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- Analyse de la structure du récit
Introduction : contexte
v.1 Nous sommes sur le bord du lac de Génésareth où Jésus prêche et où la foule se presse contre lui
Partie 1 : Prédication de Jésus à partir dune barque de pêcheurs
Jésus prend linitiative de changer son lieu de prédication en utilisant laide de pêcheurs
v.2 Jésus voit deux barques sur la rive
v.3 Jésus demande à Simon de séloigner pour pouvoir enseigner à partir dune barque
Partie 2 : Pêche extraordinaire et appel à devenir pêcheur dhommes
- Demande de Jésus à Simon daller pêcher
v.4 Jésus demande de séloigner en eau profonde pour jeter les filets.
- Objection humaine de Simon
v.5a La pêche précédente a été infructueuse
- Attitude de foi de Simon
v.5b Simon obéit à Jésus même si cela contredit son expérience
- Le résultat de laction des pêcheurs est extraordinaire
v.6 Les filets sont pleins au point de se déchirer
v.7 Les pêcheurs doivent collaborer pour rapporter tout le poisson
- Réaction des pêcheurs
v.8 Simon découvre loeuvre de Dieu et se reconnaît indigne
v.9-10a Les autres pêcheurs sont perplexes, en particulier Jacques et Jean
- Appel de Jésus
v.10b Simon est appelé à pêcher des hommes
- Réponse de quelques pêcheurs
v.11 Simon, Jacques et Jean abandonnent tout pour suivre Jésus
La structure du récit dévoile ceci :
- Il y a clairement deux parties dans le récit :
- Une prédication très fructueuse de Jésus au point où il doit trouver un nouveau lieu pour enseigner, i.e. lune des barques de pêcheurs
- Une pêche extraordinaire et inattendue de Simon et de ses compagnons, signe de laction missionnaire qui les attend
- Les deux parties sont très liées : dune part, la prédication fructueuse de Jésus donne un sens symbolique au récit de pêche qui suit, i.e. il sagit moins de poissons à ramasser que dêtres humains; et dautre part, la pêche miraculeuse illustre la force de la prédication de Jésus, qui deviendra par la suite une prédication sur Jésus.
- Deux genres littéraires se retrouvent partiellement combinés :
- Un récit de miracle dont on reconnaît une partie de la structure, sauf la demande exprimée par quelquun qui a un problème : attitude de foi, parole de Jésus, confirmation dun résultat extraordinaire et réaction de lauditoire.
- Un récit dappel à être disciple : appel de Jésus, réponse des gens qui laissent tout pour le suivre
- Analyse du contexte
- Début de lactivité missionnaire de Jésus en Galilée (4, 1-44)
- Après avoir été baptisé, Jésus subit les tentations du diable pendant 40 jours avant que ce dernier ne se retire (4, 1-13)
- Il se met à enseigner dans les synagogues de Galilée et sa réputation se répand (4, 14-15)
- Jésus enseigne à la synagogue de Nazareth un jour de sabbat et annonce que cest maintenant que se réalise la bonne nouvelle dIsaïe (4, 16-21)
- Réactions mitigées et même hostiles de lauditoire (4, 22-30)
- Jésus enseigne à la synagogue de Capharnaüm le jour du sabbat et chasse le démon dun homme, stupéfiant les gens par lautorité de sa parole (4, 31-37)
- Le même jour, Jésus se rend chez Simon et guérit sa belle-mère (4, 38-39)
- Au coucher du soleil Jésus guérit beaucoup de malade et expulse les démons, tout en les empêchant de dévoiler quil est le messie (4, 40-41)
- Le lendemain matin, Jésus refuse quon le retienne, car il doit annoncer la bonne nouvelle du Règne de Dieu aux autres villes, et part ainsi prêcher dans les synagogues de Judée (4, 42-44)
- Lappel des disciples, formation des Douze et justification par Jésus de ses gestes (5, 1 6, 16)
- Serré par la foule, Jésus séloigne pour prêcher, puis invite Simon et ses compagnons, dont Jacques et Jean, à une pêche extraordinaire, suscitant la stupéfaction et la foi, au point que ceux-ci décident de le suivre (5, 1-11)
- Jésus guérit un lépreux et les gens parlent de plus en plus de lui, mais lui se retire au désert pour prier (5, 12-16)
- Jésus guérit un homme paralysé en lui pardonnant ses péchés, ce qui suscite des réactions controversées, allant de la stupéfaction à des accusations de blasphème (5, 17-26)
- Jésus invite Lévi, un percepteur dimpôt, à le suivre et celui-ci obéit (5, 27-28)
- Jésus doit se justifier auprès des pharisiens et scribes scandalisés devant son geste daccepter de manger chez Lévi avec les percepteurs dimpôt, en disant que ce sont justement les malades qui ont besoin de médecin (5, 29-32)
- Jésus doit justifier le fait que ses disciples boivent et mangent et ne jeûnent pas comme bien dautres groupes, en disant que cest actuellement une période de noces (5, 33-35)
- Jésus justifie également son attitude en se présentant comme un nouveau vêtement ou un vin nouveau, impossible à harmoniser avec ce qui est ancien (5, 36-38)
- Jésus doit justifier devant les Pharisiens le geste de ses disciples denfreindre le sabbat alors quils arrachent et mangent des épis, en disant que David et lêtre humain nouveau sont maîtres de la loi, et non esclaves (6, 1-5)
- Jésus finalise sa liste des douze apôtres après avoir passé la nuit à prier dans la montagne (6, 12-16)
Lanalyse du contexte nous permet un certain nombre de considérations.
