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- Analyse verset par verset
v. 13 En effet, personne nest monté jusquau ciel, à lexception de celui qui en est descendu, le nouvel Adam.
Littéralement: Et personne nest monté au ciel si ce nest celui qui du ciel a été descendant, le fils de lhomme.
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Intuitivement, nous saisissons que le ciel désigne ici Dieu et que laction de monter au ciel et den descendre signifie le fait davoir accès à Dieu et à sa pensée et de pouvoir le partager avec lhumanité. Mais si nous voulons être plus précis, il nous faut retourner à lAncien Testament. Pour un Juif, la pensée de Dieu sest exprimée à travers la Loi :
Deutéronome 30, 11-14 : Car cette Loi que je te prescris aujourdhui nest pas au-delà de tes moyens ni hors de ton atteinte. Elle nest pas dans les cieux, quil te faille dire: "Qui montera pour nous aux cieux nous la chercher, que nous lentendions pour la mettre en pratique?" Elle nest pas au-delà des mers, quil te faille dire: "Qui ira pour nous au-delà des mers nous la chercher, que nous lentendions pour la mettre en pratique?" Car la parole est tout près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur pour que tu la mettes en pratique.
La tradition juive a toujours associé le don de cette Loi à Moïse :
Targum Néofiti sur Deutéronome 30, 11 : La Loi nest pas dans le ciel quil te faille dire : Puissions-nous avoir quelquun comme Moïse le prophète qui monte au ciel et nous lapporte.
Ainsi, Moïse a révélé là-haut sur la montagne de lHoreb la pensée de Dieu en donnant la Loi au peuple, et ainsi cette pensée nest plus inatteignable, puisquelle a été mise par écrit et donnée au peuple qui attendait au bas de la montagne. Jésus est donc présenté par lévangéliste comme le nouveau Moïse : il est descendu ciel pour transmettre la parole de Dieu.
Dans la tradition juive, la pensée de Dieu nest pas seulement exprimée sous le vocable de Loi, mais également de Sagesse qui provient également du ciel.
Baruch 3, 29-31 Qui monta au ciel pour la (Sagesse) saisir et la faire descendre des nuées? Qui passa la mer pour la découvrir et la rapporter au prix dun or très pur? Nul ne connaît sa voie, nul ne comprend son sentier.
Lévangéliste Jean présente Jésus comme lunique personne ayant accès à la Sagesse ou la Parole de Dieu, une parole qui apparaît déroutante (Nul ne connaît sa voie, nul ne comprend son sentier), ou pour reprendre ce quil avait dit au v. 8 : Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas doù il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de lEsprit.
Laction de monter au ciel et celui de descendre semblent se correspondre. Mais en fait dans les deux cas on ne parle pas de la même personne. Le sujet de laction de monter au ciel est lhumanité en général, ou plutôt personne parmi cette humanité en général. Par contre, une seule personne est descendue du ciel : Jésus. Cette descente du ciel renvoie au fait que Jésus est envoyé par Dieu, comme on le voit dans le discours sur le pain de vie : Je suis le pain descendu ciel (6, 41). Dieu a donné son fils au monde pour quil ait la sagesse et la vie. Lévangéliste place Jésus dans une catégorie unique.
Le nouvel Adam. Je traduis ainsi lexpression « fils de lhomme ». Voir lexplication que jen donne sur ma page des choix de traduction.
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v. 14 Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, de la même façon il est essentiel que le nouvel Adam soit élevé,
Littéralement : Et comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi être élevé (hypsōthēnai) il est nécessaire le fils de lhomme,
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comme Moïse a élevé le serpent dans le désert |
Encore une fois lévangéliste fait référence à lAncien Testament, et plus particulièrement à cet épisode du peuple juif au désert sous la conduite de Moïse (Nombres 21, 4-9) :
Ils partirent de Hor-la-Montagne par la route de la mer de Suph, pour contourner le pays dÉdom. En chemin, le peuple perdit patience. Il parla contre Dieu et contre Moïse : « Pourquoi nous avez-vous fait monter dÉgypte pour mourir en ce désert ? Car il ny a ni pain ni eau; nous sommes excédés de cette nourriture de famine. » Dieu envoya alors contre le peuple les serpents brûlants, dont la morsure fit périr beaucoup de monde en Israël. Le peuple vint dire à Moïse : « Nous avons péché en parlant contre Yahvé et contre toi. Intercède auprès de Yahvé pour quil éloigne de nous ces serpents . » Moïse intercéda pour le peuple et Yahvé lui répondit : « Façonne-toi un Brûlant que tu placeras sur un étendard . Quiconque aura été mordu et le regardera restera en vie. » Moïse façonna donc un serpent dairain quil plaça sur létendard , et si un homme était mordu par quelque serpent, il regardait le serpent dairain et restait en vie .
En résumé, le peuple subit la morsure mortelle des serpents au désert pour avoir péché en protestant contre la nourriture de famine, mais après lintercession de Moïse, cette morsure ne sera plus mortelle sil regarde le serpent dairain placé sur un étendard ou enseigne. Lintroduction de limage du serpent peut paraître étonnante : quest-ce que la mission de Jésus a à voir avec le serpent?
Pour comprendre comment les Juifs interprétaient cette scène des serpents brûlants du livre des Nombres, on peut se référer au Targum de Néofiti sur Nombres 21, 6 qui reflète probablement la tradition juive de lépoque néotestamentaire :
Venez, voyez, toutes les créatures, et venez, écoutez tous les fils de la chair! Autrefois, jai maudit le Serpent et lui ai dit : La poussière sera ta nourriture... Et mon peuple sest remis à murmurer devant moi au sujet de la manne qui serait un aliment trop maigre! Que vienne donc le Serpent qui na pas murmuré à cause de la nourriture... Cest pourquoi Yahvé lança contre le peuple les serpents brûlants; ils mordirent le peuple, et dIsraël un grand nombre de gens moururent. (cité par M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - Lévangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 319.)
La tradition juive fait donc un lien entre le serpent qui tenta Ève dans le livre de la Genèse (3) et les serpents issus du murmure des Juifs au désert : ils sont associés à la révolte contre Dieu. Dès le début de la création, cette révolte contre Dieu est apparue, et elle sest poursuivie au désert. Le philosophe juif Philon dAlexandrie (25 av 50 ap JC) reprend cette association dans Allégories des lois, 2, 79-81 en se tournant maintenant vers le serpent dairain :
Lorsquaura été fabriqué un autre serpent contraire à celui dÈve, le principe de la maîtrise de soi... Dieu ordonne à Moïse de construire le serpent de la maîtrise de soi; il dit : Fais-toi un serpent et mets-le sur un signal.... Quiconque sera mordu par un serpent, en le regardant, vivra. Cest très vrai : si lintellect, mordu par le plaisir, le serpent dÈve, a la force de voir dune vision spirituelle la beauté de la maîtrise de soi, le serpent de Moïse, et par elle Dieu lui-même, il vivra : que seulement il regarde et comprenne. (cité par M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - Lévangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 319.)
Influencé par la philosophie stoïcienne, Philon associe donc le serpent dairain à la maîtrise de soi, antidote à la recherche de plaisirs immodérés, comme on la vu chez Ève et les Juifs du désert. Les premiers chrétiens connaîtront cette association entre la Genèse et les serpents brûlants du désert, comme on le voit chez saint Justin (environ 100 165 ap. JC) dans son Dialogue avec Tryphon, 94, 3, lorsquil commente Nombres 21 :
Par là, comme je lai dit plus haut, il proclamait un mystère : il proclamait quil détruirait la puissance du Serpent qui avait provoqué la transgression dAdam; il proclamait le salut pour ceux qui croient en celui qui par ce signe, cest-à-dire par la croix, devait mourir des morsures du Serpent, à savoir les mauvaises actions, les idolâtries et autres injustices. Si vous ne lentendez pas ainsi, expliquez-moi pourquoi Moïse a dressé le serpent dairain sur un signe et a ordonné que ceux qui étaient mordus le regardent? Pourquoi ceux qui avaient été mordus se trouvaient-ils guéris, et comment, en donnant ces ordres, il nétablissait aucun symbole?
Mais ce quil y a de particulier chez Justin, cest bien sûr lidentification du signe quest le serpent dairain à la croix du Christ, comme la fait lévangéliste Jean. Mais cest aussi le fait dassocier le serpent à la puissance du mal, source de la transgression dAdam et de toutes les autres par la suite. Ainsi, la croix est présentée comme la destruction de cette puissance du mal pour tous ceux qui croient en elle. Cest en quelque sorte le rétablissement du paradis perdu et lapparition du nouvel Adam.
