pourrait être l’arrière-plan de la scène de moquerie de Mc 15, 29.

      • Ps 38, 12 « mes proches se tiennent à distance » pourraient être l’arrière-plan de la scène des femmes qui se tiennent à distance (Mc 15, 40-41 || Mt 27, 55 || Lc 23, 49).

      • Ps 39, 10 « J’ai fermé la bouche, je ne l’ouvrirai plus » pourrait être un parallèle de la scène où Jésus n’ouvre pas la bouche.

      • Ps 41, 7 présente un ennemi visant le juste sans être sincère, un comportement dont Judas serait un écho.

      • Ps 41, 10 « Même l’ami sur qui je comptais, et qui partageait mon pain, a levé le talon sur moi » est cité lors du dernier repas de Jésus en Jn 13, 18.

      • Ps 42, 2-3 « J’ai soif de Dieu, du Dieu vivant » est vu par certains biblistes comme l’arrière-plan de la parole de Jésus : « J’ai soif » (Jn 19, 28).

      • Ps 42, 6 « O mon âme, pourquoi es-tu triste, et pourquoi me troubles-tu (syntarassein)? » est repris à Gethsémani (Mc 14, 34 || Mt 26, 28) avec « mon âme est triste »; et Ps 42, 7 (« mon âme a été troublée ») serait repris par Jn 12, 27 (« mon âme est troublée »).

      • Ps 69, 4 « Je m’épuise à crier… à force d’attendre mon Dieu » serait repris par Mc 15, 34.37 (le grand cri de Jésus) et Jn 19, 28 (« J’ai soif »).

      • Ps 69, 22 « Et ils m'ont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif ils m'ont abreuvé de vin vinaigré (oxos) » est repris par Mt 27, 24.34 (d’abord du vin avec du fiel, puis ensuite du vin vinaigré); Mc 15, 36 || Lc 23, 36 y font également allusion.

      • Ps 109, 25 « Et moi, je suis devenu un opprobre pour mes ennemis ; ils m'ont vu, et ont secoué la tête » pourrait être l’arrière-plan des passants face à Jésus en Mc 15, 29 || Mt 27, 39.

      • Ps 110, 1 « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite » nous donne le contexte de l’avertissement de Jésus au grand-prêtre concernant le fils de l’homme (Mc 14, 62).

      • Ps 118, 22 « La pierre que les constructeurs avaient rejetée est devenue la pierre angulaire de l'édifice » reçoit un écho dans la première annonce de la passion (Mc 8, 31 || Lc 9, 22.

    2. Le Ps 22 et la Passion

      1. Structure du psaume

        Le psaume comprend deux parties : les lamentations d’un individu en 2-22 et l’action de grâce en 23-32. Dans la première partie, le psalmiste parle à la première personne : « Je ». Ce « je » disparait dans la deuxième partie alors que c’est toute la communauté qui loue le Seigneur. La transition entre les deux parties se fait dans le texte hébreu par la mention : « Tu m’as répondu ! ». Ainsi, l’action de grâce de la deuxième partie s’explique par le fait que Dieu est intervenu en faveur du suppliant.

      2. Origine du psaume

        Les premiers chrétiens ont vu ce psaume comme une prophétie de David sur le messie souffrant et l’ont mis dans la bouche de Jésus (Mc 15, 34 || Mt 27, 46). Même si cette vision a été dominante dans l’église pendant plusieurs siècles, certains ont fait remarquer que le v. 2 dans la traduction de la Septante ne pouvait s’appliquer au Christ : « la voix de mes péchés a fait fuir mon salut »; la référence aux péchés ne convenait pas à Jésus. Le Judaïsme du Moyen Âge y a vu la figure du peuple juif. Mais il est plus probable que le psaume provienne de l’expérience personnelle d’un individu, et si cet individu était de classe royale, il pouvait aussi représenter toute la communauté.