- Le récit de la pêche miraculeuse amorce une section où Jésus choisit ses disciples et qui se terminera avec la sélection des douze apôtres. Dans notre récit, il en choisit dabord trois : Simon, Jacques et Jean.
- Dans la section précédente, après avoir surmonté lobstacle du diable, Jésus commence sa mission denseignement, un enseignement plein dautorité au point de guérir et libérer les gens, ce qui provoque des réactions mitigées.
- Le récit de la pêche miraculeuse joue donc un peu le rôle de pivot entre les deux sections : dune part, elle reprend laction missionnaire de Jésus de la première section, qui est denseigner avec autorité, au point de rejoindre de grandes foules symbolisées par limmense quantité de poissons; dautre part, parmi les gens qui écoutent dans la foi il y a ceux qui acceptent de devenir ses disciples, dont les premiers sont Simon, Jacques et Jean.
- La deuxième section révèle un autre aspect de lenseignement de Jésus, sa nouveauté, ce qui provoque des controverses avec les Pharisiens en particuliers. La pêche miraculeuse lavait un peu annoncé puisquelle avait eu lieu de jour, et non pas la nuit, et avait provoqué des résultats inédits. Et par la suite, Jésus doit constamment justifier cette nouveauté (liberté par rapport au rituel du pardon, liberté par rapport au jeûne, aux lois juives et aux gens impurs), ce qui annonce les conflits à venir, et dune certaine façon, son procès et sa mort. Alors le fait même de se choisir des disciples prépare « laprès Jésus ».
- Lopposition à Jésus quon rencontre dans la première section (Et ils disaient: "Nest-il pas le fils de Joseph, celui-là?" 4, 22) saccentuera dans la deuxième section :
- Les scribes et les Pharisiens se mirent à penser: "Qui est-il celui-là, qui profère des blasphèmes? Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul?" (5,20);
- Les Pharisiens et leurs scribes murmuraient et disaient à ses disciples: "Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs?" (5,30);
- Les disciples de Jean jeûnent fréquemment et font des prières, ceux des Pharisiens pareillement, et les tiens mangent et boivent!" (5, 33);
- Mais quelques Pharisiens dirent: "Pourquoi faites-vous ce qui nest pas permis le jour du sabbat?" (6, 2)
- Mais eux (les scribes et les Pharisiens) furent remplis de rage, et ils se concertaient sur ce quils pourraient bien faire à Jésus (qui venait de guérir un jour de sabbat (6, 11)
Ce contexte met en relief la foi des disciples comme Simon, Jacques et Jean qui, contrairement aux scribes et aux Pharisiens, souvrent à ce mystère de nouveauté et sattachent à Jésus.
- Analyse des parallèles
La seule autre scène semblable à cette pêche miraculeuse se trouve chez Jean ch. 21, cet appendice à lévangile de Jean où la scène se passe après Pâques.
Nous avons souligné les mots ou parties de mot identiques. Les versets entre parenthèses carrées sont hors séquence pour fin de comparaison.