On pourrait se poser la question : linterprétation de Justin, qui voit dans le serpent dairain, symbole de la croix du Christ, une victoire sur les forces du mal, correspond-elle à la pensée de lévangéliste Jean dans le verset que nous analysons? Selon M.E. Boismard, ce v. 14 suivait à lorigine Jean 12, 31 (Cest maintenant le jugement de ce monde; maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors) et associait étroitement cette élévation en croix à la destruction du Prince de ce monde. Cest un travail de rédaction ultérieur qui a arraché des éléments du discours de Jésus au chapitre 12 pour lintégrer à la conversation avec Nicodème : le but de ce déplacement aurait été de créer un effet dinclusion entre les chapitres 3 et 12, deux cas de notables juifs qui nosent pas afficher publiquement leur foi en Jésus et dapostrophe de Jésus à légard de ceux qui ne croient pas (voir M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - Lévangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 319.).
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hypsōthēnai (être élevé) |
Lévangile selon Jean nutilise le verbe « élever » ( hypsoô) que pour désigner la croix. À part ce verset-ci, voici les autres usages :
8, 28 : Quand vous aurez élevé le Fils de lhomme (ou nouvel Adam), alors vous saurez que Je Suis et que je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père ma enseigné
12, 32 : et moi, une fois élevé de terre, jattirerai tous les hommes à moi
12, 34 : Comment peux-tu dire: Il faut que soit élevé le Fils de lhomme? Qui est ce Fils de lhomme?
Plutôt que de faire une allusion voilée à la croix, pourquoi lévangéliste na-t-il pas été explicite en disant : il est essentiel que le nouvel Adam soit crucifié, ou passe par la mort en croix? Il faut se rappeler que la mort en croix était un supplice atroce réservé aux esclaves criminels. Les premiers chrétiens et les évangélistes en particuliers ont vécu le scandale de ce type de mort et ont été très discrets à ce sujet dans leur prédication. Jean ne fait pas exception. Seul le chapitre 19 utilise les mots « croix » ou « crucifier », au moment où il est difficile de ne pas le mentionner lors de sa condamnation et du récit de sa mise en croix. Autrement, laccent est mis sur la résurrection. Cest un peu ce qui se passe ici avec le terme « élever » qui, tout en faisant allusion au bois de la croix, fait également référence à son élévation, i.e. à son retour vers Dieu. Jean utilisera également le terme « glorifier » (Voici venue lheure où doit être glorifié le Fils de lhomme Jn 12, 23) : laccent est sur le dénouement positif de la mission de Jésus, non sur la façon dont il est mort (voir sur le sujet Michel Gourgues, Le crucifié. Du scandale à lexaltation)
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v. 15 afin que, quiconque croit en lui, ait une vie sans fin.
Littéralement : afin que tout qui est croyant en lui ait une vie éternelle.
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v. 16 En effet, Dieu a aimé le monde de cette façon: il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne meure pas, mais ait une vie sans fin.
Littéralement : Car de cette façon a aimé (ēgapēsen) Dieu (theos) le monde, ainsi le fils unique engendré (monogenē) il a donné, afin que tout croyant (pisteuōn eis) en lui ne périsse pas (mē apolētai), mais ait la vie éternelle (allʼ echē zōēn aiōnion).
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La première difficulté de ce verset vient de lanthropomorphisme, i.e. comprendre Dieu dans nos catégories humaines, en particulier nos catégories biologiques où on procrée, où on engendre des mâles et des femelles. Dieu, appartenant à un monde à part qui nous est inaccessible, ne peut entrer dans nos catégories humaines. Pourtant, lévangéliste emploie la catégorie de fils, dont le parent est Dieu, quon ne peut ranger ici soit dans la catégorie mâle ou femelle. Pourquoi ces catégories? Probablement, au point de départ, il y a le fait que Jésus de Nazareth était un homme, et donc on doit parler de fils, et non de fille. Nos connaissances historiques nous amènent à affirmer que Jésus a eu des frères et des soeurs, et donc quil nétait pas fils unique (voir Meier). Si lévangéliste parle néanmoins de fils unique, cest quil ne se situe pas sur le plan biologique ou historique, mais sur le plan théologique : Jésus représente une réalité unique par rapport à Dieu.
La deuxième difficulté vient du poids donné à lacte de croire : cest une question de vie et de mort; celui qui ne croit pas mourra ou périra, mais celui qui croit connaître une vie éternelle ou sans fin. Quest-ce exactement que croire? Pourquoi croire ou ne pas croire est une question de vie ou de mort? De quelle vie parle-t-on? De quelle mort parle-t-on? En partant, je rejette lidée simpliste de certains chrétiens que celui qui est baptisé et affirme croire en Jésus fils de Dieu va au ciel, donc a la vie éternelle, et que celui qui ne peut faire la même affirmation se retrouve en enfer, et donc meurt. Quand il sagit dune question de vie ou de mort, on ne peut réduire lenjeu au simple fait dêtre comme un membre en règle du parti, comme si Dieu était un chef de parti autoritaire et implacable.
Intéressons-nous à la notion de Dieu chez Jean, appelé aussi Père, tout dabord aux actions qui lui sont attribuées :
- Parut un homme envoyé de Dieu. Son nom était Jean (1, 6)
- lui (Verbe) qui ne fut engendré ni du sang, ni dun vouloir de chair, ni dun vouloir dhomme, mais de Dieu (1, 13)
- Car Dieu a tant aimé le monde quil a donné son Fils unique (3, 16)
- Le Père aime le Fils et a tout remis dans sa main (3, 35)
- Mon Père est à loeuvre jusquà présent (5, 17)
- Car le Père aime le Fils, et lui montre tout ce quil fait; et il lui montrera des oeuvres plus grandes que celles-ci, à vous en stupéfier (5, 20)
- Car le Père ne juge personne; il a donné au Fils le jugement tout entier (5, 22)
- de même a-t-il (Père) donné au Fils davoir aussi la vie en lui-même (5, 26)
- les oeuvres que le Père ma donné à mener à bonne fin, ces oeuvres mêmes que je fais me rendent témoignage que le Père menvoie (5, 36)
- car cest lui (Fils de lhomme) que le Père, Dieu, a marqué de son sceau (6, 27)
- ce nest pas Moïse qui vous a donné le pain qui vient du ciel; mais cest mon Père qui vous le donne, le pain qui vient du ciel, le vrai (6, 32)
- Tout ce que me donne le Père viendra à moi (6, 37)
- Nul ne peut venir à moi si le Père qui ma envoyé ne lattire (6, 44)
- le Père, qui est vivant, ma envoyé (6, 57)
- nul ne peut venir à moi, si cela ne lui est donné par le Père (6, 65)
- le Père qui ma envoyé (8, 18)
- je dis ce que le Père ma enseigné (8, 28)
- cest mon Père qui me glorifie (8, 54)
- Nous savons, nous, que Dieu a parlé à Moïse (9, 29)
- si quelquun est religieux et fait sa volonté, celui-là il (Dieu) lécoute (9, 31)
- Mon Père, quant à ce quil ma donné, est plus grand que tous (10, 29)
- Je vous ai montré quantité de bonnes oeuvres, venant du Père (10, 32)
- celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde (10, 36)
- je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te laccordera (11, 22)
- mais le Père qui ma envoyé ma lui-même commandé ce que javais à dire et à faire connaître (12, 49)
- Ainsi donc ce que je dis, tel que le Père me la dit je le dis. (12, 50)
- sachant que le Père lui avait tout remis entre les mains (13, 3)
- Dieu aussi le glorifiera en lui-même et cest aussitôt quil le glorifiera (13, 32)
- mais le Père demeurant en moi fait ses oeuvres (14, 10)
- et il vous donnera un autre Paraclet (14, 16)
- et la parole que vous entendez nest pas de moi, mais du Père qui ma envoyé (14, 24)
- Mais le Paraclet, lEsprit Saint, que le Père enverra en mon nom (14, 26)
- afin que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne (15, 16)
- ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom. (16, 23)
- tu (Père) mas envoyé (17, 21)
- Père, ceux que tu mas donnés (17, 24)
- La coupe que ma donnée le Père, ne la boirai-je pas? (18, 11)
- Comme le Père ma envoyé (20, 21)
Pour tout résumer, le mot qui revient le plus souvent pour décrire laction de Dieu-Père est celui de « donner » :
- Il donne son fils, exprimé parfois avec le terme « envoyer »
- Il donne le Paraclet, lEsprit Saint, exprimé parfois également avec le terme « envoyer »
- Il donne à son fils des pouvoirs, comme celui davoir la vie en lui-même, de juger, et même, il lui donne tout (3, 35; 13, 3)
- Il donne à Jésus des croyants, exprimé parfois sous le terme « attirer »
- Il donne le pain venu du ciel
- Il donne ce quon demande dans la prière
- Il donne à Jésus les oeuvres quil doit mener à bonne fin
- Il donne à Jésus la coupe quil doit boire
Bref, Dieu-Père est la source de tout, il est la source de ce quest Jésus, il est la source de lEsprit, il est la source de la mission de Jésus, il est la source de ce que le croyant reçoit.