        Aujourd’hui, les biblistes croient que ce psaume a été composé dans la période postexilique, i.e. après l’an 538 av. JC, et peut-être dans un contexte liturgique, par le cercle des justes souffrants qui ont maintenu leur confiance en Dieu malgré la tribulation. Il ne peut s’agir d’une prophétie, car les verbes sont au présent. Le Dieu à qui s’adresse le psalmiste est celui qui trône au temple de Jérusalem et reçoit la louange de tout Israël. Le psaume porte les traces de l’influence du livre de Jérémie où le prophète est mis à part dès le sein maternel (Jr 1, 5) et où il soliloque sur ses souffrances (Jr 20), tout comme de l’influence du serviteur souffrant d’Isaïe 50 – 53.

      3. Portée du psaume

        Dans le Judaïsme préchrétien, on ne trouve aucune indication que ce psaume a été appliqué au messie. Un bel exemple est l’hymne 1QH 5 à Qumrân où l'hymne est attribué au Maître de justice, mais en incluant la peine et la foi de la communauté vivant les derniers temps. Les premiers chrétiens ont appliqué le Ps 22 à Jésus, tout comme ils l’ont fait pour la figure du serviteur souffrant d’Isaïe et celle de Jérémie. Cela était facilité par le fait que le psalmiste mettait de l’avant la thèse que le juste, qui a mis sa confiance en Dieu, même s’il souffre atrocement aux mains de ses adversaires au point de se sentir abandonné, verra l’intervention de Dieu pour le délivrer. Cette association était d’autant plus claire que le psalmiste ne demande pas le châtiment de ses adversaires. De plus, comme les premiers chrétiens croyaient que le psaume avait été composé par David, son application au fils de David allait de soi. Aussi, dès que la tradition a commencé de mettre les premiers mots du psaume dans la bouche de Jésus, il n’est pas surprenant qu’on ait utilisé le psaume pour fournir des détails au récit de la crucifixion.

      4. Les parallèles entre le Ps 22 et le récit de la passion

        Voici une liste de parallèles possibles. En caractère gras les allusions qui ont un plus haut degré de probabilité. Le texte du psaume est celui de la Septante.

        1. Ps 22, 2a « Ô Dieu, ô mon Dieu, reçois-moi ; pourquoi m'as-tu délaissé ? ». Mt 27, 46 est légèrement plus près de la version de la Septante que Mc 15, 34, mais aucun n’a l’expression soulignée, qui est absente de la version hébraïque.

        2. Ps 22, 3 « Ô mon Dieu, j’ai crié… la nuit, et il n’est pas de repos pour moi » qu’évoque peut-être l’obscurité de la 9e heure (Mc 15, 33-34 || Mt 27, 45-46 || Lc 23, 44.46).

        3. Ps 22, 7b « opprobre (oneidos) des hommes et mépris (exoudenēma) du peuple » reçoit un écho dans la moquerie des passants en Mc 15, 29.32b et Mt 27, 39.44; en Lc 23, 11 Hérode traite Jésus avec mépris.

        4. Ps 22, 8a « Tous ceux qui m'ont vu se sont moqués de moi » est probablement l’arrière-plan de Lc 23, 35a sur les moqueries des chefs à l’égard de Jésus.

        5. Ps 22, 8b « ils ont murmuré entre leurs lèvres, ils ont secoué la tête » renvoie peut-être à Mc 15, 29 || Mt 27, 39 où les passants hochent la tête.

        6. Ps 22, 9 « Il a mis son espoir en Dieu, que le Seigneur le sauve ; qu'il le délivre, puisqu'il se complaît en lui » reçoit un écho partiel en Mc 15, 30 || Mt 27, 40 || Lc 23, 39b (« sauve-toi toi-même »), mais un écho plus complet en Mt 27, 43 : « Il a mis en Dieu sa confiance, que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime ».

        7. Ps 22, 16b « ma langue s'est collée à mon palais » est peut-être l’arrière plan de Jn 19, 28 (« J’ai soif »).

        8. Ps 22, 17b « l’assemblée des méchants (ponēroumenoi) m'assiège » pourrait expliquer l’insistance sur la présence de deux malfaiteurs crucifiés avec Jésus (Mc 15, 27 || Mt 27, 38 || Lc 23, 33; voir Jn 20, 25.27).