Luc 5 | Jean 21 |
1 Or il advint, comme la foule le serrait de près et écoutait la parole de Dieu, tandis que lui se tenait sur le bord du lac de Gennésaret, | 1 Après cela, Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade. Il se manifesta ainsi. |
2-4a qu’il vit deux barques arrêtées sur le bord du lac; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Il monta dans l’une des barques, qui était à Simon, et pria celui-ci de s’éloigner un peu de la terre; puis, s’étant assis, de la barque il enseignait les foules. Quand il eut cessé de parler, | 2-3a Simon-Pierre, Thomas, appelé Didyme, Nathanaël, de Cana en Galilée, les fils de Zébédée et deux autres de ses disciples se trouvaient ensemble. Simon-Pierre leur dit: "Je m’en vais pêcher." Ils lui dirent: "Nous venons nous aussi avec toi." Ils sortirent, montèrent dans la barque |
[5 Simon répondit: "Maître, nous avons peiné toute une nuit sans rien prendre, mais sur ta parole je vais lâcher les filets."] | 3b et, cette nuit-là, ils ne saisirent rien |
| 4 Or, le matin déjà venu, Jésus se tint sur le rivage; pourtant les disciples ne savaient pas que c’était Jésus. |
| 5 Jésus leur dit: "Les enfants, vous n’avez pas du poisson?" Ils lui répondirent: "Non!" |
[4b il dit à Simon: "Avance en eau profonde, et lâchez vos filets pour la pêche."] | 6a leur dit: "Jetez le filet à droite du bateau et vous trouverez." |
6 Et l’ayant fait, ils capturèrent une grande multitude de poissons, et leurs filets se rompaient. | 6b Ils le jetèrent donc et ils n’avaient plus la force de le tirer, à cause de la multitude de poissons. |
[8-10a 8 A cette vue, Simon-Pierre se jeta aux genoux de Jésus, en disant: "Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur!" La frayeur en effet l’avait envahi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause du coup de filet qu’ils venaient de faire; pareillement Jacques et Jean, fils de Zébédée, les compagnons de Simon.] | 7 Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre: "C’est le Seigneur!". A ces mots: "C’est le Seigneur!" Simon-Pierre mit son vêtement - car il était nu - et il se jeta à l’eau. |
7 Ils firent signe alors à leurs associés qui étaient dans l’autre barque de venir à leur aide. Ils vinrent, et l’on remplit les deux barques, au point qu’elles enfonçaient. | 8 Les autres disciples, qui n’étaient pas loin de la terre, mais à environ 200 coudées, vinrent avec la barque, traînant le filet de poissons. |
| 9 Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise, avec du poisson dessus, et du pain. |
| 10 Jésus leur dit: "Apportez de ces poissons que vous venez de prendre." |
| 11 Alors Simon-Pierre monta dans le bateau et tira à terre le filet, plein de gros poissons: cent cinquante-trois; et quoiqu’il y en eût tant, le filet ne se déchira pas. |
| 12 Jésus leur dit: "Venez déjeuner." Aucun des disciples n’osait lui demander: "Qui es-tu?" Sachant que c’était le Seigneur. |
| 13 Jésus vient, il prend le pain et il le leur donne; et de même le poisson. |
| 14 Ce fut là la troisième fois que Jésus se manifesta aux disciples, une fois ressuscité d’entre les morts. |
| 15 Quand ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon-Pierre: "Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci?" Il lui répondit: "Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime." Jésus lui dit: "Pais mes agneaux." |
| 16 Il lui dit à nouveau, une deuxième fois: "Simon, fils de Jean, m’aimes-tu" - "Oui, Seigneur, lui dit-il, tu sais que je t’aime." Jésus lui dit: "Pais mes brebis." |
10b Mais Jésus dit à Simon: "Sois sans crainte; désormais ce sont des hommes que tu prendras." | 17 Il lui dit pour la troisième fois: "Simon, fils de Jean, m’aimes-tu?" Pierre fut peiné de ce qu’il lui eût dit pour la troisième fois: "M’aimes-tu", et il lui dit: "Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime." Jésus lui dit: "Pais mes brebis. |
| 18 En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais; quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas." |
11 Et ramenant les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent. | 19 Il signifiait, en parlant ainsi, le genre de mort par lequel Pierre devait glorifier Dieu. Ayant dit cela, il lui dit: "Suis-moi." |
- Intention de l'auteur en écrivant ce passage
- Luc avait donc entre les mains un récit où Pierre est retourné à son métier de pêcheur après la mort de Jésus, mais connaît mystérieusement un jour une pêche extraordinaire après une nuit infructueuse, ce qui ouvre la porte à lexpérience de Jésus ressuscité et lamène à reprendre la route de la mission. De fait, dans la mesure où on peut reconstituer la suite des événements, il semblerait quà la suite de la mort de Jésus, le groupe immédiat des disciples soit retourné en Galilée pour reprendre leur travail et leur vie quotidienne. Sans quon puisse situer cet événement dans le temps et avoir quelque détail que ce soit, il semblerait que Pierre aurait été le premier à faire lexpérience de Jésus ressuscité. De cela, les plus anciens témoignages chrétiens en font écho (notons le nom pré-communauté chrétienne de Pierre) : "Cest bien vrai! le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon!" (Lc 24, 34); "quil (le Christ) est apparu (dabord) à Céphas, puis aux Douze" (1 C 15, 5). Ce récit avait une grande valeur, car il justifiait le rôle fondamental de Pierre et la place de la mission dans lÉglise.