Cette idée est exprimée par un certain nombre dautres verbes :
- Il engendre le Verbe quest Jésus
- Il enseigne à Jésus ce quil doit dire et doit faire, tout comme il a parlé à Moïse
- Il commande à Jésus ce quil doit dire et faire
- Ainsi, en Jésus, cest lui qui accomplit ses oeuvres
- Et il révèle la grandeur de lêtre de Jésus en le marquant de son sceau et en le glorifiant
- Enfin, cest lui qui a envoyé Jean Baptiste pour rendre témoignage à Jésus
Tout ce quest Jésus, ce quil dit et ce quil fait, vient de Dieu-Père. On comprend alors que lévangéliste mette dans la bouche de Jésus : « Le Père et moi sommes uns ». On peut désormais comprendre que, par la suite, on dira de Jésus quil est limage parfaite de Dieu : « Qui ma vu, a vu le Père ». La notion corollaire, cest que Dieu nagit, ne parle et ne se rend visible quà travers Jésus, ou à travers ses envoyés.
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ēgapēsen ho theos (a aimé le Dieu) |
Jetons un coup doeil sur la façon dont Jean présente lamour de Dieu, en plus de ce qui est dit ici.
- Le Père aime le Fils et a tout remis dans sa main (3, 35)
- cest pour cela que le Père maime, parce que je donne ma vie, pour la reprendre (9, 35)
- Celui qui a mes commandements et qui les garde, cest celui-là qui maime; or celui qui maime sera aimé de mon Père; et je laimerai et je me manifesterai à lui (14, 21)
- Si quelquun maime, il gardera ma parole, et mon Père laimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui (14, 23)
- Comme le Père ma aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour (15, 9)
- moi en eux et toi en moi, afin quils soient parfaits dans lunité, et que le monde reconnaisse que tu mas envoyé et que tu les as aimés comme tu mas aimé (17, 23)
- Père, ceux que tu mas donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin quils contemplent ma gloire, que tu mas donnée parce que tu mas aimé avant la fondation du monde (17, 24)
- Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître, pour que lamour dont tu mas aimé soit en eux et moi en eux (17, 26)
Résumons les caractéristiques de lamour de Dieu.
- Tout dabord, cet amour semble avoir des conditions : Dieu aime Jésus parce quil donne sa vie, Dieu aime les gens qui aiment Jésus et qui garde sa parole et ses commandements, Dieu ne peut manifester son amour que si Jésus le fait connaître.
- Ensuite, le fait pour Dieu daimer Jésus signifie quil lui remet tout en sa main, quil lui donne la gloire avant même la fondation du monde; cet amour implique donc une action transformatrice.
- Mais il y a encore plus. Lamour semble une réalité en soi, un état de lêtre : lamour vient habiter la personne comme si cétait une réalité indépendante qui se transmet; il a été transmis à Jésus qui à son tour en devient le véhicule pour nous. Et le fait dêtre dans cet état permet de saisir la qualité dêtre de Jésus, appelée ici « gloire », il permet aussi de vivre une unité parfaite avec Dieu et avec Jésus : fondamentalement, lamour nous met au même diapason que Dieu et Jésus, et nous rend capable de les connaître vraiment.
- Enfin, il semble que lamour est comme le feu quil faut maintenir, doù linvitation : demeurez en mon amour.
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monogenē (unique engendré) |
Lexpression « unique engendré » appliquée à Jésus est unique à la tradition johannique :
- Jean 1, 14 : Et le Verbe sest fait chair et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa gloire, gloire quil tient de son Père comme fils unique, plein de grâce et de vérité.
- Jean 1, 18 : Nul na jamais vu Dieu; le fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, la fait connaître.
- Jean 3, 16 : En effet, Dieu a aimé le monde de cette façon: il a donné son fils unique
- Jean 3, 18 : Mais celui qui ne croit pas en lui sest condamné lui-même, car il na pas mis sa confiance dans la personne du fils unique de Dieu
- 1 Jean 4, 9 : En ceci sest manifesté lamour de Dieu pour nous: Dieu a envoyé son fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui.
Dans le nouveau testament, le mot monogenēs est toujours lattribut du mot fils ou fille. Dans lépître aux Hébreux (11, 17), ce fils est Isaac quAbraham sapprêtait à sacrifier, chez Luc il sagit soit du fils unique de la veuve de Naïn (7, 72), soit de la fille unique de Jaïre (8, 42), soit de lunique enfant dun homme priant Jésus de le guérir de son épilepsie. Parler denfant unique accentue son importance aux yeux des parents. Mais dans la tradition johannique, lexpression désigne uniquement Jésus dans sa relation à Dieu. Quest-ce à dire? Si le mot prend racine dans le monde biologique de la procréation, Jean nous oblige à effectuer un saut dans les connotations analogiques du mot pour nous situer à un autre niveau. Quel est ce niveau?
Lévangéliste prend soin de dire que nous ne sommes plus au niveau biologique : « lui qui ne fut engendré ni du sang, ni dun vouloir de chair, ni dun vouloir dhomme, mais de Dieu » (1, 13). Il fait allusion à ce niveau en parlant de gloire, de grâce et de vérité : « gloire (doxa) quil tient de son Père comme fils unique, plein de grâce (charis) et de vérité (alētheia) » (1, 14). Le terme doxa reprend lhébreu kabôd qui signifie: avoir du poids, i.e. être très important et imposer le respect, et donc renvoie à la qualité dêtre de la personne. Nous sommes devant quelquun dont la qualité dêtre est unique. Cette qualité dêtre est un don, une grâce (charis), une faveur. Lautre attribut est dêtre plein de vérité (alētheia). Le mot vérité joue un rôle unique dans la tradition johannique. Sa principale caractéristique est dêtre associée à la connaissance de Dieu, i.e. au rôle de Jésus comme Verbe ou parole, qui transmet cette connaissance :
- Jean 8, 31-32 : Jésus dit alors aux Juifs qui lavaient cru: "Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera
- Jean 14, 5-6 : Thomas lui dit: "Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment saurions-nous le chemin?" Jésus lui dit: "Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi
- Jean 16, 13 : Mais quand il viendra, lui, lEsprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce quil entendra, il le dira et il vous dévoilera les choses à venir
- Jean 17, 17 : Sanctifie-les dans la vérité: ta parole est vérité
- Jean 18, 37 : Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix
Cette connaissance napparaît pas comme une connaissance théorique, car elle un chemin et elle libère. Elle semble liée à la qualité dêtre, car les gens qui ont cette qualité écoutent Jésus. Cette vérité est dynamique, car lEsprit de vérité complètera ce qui manque encore et « introduira dans la vérité tout entière ». Finalement, cette vérité est associée à Dieu lui-même, car Jésus a été envoyé pour rendre témoignage à la vérité, qui est en fait Dieu. On comprend maintenant le sens de « fils unique » : il est le seul à avoir accès à lêtre de Dieu, et il est le seul à pouvoir nous en parler, et cette connaissance est libératrice et nous ouvre le chemin vers Dieu (1, 18 : Nul na jamais vu Dieu; le fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, la fait connaître).
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pisteuōn eis (croyant) |
Nul autre que Jean na parlé autant de limportance vitale de croire. Cest dailleurs ainsi que se termine son évangile : « Ceux-là (les signes) ont été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour quen croyant vous ayez la vie en son nom » (20, 31). Examinons certaines caractéristiques de lacte de croire. Quel est lobjet ou le contenu de cette foi?
- 5, 38 : et sa parole, vous ne lavez pas à demeure en vous, puisque vous ne croyez pas celui quil a envoyé
- 5, 47 : Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles?