        9. Ps 22, 17c « ils m'ont percé les pieds et les mains » explique peut-être la description de Jésus ressuscité de Lc 24, 39 (« Regardez mes mains et mes pieds »); voir aussi Jn 20, 25.27.

        10. Ps 22, 19 « Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont tiré mon habillement au sort » est derrière la description du partage des vêtements de Jésus chez les quatre évangélistes, et est cité tel quel par Jn 19, 24.

        11. Ps 22, 25c « parce qu'il m'a exaucé quand j'ai crié vers lui » explique peut-être la scène d’intervention de Dieu après le grand cri de Jésus alors que le voile du temple se déchire (Mc 15, 37-38 || Mt 27, 50-53).

        12. Ps, 28b « toutes les tribus des nations se prosterneront devant lui pour l'adorer » pourrait avoir influencé le récit de la réaction du centurion proclamant sa foi à la mort de Jésus (Mc 15, 39 || Mt 27, 54 || Lc 23, 47).

      5. Quelques remarques

        Faisons d’abord remarquer l’ordre des allusions au Ps 22 dans les évangiles ne correspondent pas à l’ordre des versets, et donc le récit de la passion n’a pu être créé à partir de ce psaume. Tout au plus, une fois créée la tradition de la passion, le psaume a permis

        • d’accentuer certains détails, comme la présence des malfaiteurs comme co-crucifiés, le percement des mains, le partage des vêtements
        • de dramatiser la scène des moqueries et de l’hostilité envers Jésus
        • de mettre en lumière le renversement de situation entre l’être abandonné à la mort et sa victoire subséquente.

        L’utilisation du Ps 22 varie selon les évangélistes. Les plus grands utilisateurs sont Marc et Matthieu, ce qui suggère que l’influence du Ps 22 était déjà présente dans le récit de la passion au moment où Marc écrit son évangile. Ce recours au psaume chez les premiers chrétiens visait à établir un lien entre ce qui est arrivé à Jésus et le plan de Dieu. Et tous les parallèles dans le psaume sont plausibles : les malfaiteurs condamnés au même moment, le partage des possessions du crucifié, les moqueries à l’égard des malfaiteurs. Mais on ne peut s’empêcher de noter que la plupart des parallèles concernent la première partie du Psaume 22 où l’accent est sur le sentiment d’abandon. Et Marc place la citation du début du psaume, le moment où la lamentation est la plus désespérée, comme dernière parole de Jésus; c’est un geste intentionnel. C’est en vain qu’on cherche une influence réelle du psaume dans les récits autour de la résurrection qui suivent, d’autant plus qu’il ne parle pas de la victoire de celui qui a souffert, mais plutôt l’insère dans une communauté liturgique qui loue Dieu.

        Luc est très différent de Marc dans l’utilisation des psaumes en général et du Ps 22 en particulier. Par exemple, son élimination de la référence à Ps 22, 2a (« pourquoi m’as-tu délaissé? ») est justifiée par sa christologie différente tout comme le fait d’avoir écarté la référence aux moqueries des passant (Ps 22, 7b) vient de son désir de donner un portrait favorable des Juifs, comme il l’a fait avec les bergers de son récit de l’enfance. Par contre, il accentue la raillerie des chefs (Ps 22, 8a). Sur les points où Luc n’a pas d’intérêt particulier, l’évangéliste se contente de copier Marc, comme pour les allusions à Ps 22, 3.9.17b.19. Quant à la référence à Ps 22, 17c (« ils m'ont percé les pieds et les mains »), elle sert son intention apologétique de la réalité du corps ressuscité devant des Grecs sceptiques.

        Chez Jean, seule la référence à Ps 22, 19 (« Ils se sont partagé mes vêtements… ») est claire. La différence par rapport aux Synoptiques s’explique par le fait qu’il se base sur une tradition de la passion indépendante qui fait appel à différents passages de l’AT que ceux utilisés par la tradition prémarcienne et marcienne.