- Comme Luc avait fait le choix littéraire de tout bloquer les récits liés à la résurrection de Jésus à Jérusalem et le jour même de Pâques, il lui fallait trouver un autre moment pour insérer ce récit qui se passe en Galilée. On peut alors comprendre quil linsère au début du ministère de Jésus en Galilée, ce qui résout le problème de la géographie. De plus, en linsérant tôt dans le ministère de Jésus, cela lui permet damorcer la séquence des appels à le suivre, en commençant par Simon-Pierre.
- En reprenant et modifiant le récit originale comme il le fait, Luc lui donne une couleur théologique qui lui est propre. Tout dabord, Luc donne une place centrale à la parole de Dieu, à lannonce joyeuse de la bonne nouvelle telle que prophétisée par le prophète Isaïe (voir Lc 4, 17-21 : les captifs sont délivrés, les aveugles voient, les opprimés sont libérés, tous vivent une année de grâce). Cest là un des fils conducteurs de son évangile (par exemple, voir la place donnée à Marie qui est à lécoute de la Parole par rapport à Marthe (Lc 10, 38-42) et dans les Actes (par exemple, les Apôtres nomment des diacres pour ne pas délaisser la Parole (Ac 6, 2-3). Aussi, notre récit commence avec Jésus qui prêche à la foule la parole de Dieu (v.1), et cette prédication se poursuit dans la barque de Pierre (v.3), une allusion à peine voilée à la prédication de lÉglise. Par la suite, la quantité de poissons ramassés par Pierre renvoie clairement aux résultats de cette prédication, puisque Jésus associera ces poissons aux hommes que Pierre réussira à rejoindre.
- De plus, comme nous lavons déjà dit, Luc utilise ce récit pour en faire le premier appel de Jésus pour que des gens deviennent des disciples. Mais il le fait de manière différente de Marc (et par ricochet de Matthieu). Chez Marc, lappel se passe comme ceci : Jésus vit Simon et André, le frère de Simon, qui jetaient lépervier dans la mer; car cétaient des pêcheurs. Et il leur dit: "Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs dhommes." (Mc 1, 16-17). Il sagit donc dun appel direct de Jésus, sans introduction. Pour Luc, lappel adressé à Simon se produit après avoir fait lexpérience du mystère de Pâque, de la force de Jésus ressuscité en quelque sorte, à travers labondance de poissons. Cela rejoint sa définition de lapôtre qui devient un témoin de Jésus ressuscité, layant rencontré dans une expérience unique.
- Enfin, Luc met dans la bouche de Pierre une expression caractéristique dun pur acte de foi : "Maître, nous avons peiné toute une nuit sans rien prendre, mais sur ta parole je vais lâcher les filets." « Sur ta parole » ne se retrouve pas dans la version de Jean du récit. Mais cest la façon de Luc de reprendre la même idée quon trouve chez Jean quand tous les disciples veulent quitter Jésus et que Simon-Pierre lui dit : "Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle." (Jean 6, 68) Dans le récit de Luc, cet acte de foi est le pivot du récit qui permet la suite des événements, la pêche miraculeuse et la réponse à lappel de Jésus.