- 8, 24 : Je vous ai donc dit que vous mourrez dans vos péchés. Car si vous ne croyez pas que Je Suis, vous mourrez dans vos péchés
- 10, 38 : mais si je les (oeuvres) fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces oeuvres, afin de reconnaître une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père.
- 12, 44 : Jésus a dit, il la clamé: "Qui croit en moi, ce nest pas en moi quil croit, mais en celui qui ma envoyé
- 14, 10 : Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même: mais le Père demeurant en moi fait ses oeuvres
- 20, 31 : Ceux-là (les signes) ont été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour quen croyant vous ayez la vie en son nom
Croire, cest accueillir les paroles de Jésus, cest reconnaître que ce quil fait reflète laction de Dieu, et donc que Jésus est lenvoyé de Dieu, son messie et son fils. Mais ultimement, croire cest accepter de dire que Jésus vit une telle intimité avec Dieu (le Père est en moi et moi dans le Père) quil peut porter le même titre quon attribue à Dieu dans la Bible : Je Suis.
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mē apolētai allʼ echē zōēn aiōnion (ne périsse pas mais ait la vie éternelle) |
Lantithèse mort/vie apparaît souvent chez Jean. Nous savons que le verbe mourir ou périr nest pas à prendre au sens physique, i.e. la mort naturelle, mais au sens spirituel. Essayons de préciser ce sens en considérant quelques passages :
- 6, 39 : Or cest la volonté de celui qui ma envoyé que je ne perde (apollymi) rien de tout ce quil ma donné, mais que je le ressuscite (anistēmi) au dernier jour
- 10, 10 : Le voleur ne vient que pour voler, égorger et faire périr (apollymi). Moi, je suis venu pour quon ait la vie (zōē) et quon lait surabondante
- 10, 28 : je leur (mes brebis) donne la vie éternelle (zōēn aiōnion); elles ne périront (apollymi) jamais et nul ne les arrachera de ma main
- 12, 25 : Qui aime sa vie la perd (apollymi); et qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle (zōēn aiōnion)
- 17, 12 : Quand jétais avec eux, je les gardais dans ton nom que tu mas donné. Jai veillé et aucun deux ne sest perdu (apollymi), sauf le fils de perdition, afin que lÉcriture fût accomplie
Ces quelques passages précisent le sens de mourir/périr par contraste : il le contraire de ressusciter, le contraire de la vie en surabondance, le contraire de la vie éternelle. Et on donne un exemple de quelquun qui a péri : Judas. La question alors se pose : sagit-il dune réalité après la mort physique, i.e. en plus de la mort physique, certains ne ressusciteront pas et donc connaîtraient une mort spirituelle? Par contraste, dautres ressusciteraient et auraient une vie en surabondance, une vie éternelle et sans fin. Examinons ce que Jean entend par « vie ». Comme les références sont trop nombreuses, nous nen prendrons quun échantillon représentatif. Remarquons en particulier le temps des verbes.
- 1, 4 : (Au commencement...) Ce qui fut en lui (Verbe) était la vie, et la vie était la lumière des hommes
- 3, 36 Qui croit au Fils a la vie éternelle; qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie; mais la colère de Dieu demeure sur lui
- 4, 14 mais qui boira de leau que je lui donnerai naura plus jamais soif; leau que je lui donnerai deviendra en lui source deau jaillissant en vie éternelle
- 5, 24 : En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui ma envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie.
- 5, 25 : En vérité, en vérité, je vous le dis, lheure vient - et cest maintenant - où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui lauront entendue vivront.
- 5, 26 : Comme le Père en effet a la vie en lui-même, de même a-t-il donné au Fils davoir aussi la vie en lui-même
- 5, 28-29 : Nen soyez pas étonnés, car elle vient, lheure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et sortiront: ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement
- 6, 27 : Travaillez non pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure en vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de lhomme, car cest lui que le Père, Dieu, a marqué de son sceau
- 6, 33 : car le pain de Dieu, cest celui qui descend du ciel et donne la vie au monde
- 6, 40 : Oui, telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour
- 6, 47 : En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit a la vie éternelle
- 6, 54 : Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour
- 8, 12 : De nouveau Jésus leur adressa la parole et dit: "Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie
- 10, 28 : je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais et nul ne les arrachera de ma main
- 14, 6 : Jésus lui dit: "Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie
- 17, 1-2 : Ainsi parla Jésus, et levant les yeux au ciel, il dit: "Père, lheure est venue: glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie et que, selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute chair, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés!
- 17, 3 : Or, la vie éternelle, cest quils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.
- 1 Jean 1, 2 : car la Vie sest manifestée: nous lavons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue
- 1 Jean 2, 24-25 : Pour vous, que ce que vous avez entendu dès le début demeure en vous. Si en vous demeure ce que vous avez entendu dès le début, vous aussi, vous demeurerez dans le Fils et dans le Père. Or telle est la promesse que lui-même vous a faite: la vie éternelle.
- 1 Jean 3, 14 : Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui naime pas demeure dans la mort
- 1 Jean 5, 12 : Qui a le Fils a la vie; qui na pas le Fils na pas la vie
On peut regrouper les passages sur la vie en trois catégories.
- La vie est la réalité même de Dieu, en quelque sorte sa substance (texte a). En partageant lêtre de Dieu, Jésus voit son être défini aussi par la vie (texte f). Mais ce quil y a de spécifique dans cette vie quest Jésus, est quelle permet au monde de trouver tout son sens, et donc elle est sa lumière (textes a et o). Et ceux qui accueillent cette lumière sont par la suite en mesure de témoigner que Jésus est la vie même de Dieu, la vie même du Père, et donc une vie éternelle qui ne peut pas disparaître (texte r).
- La vie est une réalité future. Cest en pointant vers lavenir que Jésus dit à la Samaritaine : « leau que je lui donnerai deviendra en lui source deau jaillissant en vie éternelle » (texte c); la vie éternelle existe, mais pas pour tout de suite (voir aussi texte h). Cette vie ne semble offerte que par delà la mort, puisquil parle des morts qui « entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui lauront entendue vivront » (texte e). Pour être plus explicite, cette vie éternelle future est liée à une résurrection des morts (textes e, g, j, l).
- La vie est une réalité présente : « Qui croit au Fils a la vie éternelle » (texte b). Puisque la vie est lêtre même de Dieu, accueillir la parole de Dieu en Jésus est léquivalent daccueillir la vie, si bien que le croyant est déjà passé de la mort à la vie (texte d; voir aussi k, s, t, u). La même chose est dite de celui qui accueille le pain de vie (textes i et l).
- Et pour compliquer le tout, il y a des phrases hybrides, i.e. qui font référence en même temps à un présent et à un futur. Un exemple typique : « je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais et nul ne les arrachera de ma main » (texte n); la phrase commence par un présent (donne) et se termine par des futurs (périront, arrachera). Il y a donc un « déjà » et un « pas encore » (voir aussi les textes b, j, l).
Comment démêler tout cela? Puisque Jésus partage la vie même de Dieu, accueillir sa parole dans la foi et sattacher à sa personne permet à cette vie de prendre racine en nous, et par là dorienter notre être pour quil prenne le même chemin, quil traverse la mort physique de la même façon et ressuscite à une réalité nouvelle de la même façon. Il y a même plus. Cette résurrection finale semble survenir maintenant, et nest plus repoussée à la fin des temps : « En vérité, en vérité, je vous le dis, lheure vient - et cest maintenant - où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui lauront entendue vivront » (texte e). Ce maintenant est lié à la mort/résurrection de Jésus.
Dans cette séquence qui va de la foi à la résurrection des morts, on saisit le rôle fondamental du point de départ : la foi. Cest lune des clés pour comprendre cette phrase énigmatique : « Or, la vie éternelle, cest quils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (texte q); en Jésus on découvre qui est Dieu, et en découvrant qui est Dieu, on découvre le chemin qui conduit à la vie, puisque Dieu est vie. On comprend maintenant mieux la finale de lévangile : « et pour quen croyant vous ayez la vie en son nom » (20, 31).
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v. 17 Car Dieu na pas envoyé son fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit libéré par lui.
Littéralement : Car na pas envoyé (apesteilen) Dieu le fils dans le monde (kosmon) afin quil juge (krinē) le monde, mais afin que soit sauvé (sōthē) le monde par lui.
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apesteilen (il a envoyé) |
Cette formule où Dieu envoie quelquun se retrouve fréquemment dans lAncien Testament. Elle décrit la conviction quun homme a été choisi par Dieu pour accomplir une mission, habituellement un prophète.