- Luc sadresse à des chrétiens vers les années 80 ou 85, alors que les piliers quétaient Pierre, Paul ou Jacques sont déjà morts, mais que les communautés chrétiennes continuent à se répandre un peu partout dans lempire romain. Au début de son évangile adressé à Théophile (= ami de Dieu), soit un chrétien connu, soit un nom fictif représentatif de tous les chrétiens, Luc explique quil a écrit cet évangile « pour que tu te rendes bien compte de la sûreté des enseignements que tu as reçus. » Il vise donc des chrétiens convaincus dont il veut affermir la foi par une catéchèse solide. Que dit-il donc à Théophile avec ce récit de la pêche miraculeuse? Si tu es croyant aujourdhui, cest en raison de la fécondité extraordinaire de la prédication chrétienne, à limage de cette pêche miraculeuse, une prédication commencée avec Jésus par laquelle des gens se sentent guéris et libérés, une prédication poursuivie par des disciples que Jésus sest choisis, dont Simon Pierre, un pilier de la communauté parce que, même sil a été un homme pécheur qui a renié Jésus, il a posé ce geste de foi de mettre toute sa confiance en lui malgré lopposition autour de lui, et a accepté de le suivre. À toi de prendre maintenant la relève, si tu moins tu es prêt à montrer la même foi et à croire que Jésus ressuscité agira à travers toi.
- Quand on analyse ce que veut dire un auteur, je trouve important dexpliciter également lopposé, ce que le texte ne veut pas dire. Cela évite les contresens ou les dérives. Tout dabord, Luc nentend pas nous impressionner avec un nouveau tour de magie de Jésus. Si cétait le cas, nous ne nous retrouverions sans catéchèse : car que peut-on dire devant un tour de magie, sinon : « Ah! Ce quil est bon, lui! » Ensuite, Luc nentend pas jouer au journaliste dun journal local en décrivant le plus minutieusement possible tous les faits survenus au bord du lac un jour particulier de la semaine. Il nest pas au niveau des faits, mais au niveau du sens des choses et de la vie. Dailleurs, comme nous lavons vu plus haut, le récit originel quil reprend se situe dans un contexte postpascal, alors que Jésus nest plus de ce monde.
- Situations ou événements actuels dans lesquels on pourrait lire ce texte
Notre récit comprend plusieurs images qui se prêtent à une interprétation symbolique et peuvent être évocatrices de situations actuelles.
- La pêche et les filets qui débordent de poissons
- Pour des parents ou des grands parents, ce sont leurs enfants ou leurs petits enfants qui réussissent de manière surprenante à faire leur chemin dans la vie et à sépanouir.
- Pour des éducateurs, ce sont tous ces gens auxquels ils ont consacré dinnombrables heures et le résultat de leur travail les surprend
- Dans le monde du travail, lattitude de superviseurs ou gestionnaires qui vivent des valeurs profondément humaines et investissent dans leur personnel, se retrouvent avec des résultats incroyables.
- Comment voir autrement les résultats du travail dun Nelson Mandela qui, après 27 ans en prison, réussit sans coup de fusils à faire tomber le régime de lapartheid?
- Deux milles ans après la mort de Jésus, on retrouve ses disciples partout dans le monde, animés par la même passion pour la même bonne nouvelle
- Jésus enseigne de la barque
- Ce qui caractérise notre humanité, cest sa capacité de parler et de transmettre les leçons péniblement apprises. Il est vital pour des parents de parler à leurs enfants, pour des éducateurs de parler à leurs élèves, pour des hommes politiques de parler à leurs électeurs. Il nest par surprenant que Luc nous présente Jésus comme un maître qui enseigne constamment.
- Le message que nous transmettons par notre parole est à double tranchant : elle peut libérer comme elle peut détruire ou emprisonner. Quand on enseigne aux gens à réfléchir par eux-mêmes, à trouver des solutions à leurs problèmes, à avoir confiance en eux, à aller jusquau bout deux-mêmes, à ne pas avoir peur de lavenir ou de linconnu, on sait quon les libère. Quand on utilise la peur, les menaces, lautorité, la force ou la violence, comme font certaines sectes, on détruit les personnes, on en fait des esclaves.
- Jésus a enseigné dans les synagogues, puis dans notre récit sur la rive du lac, et ensuite dans une barque. Notre façon denseigner aujourdhui utilise divers media : les rencontres personnelles, la salle de classe, limprimé, la radio, la télévision, lInternet. Selon les circonstances, nous devons changer nos méthodes. Limportant est de sadapter à chaque fois aux circonstances pour mieux rejoindre les gens.
- La foule presse Jésus de toutes parts
- Les gens perçoivent bien si ce quon leur dit est pertinent. Quand on offre ce qui comble vraiment le besoin des gens, ceux-ci se mettre à notre recherche, nous collent les talons et en redemandent encore. Savons-nous repérer ces besoins? Savons-nous les combler? Quand des gens ne veulent plus rien savoir de lÉglise, est-ce simplement parce que leur foi sest refroidie, ou bien nenvoient-ils pas plutôt un message sur la pertinence de ce quelle enseigne?
- Lenseignement de Jésus a reçu des réactions mitigées : alors que certains le collaient et voulaient quil demeure avec eux, dautres ont été choqués au point de le rejeter. Peut-on transposer aujourdhui ces deux attitudes? Dans quelles circonstances? Prenons dabord ceux qui se pressaient contre lui : ils avaient besoin de guérison, ils avaient besoin dêtre libérés, ils avaient besoin quon reconnaisse leur valeur dans la société. Quelle parole et quel geste aujourdhui pourraient illuminer leur coeur? Cette parole ne serait-elle pas semblable à celle de lhomme de Nazareth? Passons maintenant à ceux qui étaient choqués par lenseignement de Jésus. Dans la séquence des scènes qui suivent la pêche miraculeuse, on note la stupéfaction et la colère des Pharisiens qui représentent beaucoup de gens parmi nous : comment peut-on passer par-dessus les égarements passés dune personne (pardon des péchés du paralysé)? Comment peut-on socialiser avec des gens non recommandables (Jésus est à table avec les percepteurs dimpôt)? Comment peut-on passer tout ce temps à boire et manger, et laisser de côté ces actions religieuses comme le jeûne (reproche des Pharisiens)? Comment peut-on ainsi prendre ses distances par rapport aux lois religieuses et ne pas les respecter, sous prétexte que la vie est plus importante (les disciples qui arrachent des épis le jour du sabbat)? Toutes ces attitudes se retrouvent dans le monde daujourdhui.
- Pierre pose un geste de foi : « Maître, après avoir peiné toute la nuit, nous navons rien pris. Mais sur ta parole, je vais jeter les filets. »
- Peiner toute une nuit de manière infructueuse pourrait représenter beaucoup de choses dans nos vies.
- Le sentiment de ne pas avoir réussi avec nos enfants
- Le sentiment dun éducateur après plusieurs années denseignement
- Le sentiment devant un conjoint ou un parent avec qui, malgré tant deffort, la communication ne peut être rétablie
- Le sentiment dun homme politique qui na pu mener à bien son projet politique
- Notre sentiment devant un combat personnel : dépression, alcoolisme, drogue, etc.
- Notre sentiment devant un projet personnel qui na pas réussi
- Le fait de dire à Jésus « sur ta parole, je vais agir, même si ça ne semble pas avoir de bons sens » est caractéristique dun acte de foi. Cela peut vouloir dire les choses suivantes :
- Sur ta parole, je vais laisser la porte ouverte à mon fils ou à ma fille, même si les ponts semblent coupés et que ce quil ou elle a fait est terrible, car je sais que ton Esprit travaille les coeurs
- Sur ta parole, je vais me remettre au travail même si les résultats sont jusquici ridicules, car je sais que je ne suis pas seul et que ce que je vois nest pas toute la réalité
- Sur ta parole, je vais me relever malgré mes échecs précédents, car tu as fait de Simon-Pierre, cet homme qui a eu peur et ta renié, un pilier de la foi pour une multitude, et tu es capable de faire la même chose avec moi
- Sur ta parole, je vais continuer mon combat pour la justice, léquité ou la paix, car je sais que ce nest pas seulement un combat personnel, mais je participe à un mouvement qui vient fondamentalement de toi
- Jésus dit alors à Simon : « Arrête davoir peur! Désormais, ce sont des hommes que tu prendras. »
- La peur est ce qui paralyse et nous empêche dagir : peur des autres, peur de leur jugement, peur de linconnu, peur de ne pas contrôler notre destin, peur de perdre nos possessions ou notre pouvoir ou notre réputation ou nos relations. Peur de se faire voler. Peur du terrorisme. Peur de perdre la vie. On ne peut agir sans maîtriser ses peurs. Cela valait pour Simon, ce pêcheur qui sest retrouvé par la suite responsable des jeunes communautés chrétiennes. Cela vaut pour nous aujourdhui.