- Isaïe 61, 1 : Lesprit du Seigneur Yahvé est sur moi, car Yahvé ma donné lonction; il ma envoyé (apostellō) porter la nouvelle aux pauvres, panser les coeurs meurtris, annoncer aux captifs la libération et aux prisonniers la délivrance
- Exode 5, 22 : Moïse retourna vers Yahvé et lui dit: "Seigneur, pourquoi maltraites-tu ce peuple? Pourquoi mas-tu envoyé (apostellō)? "
- Genèse 45, 8 : (Cest Joseph qui parle) Ainsi, ce nest pas vous qui mavez envoyé (apostellō) ici, cest Dieu, et il ma établi comme père pour Pharaon, comme maître sur toute sa maison, comme gouverneur dans tout le pays dÉgypte
Jésus est présenté comme quelquun qui a avait une mission à remplir. Le terme « envoyé » est utilisé de manière synonyme à celui de « donner » au verset précédent. Le mot « donner » prend tout son sens quand laccent est sur le fait que Jésus est le fils unique de Dieu, tandis que le mot « envoyé » prend tous son sens quand laccent est sur la mission.
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kosmon (monde) |
Dans le quatrième évangile, le terme revêt plusieurs sens.
- Cest dabord le lieu où vivent les hommes et où se joue le drame humain. Il est donc normal que lintervention de Dieu se situe dans ce contexte : « Il venait dans le monde » (Jn 1, 9; voir 33, 19; 11, 27; 12, 46).
- Et si Dieu intervient, cest parce quil aime lhumanité (Jn 3, 16), et il enverra ses disciples dans le monde (Jn 17, 18) afin que tous soient un (Jn 17, 21) et quils sachent quils sont aimé comme Jésus est aimé de son Père (Jn 17, 23).
- Mais par contre, dautres passages de lévangile représentent le monde comme une force mauvaise qui soppose à Jésus : le monde na pas reconnu lenvoyé de Dieu (Jn 1, 10), le monde hait Jésus parce quil témoigne que ses oeuvres que sont mauvaises (Jn 7, 7), le monde ne reconnait pas et ne reçoit pas lEsprit de Vérité (Jn 14, 17), le monde hait non seulement Jésus, mais également ses disciples (Jn 15, 18), ce monde est dominé par un Prince (Jn 16, 11).
Ainsi, le terme « monde » a de multiples sens selon le contexte, désignant tantôt le milieu où sexerce la mission de Jésus, tantôt la réalité quil veut illuminer et transformer au point de lassocier à son intimité avec Dieu, tantôt le groupe des gens qui refusent sa parole et la prennent en haine.
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krinē (il juge) |
Le verbe grec krinō signifie dabord séparer, distinguer, ordonner, discerner (le bien et le mal), doù juger, prendre une décision, aller en justice, accuser, condamner. Et son substantif krisis signifie un jugement, une sentence, une décision, une accusation, un procès. Il existe un autre substantif apparenté, krima, qui signifie un jugement, un verdict, une poursuite, une condamnation. Pour comprendre et bien interpréter ces mots dans lévangile de Jean, il faut se rappeler que tout lévangile constitue un immense procès. Considérons une liste de textes (selon la Bible de Jérusalem).
- Jean 3, 19 : Et tel est le jugement (krisis) : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, car leurs oeuvres étaient mauvaises.
- Jean 5, 22 : Car le Père ne juge (krinō) personne; il a donné au Fils le jugement (krisis) tout entier
- Jean 5, 24 : Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui ma envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement (krisis), mais il est passé de la mort à la vie
- Jean 5, 27 : et il lui a donné pouvoir dexercer le jugement (krisis) parce quil est Fils dhomme.
- Jean 5, 29 : (lheure vient où les morts sortiront de leurs tombeaux) ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement (krisis)
- Jean 5, 30 : Je juge (krinō) selon ce que jentends : et mon jugement (krisis) est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui ma envoyé
- Jean 8, 15 : Vous, vous jugez (krinō) selon la chair; moi, je ne juge (krinō) personne;
- Jean 8, 16 : et sil marrive de juger (krinō), moi, mon jugement (krisis) est selon la vérité, parce que je ne suis pas seul; mais il y a moi et celui qui ma envoyé;
- Jean 8, 26 : Jai sur vous beaucoup à dire et à juger (krinō); mais celui qui ma envoyé est véridique et je dis au monde ce que jai entendu de lui. »
- Jean 9, 39 : Jésus dit alors : « Cest pour un discernement (krima) que je suis venu en ce monde : pour que ceux qui ne voient pas voient et que ceux qui voient deviennent aveugles. »
- Jean 12, 31 : Cest maintenant le jugement (krisis) de ce monde; maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors;
- Jean 12, 47 : Si quelquun entend mes paroles et ne les garde pas, je ne le juge (krinō) pas, car je ne suis pas venu pour juger (krinō) le monde, mais pour sauver le monde
- Jean 12, 48 : Qui me rejette et naccueille pas mes paroles a quelquun qui le juge (krinō) : la parole que jai fait entendre, cest elle qui le jugera (krinō) au dernier jour
- Jean 16, 8 : Et lui (le Paraclet), une fois venu, il établira la culpabilité du monde en fait de péché, en fait de justice et en fait de jugement (krisis)
- Jean 16, 11 : de jugement (krisis), parce que le Prince de ce monde est jugé (krinō) .
La lecture de ces textes peut apparaître déroutante, car Jésus semble affirmer en même temps une chose et son contraire : il ne juge pas et il juge. Et le jugement dont il sagit ici a surtout le sens de condamnation. Essayons de clarifier les choses. Dans le Judaïsme, et surtout dans la tradition apocalyptique, on attend le jugement final de Yahvé qui détruira par le feu et lépée ceux qui font le mal, et rassemblera tous les autres auprès de lui (Isaïe 66, 16). Le prophète Daniel évoque ce jugement final qui accompagne la fin des temps où la grande bête et les autres bêtes sont exterminées, tandis que le règne éternel du Fils de lhomme est inauguré et que le royaume est donné aux saints, après que lAncien eut rendu son jugement (Daniel 7, 9-26). Ces textes mentionnent donc une confrontation finale entre Dieu et lhumanité pécheresse, une confrontation prévue pour ce Jour de Yahvé. Lors de ce Jour, tous ressusciteront pour recevoir leur sentence, les uns pour la vie, les autres pour la mort éternelle. Ce jugement, les opprimés et les esclaves des païens lappellent de tout leur coeur (Psaume 140, 13). Et quand Jean Baptiste amorcera sa prédication, il parlera de la « Colère prochaine » et invitera les gens à la conversion en préparation de ce jugement de Dieu.
Or, selon lévangéliste Jean, cette confrontation finale entre Yahvé et lhumanité pécheresse est arrivée en Jésus, en particulier à travers sa mort en croix et sa résurrection, libérant le Paraclet ou lEsprit Saint, et annonçant la fin des forces adverses. Cest ce que les biblistes appellent leschatologie (fin des temps) réalisée. Rassemblons les textes que nous avons signalés en cinq catégories :
- Tout dabord, le Jugement de Dieu devient le Jugement de Jésus, car le Père a décidé de déléguer ce jugement final à Jésus, et Jésus est ce Fils de lhomme de la fin des temps dont parlait Daniel (textes b et d)
- Ensuite, à chaque fois que lévangéliste affirme que Jésus juge, en utilisant le verbe au présent, il relie tout de suite cette action au fait quil ne fait quaccomplir la volonté de celui qui la envoyé, et plus précisément il ne fait que redire ce quil a entendu de Celui qui est la Vérité par excellence (textes f, h et i); cest le même vocabulaire quon retrouve quand Jésus affirme que sa parole nest pas la sienne, mais celle quil a entendu auprès du Père
- Tout cela nous met sur la piste que cest en tant que parole ou Verbe ou lumière que Jésus juge, non pas au sens de condamner, mais au sens de révéler les coeurs, dopérer un discernement, de distinguer ceux qui veulent de cette lumière et ceux qui nen veulent pas, car ils ont déjà fait des choix de vie contraire (textes a et j).
- Cest pourquoi Jésus peut définir son rôle comme quelquun qui nest pas venu pour condamner, mais pour sauver : car tous ceux qui accueillent sa lumière connaîtront une libération (textes g et l)
- Par contre, en révélant qui est Dieu, et donc ce quest la Vérité et la Lumière, il force une partie de lhumanité à prendre position et à saffirmer contre Dieu, et par là à se ranger parmi ceux qui ressusciteront pour la mort éternelle. Cest exactement ce qui avait été prévu pour la fin des temps et qui est maintenant arrivé. LEsprit Saint, le Paraclet, libéré à la suite de la mort de Jésus, continuera son oeuvre et révélera qui est destiné pour cette mort éternelle et finalisera le jugement final (textes c, e, k, m, n, o)
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sōthē (il soit sauvé) |
Jean nest pas un grand utilisateur du verbe grec sōzō quon traduit habituellement par « sauver » et que jai traduit par « libérer ». Essayons de comprendre ce quil entend par ce mot.
- Jean 4, 22 : Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut (sōtēria) vient des Juifs
- Jean 4, 42 : nous (les Samaritains) lavons nous-mêmes entendu et nous savons que cest vraiment lui le sauveur (sōtēr) du monde.
- Jean 5, 34 : Non que je relève du témoignage dun homme (Jean Baptiste); si jen parle, cest pour que vous soyez sauvés (sōzō)
- Jean 10, 9 : Je suis la porte. Si quelquun entre par moi, il sera sauvé (sōzō); il entrera et sortira, et trouvera un pâturage.
- Jean 12, 47 : Si quelquun entend mes paroles et ne les garde pas, je ne le juge pas, car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver (sōzō) le monde
Lensemble des passages cités ont un point commun : ils font référence à la parole de Jésus (textes b, d et e) et au fait quil est envoyé de Dieu (textes c). En effet, cest en écoutant Jésus que les Samaritains déclarent quil est Sauveur du monde (texte b). Cest en écoutant sa voix que les brebis reconnaissent le bon pasteur et le suivent, et peuvent ainsi recevoir leur pâturage (texte d). Cest en accueillant sa parole et en la gardant comme lumière sur le monde quune personne aura la vie éternelle et sera sauvée (texte e). Enfin, le témoignage de Jean Baptiste visait à assurer les Juifs que Jésus était lenvoyé de Dieu, et donc que sa parole est celle même de Dieu (texte c). Fondamentalement, cette parole ouvre sur un chemin de vie qui, ultimement, les arrachera à la mort. En cela, elle sauve. Dans la liste des textes cités, seul le premier (texte a) fait bande à part. Il porte peut-être la marque du rédacteur final (voir M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - Lévangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 144.); ce dernier, en utilisant le mot sōtēria unique dans tout lévangile, tient à rappeler que le peuple Juif demeure le peuple choisi par Dieu, celui qui a tracé le chemin de la venue Jean Baptiste et celui de Jésus sauveur (voir ce que dit Luc en Actes 13, 23 (Cest de sa descendance que, suivant sa promesse, Dieu a suscité pour Israël Jésus comme Sauveur) et Paul en Romains 9, 4-5 (eux qui sont Israélites, à qui appartiennent ladoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et aussi les patriarches, et de qui le Christ est issu selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement! Amen. )
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- Analyse de la structure du récit
- Pour analyser adéquatement la structure de ces versets, il faut élargir lobjet de notre étude pour inclure au début le verset 12, et à la fin le verset 18. En effet, on distingue deux ensembles, soit celui formé par 12-15, et celui formé par 16-18.
- Lensemble 12-15 nest pas bien structuré et nest cimenté que par des mots-clés : le mot « ciel » qui relie les versets 12 et 13, et le mot « Fils de lhomme » qui relie les versets 13 et 14. Quant au v. 15 il découle du v. 14 pour le conclure. Mais en même temps, il sert de ciment avec lensemble 16-18 avec les mots-clés : croire et vie sans fin. Tous ces mots-clés ont été soulignés.
12 Si vous ne croyez pas quand je vous dis les choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous dirai les choses du ciel?
13 En effet, personne nest monté au ciel, à lexception de celui qui est descendu du ciel, le Fils de lhomme.
14 Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de lhomme, 15 afin que quiconque croit ait par lui la vie sans fin. |
- Lensemble 16-18 est beaucoup mieux structuré et forme une inclusion sémitique où la fin reprend le début et les versets se répondent de manière parallèle, ce que nous avons souligné par les couleurs semblables.
16a En effet, Dieu (theos) a aimé (agapaō) le monde (kosmos) de cette façon:
16b il a donné (didōmi) son fils (huios) unique (monogenēs),
16c afin que quiconque croit (pisteuō) en lui ne meure (apollymi) pas,
mais ait une vie (zōē) sans fin.
17a Car Dieu (theos) na pas envoyé (apostellō) son fils (huios) dans le monde (kosmos)
17b pour condamner (krinō) le monde (kosmos),
17c mais pour que le monde (kosmos) soit libéré (sōzō) par lui.
18a Celui qui croit (pisteuō) en lui nest pas condamné (krinō).
18b Mais celui qui ne croit (pisteuō) pas en lui sest condamné (krinō) lui-même,
car il na pas cru (pisteuō) dans la personne du fils (huios) unique (monogenēs) de Dieu (theos).
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La structure pourrait donc être présentée de manière schématique comme ceci :
Introduction : voici la façon dont Dieu a aimé le monde
A1 Action centrale de Dieu : il a donné son fils unique
B1 : Réponse attendue de la personne: le recevoir dans la foi pour ne pas mourir mais avoir la vie
C : Signification de la mission du fils dans le monde, non pas pour condamner, mais pour libérer
B2 : Résultat de la réponse de la personne: qui croit nest pas condamné, qui ne crois pas se condamne lui-même
A2 Conclusion sur la réponse humaine : na pas reçu dans la foi ce fils unique de Dieu
Dans une inclusion, la clé se trouve dans la phrase au centre, en loccurrence C : la mission du fils dans le monde en est une de libération ou de salut. Alors que la phrase clé est centrée sur le monde, donc relève dune affirmation générale, ce qui précède et ce qui suit sont tous deux centrés sur la personne individuelle, et plus particulièrement sur la condition pour accéder à ce salut. Dans ce qui précède (B1), laccent est positif : qui accepte de croire échappera à la mort et connaîtra la vie. Dans ce qui suit (B2), laccent est plutôt négatif en ce quil porte sur le risque de la condamnation, auquel échappe le croyant, mais que connaîtra ce qui ne croit pas. Le tout se termine par une conclusion (A2), le refus de recevoir dans la foi ce fils unique, qui reprend le début (A1) présentant le don ou lenvoi de ce fils unique.
- Quand on regroupe ces deux ensembles, on a une suite didées comme la suivante :
- La sagesse de Dieu est différente de la sagesse humaine v. 12
- Jésus est ce nouveau Moïse qui révèle la sagesse de Dieu v. 13
- Voici cette sagesse: Jésus est par sa mort en croix le nouveau serpent dairain : qui croit en lui a la vie sans fin v. 14-15
- Il sagit dun geste damour de la part de Dieu donnant son fils unique v. 16
- Pour le salut du monde v. 17
- La foi en lui est la clé qui détermine son destin v. 18
- Quand on se limite aux vv. 13-17 comme le propose la liturgie de lexaltation de la croix, on se trouve à éliminer laffirmation de lécart entre la sagesse humaine et la sagesse divine v. 12, ainsi que le destin différent entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas v. 18. On reste donc avec seulement laspect positif du message : Jésus est ce nouveau Moïse qui révèle la sagesse et lamour de Dieu doffrir la vie sans fin à lhumanité par la mort en croix de son fils unique.
- Analyse du contexte
Nos trois versets sont un élément de la conversation de Jésus avec Nicodème. Daprès ce qui précède (Jn 2, 23-25), Jésus se trouve à Jérusalem à loccasion de la fête de Pâque. Daprès le narrateur, beaucoup de gens croient en lui à la vue des signes quil opère, mais Jésus ny voit rien de profond et ne se laisse pas leurrer par cette attitude. Cest à ce moment que se présente Nicodème, un Pharisien bien disposé à légard de Jésus et membre du Sanhédrin. Considérons la séquence du dialogue (en rouge les trois versets que nous analysons).
- Introduction : Nicodème vient de nuit voir Jésus
- Nicodème (affirmation) :
- Tu es un maître envoyé par Dieu
- Raison : seul quelquun envoyé par Dieu peut faire ces signes
- Jésus (réponse)
- Pour voir le Royaume de Dieu, il faut naître den-haut
- Nicodème (question)
- Comment naître une deuxième fois si on est vieux?