- Quel est lantidote à la peur? La foi. Foi et peur sont antinomiques. Il ne sagit pas de la foi magique à la Ayrton Senna, ce coureur automobile, qui simaginait que rien ne lui arriverait, parce quil faisait régulièrement sa prière. On sait la suite : il est mort lors dune course automobile. Non. Il sagit de la foi à la manière de Jésus qui agissait avec passion, car il se savait constamment aimé par celui quil appelait Abba, papa, et que lamour quil partageait avec chacun y prenait sa source, parce quil savait quil participait à un mouvement plus grand que lui et quil appelait Règne de Dieu ou Monde de Dieu. Cela ne la pas empêché de vivre langoisse de Gethsémani, mais cette angoisse ne la pas paralysé et il est allé jusquau bout de lui-même. Voilà la foi qui nous permet dagir de la même façon aujourdhui.
- Ramenant leurs barques sur la rive et abandonnant tout, Simon, Jacques et Jean se mirent à le suivre.
- Ramener les barques, tout abandonner, cela signifiait pour Simon, Jacques et Jean de délaisser leur métier et leur source de revenu, de quitter un certain temps leur foyer ou leur vie de couple, pour suivre physiquement Jésus sur les routes de Palestine. Cela signifiait en quelque sorte une remise de leur destin entre les mains de ce leader quest Jésus. On pourrait identifier les actions équivalentes aujourdhui avec ces gens aujourdhui qui décident de suivre un leader, délaissant leur travail et leur milieu. Mais nous savons combien tout cela peut être ambigu, quand on pense aux ravages de certaines sectes. Quoi quil en soit, on ne peut faire de véritables options de vie sans laisser tomber un certain nombre de choses.
- Sans aller jusquà mentionner ces religieux qui deviennent des « suiveurs professionnels » de Jésus, on peut comprendre les événements suivants qui impliquent des choix obligeant à délaisser quelque chose. À noter que cette liste pourrait aller à linfini.
- Quitter une forme dindépendance pour former un couple et avoir des enfants
- Délaisser un travail pour un autre moins bien rémunéré parce quil rencontre mieux nos valeurs et nos priorités
- Accepter de donner du temps à former des hommes et des femmes, même si cela pourrait nuire à lavancement dune carrière
- Accepter un enfant difficile ou handicapé, même si cela rongera nos temps de loisir et de liberté
- Accepter daider financièrement des gens dans le besoin, même si cela aura un impact sur son train de vie et certains loisirs
- Accepter de soccuper dun parent comme aidant naturel, même si cela implique délaisser une carrière et ne plus avoir de temps libre
- Aller à létranger pour partager ses connaissances et son expertise et contribuer au progrès humain, même si cela implique délaisser un travail bien rémunéré ou une carrière prometteuse
- ...
- Jésus dit à Simon : « Éloigne-toi en eau profonde et jetez vos filets pour pêcher. »
- « Éloigne-toi », « eau profonde. » Il y a une exigence minimale pour souvrir aux résultats inattendus, celui de séloigner de son monde connu pour affronter ce qui peut faire peur, ce qui comporte des risques. Il y a des gens qui nacceptent pas de séloigner de qui leur est familier. Ces gens se condamnent à ne jamais se dépasser et écouter les appels de lEsprit. Seule la foi donne le courage de surmonter ses peurs et de répondre à lappel à une mission.
- Beaucoup de gens qui font partie des ONG se retrouveront dans cette phrase.
Plutôt que de partir de la richesse symbolique de notre récit, nous pouvons simplement partir de ce qui préoccupe nos pensées et chercher comment notre récit peut apporter son éclairage.
- Lecture récente dans le National Geographic Magazine sur Douglas Mawson et son exploit de survivre seul dans lAntarctique à la fin de 1912, en frôlant la mort de si près.
- Un beau-frère bipolaire et atteint du trouble de déficit de lattention / hyperactivité (TDAH) et la tension que cela introduit dans le couple.
- Un collègue qui doit sabsenter du travail, avec ses conséquences financières, car sa conjointe, qui attend des jumeaux après avoir donné naissance à trois autres enfants, a reçu lordre des médecins de ne plus faire aucun travail ménager en raison de complications et du danger de naissances trop prématurées.
- Des parents âgés qui demandent de plus en plus de soin et avec qui la communication est extrêmement décevante.
-André Gilbert, Gatineau, janvier 2013
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