- Jésus (réponse)
- Il faut naître deau et dEsprit pour entrer dans le Royaume de Dieu
- Dans la naissance charnelle, on reste charnel, tandis que dans la naissance de lEsprit, on devient esprit
- Avec cette dernière naissance samorce un chemin unique qui échappe aux autres, tout comme le mouvement du vent
- Nicodème (question)
- Comment cela se passe-t-il?
- Jésus (réponse)
- Tu es un maître du Judaïsme, et tu ignores cela?
- La sagesse de Dieu est différente de la sagesse humaine
- Jésus est ce nouveau Moïse qui révèle la sagesse de Dieu
- Voici cette sagesse: Jésus est par sa mort en croix le nouveau serpent dairain : qui croit en lui a la vie sans fin
- Il sagit dun geste damour de la part de Dieu donnant son fils unique pour le salut du monde
- La foi en lui est la clé qui détermine son destin
- Malheureusement, les hommes ont refusé de croire et on préféré les ténèbres parce quils ne voulaient voir leurs actions mauvaises démasquées
- Mais quiconque agit dans la vérité accueille dans la foi cette lumière, car ses actions sont inspirées par Dieu.
Ainsi se termine cette conversation avec Nicodème sans quon ait de réaction finale de ce dernier. Le narrateur nous amène tout de suite dans le pays de Judée où Jésus, comme Jean Baptiste, baptise dans la région du Jourdain (Jean 3, 22-23).
- Que retenir de ce contexte? Cette longue scène commence en mentionnant quil fait nuit, et se termine en introduisant ceux qui viennent à la lumière, car leur actions sont inspirées par Dieu. Entre ce début et cette fin, il y a un enseignement progressif par Jésus et introduit par des questions de Nicodème. Même si ce dernier reconnaît en Jésus un homme de Dieu, ce nest pas suffisant. Il faut lintervention de lEsprit de Dieu qui transforme la personne, comme sil lui donnait une nouvelle naissance. La personne ainsi transformée est non seulement en mesure daccueillir la parole de Jésus, mais daccueillir sa mort en croix comme passage à la vie. Tout cela est lexpression de lamour de Dieu pour le monde afin quil ait accès à la vie. Mais laccès à cette vie relève de laccueil dans la foi, et la réponse dépend des individus : malheureusement, une bonne partie on refusé cet accueil dans la foi, préférant la mort et les ténèbres, car ils ne voulaient pas sécarter de leurs actions mauvaises; mais les autres on accueilli dans la foi cette vie, car déjà leurs actions étaient inspirées par Dieu.
- Quand on regarde le contexte immédiat de nos cinq versets, on note que Jésus explicite son affirmation sur la nécessité de naître deau et dEsprit pour entrer dans le monde de Dieu, i.e. accueillir dans la foi son élévation sur la croix. Ainsi, lentrée dans ce monde doit prendre le chemin obligé de la croix. Et cela échappe totalement à la sagesse de ce monde.
- Analyse des parallèles
Comme nous en avons lhabitude avec le quatrième évangile, il nexiste pas de parallèle avec les récits synoptiques : Jean est le seul à raconter cette scène de lentretien avec Nicodème. Mais nous pouvons établir des parallèles avec dautres passages du quatrième évangile ou avec la première épître de Jean. Comme nous avons déjà distingué deux ensembles (13-15, 16-17), lanalyse des parallèles se fera en deux temps.
- Parallèles de 13-15
Les expressions semblables sont soulignées.
Jean 3, 13 Nul nest monté au ciel, hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de lhomme. | Jean 6, 58 Voici le pain descendu du ciel; il nest pas comme celui quont mangé les pères et ils sont morts; qui mange ce pain vivra éternellement |
Jean 3, 14 Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de lhomme, Jean 3, 15 afin que quiconque croit ait par lui la vie éternelle. | Jean 12, 31 Cest maintenant le jugement de ce monde; maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors; Jean 12, 32 et moi, une fois élevé de terre, jattirerai tous les hommes à moi." Jean 12, 33 Il signifiait par là de quelle mort il allait mourir. |
- On peut établir un premier parallèle avec ce passage du discours sur le pain de vie (6, 58). Les deux textes affirment la même chose : la personne de Jésus a un caractère unique qui le distingue des autres, il vient de Dieu (descend du ciel), et il est en mesure de donner une vie unique (éternelle).
- On peut établir également un parallèle avec ce discours de Jésus à Jérusalem (12, 31-33) alors que des Grecs veulent le voir à loccasion de la fête de la pâque, ce qui est signe pour Jésus de sa mort prochaine, car cest sa mort qui attirera à lui lhumanité (une fois élevé de terre, jattirerai tous les hommes à moi). Les deux textes affirment donc la fécondité de cette mort : dans le premier cas, la vie éternelle, dans le deuxième cas, la formation dune communauté autour de sa personne. Mais il y a plus. Nous avons déjà fait remarquer que la tradition juive reliait le serpent du désert au serpent qui séduisit Ève, représentant fondamentalement Satan et les forces du mal. La mort de Jésus aura pour effet de détruire ces forces du mal. Cest la même idée que développe Jean 12 : le Prince de monde va être jeté dehors. M. E. Boismard va jusquà affirmer que le v. 14 suivait le v. 31 du ch. 12 avant lédition finale de lévangile, si bien que nous aurions eu : Cest maintenant le jugement de ce monde; maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors. Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de lhomme (voir M. E. Boismard, A. Lamouille, Synopse des quatre évangiles, T. III - Lévangile de Jean : Paris, Cerf, 1977, p. 318).
- Parallèles de 16-17
En fait, ce sont les vv. 16-18 qui ont des parallèles ailleurs dans le quatrième évangile.
1 Jean 4, 9 |
Jean 3, 16-18 |
Jean 12, 46-48 |
En ceci sest manifesté lamour (agapē) de Dieu (theos) pour nous: Dieu a envoyé (apostellō) son Fils (huios) unique (monogenēs) dans le monde (kosmos) afin que nous vivions (zaō) par lui. |
16 Car Dieu (theos) a tant aimé (agapaō) le monde (kosmos) quil a donné son Fils (huios) unique (monogenēs), afin que quiconque croit (pisteuō) en lui ne se perde pas, mais ait la vie (zōē) éternelle. |
46 Moi, lumière, je suis venu dans le monde (kosmos), pour que quiconque croit (pisteuō) en moi ne demeure pas dans les ténèbres. |
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17 Car Dieu (theos) na pas envoyé (apostellō) son Fils (huios) dans le monde (kosmos) pour juger (krinō) le monde (kosmos), mais pour que le monde (kosmos) soit sauvé (sōzō) par lui. |
47 Si quelquun entend mes paroles et ne les garde pas, je ne le juge (krinō) pas, car je ne suis pas venu pour juger (krinō) le monde (kosmos), mais pour sauver (sōzō) le monde. |
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18 Qui croit (pisteuō) en lui nest pas jugé (krinō); qui ne croit (pisteuō) pas est déjà jugé (krinō), parce quil na pas cru (pisteuō) au Nom du Fils (huios) unique (monogenēs) de Dieu (theos). |
48 Qui me rejette et naccueille pas mes paroles a son juge (krinō): la parole que jai fait entendre, cest elle qui le jugera (krinō) au dernier jour; |
- Intention de l'auteur en écrivant ce passage
- Nos cinq versets font partie de cet échange de Jésus avec Nicodème, un notable Pharisien, membre du Sanhédrin, à Jérusalem, à loccasion de la fête de Pâques. Lévangéliste aime les symboles. Ce représentant du Judaïsme vient de nuit rencontrer Jésus : car les Juifs sont dans la nuit par leur attitude face à Jésus. La scène avec Nicodème nest pas un véritable dialogue, car on ne connaîtra jamais le dénouement de cette rencontre; elle vise plutôt à présenter les conditions pour passer de la nuit à la lumière. En effet, au départ lattention est sur les signes accomplis par Jésus, ce qui amène Nicodème, comme certains Juifs, à reconnaître que Jésus est soutenu par Dieu, à la manière des prophètes. Mais pour lévangéliste, ces signes révèlent quelque chose de beaucoup plus profond, la présence du Royaume de Dieu. Voilà pourquoi Jésus affirme que pour voir ce Royaume, il faut une transformation radicale de la personne, une transformation que seul Dieu peut opérer par son Esprit et symbolisé par le baptême chrétien : « À moins de naître deau et dEsprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu ». Cette transformation permet de devenir la substance même de Dieu, de devenir Esprit, et par là samorce une route qui est unique et échappe à la majorité des gens. Et surtout, elle permet daccueillir le témoignage chrétien, et en particulier la parole de Jésus.
- La première affirmation de lévangéliste pour notre propos insiste pour dire que Jésus est le seul en mesure de vraiment communiquer la pensée et la sagesse de Dieu, et donc déclairer lhistoire humaine. Sa parole est vraiment celle de Dieu.
- Après avoir affirmé lidentité entre la parole de Dieu et celle de Jésus, lévangéliste présente ensuite Jésus comme le nouveau Moïse qui met fin aux puissances du mal présentes dans le monde depuis le péché dAdam et symbolisées par les serpents venimeux, successeurs du serpent du jardin dÉden : en détruisant ces puissances mauvaises, Jésus inaugure une création nouvelle. Cependant, la façon de détruire ces puissances mauvaises passe par la crucifixion en croix, mentionnée pudiquement par le symbole de lélévation, une référence au serpent dairain attaché au poteau denseigne par Moïse. Cette allusion pudique à la croix traduit la gêne devant ce type de mort horrible réservée uniquement aux esclaves criminels, et que les premiers chrétiens avaient de la difficulté à aborder clairement. Dans ce contexte on comprend la précaution que prend Jean au début en insistant sur lécart entre la sagesse humaine et la sagesse de Dieu, et que seul le fait que Jésus soit la parole même de Dieu est capable de nous ouvrir à une réalité à prime abord si horrible.
- Le chemin de la croix na de sens que parce quil ouvre sur la vie sans fin. Nos cinq versets nexpliquent pas ce que Jean entend par la vie sans fin. Mais quand on lit lensemble de son évangile, on constate que la vie désigne lêtre même de Dieu à laquelle nous pouvons avoir accès dès maintenant et qui nous permettra de traverser la mort. Mais il est inutile de chercher à savoir « comment » la croix est source de vie, et surtout « pourquoi ». Lévangéliste dit simplement : « il est nécessaire ». Cest ici que les affirmations qui précèdent prennent tout leur sens : cest une sagesse qui échappe à lintelligence humaine, et seul celui qui nait de lEsprit et de leau peut y accéder par la foi; et Jésus est le grand révélateur de cette sagesse.
- Enfin, lévangéliste situe cette mort ignominieuse en croix dans le plan de Dieu : il sagit dune initiative amoureuse de Dieu, le don de ce quil a de plus précieux, pour contrer la pente destructrice de lhumanité et lui permettre de trouver le chemin de la libération et de la vie. On peut imaginer dans cette phrase limmense chemin parcouru par les premières communautés chrétiennes : du choc initial de voir leur maître subir la fin tragique des esclaves criminels et connaître le sort des gens que la Bible considère comme maudits, elles sont passées à une initiative amoureuse de Dieu pour guérir lhumanité et lui donner une vie sans fin. Cest le jour et la nuit. Elles auraient pu vivre cette condamnation dun innocent avec un sentiment de culpabilité pour lhumanité en général, et le peuple juif en particulier, mais Jean insiste pour dire : Dieu nentend pas juger lhumanité. Toute lattention porte sur lamour et la vie qui accompagne la croix.
- Comment résumer lintention de lévangéliste en une seule phrase? Jésus est ce nouveau Moïse qui révèle la sagesse de Dieu, et cette sagesse, inséparable de son amour, quon accède par la foi, veut quil passe par la mort en croix pour libérer lhumanité des forces destructrices, comme Moïse la fait pour son peuple au désert.
- Situations ou événements actuels dans lesquels on pourrait lire ce texte
- Suggestions provenant des différents symboles du récit
Malgré un texte très court, nous nous retrouvons devant un symbolique très riche. Regardons quelques uns de ces symboles.
- Le premier symbole est celui du ciel : monter jusquau ciel, descendre du ciel. Limage du ciel renvoie bien sûr à Dieu. Cest la question : qui peut vraiment parler de Dieu? Jean affirme que seul Jésus est vraiment en mesure den parler adéquatement. Mais combien de gens prétendent savoir qui est Dieu, ce quil pense, ce quil veut? Combien de fois a-t-on tué au nom de Dieu? Les Pharisiens ont imposé aux gens le lourd fardeau de règles religieuses, toujours au nom de Dieu. Quen est-il aujourdhui? Il suffit de penser à tous les intégristes religieux qui prétendent agir au nom de Dieu.
- Le fils de lhomme ou nouvel Adam. Lexpression « nouvel Adam » qui, selon moi, traduit le mieux lexpression « fils de lhomme » qui provient du prophète Daniel, me semble riche symboliquement parlant. Car il renvoie à la création du premier homme, mais il sagit cette fois de lhomme renouvelé, de lhomme tel que voulu par Dieu. Et cet homme devient le modèle et le chef de file de toute lhumanité.
- Limage du serpent dairain ou de bronze auquel est associé Jésus offre des pistes intéressantes. Bien sûr, on connaît surtout lanimal qui fait peur, cet être rusé qui rampe et dont la morsure peut causer la mort. Mais il est aussi un symbole de vie, de régénérescence et de jeunesse éternelle, car il a la capacité de muer et faire constamment peau neuve. Le dieu grec Esculape, un dieu grec guérisseur, est représenté sous la figure du serpent, si bien quaujourdhui ce serpent enroulé autour dun bâton est associé à larbre de vie et aux associations médicales. Ainsi, peut-on voir Jésus sous les traits du guérisseur. Quiconque pour qui Jésus est une figure centrale de sa vie peut préciser comment Jésus joue ce rôle.
- Lélévation en croix représente un symbole étrange. Car dune part, la symbolique de lélévation est associée habituellement à un événement heureux : on est élevé sur un trône, on accède à un niveau plus élevé. Mais cette élévation est liée à la crucifixion et à cette mort horrible en croix. Il reste quune réflexion sur lélévation que constitue la croix peut être extrêmement fructueuse. Il existe des souffrances et des situations humiliantes qui peuvent faire grandir et être source de vie.
- Lévangéliste parle dune « vie sans fin ». Comme nous lavons analysé, la vie est la substance même de Dieu. Aujourdhui, plusieurs se posent la question : quest-ce que vivre? Certains affirment vivre pleinement leur vie; que font-ils exactement? Dautres, par contre, se plaignent de ne pas vivre, mais dexister seulement. Notre expérience atteste quil y a des gens qui se disent vivants, mais quà lintérieur deux ils sont morts. Or, lévangéliste affirme que le rôle de Jésus est de donner la vie éternelle. Quest-ce que cela signifie pour nos vies?
- Quand on parle de vie, on doit parler également de mort. Or, le rôle de Jésus est de veiller à ce que nous ne mourrions pas? Quest-ce que ça veut dire? Quest-ce quêtre mort dès maintenant? La mort a-t-elle plusieurs sens? Pouvons-nous identifier des gens autour de nous qui sont en fait morts, même si leur coeur bat encore? Quest-ce qui les caractérise?
- Suggestions provenant de ce que nous vivons actuellement
- Les communautés chrétiennes dIrak ont vécu récemment un véritable massacre de la part dintégristes musulmans, certaines femmes étant violées, les hommes décapités. Un véritable génocide. Comme lire un tel événement à la lumière de lévangile de ce jour?
- Lépidémie dÉbola fait des ravages en Afrique. Tant de morts. Et la communauté internationale semble impuissante. Pourtant nous proclamons aujourdhui un Jésus guérisseur. Comment trouver un sens à tout cela?
- Dans un conflit politique comme celui qui sévit en Ukraine, comment avoir une attitude adéquate? La Russie souffle le chaud et le froid, lUkraine semble la victime, mais ses soldats ne font pas dans la dentelle. Bien sûr, lévangile noffre pas de recette. Mais il façonne lhomme nouveau. Comment lhomme nouveau gère-t-il les crises?
- Une voisine vit la panique devant les mises à pied massives dans sa firme. Quand sera-ce son tour? Elle vit seule avec sa mère très âgée et sa soeur déficiente intellectuelle, dont elle est lunique soutien financier. La foi en celui « qui descend du ciel » communiquant la sagesse de Dieu peut-elle avoir ici une pertinence?
- Comme grand-père, jéchange et joue régulièrement avec ma petite fille. À quatre ans, un enfant ne peut saisir la complexité de la vie. Même sil faut tout diluer pour les oreilles dun enfant, il reste quon peut faire sentir les grandes lignes de notre manière de voir la vie. À ce sujet, quy a-t-il de pertinent dans lévangile de ce jour?
-André Gilbert, Gatineau, septembre 2014
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